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mardi 21 octobre 2014

JÉSUS ET LA POLITIQUE - «RENDEZ À CÉSAR CE QUI EST À CÉSAR…»



(Matthieu 22, 15-21)

L’évangile de Matthieu a été écrit autour des années 80-90 pour les juifs de Palestine qui avaient embrassé le nouveau mouvement spirituel issu du Prophète de Nazareth. La ville de Jérusalem, centre emblématique de la religion juive et symbole de la foi au vrai Dieu, avait été rasée au sol avec son Temple en l’année 70 par l’armée romaine au solde de Tite. Donc, dix ans après, la communauté chrétienne de Matthieu se posait un problème de conscience: faut-il s’opposer à l’autorité établie? Faut-il obéir à l’autorité de l’occupant ? Faut-il se soumettre à ses impositions? Faut-il payer l’impôt à l’envahisseur, personnifié par l’empereur de Rome qui se considérait comme l’incarnation de Dieu sur terre et se faisait appeler «Deus, Optimus, Maximus, Seigneur Dieu Tout-Puissant»?

D’où l’origine de ce texte de Matthieu et des paroles qu’il met sur les lèvres de Jésus présenté en polémique avec les pharisiens: "Montrez-moi la monnaie de l’impôt… Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ". Anecdote comique, si l’on veut, où l’arroseur est arrosé, mais où se manifeste aussi l’acuité intellectuelle et la profondeur étonnante des intuitions spirituelles et religieuses du Maître. Cette curieuse diatribe d’il y a deux mil ans, a-t-elle un intérêt pour nous, les chrétiens du XXIe siècle ? Essayons de voir.

"Rendez à César ce qui est à César". Jésus n’est pas un politicien. Il est un homme de Dieu, un maître spirituel et un prophète. Il n’est donc pas intéressé par les manèges politiques reliés à la lutte pour le pouvoir. Pour lui n’importe quelle autorité politique est valable, pourvu qu’elle soit humaine, juste et préoccupée du bien-être des citoyens. Dans le cas contraire, elle n’a pas de légitimité, ne mérite pas d’exister et doit être renversée ou remplacée. Dans les évangiles, on voit que Jésus se soustrait régulièrement à toute tentative de la part de ses contemporains de vouloir l’impliquer dans la course au pouvoir ou dans des mouvements nationalistes de révolte ou d’opposition aux autorités politiques de sont temps. L’opposition et la critique de Jésus ne vont jamais contre les autorités civiles et laïques, mais toujours contre les autorités religieuses de son temps. Si Jésus en veut à des catégories de personnes, ce n’est pas aux officiers de l’occupant romain que vont ses critiques, mais vers les membres de la hiérarchie religieuse juive qui monopolisent à leur avantage la loi mosaïque, qui contrôlent les observances religieuses qui déterminent la bonne ou la mauvaise qualité des personnes, leur l’intégration ou, au contraire, leur exclusion d’une société constituée de «purs» et d’«impurs».

Il faut donc dire qu’en général Jésus ne se mêle pas de la façon dont les politiciens structurent et gèrent la société civile. Jésus est essentiellement un réformateur spirituel. Il pense être l’interprète fidèle de la pensée, de la volonté, des sentiments de Dieu qu’il cherche à faire connaître à ceux et celles qui veulent bien l’écouter. Jésus est convaincu qu’il a une mission à accomplir parmi les hommes et que cette mission consiste non pas à enseigner comment bâtir et diriger une société, mais comment bâtir un homme nouveau et une existence qui soit véritablement humaine et spirituelle; et comment orienter et diriger son cœur à travers les méandres de l’égoïsme, de la cupidité et du mal, afin qu’il garde la candeur d’un cœur d’enfant. Jésus est apparu parmi nous non pas pour légitimer ou justifier certaines formes de pouvoir, mais pour raconter des rêves; communiquer des visions; indiquer des idéaux; faire surgir des aspirations; ouvrir de nouveaux horizons; faire naître l’espérance; susciter des élans et des désirs; allumer le feu de l’intérêt et de l’amour envers le frère humain. 
Jésus finalement nous a laissé des «valeurs» qui ont la capacité de guérir, d’améliorer et de transformer toute forme humaine et politique de pouvoir. Jésus est en effet farouchement contre toute forme de pouvoir brut, conçu comme moyen de domination et d’exploitation. Pour le Maître de Nazareth la position de pouvoir est toujours ambigüe, suspecte, dangereuse, redoutable et souvent funeste. Si en effet le pouvoir est exercé par des individus dont le cœur n’a pas été touché et changé par la grâce de Dieu, il risque de faire plus de mal que de bien à la société. Le seul pouvoir que Jésus accepte est celui du don de soi, de la disponibilité, de l’intérêt pour l’autre et  du soin qui devient service de l’autre. Un pouvoir qui n’est pas service est automatiquement disqualifié. «Donnez à César ce qui est à César», certes, mais faites en sorte que vos césars soient choisis parmi les fils de lumière et non pas parmi les fils des ténèbres, qui de l’extérieur se présentent à vous comme de gentils agneaux, mais qui à l’intérieur sont des loups rapaces.

La Parole de Jésus semble nous convier à avoir avec toute autorité une relation juste, sans se laisser écraser par les abus de pouvoir. Savoir dire non au pouvoir de l’argent; savoir résister au pouvoir de séduction des agences toutes puissantes de publicité et de médias qui cherchent à nous soumettre, à nous influencer, à prendre possession de notre cerveau, à déterminer nos décisions, à conditionner notre liberté, pour nous dominer psychologiquement, pour créer en nous des dépendances, des besoins, des habitudes, pour nous donner une fausse perception de ce qui est ou pas nécessaire à notre bien-être et à notre bonheur. Se garder de la tendance à être soi-même un César, un oppresseur un dominateur. Et aussi à agir pour que le monde soit plus humain. L’espace est vaste où nous pouvons vivre en hommes debout et en chrétiens disciples de Jésus.

"Rendez à César" ce qui doit lui être rendu dit Jésus, mais aussi  ''rendez à Dieu ce qui est à Dieu". Avec cette phrase Jésus nous invite à quitter le niveau de l’extérieur, du politique, du matériel, de l’immédiat, du contingent, pour accéder au niveau supérieur du transcendent et du spirituel. Il veut nous ramener à notre intériorité. Il nous appelle à donner hauteur et souffle à notre humanité. Il veut nous indiquer dans quelle direction regarder pour satisfaire nos désirs de bonheur; nos aspirations de plénitude, nos attentes d’accomplissement. Il veut nous indiquer quel chemin parcourir pour rencontrer les valeurs qui nous réaliseront en tant qu’humains. Il cherche à nous faire découvrir le sens et le but de notre existence et ce qui fait la vérité de notre être.

Nous savons maintenant que nous les humains sommes le résultat d’une longue gestation de la création. Nous savons que nous sommes la manifestation des énergies et des forces les plus structurantes, les plus fusionnantes et les plus aimantes qui existent dans l’Univers. Forces qui semblent être l’expression d’une Énergie, d’un Esprit et d’une Puissance Originelle d’attraction et d’amour à laquelle l’intuition extraordinaire du Prophète de Nazareth a donné le nom de Dieu-Créateur, de Dieu-Père, de Dieu-Origine, de Dieu-Source, de Dieu-Esprit, de Dieu-Lumière Éternelle, de Dieu-Amour. Jésus a enseigné que l’être humain est fait pour dévoiler les Forces Originelles de cet Amour divin enfouies dans la profondeur de son être et qui constituent sa nature la plus vraie. Jésus nous révèle ainsi que le destin de l’homme est celui de réverbérer et de répandre l’amour et d’imprégner d’amour toutes les relations qu’il établit. Il nous apprend que l’homme est fait pour se donner dans l’amour; qu’il est comme une source de chaleur et de lumière qui n’existe que pour se diffuser, pour éclairer et réchauffer

Rendre a Dieu ce qui est a Dieu signifie alors faire sortir, faire jaillir de notre cœur les forces divines de l’amour qui y sont enfermées et qui ne nous appartiennent pas, qui y ont été déposées par l’action créatrice de Dieu, afin que nous ensemencions l’univers avec ces semences de divinité. 

Rendre à Dieu ce qui est à Dieu, signifie lui attribuer ce qui lui appartient; découvrir son action en toute chose; voir sa présence et l’époustouflante beauté de son visage dans la création et la nature qui nous entourent, ainsi que dans les gestes de bonté et d’amour qui surgissent avec profusion du cœur des hommes et des femmes de notre monde. 

Rendre à Dieu se qui est à Dieu signifie prendre soin, caresser, communier, se passionner, s’émerveille, contempler, adorer, parler, être le cœur, la voix, le sens de tout ce qui existe. Signifie devenir pas de danse, cri de joie, chant de louange, liturgie d’action de grâce pour toute la création, lieu de la présence et de la révélation de Dieu dans notre monde.

Rendre à Dieu ce qui est à Dieu signifie aussi et surtout prendre soin des pauvres. Dans l’enseignement de Jésus de Nazareth les pauvres et les démunis sont l’incarnation de la présence de Dieu dans le monde. D’après Jésus, Dieu s’identifie avec les pauvres, les nécessiteux les mendiants, les souffrants, les laissés pour compte, les marginaux, les délinquants, les prisonniers: « J’avais faim, j’avais soif, j’étais nu, j’étais étranger, j’étais malade, j’étais prisonnier… tout ce que vous avez fait à l’un des plus petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait» (Mt. 25,31-40). 

Rendre a Dieu ce qui et à Dieu signifie alors rendre aux pauvres ce qui leur appartient et que nous gardons cupidement et égoïstement en notre possession. En effet, selon l’enseignement de Jésus, les biens et l’argent que nous avons accumulés, et qui constituent un excédant, un surplus et donc un luxe dont nous n’avons pas besoin pour vivre simplement et dignement, ne nous appartiennent plus, mais appartiennent aux pauvres, c’est-à-dire à ceux et celles qui sont dans le manque et qui en ont besoin pour vivre. Selon l’évangile de Jésus, le chrétien n’a pas le droit de garder pour lui le superflu dont d’autres ont besoin pour vivre. Si nous les gardons pour nous, si nous ne les donnons pas à ceux qui sont dans la pauvreté et la nécessité, nous nous transformons en des voleurs et des fraudeurs qui s’approprient abusivement du bien d’autrui.

 Aurons-nous assez d’audace, assez de courage et assez de foi pour réaliser dans notre vie les exigences de cette parole d’évangile adressée à nous aujourd’hui? À nous, les chrétiens nantis, désabusés et capitalistes de cette société nord-américaine du XXIe siècle?

Mais c’est seulement au prix de cette audace et de cette foi que nous serons des véritables disciples du Maître de Nazareth.


MB

  

mardi 14 octobre 2014

L’IMPORTANT OU L’INSIGNIFIANT… ? LE NÉCESSAIRE OU L’INUTILE ….?


(Mt.22,1-14)


Ce conte de Jésus parle d’une invitation à un banquet qu’un roi a préparé pour les noces de son fils. Un banquet de noce, et surtout un banquet de noces royales était dans l’antiquité la chose la plus fastueuse et la plus extraordinaire à laquelle une personne pouvait assister. Refuser une invitation à un banquet de noces royales était la chose la plus insensée que quelqu’un pouvait accomplir. L’évangéliste veut justement nous faire remarquer que c’est bien cela qui s’est produit lorsque les premiers invités, qui représentent ici le peuple juif avec ses responsables civils et religieux, ont décliné l’invitation royale. On entrevoit en arrière du récit, une note d’ironie et de dérision de la part de l’évangéliste pour la stupidité de ces gens qui, à cause de leur aveuglement, se sont exclus d’une telle grâce et d’une telle abondance. Au lieu d’entrer dans la salle des noces et de profiter de l’extraordinaire nouveauté de l’événement, ils ont préféré la banale routine de leur négoces mesquines et de leurs besognes insignifiantes. Et puisque ils ont refusé l’offre que Dieu leur a faite en Jésus, l’invitation sera désormais adressée à d’autres invités. Mais cette fois-ci ce ne sera plus une invitation ciblée, adressé à un petit nombre d’élus ou d’amis triés sur le volet, mais une invitation ouverte à tous sans aucune distinction de classe, de parti ou d’appartenance, parce que ce grand seigneur veut à tout prix que la salle du banquet soit remplie. Car une noce ne se célèbre pas dans une salle vide. On trouve donc ici un rappel à l’universalité du salut et à l’égalité de tous les êtres humains devant Dieu. Dieu est désormais le Dieu de tous. C’est la fin des particularismes, des castes, des classes, des divisions, des différences.

Cette parabole manifeste aussi, de toute évidence, un bouleversement et un reversement d’attitudes et de valeurs, car elle cherche à nous dire que, non seulement Dieu accueille maintenant tout le monde dans sa salle de noce, mais qu’ils emble même avoir un faible pour les non-conformes les marginaux, les hors-lois, les délinquants (cf. Luc, 14, 21-23; «vas t’en vite sur les places et les rues de la ville, et amène ici les pauvres, les estropiés, les aveugles et les boiteux…»). C’est un coup donné à toute institution, à toute organisation, à tout mouvement, à toute religion de «purs», basée sur l’élitisme, sur la prétention de sa propre supériorité, sur la conviction de sa vérité: nous le peuple élu, nous les blancs, nous les ariens, nous les occidentaux, nous les américains, nous l’église catholique qui possède «la splendeur de la vérité » et en dehors de laquelle il n’y a pas de salut pour personne … moi, le chrétien exemplaire qui va à la messe tous les dimanches, moi, l‘irréprochable, moi, la personne honnête et rangée, toujours fidèle à ses engagements, qui ne fait du mal à personne …!

Il y un deuxième point sur lequel cette parable veut attirer notre attention: le respect des priorités dans notre vie. Voyez, les premiers invités se dérobent à l’invitation du roi en prétextant toutes sortes d’excuses. Ils ont tous apparemment quelque chose de plus important et de plus urgent à faire que de participer au banquet royal qui est ici le symbole de la plénitude, de la bonne santé, du bonheur et de l’authentique réussite de l’homme. Le problème et la faute de ces gens consiste à négliger l’important pour l’urgent; à refuser le nécessaire pour l’inutile et le contingent; le durable pour l’éphémère, le futur pour l’immédiat. C’est tout de suite, que je veux mon bien-être matériel. C’est maintenant que je veux m’enrichir, faire du profit, augmenter le capital de mon entreprise, entasser de l’argent, devenir millionnaire et puissant … tant pis si pour cela d’autres ont à souffrir. Tant pis si pour cela je saccage la planète, je rase les forets, j’aplanis les montagnes, je pollue l’air que je respire, j’infecte les sols qui me nourrissent, je contamine les lacs et les rivières; je transforme en poubelles les océans; je détruits l’équilibre des écosystèmes. Tant pis si je deviens le pire fléau que la terre n’ait jamais connu; un cancer qui mine sournoisement mais inexorablement la santé de la planète et avec elle la vie et la survie des espèces vivantes et donc de l’humanité. Je devrais être le gardien et le custode de la vie sur terre, le représentant légal qui devrait défendre les droits des touts les êtres vivants de la Planète, sans aucune prétention de supériorité ou volonté d’exploitation… et je me suis transformé en leur bourreau et leur tortionnaire. C’est là un problème qui nous guette tous, autant sur le plan humain que sur le plan spirituel et religieux. Nous laissons de côté l’essentiel pour le secondaire, l’important pour l’urgent, le salut de tous, pour notre petit succès personnel. Nous fuyons nos responsabilités, esclaves de la compensation immédiate.

Et sur le plan spirituel, que de rendez-vous, que d’invitations ratées !!! Notre temps est presque entièrement passé à soigner et à satisfaire les besoins et les désirs de notre corps; mais qu’en est-il des besoins et des désirs de notre âme? Notre âme a-t-elle encore des aspirations et des besoins? Parfois n’a-t-on pas l’impression que nous avons tué notre âme, que nous vivons sans âme, que nous agissons sans âme ? Poussés comme nous le sommes à vivre au rythme endiablé et déshumanisant des besoins immédiats, du rendement, de l’efficacité matérielle, de la séduction physique, de l’apparence extérieure…, nous perdons notre âme et nous dévitalisons notre existence de cette sève intérieure qui donne goût, qualité, souffle, hauteur à notre existence. Nous devenons des fleurs sans couleurs, des mets sans saveur, des musiciens sans inspiration. Et pourtant n’est-ce pas la qualité de notre âme qui fait la qualité de notre vie? Que sert à l’homme gagner le monde entier s’il y perd son âme ? Disait Jésus.

Nous avons tous ressenti, par moments, les soupirs de notre âme… Ces appels qui surgissent des profondeur de notre être, ces cris du cœur, comme on dit, qui nous invitent à regarder plus haut, à nous sensibiliser aux exigences de l’esprit que nous sommes; qui nous poussent à nous poser des questions sur le sens de notre vie et sur les but de notre présence en ce monde. Ces invitations de l’âme, ces appels intérieurs sont importants. C’est l’âme en nous qui veut retrouver sa liberté, son espace, sa nature, rejoindre la source divine à l’image et à la ressemblance de laquelle elle a été crée. Mais, bien souvent, nous ne savons pas la seconder. Nous n’avons plus le temps pour écouter ses appels, ses cris et ses invitations. Nous avons toujours des choses plus urgentes à faire. Lecture, réflexion, méditation, prière, silence, écoute, gestes de la foi, ouverture à Dieu, pratique religieuse, eucharistie du dimanche … Pas de temps pour cela: j’ai le travail, les enfants, le chien, une vie sociale, mes amis en lignes, mes programmes à la télé; j’ai du sommeil à rattraper, la pelouse à tondre, le repas à préparer… je suis tellement occupé. …  et mon âme se meurt, mais ce n’est pas grave! Mes babioles c’est bien plus important ! Encore une fois nous fuyons l’essentiel pour tomber dans l’insignifiant.

Trouverons-nous un jour le temps d’entrer dans la salle des noces, dans ce lieu où l’on célèbre l’amour, afin que notre âme puisse finalement rencontrer l’objet de ses aspirations et l’espace dont elle a besoin pour s’épanouir et donner ainsi des ailes à notre existence?



MB