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mercredi 20 mars 2019

S’HUMANISER POUR SE TRANSFIGURER


(2ème dim. carême, C – Lc. 9, 28-36)

C’est, sans doute, parce que le Carême est un temps de changement et de transformation intérieure et spirituelle proposé à tous les chrétiens, que la liturgie catholique, au début de carême, présente à leur réflexion l’épisode évangélique de la « transfiguration » du Seigneur. Elle cherche par là à leur dire qu’il est possible, malgré tout, de devenir des êtres humains plus beaux, plus lumineux, plus transparents, plus attachants et capables de susciter admiration, extase, transports d’amour, sensations de bonheur et de plénitude chez les personnes qui nous regardent et nous entourent.

Les évangélistes qui relatent l’épisode de la transfiguration ont probablement élaboré ce récit à partir de souvenirs des premiers disciples qui, d’un côté, ont été les témoins directs du travail accompli par l’Esprit de Dieu dans la personne de Jésus et qui, de l’autre, au contact du Maître, ont expérimenté une totale transformation de leur existence. A ce propos, les évangiles sont unanimes à relater le fait d’un Jésus qui très souvent disparaît subitement pendant des nuits entières et qui est retrouvé le lendemain en prière, dans des lieux à parts et solitaires, transfiguré par des heures d’intimité avec Dieu, son Père.

Cette capacité extraordinaire de Jésus de sentir la Présence de Dieu et de vivre et de se blottir en elle; son attitude priante et contemplative, son besoin de se ressourcer intérieurement au contact de l’Esprit de Dieu, ont impressionné à un tel point les disciples qu’elle a suscité en eux, nous disent les évangiles, un désir intense d’être comme lui, de faire comme lui, pour être, eux aussi, transformés par cette immersion amoureuse dans les profondeurs revitalisantes du mystère de son Dieu. D’où la requête osée et délirante de leur émerveillent et de leur désir : « Seigneur apprend-nous à prier, comme tu le fais !… Seigneur on est si bien ici avec toi!… Nous ne voulons plus partir d’ici!.. Dressons ici nos tentes… !  »

Jésus n’est pas l’homme qui apparaît transfiguré seulement sur la montagne du Tabor. Jésus est l’homme qui a vécu toute sa vie en être transfiguré. L’épisode de la Transfiguration relaté par les évangiles constitue uniquement la consécration officielle ou la célébration solennelle de son état d’être humain transparent à la présence de l’Esprit qui a bâti en lui la qualité de son humanité et l’a conduite à son parfait accomplissement. De sorte que l’on peut affirmer que l’Homme de Nazareth est une des meilleures réussites du mouvement évolutif de l’humain et qu’en lui le processus d’« humanisation » de l’espèce « homo sapiens » en cours sur notre planète depuis des centaines de milliers d’années, a atteint une de ses meilleures réalisations.

Le but de l’évolution humaine sur notre la planète est, en effet, celui de conduire l’humain à contrôler progressivement sa dépendance physique, psychologique et instinctive de sa « matérialité animale » et à développer son intelligence, sa rationalité et surtout sa sensibilité, afin de donner plus de place à ces facultés typiquement amoureuses et  humaines dans l’agencement de sa vie. Et cela dans le but de le « spiritualiser » toujours d’avantage. Car, c’est finalement la « spiritualisation » ou la « spiritualité » de l’humain, constituée par la prise de conscience de l’« esprit » qui l’habite, qui mesure l’état évolutif de sa nature et qui lui donne éclat, beauté, attrait, mais surtout qualité et « profondeur » à son humanité. C’est cette profondeur qui fait de l’humain une « personne spirituelle », car harmonieusement construite dans la totalité de son être selon les harmoniques de l’amour reçu et donné.
C’est un fait que, depuis au moins trois cent mille ans, chez l’espèce « homo sapiens» ou « homme moderne », l’évolution morphologique-bio-somatique, et l’évolution psycho-intellectuelle-spirituelle n’ont pas suivi ni les mêmes rythmes ni les mêmes étapes. Alors que l’évolution bio-somatique s’est accomplie plus ou moins également dans tous les individus de l’espèce, l’évolution psycho-intellectuelle-spirituelle, par contre, ne s’est pas faite ni avec la même uniformité ni avec le même succès.

Cela a pour conséquence que les humains, dans la montée de leur parcours évolutif, aujourd’hui encore, se trouvent situés à des niveaux différents d’humanisation. Cette constatation oblige à reconnaître et à affirmer, au prix d’en choquer quelques-uns, qu’il y a des humains qui sont plus humains que d’autres et vice-versa.

La preuve de cela est incontestablement fournie par le fait que nous sommes entourés d’une foule de personnes magnifiques, pleines de sagesse, de grâce, de sensibilité, de bonté, d’amour et d’humanité; mais que nous vivons aussi dans un monde foisonnant d’individus lugubres et ignobles, qui ne semblent posséder aucune humanité (inhumains). En effet, il arrive souvent à chacun de nous d’être confrontés à des évènements et à des situations de barbarie, de brutalité, de violence, de cruauté, de méchanceté et d’injustice tellement révoltants et arbitraires ; à des attitudes et à des comportements tellement démentiels et irresponsables (attentats, dépenses folles pour les armements, la production de bombes atomiques approuvées par les hommes au pouvoir et les responsables politiques, saccage et pollution de la Planète, construction de murs et de barrières pour se renfermer, séparer et diviser les peuples, etc.), que l’on ne peut que s’interroger sur  la santé mentale ou la réussite évolutive de leurs auteurs. Alors, la seule façon rationnelle que nous avons d’expliquer la possibilité et l‘existence de telles horreurs et d’une telle folie, c’est de supposer que les responsables sont des hominidés qui, pour des raisons mystérieuses, sont restés bloqués à des stades très primitifs, bestiaux, irresponsables et irrationnels de leur mouvement évolutif vers l’humanisation.  

La sagesse humaine acquise au cours du processus évolutif de notre espèce est là maintenant pour nous apprendre que « l’homo sapiens » ne peut vraiment s’humaniser qu’en devenant un individu « spirituel », c’est-à-dire sensible et ouvert aux valeurs et aux œuvres de l’Esprit qui le font évoluer en le « transfigurant ». À son tour, la sagesse qui nous vient de la fréquentation de l’Évangile, est là aussi pour nous révéler que l’Esprit est exclusivement un Souffle « divin » et une Énergie « amoureuse » qui nous arrivent des profondeurs du Mystère de Dieu.

Dans les évangiles le terme de « transfiguration » est utilisé pour illustrer ce mouvement qui doit nous « spiritualiser », en donnant qualité, profondeur à notre humanité. C’est, en effet, notre « spiritualité » qui transfigure notre personne aux yeux de ceux qui nous entourent, car elle leur manifeste les richesses de notre esprit, leur réfléchit la beauté de notre âme et la bonté de notre cœur.
On peut alors considérer le « transfiguration » comme l’aboutissement et la réussite du chemin évolutif de l’humain qui, à un stade avancé de son évolution, apparaît aux yeux de ceux qui le regardent dans toute la splendeur, le charme et la beauté de sa transformation, habillé d’une humanité magnifiquement assemblée sous les impulsions et les forces de l’Amour.

De sorte que dans l’être humain, la qualité de sa personne, ainsi que l’attention, le charme, l‘attrait qu’elle suscite chez les autres, ne sont pas principalement produits par son intelligence, son savoir, ses compétences, son pouvoir, son efficacité (car aujourd’hui les robots et les ordinateurs peuvent en faire autant et mieux), mais par sa capacité d’aimer, de soigner, de bâtir espoir et confiance et de distribuer joie et bonheur autour d’elle. C’est cette capacité qui situe la personne dans la perfection de son humanité et qui la « transfigure » aux yeux de ceux qui l’entourent.

La « transfiguration » est donc avant tout un phénomène psychologique et intérieur qui se passe principalement dans les yeux du cœur de l’observateur, qui touché, ému, émerveillé et intérieurement sollicité et affiné par l’extraordinaire qualité de la personne qu’il a devant lui, est capable de voir, « au-delà » (« trans ») de sa « figure » humaine, les merveilles accomplies en elle par le travail de l’Esprit. C’est ce qui est arrivé aux trois disciples de Jésus sur la montagne du « Tabor ». C’est ce qui arrive à chacun de nous lorsque nous sommes épris d’une personne qui a su emballer notre cœur et fasciner notre esprit.

Le terme de « transfiguration » indique alors, dans les évangiles, la façon dont les disciples ont perçu l’Homme de Nazareth et le genre de visions qu’il a ouvert aux yeux de leur esprit; ainsi que le tourbillon des sentiments, des sensations, des réactions et d’attitudes qu’il a suscité aux yeux de leur cœur et à la fascination de leur amour.

En cet homme, ils ont vu la réalisation de ce qu’ils auraient toujours voulu être, et l’image de l’homme renouvelé et « transfiguré » qu’ils pourraient devenir, en marchant sur les traces de leur Maître : des humains remplis de l’esprit de Dieu, des humains qui parlent avec Dieu ; des humains complètement réalisés et transformés par leur consonance avec l’Esprit de l’amour qui les habite. Comme Jésus.

La réussite évolutive de l’homme de Nazareth qui a produit l’extraordinaire qualité humaine de sa personne et qui a fait de lui l’homme lumineux et « transfiguré » tel qu’il est apparu aux yeux de ses contemporains, est et reste, au moins pour les chrétiens, le barème et le modèle de toute réussite évolutive et de toute véritable humanisation.

Nous, les chrétiens, nous croyons que de s’engager à suite du Jésus de Nazareth, peut constituer une des meilleures façons d’atteindre plus vite une qualité d’humanisation qui nous transfigure aux yeux surpris et émerveillés de nos contemporains.

 Bruno Mori – 15 mars 2019

Avec Jésus, aller au désert

(1er dim. carême- Luc 4, 1-13)

Quarante jours avant Pâques, l'Église nous propose quelques semaines de travail spirituel intense. Elle veut faire vivre à nous, les chrétiens, un moment particulièrement « fort », intense, afin de vérifier l'orientation de nos vies, ajuster notre route, découvrir nos véritables besoins et exigences de notre condition de disciples de Jésus. Et pour cela elle nous amène au désert, elle déroule devant nos yeux, comme un exemple a imiter, la scène de Jésus qui a vécu pendant quarante jours dans ce lieu de privation, de silence et de solitude. La proposition de ce scénario désertique est motivée par une considération évidente : nous vivons tous une vie vertigineuse, chaotique, turbulente, tourbillonnante, à l’enseigne de la vitesse, du rendement, de la performance, du stress. Nous avons besoin plus que jamais de créer autour de nous des espaces de silence et des moments de halte et de recueillement pour nous permettre de nous ramasser, de penser à nous-mêmes, pour regarder en nous, réfléchir sur le sens de notre vie et des événements qui nous arrivent.

Nous avons besoin de désert et de silence surtout pour intérioriser et clarifier nos états d’âme, nos sensations, nos sentiments, nos expériences spirituelles, les paroles que nous écoutons, la place que Dieu occupe dans l’agencement de notre existence.

 Il est difficile d'être disciples de Jésus, difficiles de rester des hommes et des femmes de cœur, si nous ne savons pas nous tailler des moments de désert dans notre vie. Le carême devrait être ce temps de désert. C’est pour cela que, pendant ce temps, des attitudes et des comportements nous sont suggérés, qui font partie de la tradition et de l’ascèse chrétienne pour ce temps fort de l’année. Il s’agit de trois attitudes qui ont comme but de nous aider à orienter correctement notre existence par rapport à Dieu, à nous mêmes et à notre prochain...

L’attitude de la prière. La prière plus qu'une vibration des cordes vocales et un mouvement des lèvres qui prononcent des paroles ou débitent des formules pieuses, est surtout et avant une attitude intérieure de la personne croyante qui se laisse transporter, envahir par le mystère de la présence de Dieu dans sa vie et auquel elle s’abandonne avec confiance et amour.  Prier c’est la capacité de se poser devant Dieu et de ressentir le touché de sa mains et le mystère de sa présence à chaque moment et dans tous les événements de notre existence. C’est se savoir continuellement plongé dans le Tout de son action et de sa présence.

 Le désert, le vide, le silence sont pour ressentir et réaliser cela !  C’est pour pouvoir écouter les pulsations du cœur de Dieu dans le fantastique frémissement de la vie autour de nous; pour s’émerveiller des effets de sa présence qui se manifeste partout : dans les innombrables gestes de l’amour, de la tendresse, du dévouement, du sacrifice, du don de soi, du pardon ; dans l’époustouflante beauté de sa création ; et , pour nous, les chrétiens, dans cette Parole de Jésus à travers laquelle Dieu nous parle, nous révèle son cœur et nous communique un peu de son Esprit. Si, grâce au désert et au silence, nous pouvons faire surgir en nous cette sensibilité et ce pouvoir d’apercevoir dans la filigrane de notre existence et du monde dans lequel nous vivons, les traces merveilleuses de cette divine présence, la prière surgira spontanément de notre cœur comme larmes de commotion, exclamations de stupeur, cri d’émerveillement, besoin d’adoration, goût de louange et d’action de grâce et, surtout, comme désir d’être, nous aussi, la note juste dans l’harmonie du monde, harmonie que nous pouvons si facilement gâcher avec notre aveuglement et notre stupidité.

Cette prière suscite alors en nous le désir d’entrer dans le plan Dieu, qui est plan d’amour, d’alliance, d’ordre, de beauté, de salut et de bonheurs pour tous et d’en être les témoins et les collaborateurs enthousiastes, à l’exemple du Maître de Nazareth.

L’attitude du jeûne. Jeûne –Jeûner ce sont de vieux mots qui font partie du vocabulaire ascétique de la spiritualité chrétienne, mais qui gardent toujours leur importance ou, mieux, leur nécessité. En langage moderne ces termes veulent inculquer la nécessité d’établir un rapport équilibré, contrôlé, harmonieux, raisonnable avec nous-mêmes et les choses que nous utilisons. Les utiliser sans en devenir dépendants, esclaves. Savoir toujours garder le contrôle, pour rester libre. Le mot « jeûne » indique alors l’effort de maîtrise de nous mêmes et de détachement que nous devons exercer sur tout ce qui, à cause de nos pulsions, de nos passions, de nos appétits , de nos penchants, de nos convoitises, pourrait nous faire perdre cette liberté intérieure dont nous avons besoin pour avoir une vie équilibrée et pour croître en humanité. Lorsque, pendant le carême, je me prive volontairement de quelque chose, cela est le signe de mon désir de garder ma liberté et de ne pas me laisser assujettir, dominer, commander, lier par quoi que ce soit : les cigarette, l'alcool, la drogue, la gourmandise, le plaisir, le pouvoir, l’argent, etc. La fonction du jeûne est alors de me permettre de rester une personne avec la tête sur les épaules, libre de mes actes, apte à être l’unique maître à bord et le seul commandant de mon navire. Rien ni personne n’a le pouvoir de décider de l’orientation et de la qualité de ma vie.

La pratique du jeûne a aussi une fonction « écologique »: nous apprendre à diminuer  la voracité, les besoins, la consommation, et donc la production, dans le but de freiner et réduire l’exploitation des ressources planétaires,  encourager le respect de la nature et la sauvegarde de l’équilibre des écosystèmes, préserver la santé de l’environnement et la durabilité des conditions qui permettent la continuation et la viabilité de la vie sur terre.

Sans parler de tous les effets positifs, bénéfiques, thérapeutiques que la médecine moderne attache à la pratique du jeûne.

L’attitude de l’aumône. En soi l’aumône est le geste du cœur par lequel nous portons de l’aide à celui qui est dans le besoin. Dans la plupart des religions, l'aumône est considérée comme une offrande à Dieu. Elle sert à libérer celui qui l'offre du péché et à compenser ses mauvaises actions, de façon à ne pas souffrir des remords de sa conscience. Pour nous, les chrétiens, ce terme indique une attitude de base qui nous caractérise en tant que disciples de Jésus de Nazareth. Pour nous, l’autre est le prochain que nous devons aimer avec l’amour même de Dieu et, par conséquent, le frère que nous devons aider, soutenir et sauver au prix même de notre existence, à l’exemple du Seigneur qui a donné sa vie et qui nous a dit : « C’est à cela qu’il verront que vous êtes mes disciples, à l’amour que vous avez les uns pour les autres. » Le carême est alors un temps où je suis invité à regarder quelle est mon attitude générale vis-à-vis de mon prochain. Le terme « aumône» alors ne signifie pas seulement l’aide matérielle que je peux apporter à celui qui est en difficultés économiques, mas il caractérise surtout l’ouverture, l’accueil, la disponibilité de mon cœur envers les personnes que je rencontre dans le quotidien de ma vie. Donner de l’amour, de la bienveillance, de la gentillesse, de la sympathie, du sourire, de l’écoute, de l’intérêt … est souvent bien plus difficile pour nous et bien plus enrichissant pour les autres que donner de l’argent. Les pauvres ont souvent plus besoin d’écoute et de compassion que d’argent. Nous avons du pain sur la planche pour ce temps de carême ! 

Bon courage, mes amis, et attelons-nous à la tâche, avec l’aide du Seigneur!

 Bruno Mori

mardi 5 mars 2019

L’homme qui sait nous accompagner


(8e dim. ord.C – Lc 6,39-45)

L’originalité de Jésus de Nazareth n’est pas tellement dans les consignes ou les directives d’ordre éthiques qu’il nous a laissées et que l’on peut retrouver chez d’autres maîtres et sages dans presque toutes les cultures et les religions du monde, étant des directive et normes qui font partie de la sagesse humaine universelle. Pensons, par exemple à la Règle d’Or du comportement humain qui est à la base de toute vie sociale et qui se veut ordonnée et pacifique.

L’originalité de Jésus se situe sur le plan de sa perception de Dieu et de la qualité de ses relations avec Lui et avec ses semblables. L’originalité de Jésus a été d’avoir conçu Dieu comme une Énergie Primordiale, une Virtualité créatrice qui n’est pas extérieure, transcendante, en dehors de notre monde, mais intérieure et immanente à notre Univers et surtout immanente et particulièrement active dans la personne humaine.

Mais ce n’est pas tout. L’originalité la plus extraordinaire de Jésus de Nazareth a été de prendre conscience que cette Force Originaire, qui soupire et vibre dans les profondeurs les plus secrètes de la réalité cosmique et de notre humanité, est essentiellement une Énergie « amoureuse » qui cherche à se répandre, à se communiquer, à attirer, à unir et à tout transformer à son image, c’est-à-dire, selon les paramètres de l’amour. Dans histoire de l’évolution humaine, Jésus de Nazareth a été un des premiers esprits à prendre conscience que l’Énergie de fond qui soutient la Création est faite d’amour. Jésus a fait de cette intuition le point central de son message. C’est sur cette conviction qu’il a fondé et déployé les contenus de son existence. C’est cette intuition qui constitue la nouveauté et l’originalité de sa prédication.

Dans l’histoire de la pensée religieuse, l’originalité de la figure de Jésus de Nazareth est donnée par quelques intuitions fondamentales qu’il a eues et qu’il nous a laissées.

1) Il a établi le lieu privilégié de la présence, de l’action et de la manifestation de Dieu à l’intérieur du cœur de l’homme. Son Dieu est le fond de son être. Il disait : « Dieu est en moi et moi je suis en Dieu. Dieu et moi nous ne faisons qu’un. » Cela signifie donc que, d’après Jésus, son être véritable, comme l’être véritable de toute personne, est constitué de cette identification totale avec Dieu. Le Dieu de Jésus n’est pas une Réalité qui existerait quelque part sans lui. Dieu lui est intime. Dieu vit en lui et lui vit en Dieu. Dieu est sa vie et sa vie véritable est en Dieu. Or, ce qui est vrai pour Jésus, est vrai aussi pour toute personne et donc pour chacun de nous.

2) Il a enseigné que certaines propriétés qui sont typiques à cet Amour « divin » (comme la tendresse, la bonté, la gratuité, le don de soi, l'accueil inconditionnel, la miséricorde, le pardon, l'absence d’appropriation, de contrôle, de domination, de violence, etc.) ne peuvent se rendre actives et visibles dans notre monde qu’à travers les différentes facettes et modalités de l’expression amoureuse des humains.

3) Selon le Maître de Nazareth, les humains ont donc la tâche non seulement d’humaniser l’amour de Dieu, mais aussi de diviniser l’amour des hommes, en lui conférant les caractéristiques et les particularités de l’amour de Dieu. D’après le Nazaréen, l’être humain serait dans notre monde autant la présence, que le relais de la façon divine d’aimer. Ce n’est qu’à travers l’homme que l’extraordinaire richesse des harmoniques de l’Amour Originaire peuvent retentir dans le Cosmos pour le ravissement et le bonheur de tous.

4) Jésus de Nazareth a ainsi enseigné que les humains ne peuvent établir ou réaliser une relation véritable avec Dieu qu’à travers une relation « amoureuse » (nous diluons et disons « fraternelle ») avec d’autres humains. De sorte qu’il a fait de la bonne relation de l’homme avec l’homme le paramètre, la mesure et le critère de la bonne relation de l’homme avec Dieu et le signe (le sacrement) de la présence et de la manifestation de Dieu dans notre monde.

Jésus de Nazareth est donc pour nous, les chrétiens, un modèle d’humanité parce qu’il a été capable de bâtir son existence exclusivement sur la réalisation d’une relation d’amour avec Dieu et ses frères humains et de faire passer la réussite de cette relation avant la réussite de sa propre vie personnelle. Son option pour les pauvres et les exclus a été le cœur de son message.

Le Nazaréen a donc passé sa vie dans la mouvance de cette Force d’Amour qu’il appelait « Abba-Père » et qui l’a poussé à se décentrer totalement de lui-même pour se centrer exclusivement sur les autres, dans un mouvement de don total. Jésus était convaincu, que dans sa relation d’amour avec les autres, non seulement il réalisait son être profond, mais que, par le fait même, il se sentait en union profonde avec l’être et l’esprit de Dieu et rendait, pour ainsi dire, Dieu présent, tangible et « incarné » dans notre monde.

Pour Jésus l’amour envers les autres a été plus important que l’intérêt pour sa propre vie. Il a préféré être tué, plutôt que d’aller contre sa véritable identité spirituelle. Il a choisi de mourir plutôt que d’être infidèle à la vérité de son être. Ainsi la mort physique, acceptée pour continuer à aimer jusqu’à la fin, a été pour Jésus le chemin qui l’a conduit à une plénitude d’être et de vie qui, en Dieu, perdure même au-delà de la mort. C’est sans doute pour cela que ses disciples l’ont considéré comme celui qui en Dieu est toujours «Vivant».

Jésus nous a fait comprendre que notre véritable réalisation humaine ne se trouve pas dans la satisfaction de nos pulsions ; dans les exigences et les revendications de notre « ego » ; dans la réalisation de nos désirs de puissance et de gloire, mais seulement dans la conquête de la plénitude de l’amour qui nous identifie avec l’Esprit et la « nature » de Dieu. Il a fait comprendre que lorsque les hommes aiment comme Dieu aime, ils perfectionnent leur véritable être et ils le propulsent au maximum de ses possibilités. La vie et la mort de Jésus sont là pour dire que l’on peut être mort, même si l’on est en vie ; et que l’on peut être en Vie, même si on est mort.

MB

DES AVEUGLES À LA BARRE DU BATEAU

( 8dim. ord. C - Lc 6,39-45)  

Jésus avait l'habitude de dire qu'il n'y a pas de pire aveugle que celui qui ne veut pas voir, parce qu'il est fermé dans ses convictions et aveuglé par ses préjugés. Dans l’Évangile, avant d’être un handicap physique, la cécité est avant tout l’image d’une attitude psychologique et spirituelle. Et Jésus utilise l’image de l'aveugle surtout quand il parle des autorités religieuses de son temps, des personnes très attachées aux doctrines et pratiques religieuses, comme les scribes et les pharisiens, dont il disait sans mâcher ses mots, qu'ils étaient des aveugles et des guides d’aveugles, qui ne veulent pas voir  eux-mêmes et qui empêchent les autres d’ouvrir les yeux et de voir d’eux-mêmes. 

Par-là, Jésus a voulu stigmatiser et condamner leur fermeture, leur fanatisme religieux qui les avaient  emprisonnés dans leur certitude d’être du côté des élus, du bien et de la vertu ; d’être les seuls à posséder la bienveillance de Dieu, la vérité et les moyens du bonheur spirituel et du salut éternel. Ces certitudes avaient enfermé ces personnes dans une satisfaction heureuse d’eux-mêmes, de leur état et dans la conviction de n’avoir plus besoin de rien ni de personne. Dans leur monde et dans leur religion, ils avaient trouvé tout ce qui les comblait et les satisfaisait. Pour ces personnes, il n’existe rien de bon et de valable en dehors de leur monde. Pas question alors de s’ouvrir à la nouveauté ! Pas question d'être curieux et désireux de savoir ce qui se passe dehors de leur « paroisse ». Pas question de savoir lire et interpréter les signes des temps, comme le souhaitait Jésus ! On les déteste les temps  nouveaux, les nouvelles générations, avec leurs manies de courir après tout ce qui est nouveau, bidules électroniques ou informatique. Ces aveugles aiment  leur  tranquillité,  le  statu quo, leurs vieilles  choses,  leurs  bonnes et vieilles Églises, leur  bonne et vieille foi avec ses dévotions, ses processions, ses rites, ses bonnes et vielles pratiques. Ces aveugles n’en veulent  pas  de  nouvelles idées qui viennent  leur  compliquer l’existence,  changer leur religion et corriger leur foi ! Ils détestent  les changements, les transformations, les mises à jour, les  remises en question qui viennent bouleverser et chambarder leurs habitudes et leur routine dans laquelle ils se sentent si confortables !

Ces aveugles, (desquels souvent  beaucoup de nos bons catholiques font partie) enfermés dans la prison dorée de leur contentement et de leur suffisance, ne sont pas intéressés par le nouveau; ils n’ont aucune envie d'écouter et d'accepter une parole originale et inhabituelle, un enseignement différent, une intelligence renouvelée, repensée, plus ouverte de leur foi, un message nouveau, surtout s'il s'agit d'une bonne nouvelle, innovatrice, ouverte sur des nouveaux horizons, sur une conception différente de Dieu de l'homme et du monde; qui apporte un esprit nouveau, une nouvelle échelle de valeur, une nouvelle mentalité; qui propose un nouveau style de vie, plus humain, plus fraternel, plus juste, plus aimant.

Conséquence : enfermés dans leur monde, ces gens aveuglés par leur présomption, regardent avec suspicion, peur et hostilité ceux qui sont à l'extérieur et qui n'appartiennent pas à leur pays, à leur clan , à leur tribu, à leur culture et à leur religion. Ils regardent et traitent avec méfiance ceux qui ne pensent pas comme eux ; qui vivent selon d'autres normes, d'autres principes, d'autres paradigmes. Ces gens considèrent ceux qui n’ont pas grandi à l’ombre de leur clocher, qui viennent donc du dehors, qui sont « dehors » … comme des corps étrangers qu’il faut extraire, enlever, éliminer. En effet, ces « étrangers » gênent, dérangent, perturbent leur vie tranquille, bouleversent leurs traditions et leur habitudes, mettent en crise leurs idées; contestent  leurs préjugés; mettent en danger les structures et les règles qui soutiennent leur mode de vie.

Voilà alors surgir inévitablement la critique, le jugement, la négativité, la condamnation, l’hostilité, les préjugés. Enfermés dans leur suffisance et aveuglés par leur narcissisme et leur nombrilisme, ces aveugles « voient » et découvrent dans ceux qui sont à  « l'extérieur », dans ceux qui sont différents d'eux, toutes sortes de défauts et de vices; jusqu'à les considérer comme des personnes inférieures, de second ordre, alors qu’eux, les aveugles, sont des êtres supérieurs, qui ont pour eux la bienveillance et la lumière de Dieu.

Voilà pourquoi ce type d'aveugle, fermé sur lui-même et incapable de voir et de comprendre ce qui se passe en dehors de son monde, est stigmatisé par Jésus avec une sévérité impitoyable. Jésus les qualifiera de stupides, fanatiques et intolérants, hypocrites. Il les traitera de « vipères » et de « sépulcres blanchis ». Il les appellera « aveugles et guides d’aveugles » ; mais cependant très habiles à « voir » la paille dans les yeux du prochain, et incapables de remarquer la poutre qui est dans leurs yeux. Ils ont les yeux de faucon pour découvrir les défauts des autres ; mais des yeux de taupe pour voir les leurs.

Selon Jésus, ces types de personnes sont pires que toute les autres. En fait, elles adoptent la tactique de la critique, du jugement, de la médisances pour rabaisser les autres afin de s’élever et se glorifier elles-mêmes et justifier plus facilement leurs défauts et leurs actions mauvaises. Jésus a admirablement illustré dans la parabole du pharisien et du publicain le comportement arrogant, hautain et hypocrite de ces aveugles : « Je ne suis pas comme lui ... Je suis un champion de la probité et de la religiosité... Je ne fais que des bonnes œuvres,  que des  bonnes actions ... Je n’ai n'a rien à me reprocher ... Dieu peut être satisfait de moi... »

Dans l’Évangile d’aujourd’hui, Jésus laisse entendre que ce genre d’individus ne devrait jamais occuper des postes de direction et de responsabilité, car ils sont inaptes à exercer l'autorité et à être des bons guides et des bons maîtres au sein de la société. En effet, s’ils ne savent pas se tenir debout, voir clair et marcher droit eux-mêmes, comment pourraient-ils conduire et faire marcher correctement les autres ?  Pour cela, ils doivent sortir de l'obscurité de leur prison intérieure, guérir de leurs handicaps psychologiques ; ouvrir leur esprit et leur cœur à l'acceptation de la modernité et de la bonne nouvelle d'un monde renouvelé et différent; accueillir avec tolérance, bienveillance et indulgence les faiblesses et les limites des personnes qui vivent autour d’eux. Ils devraient apprendre enfin à marcher et à s’orienter en faisant confiance à leur bon sens et à ces trésors de véritable sagesse humaine qu’ils découvrent dans les voûtes profondes de leur cœur et cesser de se faire continuellement soutenir par les béquilles de leurs traditions, de leurs croyances, de leurs préjugés et de leur religion.

Pour Jésus, il n'y a pas de pire aveugle que celui qui a été ébloui et fanatisé par sa religion. Il n'y a pas pire aveugle que celui qui utilise sa foi en Dieu comme prétexte pour assouvir sa soif de pouvoir et de gloire qui ne produit que les mauvais fruits du fanatisme, de l'extrémisme, du fondamentalisme et de l'intolérance, qui sont les maux qui, aujourd'hui encore, font le plus souffrir  notre humanité.

L’Évangile appelle "fils de la lumière", ceux qui sont sortis de la prison obscure de leur "ego " et qui ont eu le courage de s'aventurer sur les chemins du monde nouveau que Jésus a fait entrevoir. On reconnaît ces enfants de la lumière, disciples de Celui qui est lumière pour notre monde, à leurs fruits de lumière. Ce ne sont plus, comme les scribes et les pharisiens de l'Évangile, des individus sombres, aveuglés et aigris par leur fanatisme et en révolte contre tous ceux qui ne sont pas dans leur camp, mais des personnes qui "voient" maintenant Dieu et la présence de Dieu dans tout être humain, à quelque  religion, race ou culture qu’ils appartiennent. À tous ces frères humains, les enfants de la lumière portent les bons fruits de leur adhésion à l’évangile de Jésus ; fruits de bonté, de fraternité, bienveillance, tolérance, compréhension, acceptation, écoute, empathie, compassion, justice... fruits d’amour…

Dans cette Eucharistie, nous demandons au Seigneur d'être ou de devenir, nous aussi, ce type de personne éclairée par la sagesse de l'Évangile et capables de tirer du trésor de notre cœur les bons fruits d'un amour donné à tous sans limites et sans restrictions.

BM  28 février  2019

lundi 4 mars 2019

UN AMOUR IMPOSSIBLE ?

( 7e dim. ord. C – Lc. 6,27-38)

C’est texte n’est pas facile à avaler, il nous reste en travers de la gorge. Il exprime un idéal de conduite qui n’est pas fait pour le commun des mortels et que même Jésus n’a pas été capable de mettre totalement en pratique. Et pourtant, le texte de Luc dit clairement que Jésus s’adressait à une "foule immense de gens" (6, 17), au "peuple" (7,1) et pas seulement au petit groupe de ses disciples, à une élite. Ces paroles rudes sont pour tous et toutes. Donc pour nous.

Et si ces paroles sont pour tous, c’est qu’elles sont pleines de sagesse humaine, indépendamment de tout aspect religieux ou chrétien : "Ce que vous voulez que les autres fassent pour vous, faites-le aussi pour eux". C’est la Règle d’Or du comportement humain que l’on retrouve formulée de toutes sortes de façons dans toutes les cultures, religions et civilisations du monde . : "Ce que tu ne veux pas pour toi … tu ne le feras pas aux autres! "Vous remarquerez que Luc formule cette consigne au positif dans la bouche de Jésus : "Ce que vous voulez pour vous … faites-le aussi aux autres ". Changement de perspective. On n'est plus dans les dangers et risques à éviter, comme si toutes les relations humaines consistaient à se protéger et à éviter les confrontations avec les autres. Avec l’évangile, on est dans le positif, dans la relation fraternelle. Une fraternité de base, initiale, à priori, pour laquelle l’autre n’est pas d’abord l’ennemi dont il faut se protéger, mais un partenaire, un ami, quelqu’un avec qui entrer en relation. Il s’agit de faire quelque chose pour autrui et non d’éviter de faire.

Cependant, avec la "Règle d’Or", on n'est pas encore au cœur de l’évangile. En effet, il y a quelque chose qui pourrait pencher du côté de l’égoïsme dans ce "Faites à autrui ce que vous voulez qu’on vous fasse". Comme si j’avais intérêt à être bon et aimable avec les autres, pour qu’ils le soient à leur tour à mon égard. Une sorte de donnant donnant. Quand je rends service aux autres, c’est que ça me sert à moi aussi; j’y trouve mon compte. Ne serait-ce qu’en me valorisant à mes propres yeux.
Mais Jésus va plus loin que cela. Si loin qu’on a peine à l’entendre et à le suivre. "Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux… Alors, vous serez les fils du Dieu très haut". Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il met la barre très haute ! Cela semble un idéal inaccessible : comment pourrions-nous pardonner à la hauteur de Dieu, avoir le cœur bon et miséricordieux comme lui ?

            Et pourtant, en même temps, nous sentons aussi en nous quelque chose d’infini, quelque chose comme un appel à aller toujours plus loin, à nous dépasser, à oser l’inhabituel, à aller à contre-courant, quelque chose comme un désir d’air nouveau où passe déjà le Souffle de l’Esprit du Dieu miséricordieux. Alors, tout à coup, l’appel de Jésus à être comme notre Père ne nous paraît pas quelque chose d’insensé. C’est au contraire un chemin qui s’ouvre à nous et s’offre à notre exploration, une invitation à suivre la trace de Dieu en nous qui veut nous faire fonctionner à l‘énergie de son amour, étant donné que nous sommes faits à son image. Cette parole de Jésus est une parole que nous jetons devant nous pour qu’elle nous tire en avant et hors de nous.

C’est dans cette lumière, donnée comme horizon à notre vie, que nous pouvons entendre et peut-être accepter les rudes paroles de Jésus : "Aimez vos ennemis, souhaitez du bien à qui vous maudit, ne réclamez pas à qui vous vole", etc. Et d’abord, avons-nous des ennemis ? Des gens qui en veulent à nos vies, non sans doute. Mais des gens qui nous ont fait du tort ou du mal, qui nous ont fait pleurer, qui nous agacent, qui n’ont pas d’égards, qui parlent dans notre dos, qui nous sont antipathiques,  oui , bien sûr.  Et il faut bien l’avouer, parfois on a envie de sauter à la gorge de ces gens, on a envie de les faire disparaître de notre vie.

 La première démarche à faire pour aller dans le sens de l’évangile, c’est peut-être d’accepter d’être comme nous sommes, d’accepter nos envies de vengeance et de violence pour régler leur compte à nos ennemis. Pour l’instant. Ensuite pourra s’ouvrir un chemin qu’il faut bien appeler chemin de conversion.

Aimer notre ennemi, nous n’y réussirons sans doute jamais. Alors contentons-nous, comme chrétiens, au moins de le respecter. Ce qui peut vouloir dire s’affronter à lui, lui résister, ne pas se laisser faire. Mais aussi ne pas entrer dans le cercle vicieux et sans fin de la violence, qu’elle soit physique ou orale. Vouloir détruire et humilier l’ennemi n’est jamais la meilleure solution : car, d’abord, cela nous rabaisse et nous avilit en tant que personne ; et ensuite cela ne fait qu’ enfermer notre ennemi dans sa haine et sa violence, lesquelles ressurgiront un jour inévitablement contre nous.

Aimer son ennemi, c’est travailler à changer le regard qu’on porte sur lui. Ne pas voir en lui qu’un ennemi à abattre. Il est, certes, menteur, voleur, violent et bien d’autres choses encore. Mais il n’est pas que cela. C’est comme pour nous : il n’est pas que méchanceté, il ne se confond pas avec le mal qu’il fait. Il faut, envers et contre tout, maintenir en soi la conviction que cet ennemi peut changer et évoluer vers le meilleur de lui-même. Évidemment, on est ici au-delà du sentiment et de l’émotion. On est dans le monde de la raison qui décide et de la conviction qui s’affirme contre vents et marées. On est proche de la foi dans laquelle cette conviction prend racine.

Aimer son ennemi, c’est le confier à Dieu. Prier pour lui, pour qu’il change et quitte le monde de la haine. Ce passage de l’évangile de Luc ne nous donne pas de consigne précise, il ne fournit aucune recette pour régler nos problèmes avec nos ennemis, petits ou grands. Mais il montre une direction, il offre une lumière dans la nuit de la violence et de la haine. Il cherche à nous faire comprendre qu’échanger le mal par du mal n’est jamais payant pour personne et que le bon sens et la sagesse qui nous viennent de la fréquentation chrétienne de l’évangile devraient nous pousser à revoir et à modifier, peut-être, nos réactions instinctives devant nos ennemis . C’est la grâce que je vous souhaite … que nous nous souhaitons…  dans cette Eucharistie!

BM

LES BÉATITUDES

( 6e dim. ord. C – Lc 6, 20-26)

Les « Béatitudes » sont sans doute le texte de l‘évangile qui a été le plus commenté, mais c’est aussi le plus difficile à saisir, parce qu’il inverse radicalement notre échelle de valeurs. Comment peuvent-ils être heureux les pauvres, ceux qui pleurent, ceux qui ont faim, ceux qui sont opprimés, persécutés ? Je pense que l’intelligence de ce texte est plus du domaine de la sensibilité et de la conquête personnelles, que de celui de l’exégèse biblique, de la théologie ou de l’homilétique.   

 La première difficulté consiste dans le fait que le message des béatitudes dépasse ce que d’instinct nous sommes portés à penser et ce que le bon sens nous conseille de  On dirait qu’elles s’adressent à des créatures appartenant à un monde supérieur et non pas à de pauvres et fragiles créatures humaines. Toutes les explications qui peuvent être données pour les comprendre ne réussissent à convaincre personne, car leur sens va au-delà de ce que nous ressentons et de ce que nous faisons. C’est la raison pour laquelle, les prédicateurs en ont peur, sont souvent mal à l’aise avec ce texte, car ils savent qu’ils s‘attaquent ici à un os très dur et qu’ils peuvent facilement se briser les dents, en disant n’importe quoi.

La deuxième difficulté réside dans la formulation même du texte, qui est issue d'une compréhension ou d’une vision de Dieu, de l'homme et du monde qui est périmée et dépassée et qui n’est plus recevable par notre mentalité moderne. Il suppose en effet l’existence d’une divinité située en dehors de notre monde et qui de là-haut cherche à se mêler continuellement des affaires des humains, surtout de leur vie privée et qui intervient donc dans l'histoire pour corriger, régler, punir les maux, les dommages et les torts dont ses créatures déchues sont responsables. On peut toucher cette mentalité dans l’expression : "Heureux ceux qui ont faim maintenant parce qu’ils seront rassasiés". Ce qui équivaut à dire : «Maintenant, vous avez faim et ce n’est pas drôle! Mais le jour viendra où vous mangerez à satiété ; et les méchants égoïstes qui maintenant vous privent de nourriture passeront alors un très mauvais moment….»

Le problème avec cette façon de penser c’est de constater que dans le monde réel, cela ne se passe jamais ainsi. Au contraire, avec les temps, les pauvres sont toujours plus pauvres et ont toujours plus faim et les riches et les repus sont toujours plus riches, plus repus et plus impunis. Et si parfois, ou quelque part, il y a une amélioration quelconque de la situation, ce n’est certes pas parce que Dieu est intervenu pour imposer sa justice. 

D'autre part, si pour donner espoir et courage aux pauvres et aux affamés, l’évangile doit les rassurer avec la promesse de leur futur bonheur au paradis et du futur châtiment infligé par Dieu aux méchants riches, n’est-ce pas là admettre indirectement que c’est tout à fait normal que d’être misérables, affamés, exploités par les riches au cours de notre vie sur terre et prendre pour acquise et normale cette situation d’injustice ?

Ce qui est important lorsqu’on approche les béatitudes c’est de garder toujours ensemble l’aspect intériorité et l’aspect extériorité ou mise en action pratique de leurs contenus. Elles font toujours référence à l'attitude intérieure de chacun et aux répercussions ou conséquences que cette attitude intérieure doit avoir sur les relations humaines et la structuration de la vie sociale dans la réalité du monde 

Les Béatitudes cherchent à faire comprendre que, même dans les pires circonstances que nous puissions imaginer (la misère, la faim, la douleur, les larmes, l’oppression, la persécution…), rien  ni personne ne pourra nous confisquer la possibilité de construire la qualité humaine de notre «être» ou de  notre personnalité ou nous empêcher de croître en humanité  et de faire réverbérer autour de nous l’éclat et la beauté du mystère divin qui nous habite.

Ce qui est vraiment important, ce qui donne un sens à une vie humaine, sera toujours à la portée de ceux qui sont capables de profondeur, d’intériorité, de regarder au-delà de l’immédiateté matérielle et banale de leur existence.

Si nous croyons que le bonheur vient de la consommation et de l’avoir, nous n'avons pas découvert la joie d'être. Seulement dans "être" est la source de la vraie joie, seul l'être peut rendre heureux. Si nous mettons notre confiance dans l’avoir, la possession, les choses, les richesses, les assurances extérieures, nous nous trompons de chemin, nous ne rencontrerons jamais le lieu de notre bonheur véritable, nous ne trouverons que de la déception et du malheur.

Les béatitudes nous disent que les valeurs et les trésors les plus précieux sont en nous et non pas en dehors de nous. Ils enrichissent notre «être», remplissent  les voûtes  profondes de notre esprit et de notre cœur et  rien ni personne pourront nous les ravir. Ces trésors sont constitués par nos connaissances, notre sagesse, sensibilité, bonté, amabilité, disponibilité, capacité d’écoute, d’empathie, de compassion, notre souci des autres, notre générosité, etc. …. qui font  la qualité de notre humanité et le charme attachant de notre personne.

Mais si tu n’as rien à l’intérieur de toi qui donne valeur, consistance et solidité à ta vie parce que tu ne tiens qu’en t’appuyant sur les choses que tu possèdes à l’extérieure de toi, qu’adviendra-t-il de toi, que restera-t-il de toi, si un jour, par un revers de la vie, tu perdras tes choses et tu resteras seul avec toi-même ? Tu seras réduit à rien, à un sac vide, à une loque humaine à laquelle plus personne ne s’intéressera.

Le texte des béatitudes ne nous demande pas d’être des héros qui accomplissent des prouesses, mais une prise de conscience.  Les béatitudes sont l’épreuve de feu du chrétien. Un christianisme comme bouclier de protection extérieure qui cherche des assurances spirituelles, en plus de garanties matérielles et qui ne cherche pas, à travers le don désintéressé de soi et l’amour donné, à changer soi-même et le monde, n'a rien à voir avec Jésus.

Les béatitudes supposent une attitude intérieure de détachement et une expérience spirituelle de Dieu, comme fondement ultime de mon être et de tous les êtres. En Dieu, nous sommes une seule réalité avec tout l’Univers et avec tous nos frères. Vous remarquerez que dans le texte des béatitudes ce sont les pauvres, ceux qui sont avec Dieu et du côté de Dieu car ils ont choisi de s’attacher à Lui plus qu’à l’argent (et non pas la pauvreté) qui sont déclarés bienheureux, « c’est à eux, en effet, qu’appartient le royaume de Dieu.»


Homélie  élaboré à partir d’une  réflexion de Fray Marcos  en :  http://www.feadulta.com/es/evangelios-y-comentarios/392/-lucas.html )

BM