Au
cours des siècles, les théologiens catholiques ont élaboré
l'étrange théorie du «péché originel». Cette doctrine, si l'on
fait abstraction des interprétations fantaisistes et ridicules que
l'enseignement officiel lui a donné, exprime cependant quelque chose
qui, du point de vue existentiel, est fondamentalement vrai . Elle
veut rendre compte d'une condition de finitude, de faiblesse, de
désordre, de détresse intérieure que chacun de nous porte gravée
dans son être, et cela dès son apparition en ce monde. A travers
une terminologie obsolète et archaïque, cette théorie cherche toutefois à
nous conscientiser sur l’état de fragmentation, de division, de
lacération intérieures dans lequel nous nous trouvons lorsque nous
nous coupons de la Source Originale de notre existence et que l'on
appelle généralement avec le nom de «Dieu».
La
doctrine du péché originel nous révèle finalement une chose très
simple: les humains cherchent à se faire Dieu à cause de la peur
qu’ils ressentent lorsqu’ils découvrent qu’ils ne sont que des
hommes. En d’autres mots, à cause de l’angoisse qu’ils
ressentent lorsqu’ils prennent conscience de leur finitude, de n’être que des épisodes transitoires, des
phénomènes casuels, non-nécessaires, transitoires et totalement
négligeables dans l’immense épopée de l’évolution cosmique,
les hommes perdent les pédales. Le jour où un gros singe est
devenu un homo sapiens, ce jour-là même, il a réalisé
qu’il n’était là que pour mourir. Ce jour-là, l’angoisse et
la peur ont fait leur apparition dans l’histoire humaine pour la
gâcher à tout jamais. Le « péché
originel» était né. Qu’est-ce à dire ?
La
Bible nous parle de ce drame à travers le mythe de la chute
originelle dans un Éden créé par Dieu pour l'homme. Le mythe
raconte que l'homme, au lieu de s’accepter faible, fini, limité,
transitoire, tel qu’il était sorti des mains de son Créateur,
obnubilé dans son intelligence par la peur et l’angoisse, a cru
qu’il aurait pu vivre une vie plus heureuse en réprimant le
souvenir de sa finitude, et s’illusionnant de pouvoir être aussi
puissant et aussi durable que Dieu lui-même. «Vous serez comme des
dieux !» dit à l’homme le serpent tentateur de la légende. Ce fut la bêtise suprême! Ce fut le début de la fin !
Se faire Dieu
soi-même, c’est non seulement se mettre en compétition avec la
Source de l' être, mais c’est aussi se mettre en opposition
contre la vérité et la nature de ce que nous sommes. C’est
refuser d’être non-dieu, et donc humains. C’est introduire dans
la vie humaine une coupure tragique avec Dieu-Source, perçu, dans
l’angoisse, comme un adversaire dangereux qui condamne l’homme
à la finitude et donc à la mort.
L’église
a raison quand elle affirme que le péché originel est la cause de
tous les maux du monde. Vouloir être comme Dieu, ne peut que
précipiter les humains dans le gouffre de la folie, du désastre et
de l’insignifiance. Voyons cela de plus près.
Pour
être comme Dieu je
cherche à être plus fort que les autres, plus intelligent que les
autres; je cherche à me rendre nécessaire; à attacher les autres
à moi, de sorte qu’ils perdent leur autonomie et leur
indépendance; je deviens manipulateur, dominateur, violent, tyran ,
despote.
Pour
être comme Dieu, je me transforme en la raison de vivre de ceux qui
m’entourent; ils ne doivent vivre que pour moi; tout doit être
dirigé vers moi, tout est à mon service; je deviens le centre,
l’égoïste parfait. Pour être haut comme Dieu, je cherche à
mi hisser bien au-dessus des autres; je veux être supérieur; je veux voir les autres à mes pieds. J'élimine les
adversaires, les concurrents, les ennemis.
Pour
me sentir puissant comme Dieu, je cherche le pouvoir; je cherche à
m’enrichir, par tous les moyens, sans limites, avec démesure, sans
vergogne. En effet, plus j’impressionne par la quantité de mon
faste et de ma richesse, plus mon ego est exalté; plus j'ai du
pouvoir, plus je me sens tout- puissant, comme Dieu. Et ainsi tout
le monde m'adore.
Et
puisque je me suis fait Dieu, tout m’appartient: « la terre et ses
richesses». Tout est là pour moi, pour que je puisse le récolter,
l’exploiter, m’en servir comme bon me semble, même si je dois
faire la guerre, détruire, ruiner, contaminer, empoisonner, rendre
inhabitable, réduire à la misère, à la famine des pans entiers
de populations de la planète ...
Pour
se sauver, l'homme doit se libérer de la peur et de l'angoisse qu’il
éprouve devant l’expérience de sa finitude. Il doit cesser de
compenser ces limites par toutes sortes de moyens fous et
impossibles. Il faut qu’il découvre la présence du Dieu de la
légende, se promenant encore et toujours, comme un ami, dans le
jardin à la brise du soir.
L'homme a besoin que la détresse dans laquelle évolue son existence soit
traversée par la seule force qui peut le sauver: la confiance. Il
faudra qu’il puisse recevoir la grâce de s’accepter, non pas
centré sur lui-même dans un effort désespère et stupide de se
faire comme Dieu, mais de livrer sa vie entre les mains d’un Dieu
que Jésus de Nazareth nous présente comme un Père de tendresse et
d’amour.
Pour
guérir de sa folie, l’homme devant Dieu, doit apprendre
à lui faire confiance. C’est tout simplement cette confiance
qui le guérit de l’intérieur et qui le rétablit dans
l’authenticité de ce qu'il est en toute vérité devant
Dieu.
Finalement, les théologiens ont raison de nous dire que dans l'enseignement
du Prophète de Nazareth nous pouvons trouver un remède à ce «péché
originel» qui nous taraude depuis toujours. Jésus nous apprend
fondamentalement à vivre dans la confiance. Il dit à son
disciple:
« Tu n’as qu’à laisser Dieu être Dieu. A
toi il te suffit d’être humain, de n’être qu’un humain, car
dans son amour Dieu complétera ta finitude avec sa pérennité. Il remplira ton vide de sa plénitude; ta pauvreté de sa richesse;
ton imperfection sera justifiée et acceptée sans condition et
couverte par le manteau de sa bonté et de sa miséricorde. Tu ne
seras jamais Dieu. Mais tu pourras être cet homme, cette femme
qui sont humains, pleinement humains, totalement humains. C'est ton
humanité qui fait ta richesse et ta grandeur. Tu seras cet
humain renouvelé par la foi; sauvé par la confiance; heureux dans
l'assurance d'un amour qui t'est donné sans conditions et pour
toujours .
Modelés
sur Jésus de Nazareth, nous, les chrétiens, nous sommes les
hommes et les femmes du Royaume; les hommes et les femmes du sel, du
levain et de la lumière; les hommes et les femmes restaurés à
l’image de l’Homme de Nazareth, en qui Dieu a pu réaliser son
rêve d’humanité. Nous sommes ceux et celles qui, en Jésus de
Nazareth, avons trouvé le secret de vaincre ce «péché» qui
fait toute notre laideur, mais aussi tout l'attrait de notre surprenante et attachante humanité .
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