Rechercher dans ce blog

mardi 22 août 2023

 

POUR VOUS QUI SUIS-JE ?

(Mt 16,13-20)

 

Ce texte de l’évangile est habituellement interprété comme fondement biblique ou la preuve (divine)du pouvoir du Pape dans l’Église. « Voyez- nous disent les apologistes et les défenseurs de la primauté papale – ici Jésus lui-même choisi l’apôtre Simon pour en faire la pierre qui assurera stabilité et durabilité éternelle à la future église construite sur ce roc. Voyez, Jésus ici donne à Pierre seules les clefs de son royaume, c'est-à-dire le pouvoir et l’autorité d’ouvrir et de fermer les portes de son église; d’emprisonner ou de libérer; de lier et de délier ; d’obliger et de permettre; de condamner et d’absoudre. Voyez, c’est Jésus lui-même qui a voulu et établi le pouvoir absolu du pape sur les chrétiens catholiques, sur leurs consciences et sur leur sort éternel. Il est donc clair que la papauté est une institution d’origine divine. Donc, ne sont pas de bons des catholiques et vont contre la volonté de Jésus tous ceux et celles qui osent critiquer le pape ou mettre en doute ou désobéir à ses directives. D’autant plus que le pape, qui jouit d’une assistance spéciale de l’Esprit Saint, a été proclamé infaillible en matière de foi et de morale. Donc la contestation du pape est inadmissible dans l’église catholique.

 

De mon coté, ce matin, ce n’est pas de ce point de vue que je vais approcher ce passage d’évangile. Je vais plutôt essayer de me mettre dans la peau de Jésus et de comprendre pourquoi, un moment donné de sa vie, il a senti le besoin de poser cette question: « Qu’est-ce que les gens pensent de moi ? Comment suis-je perçu par ceux qui m’entourent et qui me connaissent ? » C’est une question légitime, importante, humaine. Une question que tous devraient se poser à un jour ou l’autre. Car cette question nous aide à mieux nous comprendre, à mieux nous connaitre, à voir plus clair dans notre vie et à mesurer l’impacte que notre existence exerce sur notre milieu; elle sert à déterminer notre empreinte écologique, pour ainsi dire. Parce que c’est de la réponse que l’on adonne à cette question que nous pouvons savoir si nous sommes pour notre milieu un atout ou une calamité, une ressource ou un désastre, une source de bonheur ou de malheur; si nous sommes sur le bon chemin ou pas; si notre vie a de la valeur ou pas; si le bilan de notre existence est dans le vert ou dans le rouge; si nous sommes en actif ou en passif ; si notre vie est succès ou un échec, une réussite ou gâchis.

 

Si nous étions tous seuls vivant dans le désert, une telle question n’aurait évidemment pas de sens. Mais puisque notre vie se construit par les relations que nous tissons et dépend en grande partie des relations que nous tissons et par l’influence que nous avons sur les autres, c’est la perception que les autres ont de nous qui nous révèle finalement à nous-mêmes et qui nous indique avec le plus de clarté et de vérité ce que nous sommes en en réalité et quelle est la valeur de notre existence et les répercussions de notre comportement et de nos convictions.

 

 On dirait que cette question dans la bouche de Jésus est le symptôme d’un malaise ou plutôt d’un doute de sa part. On dirait qu’il veut vérifier si son intuition et son sentiment d’être quelqu’un qui parle au nom de Dieu a une portée réelle ou si c’est simplement l’illusion d’un exalté et d’un visionnaire. Il veut s’assurer qu’il ne décroche pas de la réalité et que la mission qu’il s’attribue sert vraiment à améliorer et à transformer le monde autour de lui. En cela il nous donne un exemple de réalisme et d’humilité. L’illusion et l’erreur sont toujours possibles dans la vie d’une personne. Il faut savoir prendre le temps de douter, de s’interroger, de se remettre en question, de vérifier, pour ne pas courir le risque de s’agiter en vain. Et c’est seulement les autres qui peuvent nous ouvrir les yeux, nous signifier ce que nous valons et nous donner l’heure authentique sur l’horloge de notre vie.

 

Que de mariages, que des liaisons seraient sauvées, si les couples étaient capables de se poser, chacun à son tout, cette question de Jésus, afin de se voir et de s’examiner et de se régler sur le regard de l’autre et à partir de la perception de l’autre. Ne parlons pas des politiciens, des responsables d’entreprises et des finances, des autorités autant civiles que religieuses (pape, évêques, curés …). Quels bienfaits ils en retireraient, pour eux et pour la tâche qu’ils accomplissent s’ils étaient capables de se mettre à l’écoute de l’autre et surtout à l’écoute de ce que les autres pensent de leurs idées et de leurs agissements et de s’y ajuster.

 

Et si Jésus a l’humilité et le courage de nous poser cette question (« qui suis-je pour toi »), quelle est notre réponse, en toute sincérité? Pierre, emporté par sa fougue, son ardeur et son cœur a tout de suite trouvé sa réponse: « Pour moi tu es mon Messie, mon libérateur, mon champion et mon Dieu ! » Toute une réponse !!!! Pourrions-nous en dire autant? Je suis sûr que oui, au moins nous qui sommes ici, ce matin, en cette église. Car, si nous sommes ici, c’est parce que nous avons découvert et trouvé en lui un idéal de vie, une source d’inspiration, un modèle de liberté, un maitre qui nous a ouvert les yeux du cœur et de l’esprit sur ce que nous sommes au fond de nous-mêmes et sur ce que nous valons ; qui nous a révélé notre grandeur et qui nous a introduit dans la connaissance et la constatation de cet amour divin qui nous a englobe de fond en comble, qui transforme toute notre vie et qui colore d’une nouvelle lumière les relations que nous entretenons avec le monde, la nature et nos frères humains. Nous ne serions pas ici si nous ne sentions pas de l’attachement et de l’admiration pour cet homme qui représente désormais pour nous la présence des l’esprit et de la vie de Dieu en notre monde. Nous ne serions pas ici si nous n’étions pas convaincus que sa parole, se convictions, les valeurs qu’il transmet possèdent le secret de la transformation et du salut du monde. Pour nous aussi, comme pour Pierre, il est le Messie et le Fils du Dieu vivant.

 

MB

 

 (21 dim .ord. A – Mt 16,13-20)

mardi 11 juillet 2023

 Texte élaboré à l’occasion de : la IV Consulta Abierta sobre Nuevos Paradigmas : “Qué sostiene hoy nuestra esperanza o motivaciones?” - 27 mayo 2023



QUELLE EST NOTRE ESPERANCE ?


« La perplexité, le désarroi et la lassitude peuvent bien décrire la situation morale du monde d’aujourd’hui, en particulier de nombreuses personnes qui quittent la vision la vision théocentrique et préscientifique du monde pré-moderne et ne se retrouvent pas dans un monde aussi chaotique, inégal et instable. Il y a une pénurie de référents et une surabondance d’idoles…

Nous sommes à la recherche de nouvelles histoires et inspirations, de motifs et de raisons d’espérer face à cette grande déconstruction de la vision pré-moderne du monde. Les religions ne savent pas quoi proposer et un désir croissant de prendre soin de la planète et de la vie commence à émerger dans de nombreux endroits. Il nous faut retrouver la confiance et la passion du bien, d’une vie digne et heureuse, et pour cela nous avons besoin d’esquisses, de tentatives et de raisons d’espérer… »  

  Ce sont ces propos qui ont motivés les considérations personnelles de cet article. Elles voudraient apporter une contribution à la réflexion et aux questionnements de ces croyants qui, ayant dû abandonner le théisme, se sentent aujourd’hui dépourvus des orientations et des certitudes (religieuses, spirituelles et éthiques) dont ils ont cependant besoin pour pouvoir continuer à donner un sens à leur existence et nourrir leur espérance de « vie éternelle ».


1 -Notre instinct de vie – Notre peur de la mort - 

    Les humains n’ont pas toujours existé ni sur la terre ni dans le ciel. Ils sont des organismes vivants relativement récents produits par et sur une planète du système solaire. Ils auraient pu ne pas exister et cela n’aurait rien changé au fonctionnement de l’Univers. Dans l’abstrait et en ligne de principe, nous, les humains, nous semblons donc des créatures insignifiantes et sans importance. Cependant, voilà que nous existons! Et si nous sommes là, cela signifie, qu’un beau jour, la Nature a jugé qu’elle avait besoin de nous et de nos services pour mieux fonctionner, car autrement elle n’aurait pas prise la peine de nous mettre dans l’existence.

C’est donc parce que la Nature a besoin de nous et qu’elle veut nous garder le plus longtemps possible actifs, fonctionnels et efficaces à son service, qu’elle nous a doté d’un instinct inné de survie , à savoir, de réactions inconscientes et presque automatiques (le « conatus » de Spinoza) qui nous poussent à protéger et à défendre notre vie, par tous les moyens à notre disposition, afin de pouvoir la garder le plus longtemps possible. Cette pulsion de vie est tellement forte, ancrée, persistante et puissante en nous, qu’elle semble être même arrivée à influencer et à coloniser autant nos pensées que nos réactions et nos attitudes psychosomatiques et spirituelles face au caractère inexorable de notre fin physiologique. C’est fondamentalement cet instinct de vie et de survie qui est la cause principale de notre peur viscérale de la mort et qui semble aussi conditionner la lucidité de notre raison en la rendant incapable de se résigner au fait de notre mort. 

    Or, si en tant qu’humains, nous sommes naturellement et foncièrement structurés  pour lutter contre la mort, pour refuser de l’accepter et pour être incapables d’envisager sereinement son inévitabilité, cela ne pourrait-il pas alors signifier que, finalement, nous sommes faits et nous existons pour vivre et non pas pour mourir?  Se pourrait-il que par cet instinct irrépressible de vie placé en nous par la Nature, celle-ci veuille nous dire que nous avons raison de ne pas nous résigner à la fatalité de notre mort physiologique et ainsi, par là, nous faire comprendre que nous nous trompons lorsque nous considérons notre mort comme le point final normal du livre de notre existence, ou comme l’annihilation définitive de notre identité personnelle? N’est-ce  pas aussi  conatus ou pulsion de vie qui est à l’origine de tous nos élans, nos efforts, nos désirs et nos aspirations de réussite, de bonheur et d’accomplissement personnel? 

    Je pense qu’instinctivement les humains ont compris ce message. C’est pour cela qu’ils utilisent leur pulsion et leur désir implacable de vie pour activer toutes les dynamiques dont ils disposent (psychologiques, intellectuelles, imaginatives, religieuses et spirituelles) afin de réussir à repérer, dans le rempart apparemment infranchissable de leur mort physiologique, la brèche à travers laquelle la puissance vitale de leur être pourra s’échapper pour atteindre le Pays de l’éternité. Je pense que c’est donc cette pulsion qui nous empêche d’imaginer et d’accepter que la réalité profonde de notre être puisse un jour être effacée et disparaître à tout jamais de la Réalité globale des existants.

Ainsi, le fait que les humains soient des créatures conscientes de l’inévitabilité de leur mort corporelle et, en même temps, des êtres dotés de cet instinct inconscient de vie et de survie, les transforme en des individus qui cherchent par tous les moyens à réinterpréter leur mort, soit pour lui ôter son aspect d’événement sinistre et irréparable, soit pour lui conférer une connotation plus sereine de normalité et, surtout, un potentiel de vie qui pointe vers l’éternité.

 

2 -  Comment la peur de la mort a été apprivoisée dans le passé  

       Alors que dans la Nature tout être se transforme, se consume, vieillit, meurt , se décompose et que sa forme disparait aspirée dans le Tout de la matière cosmique, les humains, de leur côté, tourmentés par la peur de leur mort et endoctrinés par les religions, se sont convaincus que la Nature ne les soumet pas aux mêmes lois, aux mêmes conditions et aux mêmes dynamismes que les autres créatures vivantes, mais qu’elle leur réserve un traitement de faveur et un destin exceptionnel, en leur offrant une forme individuelle de vie qui durera pour une éternité .

     C’est donc pour sortir de l’impasse de la fatalité inévitable de la mort et pour s’ouvrir un chemin de survie, qu’ en désespoir de cause , les hommes du passé ont fait appel à leur imagination pour inventer des possibilités de vie après la mort qui se réaliseraient dans des mondes fantastiques et surnaturels habités par des divinités toutes-puissantes qui assureraient aux humains une éternité de vie et de bonheur en échange de leurs prestations et conformément à leurs mérites. 

    Avec le temps, cependant, autant les religions que les humains ont oublié que ces havres de vie éternelle et de paradis surnaturels habités par les dieux n’étaient que des rêveries et des constructions imaginaires de créatures apeurées, et ils ont fini par se convaincre qu’ils étaient réellement existants. Ce sont ces convictions qui, le long des siècles, ont formaté et programmé la vie et le comportement de tous les croyants jusqu’à nos jours.  .

    L’arrivée de la modernité, toutefois, semble avoir eu un effet salutaire sur un grand nombre de ces croyants, en les aidant à retrouver leur mémoire et à cesser ainsi de croire et de se complaire en des contes et en des fables qui désormais n’étaient plus de leur âge. 

    Maintenant, beaucoup de ces anciens croyants sont finalement arrivés à comprendre qu’ils ont mieux à faire dans la vie que de se laisser captiver par des rêves et des fantasmes de vie éternelle en compagnie des dieux. Leur nouvelle culture, leurs nouvelles connaissances et une intelligence plus éclairée les a conduit à mieux observer et à mieux se rendre compte de ce qui se passe dans la Nature à laquelle ils appartiennent au même titre et aux mêmes conditions que toutes les autres créatures vivantes. Cela a eu comme conséquence de pousser un grand nombre de ces individus à se confronter courageusement et lucidement avec la réalité de tout ce qui se passe au sein de la Nature et les conduit enfin à accepter sereinement pour eux-mêmes ce que celle-ci réserve, sans aucune exception, à toutes les autres créatures. Je traiterai plus spécifiquement de cette question un peu plus loin dans cet écrit.


3 - La mort existe-t-elle vraiment dans la Nature ?  

Dans la Nature, la destruction, la fin, la transformation de toute entité ou de toute structure vivante ou pas, se passe toujours sans histoires, sans drames et sans regrets, étant donné qu’il s’agit d’événements normaux, naturels et dans l’ordre des choses, comme leur naissance .Car c’est ainsi que la Réalité fonctionne! Dans notre Univers, c’est grâce à la désagrégation d’une chose que quelque chose d’autre peut commencer, émerger, la diversité surgir, la complexité se former, la beauté apparaître, des nouveaux systèmes s’établir et ainsi l’évolution de la Réalité cosmique s’accomplir. Le monde dans lequel nous vivons est ainsi constitué : une vie finit toujours par produire sa mort et une mort est toujours, d’une façon ou d’une autre, une source et un principe d’être et de vie.  

Si cela est vrai, et s’il est également vrai que la Nature est extrêmement juste et équitable, qu’elle n’a aucune préférence, qu’elle n’admet aucune dérogation à ses lois et à son comportement et qu’elle traite toute chose de la même façon et selon les mêmes principes, on doit alors logiquement conclure que cela est vrai aussi pour les êtres humains. 

  De sorte qu’aujourd’hui nous nous rendons compte que, finalement, les religions nous ont menti. Depuis toujours, en effet, elles nous ont fait croire que nous étions des êtres « à part », « spéciaux », « uniques », avec un destin différent des autres créatures. Dans la Nature cependant n’existent pas des êtres qui sont « plus êtres » que les autres ou qui sont plus spéciaux, plus importants, plus valables et plus efficaces que les autres. Et cela pour la simple raison que dans notre Réalité tout être est nécessaire à l’existence, au déploiement, à l’harmonie, à la réussite et la perfection du Tout.

Si ces considérations sont fondées, on pourrait alors s’autoriser à affirmer que la peur instinctive que nous ressentons face à notre mort est peut-être sans fondement, étant donné que dans la Nature rien ne meurt vraiment, mais que tout est transformé.

Cela semble être confirmé aussi par les conclusions des sciences modernes, de la physique quantique et de l’astrophysique, qui concordent pour dire que dans notre Réalité, la mort, comprise comme disparition ou effacement total et définitif d’entités existantes, est un concept qui n’a pas de sens. 

De fait, dans l’Univers rien ne disparait dans le néant, mais tout est, pour ainsi dire, « recyclé »; tout devient début et principe de nouveaux surgissements d’êtres; tout est transformé en éléments, en briques, en composantes qui entreront dans la composition de nouvelles substances et dans la construction de nouveaux mondes et de nouvelles réalités. Pensons, par exemple, à la mort fulgurante d’une supernova qui, ensemençant les espaces galactiques de ses débris, est à l’origine d’un nombre incalculable d’autres corps célestes frétillants peut-être de vie. Si cela est vrai, nous devons en conclure que, finalement, dans l’Univers rien n’existe pour rien et que tout être a sa raison d’exister, car autrement il n’existerait pas. De sorte que l’on peut affirmer que chaque entité existante possède une valeur unique du seul fait d’exister. 

  D’où la nécessité et l’importance que chaque être humain, dès son entrée dans l’existence, puisse vivre pleinement selon sa nature et fonctionner au meilleur de ses capacités, afin d’atteindre la perfection de son être et donc de son efficacité. C’est cette perfection qui lui donnera son sens, qui fera son bonheur et qui lui permettra de se réaliser et d’atteindre le but pour lequel il possède l’existence. Cela signifie que, dans l’agencement globale de la Réalité, non seulement tout être est important, mais qu’il est aussi indispensable à l’évolution, au perfectionnement, à la beauté et à l’harmonie du Tout. La Nature, en effet, est très pratique, elle ne badine pas, elle ne perd pas son temps et ses énergies à mettre dans l’existence des êtres qui ne servent à rien.

Dans le monde moderne de la postmodernité et du post-théisme, cette intelligence et cette conception de notre place et de notre fonction dans la Réalité devrait constituer une bonne nouvelle pour tous ces anciens croyants théistes qui, ayant été obligés d’abandonner leurs anciennes certitudes religieuses d’un accomplissement final et éternel de leur existence dans le beau paradis de Dieu en compagnie des anges et des saints, se sentent maintenant égarés, sans repères, sans attentes, sans espérance .

Cela devrait être aussi une bonne nouvelle pour tous ces humains qui se demandent pourquoi ils existent, que faire de leur vie, à quoi sert leur présence en ce monde et qui se trouvent dépourvus d’attentes véritables et privés d’un futur ouvert à l’espérance. Il s’agit souvent d’individus de grande valeur humaine, mais en proie à un profond sentiment de perte, d’égarement, d’abandon et de solitude qu’ils ne réussissent ni à dépasser, ni à remplacer par une autre conception plus satisfaisante et plus rassurante de la Réalité où ils pourraient trouver une nouvelle place et un nouveau sens à leur vie. 

Ces bons croyants se laissent alors facilement envahir par la dépression, le découragement et la tristesse; souvent aussi, par le ressentiment envers la religion et envers eux-mêmes parce qu’ils ont l’impression d’avoir été trompés, d’avoir été naïfs et stupides et d’avoir perdu le temps précieux de leur vie à croire les curés et leurs grotesques histoires. D’autres anciens croyants penseront avoir maintenant une existence nulle et inutile s’il n’y plus aucun « bon Dieu » là-haut à qui parler, en qui se confier, qui les aime, qui les attend et qui, au terme d’une vie de bons services et de constante fidélité, récompensera leurs « mérites » par le cadeau d’une vie éternelle.  

  Alors, quoi de plus extraordinaire et de plus rassurant pour ces individus que de découvrir que chacun d’eux, de nous, est essentiel autant au bon fonctionnement du Tout de l’Univers, qu’au bien-être de toutes ces parties? Quoi de plus stimulant pour vivre heureux sur terre, que de savoir que la qualité de notre existence, la force de notre élan vital, l’activation de nos compétences, la mise en œuvre de nos virtualités, constituent des contributions voulues et prévues par la Nature et dont celle-ci a besoin pour faire progresser le tissage de la toile cosmique de notre la Réalité? 

À la limite, que chaque « élément » ou que chaque entité qui compose la Réalité se garde dans l’existence d’une façon permanente ou d’une façon provisoire n’a finalement pas en soi une grande importance, si son temps de vie a été une féconde nécessité qui a apporté son génial coup de pinceau au tableau de l’Univers qui en résultera ainsi embelli pour l’éternité. 


4 - Est-il possible d’envisager une espérance de vie au-delà de notre mort ? 

Est-il possible de dépasser la peur de la mort et d’en faire un principe de vie ? 

Il est aisé de comprendre qu’après avoir été endoctrinés et alimentés à la pensée mythique pendant des millénaires, il est maintenant extrêmement difficile aux humains de se départir de l’image mythique d’une divinité personnelle et rétributive qui leur offre  une vie bienheureuse dans l’éternité. Je suis cependant d’avis qu’il est beaucoup plus honorable de notre part et plus conforme aussi à notre dignité humaine, dans un domaine aussi important que celui du sens et du sort de notre existence, de faire confiance à notre raison, plutôt que d’essayer (comme on fait les religions et les humains du passé) de le déchiffrer le Mystère qui pulse au cœur de la Réalité à l’aide de notre fantaisie et du recours à notre ingénuité.

Aujourd’hui la qualité de notre intelligence, de notre instruction et de notre sagesse devrait suffire pour nous conduire à accepter la Réalité comme elle est et non pas comme nous souhaiterions qu’elle soit, car la Nature est infiniment plus sage et plus intelligente que nous. La lucidité de notre intelligence devrait également nous faire comprendre que le Mystère qui imprègne l’Univers n’est pas tant dû à son incompréhensibilité, mais à la petitesse de notre esprit incapable d’en embrasser toutes  les potentialités et les finalités. 

Pour renforcer davantage notre compréhension du sens et de la valeur de notre existence humaine, ainsi que de la nécessité de notre présence au sein de la Réalité, serait-il insensé d’émettre l’hypothèse que, même si dans l’Univers nous ne sommes probablement pas les seules créatures intelligentes et conscientes, nous sommes cependant et sans aucun doute, des phénomènes spéciaux et des émergences singulières d’esprit, de raison, de conscience, de sensibilité et d’amour voulues et développées expressément par la Nature pour que, en nous et à travers de nous, le Mystère qui l’habite puisse prendre conscience de lui-même, réussir à se voir, s’admirer, s’extasier, se dire, s’adorer, s’aimer dans l’infinie variété et complexité des éléments qui composent son  époustouflante grandeur et la fascinante beauté de sa Réalité? De sorte que nous, les humains, nous serions les instruments à travers lesquels le Mystère Ultime de l’Univers  manifeste et exprime la conscience qu’il a de lui-même.

Pouvons-nous aspirer à plus? Pouvons-nous désirer être plus que cela? Serons-nous capables de trouver une meilleure finalité à notre présence en ce monde que celle d’être un petit coin d’Univers où son Mystère profond se réverbère, se reconnait, se dépose; où il sublime et il synthétise le meilleur de ses forces d’intelligence, d’attraction et d’amour par lesquelles il soutient, il structure et il relie ensemble toutes les composantes de sa Réalité?

De plus, je pense que la réalisation de notre désir et de notre espoir de vie durable commence déjà maintenant par la réalisation de la qualité et de la plénitude de sens que nous sommes capables de conférer autant à la nature de notre existence qu’à celle de notre monde. Une chose pour moi est certaine : la qualité de notre mort sera à l’image de la qualité de notre vie. J’aime penser que la qualité ou la non-qualité de la personne que nous serons au moment de notre mort, restera inchangée pour l’éternité. 

J’aime penser que ce sera le paradis ou l’enfer que nous aurons bâti et dans lequel nous aurons vécu au cours de notre existence corporelle, qui déterminera la qualité des énergies (positives? négatives?) que nous dégagerons lorsque, après la désintégration de structure organique et moléculaire de la matière de notre corps, nos atomes réintégreront le Mystère du Tout Cosmique qui depuis toujours les contenait 

  J’aime donc penser que ce que notre identité personnelle sera et produira dans l’au-delà de notre mort sera à l’image de ce que nous avons été et de ce que nous avons accompli au temps de notre passage dans le monde de la temporalité. De sorte que si, en ce monde, nous avons été des personnes ouvertes aux autres; si nous avons vécu une vie donnée et consacrée à dispenser gentillesse, amour et bonté; si nous avons contribué à créer plus de fraternité, de justice, de bonheur et à faire de notre société humaine et de notre planète un meilleur endroit pour vivre,... nous aurons déjà réussi à nous situer dans les coordonnées du but à atteindre et pour lequel la Nature nous a mis dans l’existence. Je pense que ce sera dans les traces de ces coordonnées qu’après notre mort nous continuerons à être et à fonctionner dans le Mystère de notre nouvelle réalité. Nous aurons alors réussi à transformer notre présence dans le temps en un chef-d’œuvre de vie qui a déjà une saveur et une valeur d’éternité. 


5 – Une mort qui ne fait plus peur ?

Dans la Nature les notions de bien et de mal, de bonté et de méchanceté, de vertu et de vice, de grâce et de péché, de châtiment et de rétribution, de moralité et d’immoralité, de juste et injuste, de mort et de vie…, ne font aucun sens. Ces concepts ont été principalement élaborés par les humains pour leur usage « interne » : d’un côté, pour se donner des normes et des règles de conduite qui devaient rendre possible leur vie en société; de l’autre, pour identifier et nommer les causes de leurs joies et de leurs tristesses.

La Nature ou l’Univers fonctionnent selon des dynamiques et des lois qui leur sont propres et qui sont celles de la nécessité et qui donc échappent totalement aux catégories éthiques ou morales propres aux comportements humains basés sur une difficile liberté qui cependant et bien souvent ne sait se manifester que sous la forme de ses principaux avatars qui s’appellent la conformité, le mimétisme, la dépendance, le devoir, l’obéissance, l’ obligation, la rétribution et le châtiment . 

  Dans la Nature, non seulement tout arrive « naturellement », mais tout arrive aussi « nécessairement ». Dans l’Univers, la vie, les naissances, les accomplissements, les surgissements de nouvelles entités, les apparitions de singularités et de nouvelles réalités… entremêlées et accompagnées de morts, de malheurs, de cataclysmes, d’apocalypses et fins de mondes, sont non seulement à l’ordre du jour, mais aussi de l’ordre de la nécessité et ils n’admettent ni aucun jugement de valeur ni aucune qualification morale.

       Dans une telle Réalité, quoi de plus naturel alors qu’une durée de vie limitée dans le temps, entrainant un jour la mort physiologique des créatures vivantes? Est-ce un drame, une catastrophe, un mal? Est-ce la faute d’un destin cruel et d’une « marâtre Nature puisqu’une telle fleure ne dure que du matin jusqu’au soir »?   Est-ce le châtiment d’une divinité offensée par nos péchés? Rien de tout cela ! Notre mort n’est que la manifestation d’un phénomène naturel et fondamental au bon fonctionnement et au perfectionnement global des dynamismes qui gardent dans l’existence la Réalité de notre Univers. 

  C’est avec ces connaissances et ces considérations à l’esprit que les post-théistes cherchent aujourd’hui non seulement à se libérer de la peur de la mort et de ses possibles et fâcheuses conséquences, causées principalement par les croyances religieuses, mais aussi à l’apprivoiser et à lui ôter le venin de la punition de Dieu à cause de nos péchés. 

Ils souhaiteraient surtout réussir à remplir la mort de vie, d’un nouveau sens, d’une nouvelle valeur, de nouveaux contenus et de nouvelles finalités, afin que les croyants n’aient plus à regretter, après leur mort sur terre, la perte au ciel du beau paradis de Dieu et à garder toujours bien vivante la flamme de leur espérance.

 


۞۞۞۞۞۞۞


Postface



Quelques brèves considérations personnelles

sur la nature de la matière et de l’esprit


C’est un fait que, depuis toujours, les humains « palabrent » constamment  de matière et d’esprit, sans savoir de quoi ils parlent, et donc sans avoir la moindre idée de la nature de la réalité qui se cache sous ces termes. Exactement comme lorsqu’ils parlent de Dieu.

Aujourd’hui encore, malgré toutes nos connaissances et nos avancées scientifiques, tout ce que nous pouvons dire se réduit à l’affirmation que ce que nous indiquons  par matière et esprit correspond peut-être à deux modalités ou deux formes distinctes (je ne dis pas différentes!) de l’être et qui conjointement constituent toute la Réalité de ce qui existe et dont  l’une ( la matière) est concrète, perceptible, mesurable par nos sens et nos instruments et l’autre non.

Cependant nous ne savons rien non plus de la nature des relations qui existent entre ces deux aspects de la réalité. Existent-ils nécessairement ensemble et unis? Peuvent-ils exister séparés ? Est-ce l’esprit qui est à l’origine de la matière, ou est-ce la matière qui est à l’origine de l’esprit ? Y a-t-il de l’esprit dans la matière, ou est-ce la matière un état de l’esprit ? 

Se pourrait-il qu’il n’y ait, au fond, aucune différence de « substance » ou d’«essence » entre la matière et l’esprit, mais seulement une différence dans la forme de leurs manifestations, de sorte que l’esprit n’est au fond qu’une « sublimation » de la matière et que la matière, dans ses composantes ultimes, élémentaires et quantiques, n’est qu’une forme de « condensation » physique de l’ensemble des énergies, des dynamiques et des virtualités constitutives de la nature de l’esprit? 

  Se pourrait-il que ce que nous appelons « esprit » ne soit autre chose que l’ensemble des principes, des lois naturelles, des dynamiques avec lesquels s’entrelacent, communiquent et sont en relation les énergies de fond qui structurent la complexité de la matière et qui forment la grandeur et la beauté de notre Univers ?

S’il est vrai que dans notre Univers  il n’y a pas d’esprit sans matière et de matière sans esprit; s’il est vrai que tout ce qui existe est matière spiritualisée ( la « sainte matière » de Teilhard de Chardin) et esprit matérialisé; s’il est vrai que c’est proprement cette relation de réciprocité entre matière et esprit qui est à l’origine de leur spécificité …, ne serait-il pas possible alors de penser que, finalement, notre mort n’est qu’un phénomène naturel de dissolution qui concerne uniquement la seule matière de notre corps, mais qui n’affecte pas la singularité de l’esprit qui la constitue ? Ne serait-il pas possible d’émettre également l’hypothèse qu’après notre mort, l’esprit qui constituait la matière de notre corps gardera toujours son existence et continuera à être actif, opérant et structurant pour d’autres êtres et dans d’autres dimensions de la Réalité ? 


Conclusion 


Je pense que notre espérance et notre chance de vie au-delà de notre mort, dépendra uniquement de la qualité et de la force de l’esprit de bonté, d’abnégation, de don de nous-mêmes et d’amour responsable, gratuit et désintéressé par lequel, au cours de notre existence, nous aurons qualifié et animé toutes nos relations. En effet, comment pouvons-nous espérer naviguer un jour avec confiance dans l’océan de l’éternité si, au temps de notre vie terrestre, nous n’avons même pas appris à patauger convenablement dans la mare de notre temporalité?  



Bruno Mori  - Montréal – 30 mai 2023 – 


 Comme des bons arbres fruitiers,

 Tous nos fruits sont pour donner  

 (Mt 10, 37-42) 


        Je tourne et tourne cet Évangile dans tous les sens : rien à faire, la sensation que j’en ai est  toujours la même: l'éloignement inouï de ce texte par rapport à notre réalité et à notre mentalité. On peut facilement placer ce texte Mattieu parmi les pages les plus difficiles à accepter et les plus exigeantes et les plus décourageantes de  l'Évangile  devant lesquelles nous nous sentons et nous nous trouvons totalement dépourvus et désemparés. Car alors que normalement et instinctivement notre principale soucis est celui de cajoler et d’aimer notre petit ou grand ego par-dessus tout, ici Jésus semble presque vouloir nous amener à réaliser que lorsqu’il s’agit d’assurer la juste et la bonne qualité de nos relations  avec le monde autour de nous, nous avons vraiment tout compris à l’envers, car ce n’est pas notre précieuse personne qui doit passer en premier, mais la personne des autres  et  celle de Dieu. Et cela va vraiment à l’opposée de tout ce que, depuis toujours,  les humains  ont l’habitude de penser et de faire.

     Je pense que lorsque nous nous confrontons aux contenus des évangiles et donc à l’enseignement  de Jésus, nous devons mettre de coté la façon de penser, de juger, d’agir et de valoriser les choses que les humains ont adopté depuis toujours comme étant la plus évidente et la plus normale. L’évangile de Jésus est, pour ainsi dire, le premier pamphlet de contestation, de critique et de révolte de l’histoire de l’humanité, car il met tout à l’envers ou certainement  en crise un grand nombre de nos idées et nos convictions reçues, ainsi qu’une grande partie des valeurs les plus prisées et les plus convoités par les humains, comme  le succès personnel au dépend des autres, le pouvoir, la richesse. la supériorité sur les autres, le prestige, etc.  : pensez au texte des Béatitudes ( Mt 5, 1-12)  et à celui cité plus haut. 

    C’est pour cela que l’Évangile dérange, perturbe, fait peur, est ardu,  est difficile à  approcher, à accepter, à avaler et à digérer … C’est pour cela que les évangiles nous plaisent si peu et que nous ne sommes  pas très portés à  en faire notre livre de chevet. C’est pour cela que son Auteur a été assassiné. C’est pour cela que depuis sa mort  et jusqu'à nos jours, la pensée du Prophète de Nazareth, ainsi que son enseignement, son esprit, sa nouveauté, son l’originalité, sa charge extraordinaire d’humanité, ont été si peu valorisés, si peu considérés, compris, intériorisés, si difficilement diffusés et acceptés et surtout  si vite altérés ou arrangés ou dilués ou oubliés ou par ceux-là mêmes et l’Institution qui auraient dû les conserver intacts, les diffuser, les proclamer et  en témoigner par leur vie et leurs œuvres 

     Cela explique aussi pourquoi l’extraordinaire nouveauté du message  d’amour , de bonté, de justice, de fraternité et d’humanité des évangiles a si peu ou presque pas  inspiré et influencé l’histoire « chrétienne »  de l’Occident (où le e mouvement chrétien s’était surtout et principalement répandu) et pourquoi  aussi  il n’a presque pas amélioré,  le long des siècles,  la qualité humaine de la vie des chrétiens d’Occident  qui, au  contraire, sont à l’origine d’une  culture et d’une civilisation et de systèmes de pouvoir les plus agressifs, les plus impérialistes, les plus colonialistes, les plus dominateurs, les plus  oppresseurs,  les plus prédateurs, les plus violents dans  l’histoire de ces deux derniers millénaires. Au point qu’aujourd’hui la presque totalité des historiens considèrent le  christianisme et donc la religion chrétienne  telle que le long de siècle elle a été absorbée, enseignée, comprise, vécue et pratiquée par les occidentaux, comme une des  pires religions du monde: comme celle qui, tout au moins, le long de son parcours historique, n'a pas empêché aux occidentaux d'être un des peuples les  plus rapaces, les plus guerriers  les  plus inhumains et le plus mortifères du   monde entier.

     Dans le texte proposé aujourd’hui à notre réflexion, comme d’ailleurs dans tout l’évangile, c’est vraiment le monde à l’envers!  Et de fait,  Jésus  semble  être  venu  pour  mettre à l’envers le  monde des hommes, ainsi que les valeurs, les  principes,  les politiques, les comportements et les priorités qui l'inspirent  et le dirigent. En effet, là où les hommes ont privilégiés  le pouvoir, l’avidité, la richesse, la supériorité, la domination, l’agressivité,  la violence,  la  haine et la vengeance …  Jésus, de son coté  et à l’opposé, a privilégié l’amour désintéressé, la bonté, la miséricorde, la douceur, la petitesse, la fraternité, l’égalité, le partage, la pauvreté, le détachement, la simplicité, la justice, , le pardon, le service…en en mot tout ce qui contribue à a construire la qualité humaine de notre existence et de notre cœur.

    Ici Jésus veut surtout nous faire comprendre que la vie  acquière tout son sens et vaut la peine d’être vécue, non pas si elle est exclusivement retenue pour bâtir notre  confort et notre  bonheur individuel, mais seulement si elle est donnée et mise au service des autres pour construire  leur  bien-être et leur bonheur : « Qui veut garder sa vie pour soi, la perdra…mais qui  la donnera par amour la gardera pour toujours… » (Mt 16,25; Mc 8, 35). À ce propos, nous devrions tous nous inspirer du comportement dans  la nature des arbres fruitiers, un figuier par exemple, qui ne produit ses délicieux fruits que pour les donner et pour  le plaisir et le bonheur de ceux qui  les mangent. Si les figues ne sont pas cueillies et données, l’arbre les perdra de toute façon, car ses fruits un jour se détacheront inévitablement de ses branches pour  pourrir au sol, gaspillées et perdues pour toujours. 

    Jésus nous avertit donc que notre vie trouvera son plein sens et sa réalisation la plus accomplie, seulement si elle aura été  une vie donnée et si son temps aura été  dépensé à aimer d’une façon tendre et désintéressé. Si cela aura été le cas, alors nous pourrons nous considérer comme des véritables enfants de Dieu qui auront été capables d’aimer avec la même qualité d’amour qui, selon Jésus, est en Dieu son Père et notre Père. Car seulement un amour qui réussit à se transformer en  « agapè », c’est-à-dire en amour   gratuit,  inconditionnel et désintéressé sera capable  de créer du vrai  bonheur et donner à notre existence une valeur d’éternité.


MB  Juin 3023     //13 dim ord A//




S


lundi 5 septembre 2022

 

PORTER LA CROIX POUR MARCHER SUR LA « VOIE »

(23e dim. ord. C - Lc 14, 25-33)

 

            Des grades foules faisaient route avec Jésus. C’est par ces mots que débute l’évangile d’aujourd’hui. Ces grandes foules qui font route avec lui ne sont pas seulement les quelques centaines de personnes qui, en ce temps-là, entouraient Jésus en Palestine. Ce sont aussi ces innombrables hommes et femmes qui ont choisi de marcher à sa suite le long des siècles. C’est vers nous que Jésus se tourne aujourd’hui pour nous poser quelques questions: «Vous dites que vous êtes mes disciples…. Mais savez-vous ce que cela signifie? Savez-vous jusqu’où cela peut vous conduire que de marcher à ma suite ?… Si quelqu’un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère…. Il ne peut pas être mon disciple…».

            Cette première exigence de Jésus est proprement effarante. Qui est-il donc cet homme pour demander de tels arrachements affectifs, au profit de l’attachement à sa personne …. Jusqu’ à nous demander de le préférer à notre propre vie…?

            Ces formules abruptes ne sauraient signifier que nous pouvons larguer les liens avec notre famille. Aussi, loin d’inviter à briser égoïstement toutes nos relations humaines les plus sacrées (l’amour filial, conjugal, fraternel), Jésus invite chacun de nous à animer toutes ces relations et ces affections par l’amour de Dieu. Cet attachement au « Royaume de Dieu » présent sur la terre par l’action de Jésus doit constituer le milieu dans lequel nous nous déployons, l’air que nous respirons, le sel qui donne saveur à toutes nos actions; le levain que doit faire fermenter la pâte de notre existence. Il s’agit ici de la primauté de Dieu et de son amour dans notre vie.

            C’est l’exigence primordiale d’une dimension humaine et spirituelle dans notre existence. C’est la nécessité d’établir une hiérarchie de valeurs dans nos intérêts, dans nos attachements et dans nos amours. Jésus nous renvoie ici à notre grandeur foncière aux yeux de Dieu. Il nous rappelle l’urgence de vivre comme des créatures faites à son image et qui, de surplus, sont ses enfants. Il nous dit: « Vous, les humains, vous avez un grand destin; vous êtes de la race de Dieu; vous êtes pétris de son esprit; vous êtes destinés à la communion avec le divin ; vous êtes appelés à une vie éternelle…

 Ne vous enlisez pas dans la matière; ne devenez pas les esclaves de vos passions, de vos ambitions, de vos convoitises, de votre cupidité ; ne vous enchainez pas d’une façon exclusive à vos amours humains, à votre argent, à vos intérêts et à votre bien-être matériel ; ne permettez pas que la force de vos liens aux choses d’ici-bas vous cloue au sol, vous empêchant de prendre l’envol et de vivre à la hauteur de votre condition et de votre destin. Vous n’êtes pas faits pour ramper, mais pour voler … Vous n’êtes pas faits pour la terre, mais pour le ciel; vous n’êtes pas faits pour pourrir dans le temps, mais pour vivre et vous épanouir dans l’éternité.

            Chacun de nous est donc invité aujourd’hui à recevoir dans son cœur, dans sa vie concrète, cette exigence inouïe. Quels sont les renoncements qui, dans les évangiles, s’imposent à moi pour vivre en fils de Dieu ? Celui qui ne porte pas sa croix pour marcher derrière moi, ne peut pas être mon disciple. En d’autres mots, pour que la montgolfière de ma vie puisse prendre son envol, il faudra couper les attaches, larguer les amarres, se délester de ses poids. Les actions qui nous permettent de réaliser ces manœuvres et de réaliser une existence d’enfant de Dieu sont contenues dans une suite de verbes qui se caractérisent par une perte et une souffrance: couper, quitter, sortir, lâcher, se délester, s’affranchir, renoncer, se libérer. Porter sa croix est l’expression que Jésus utilise ici pour indiquer tout ce travail pénible et exigeant de libération que nous devons entreprendre pour vivre notre condition de fils de Dieu et de disciples du Seigneur Jésus.

            Voilà alors la nécessité de nous arrêter de temps à autre pour réfléchir, pour faire le point dans notre vie; pour voir si nous naviguons dans la bonne direction ; pour calculer si notre bateau a les moyens, les provisions, les fournitures nécessaires pour arriver sains et saufs à destination. Les deux paraboles de Jésus sur la tour à bâtir et du combat à gagner veulent nous sensibiliser au besoin de cette mise au point. Est-ce que je prends le temps de réfléchir à ma vie, à mes engagements ? Nous, qui savons faire des bilans, calculer, prévoir pour nos entreprises humaines, nous arrive-t-il de nous arrêter parfois pour voir si l’entreprise de notre vie est vraiment gérée conformément aux directives ou aux souhaits de Jésus de Nazareth?

            Au retour des vacances, cette invitation du Maître arrive à point. Tout va reprendre : travail, école, groupements, associations… Pour ne pas vivre à la surface de nous-mêmes, nous avons plus que jamais besoin de pauses et de moments d’arrêt, de silence, de prière de méditation et de réflexion qui nous aident à mûrir intellectuellement et psychologiquement et à donner une profondeur humaine et spirituelle véritable à notre existence. Jésus, aujourd’hui, nous demande de ne pas vivre superficiellement.

            Finalement, dans ce texte d’évangile, le dernier avertissement de Jésus, tranchant comme un couperet : « Celui d’entre vous qui ne renonce pas à tous ses biens, ne peut pas être mon disciple ». C’est certainement pour réfléchir sur cette dernière phrase que nous devons prendre le temps de nous asseoir. Car on ne suit pas Jésus dans la facilité. Et l’invitation à ce dépouillement radical, à cette pauvreté, n’est pas un « conseil » réservé à certains super chrétiens (moines ou moniales, comme on l’a souvent compris…). C’est la condition normale de toute vie chrétienne véritable. Jésus ici est catégorique: « Vous ne pouvez pas servir Dieu et l’argent ».

Allons-nous continuer à nous jeter avidement sur « l’avoir » ? Ou allons-nous découvrir et inventer une autre manière de vivre heureux dans l’amitié, le partage, la simplicité volontaire ? Quelles conclusions pratiques tirer alors au niveau de mes achats, de mon train de vie, de l’utilisation de mon argent pour être plus libre ou, tout simplement, pour être disciple de Jésus ? Lui le pauvre par excellence, mais cependant porteur de toute la richesse de Dieu.  

 

 

  BM

 

lundi 15 août 2022

 

ALLUMEZ DU FEU, GRAND DIEU !  

(20 dimanche ord. C, Lc 12,49-53)


Ces propos que l’évangile de Luc dans ces versets d’évangile attribue ici à Jésus m’ont toujours frappé par leur réalisme et leur vérité. On dirait qu’ici Jésus ne se fait aucune  illusion sur le sort que  les hommes réserveront probablement à son message. Il sait qu’il aura beaucoup de difficultés à se frayer un chemin dans les mentalités, les cultures  et les comportements établis des humains et que peu de gens auront le courage et la hardiesse de purifier leur frustre et rudimentaire humanité au feu qu’il est venu allumer. 

Jésus  a conscience que sa critique du système culturel, social  et religieux où il vit, que la charge  révolutionnaire des valeurs  qu’il  propose, seront fatales autant pour lui, que pour ceux et celles qui auront le courage de suivre sa « Voie ». Il a en effet le clair pressentiment que ceux-ci seront incompris, refusés, combattus, discriminés et persécutés; qu’ils deviendront soit une pierre d’achoppement, soit une cause de division au sein d’une société qu’ils voudraient pourtant améliorer. 

De fait, avec le recul du temps, il faut reconnaître que les craintes de Jésus  étaient plus que justifiées. En effet, non seulement  le monde juif-gréco-romain  de son temps auquel il s’adressait avec l’espoir de le transformer en une société plus fraternelle, plus juste et plus humaine a fini par l’éliminer, mais même le monde et la culture occidentales postérieurs, nés de la religion chrétienne-constantinienne, qui a remplacé la Voie du Nazaréen, ont en grande partie ignoré son message, quand ils ne l’ont pas tout  simplement manipulé, édulcoré, oublié et  transformé pour l’adapter aux exigences du pouvoir et  à leurs politiques de prestige  et de domination.

De sorte qu’il est  plus conforme à la vérité de dire que  le monde occidental, que l’on se gargarise à qualifier de « chrétien » ou, tout au moins, de « culture chrétienne», en réalité et  sauf  quelques rares exceptions (les saints), il n’a jamais pris vraiment  au sérieux  la « bonne nouvelle »  ou  l’évangile de Jésus  avec ses  exigences et il a été tout sauf chrétien, étant donné qu’au cours de toute son histoire jusqu’à nos jour, il s’est construit et développé sur des valeurs,  des principes, des logiques  et  des routes qui se sont déployés exactement dans le sens inverse de la Voie tracée par Jésus de Nazareth : c'est-à-dire, en empruntant le chemin du pouvoir qui domine,   exploite et  asservit, plutôt que la Voie de l’amour désintéressé et fraternel qui prend soin et se fait  service.

Très révélateur, à ce propos, est le fait qu’aujourd’hui encore, même dans les cercles intellectuels chrétiens les plus ouverts et les plus  sympathiques au phénomène « Jésus de Nazareth », on persiste à qualifier son message de « rêve » ou d’« utopie », révélant ainsi, indirectement, que même les chrétiens les plus avertis le considèrent comme pratiquement irréalisable dans le monde des hommes.

Il serait trop long d’entrer ici dans une description exhaustive de nos infidélités au message de Jésus en tant que religion (Église) et en tant que société de culture  chrétienne. Je me limiterai à souligner ici quelques contradictions évidentes entre cette culture et  la prédication de Jésus.  

Dans les évangiles, la valeur d’une personne est donnée par son accueil et son  ouverture au prochain qui n’est plus tout simplement « l’autre »,  mais le « frère » avec lequel je crée des relations fraternelles de soin, de partage, d’affection  et de communion. Le monde et la société  moderne se sont  construit au contraire  sur l’individualisme le plus exacerbé, c’est-à-dire sur la fermeture de l’individu sur lui-même, devenu sa propre  île, un nœud d’égoïsme, le seul point de référence de ses projets et de ses activités. 

Ainsi, renfermé dans la prison dorée de sa solitude, l’individualiste ne trouve d’autre moyen de donner sens, importance et valeur à son existence que par l’indépendance des autres, que par la supériorité sur les autres et donc que par le recours au pouvoir obtenu par la quantité d’argent qu’il réussit à accumuler. De sorte que, pour ce type de personne, non seulement l’argent devient le but ultime de son existence, la valeur absolue, le bien suprême, sa meilleure possibilité de valorisation personnelle, de réussite et de bonheur, mais il se transforme aussi en  l’unique religion qu’il pratique et en  le seul dieu  qu’il est disposé à adorer.  Il en suit alors que, pour ce genre d’individu, l’autre n’est plus le « frère » et le « prochain » de l’évangile, mais le concurrent, le rival, le compétiteur, l’obstacle, l’adversaire, l’ennemi qu’il doit dépasser, combattre, vaincre et, éventuellement, éliminer pour atteindre sa supériorité et pour que reste intacte et affermie la puissance de son pouvoir et la source de ses revenus.

Et chose incroyable, voilà que l’individualiste-capitaliste devient inexorablement  l’esclave de son argent ; un argent qu’il ne possède plus  vraiment,  mais par lequel il est possédé  et pour lequel il  est prêt à tout sacrifier : ses  sentiments, sa sensibilité,  son bon sens, la sagesse du cœur, les  relations affectives et amicales, le bien-être des personnes, de la Nature, de la Planète et même son instinct naturel de conservation de sa propre vie physique. En effet, l’homme d’affaire  moderne, a plus à  cœur  son «capital » que les équilibres écologiques de la Terre, que la qualité du climat, de l’air, des sols, des mers, des forêts, etc., qui lui sont pourtant indispensables pour se garder en vie.

Aujourd’hui l’empire du capitalisme néolibéral a réussi à transformer le  monde, non pas en une société humaine responsable et civilisée, mais en  une économie globale de marché où règne la loi de la jongle, c’est-à-dire,  la loi du plus rapace et du plus fort, où tout peut être vendu, acheté, exploité, détruit et saccagé afin d’être transformé en marchandise monnayable, sans aucun égard aux exigences de justice sociale et de bonheur véritable des personnes. 

  Le pouvoir de l’argent est ainsi devenu l’unique système opératif qui fait fonctionner notre société moderne. Si cela est un fait incontestable,  nous ne pouvons pas nier que nous sommes alors en train de mettre au point une forme de société qui fonctionne sur des logiques suicidaires qui ne peuvent que produire injustices, confrontations, divisions, pauvreté, souffrances, destruction et mort. De sorte que, finalement, l’énorme pouvoir de l’argent accumulé n’aura servi qu’à miner tout espoir raisonnable, je ne dirais pas d’un futur meilleur, mais d’un futur tout simplement possible pour notre humanité. 

C’est donc dire le degré d’égotisme, d’aveuglement, de délire et  de stupidité dans lequel l’être humain peut tomber lorsqu’il se laisse emporter par l’angoisse de pouvoir et l’obsession de l’argent et de ses logiques égoïstes et nécrophiles qui  le privent de cette sensibilité profonde et de cette intelligence du cœur qui font la qualité humaine d’une personne.

   Qu’est-ce qui empêche alors de conclure que les « riches »  qui ne se nourrissent  que de pouvoir et de l’illusion de supériorité donnée  par l’argent qu’ils possèdent, sont finalement les individus les plus « misérables » et les plus à plaindre et à craindre sur  terre? 

Nous  nous trouvons alors ici sur la même longueur d’onde que Jésus de Nazareth lorsque, à propos de ceux qui, déjà en son temps,  ne vivaient que pour acquérir pouvoir et accumuler des richesses, il s’exclamait stupéfait : « Cela leur sert à quoi à ces gens que de vouloir conquérir et  posséder le monde entier, s’ils doivent y perdre leur âme ! » (Mt 16,26; Mc 8,36; Luc 12,20). 

Nous comprenons alors que ce type de monde et de société bâtis  sur le culte de l’argent, sur la compétition sauvage, sur  l’hostilité réciproque  et sur la guerre pour plus de pouvoir, se situent au antipodes du monde humain et de la société fraternelle souhaités par Jésus de Nazareth où les relations  humaines inspirées uniquement par l’amour gratuit et désintéressé se révèlent comme les seules capables de produire et de cultiver les fruits d’une paix et d’une prospérité véritables, d’une plénitude de vie et d’un  bonheur durable. 


Mori Bruno  -   Montréal   10 août 2022


M

lundi 11 juillet 2022

 

Le « bon samaritain » ou la religion désavouée    

(Luc 10,29-37)

     Chaque fois que je me trouve devant ce texte de l’évangile de Luc je ne peux pas m’empêcher de ressentir un énorme malaise et une forte sensation de honte, car je me reconnais pleinement dans les deux individus qui font semblant de ne pas remarquer le pauvre diable agressé et abandonné presque mourant au bord de la route et qui continuent tranquillement leur chemin comme si de rien n’était.  

Je me demande, avec une certaine angoisse, pourquoi je m’identifie spontanément avec ces deux minables figures. Je cherche à comprendre qui, quoi, quelle éducation, quelles circonstances, ont fait de moi la personne lâche, craintive, attachée à mes aises, à ma tranquillité et à mon petit confort que je suis devenu, en contradiction avec tout ce que voudrais être, avec ce que je pense, avec ce que je prêche, ce que j’admire et ce que je ressens au plus profond de moi-même. Je cherche à saisir les causes de cette dichotomie et de cette inauthenticité. C‘est pour cela que la confrontation avec l’évangile me dérange, me fait peur et que je suis toujours très mal à l’aise en sa compagnie.  

Finalement, que cela me plaise ou pas, je suis arrivé à la conclusion que moi aussi je suis le produit de mon temps et le lamentable résultat de la société et du monde occidental auxquels j’appartiens, qui m’ont formé et dont je respire, sans m’en rendre compte, la culture et la mentalité.

 Il s’agit malheureusement d’une société construite sur l’individualisme, l’égoïsme, l’indifférence, sur la recherche du pouvoir donné par l’argent et le capital, sur le mythe et l’illusion de la consommation à outrance et du progrès sans fin acquis au prix de l’exploitation des personnes, du pillage et de la dévastation des ressources naturelles de la Planète.

 Il s’agit d’un monde où l’oppression et la violence semblent être des phénomènes tellement normaux que non seulement nous sommes devenus insensibles à l’énorme masse de blessures et de souffrances que notre mode de vie occasionne ; mais il s’agit aussi d’un monde où nous nous sommes transformés en des personnes cyniques et éteintes intérieurement et spirituellement. Cela explique, d’un côté, pourquoi nous sommes incapables de voir et de nous indigner devant l’énorme quantités de dégâts et de misères causés par notre style de vie et nos politiques capitalistes prédatrices, stupides et suicidaires ; et de l’autre côté, pourquoi nous sommes tous devenus les complices lâches et irresponsables d’agissements (« géopolitiques ») insensés, barbares et inhumains. 

 Au travers de mes crises intérieures, j’ai découvert que, en réalité, ce n’est pas nous qui jugeons de la qualité des contenus de l’évangile, mais que c’est plutôt l’Évangile qui juge de la bonne ou de la mauvaise qualité de nos actions et du contenu de notre vie. J’ai ainsi compris que c’est uniquement en nous regardant dans le miroir de la parole de Jésus et en nous confrontant à elle que nous pouvons connaitre de quel bois nous chauffons, la vérité de notre être, la qualité de notre personne et entrevoir les chemins que nous devrions emprunter pour atteindre notre pleine humanisation et le salut du monde. L’évangile alors, par une sorte de contraste, nous montre un mode d’être humain en ce monde immensément plus valable que tous les modèles offerts par nos sociétés modernes, mais, hélas, combien plus difficile à réaliser, étant donné qu’il va à contre-courant de tous ce que normalement nous désirons et nous faisons.  

 La parabole du « bon samaritain » constitue, à mon avis, la critique la plus amère jamais adressée à la religion. Le caractère explosif de cette parabole consiste dans le fait de présenter la religion comme une institution non seulement incapable de nous dire qui est et où se trouve notre prochain, mais aussi inapte à poser les gestes du soin et de la compassion sur lesquels elle fonde pourtant les raisons de son existence.

En effet, s’il y a des personnes qui par vocation, par devoir, par cohérence auraient dû secourir l’individu agressé, ce sont bien le prêtre et le lévite, qui pourtant passent outre avec indifférence. La parabole présente, par contre ce samaritain, qui pour les juifs est l’impie et le mécréant par excellence, comme le seul qui, en réalité vit et pratique les exigences les plus fondamentales de toute vraie religion.

 Dans ce récit, Jésus se sert de l’attitude du samaritain, capable d’éprouver empathie, tendresse et pitié, là où les représentants attitrés de la religion n’éprouvent qu’indifférence et mépris, pour condamner, d’un côté, les attitudes déshumanisantes et aliénantes de la religion et, de l’autre, pour faire comprendre quelles sont les vraies dispositions qui doivent animer le comportement de tout être humain et donc, à plus forte raisons, celui de ses disciples.

  Remarquons finalement que, pour l’évangile, le « prochain » n’est pas seulement l’autre dans le besoin, mais c’est surtout moi qui, comme le samaritain de la parabole, je me suis fait « proche » de l’autre, en me laissant atteindre par sa souffrance. Le prochain c’est ma vie et mon cœur posés près du frère en détresse afin que celui-ci puisse trouver en leur compagnie les motivations, le courage et l’espoir dont il a besoin pour se redresser, continuer à vivre et être heureux.

 Dans cette parabole Jésus semble vouloir enseigner qu’il n’y a qu’une seule attitude qui compte dans la vie d’une personne : celle de l’amour. Pour Jésus, il n’y a pas un amour pour Dieu et un amour pour le prochain. Il n’existe qu’un seul amour : celui envers le prochain !

 Ici Jésus veut faire comprendre que Dieu n’est pas dans les pratiques religieuses, dans les rites du temple, dans les fonctions sacrées des prêtres et des lévites, mais dans l’homme blessé sur le bord de la route et que notre unique et vraie religion consiste à le soigner.

 Cette parabole, symptomatique du contenu de tout l’enseignement de Jésus de Nazareth, nous oblige à admettre que, finalement, l’évangile n’est pas vraiment un livre de religion, mais une école d’humanité. Avec cette parabole Jésus a fait sortir la religion de la synagogue, du temple, des églises, des mosquées, etc., pour la placer dans notre capacité et dans   notre disponibilité à aimer comme lui-même a aimé. 

 

Bruno Mori  - Montréal  le 14 juillet 2022