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mardi 29 mars 2022

 

Le Père prodigue ou le triomphe de la gratuité

(4e dim. carême, C – Lc 15, 1-32)

On pourrait effacer tous les contenus des évangiles et garder seulement la parabole du Père du fils libertin et on aurait l’essentiel du message de Jésus. Car, finalement, toute la nouveauté de son enseignement est dans la révélation de ce Père, figure de son Dieu, dont le cœur est un abîme de tendresse, de miséricorde et d’amour, mais qui doit gérer l’égoïsme, la mesquinerie et les bassesses de ses deux enfants qu’il veut, malgré tout, rendre heureux

À mon avis, cette parabole marque un virage fondamental non seulement dans la façon humaine de concevoir et de présenter le Mystère de Dieu, mais aussi dans la façon de comprendre le sens et le but de la vie et de la présence de l’homme en ce monde.

Cet abîme de bonté, incarné par le père de la parabole qui submerge et cache, pour ainsi dire, la misère humaine et spirituelle de ses enfants dans la profondeur de son amour, est là pour nous faire comprendre à quelle source Jésus nous invite à nous abreuver et quel genre de rayonnement nous devons à notre tour dégager. Face à ce Père qui nous génère, nous attend, nous reçoit et nous serre dans l’étreinte d’un amour totalement gratuit, inconditionné et, pour nous, presque insensé, nous ne devrions pas avoir d’autres choix que de l’accueillir dans l’émerveillement de sa qualité, de sa nouveauté, afin d’en vivre et avec lui transformer le monde

 Par l’image de ce père, Jesus nous révèle donc la nature de « son » Dieu. Il nous le présente comme un Être qui ne sait qu’aimer ; qui aime sans conditions, sans raisons, sans clauses, sans limites et dont la bienveillance et la tendresse nous sont toujours assurées, indépendamment de nos fautes et de nos mérites. C’est un Dieu qui se complaît dans l’amour et la miséricorde et nos pas dans les sacrifices[i] (Os 6,6 ; Mt 9,13)

On se rend tout de suite compte que le Dieu de Jésus est à l’opposé du Dieu de la religion judéo-chrétienne.  Le Dieu de cette religion est un Seigneur tout-puissant qu’il faut apprivoiser, calmer, se rendre propice, acheter (par nos sacrifices et nos supplications et nos mérites) pour qu’il nous donne sa « grâce »,ses faveurs, sa protection, son pardon et le salut éternel. Ce Dieu ne connait pas la gratuité, mais seulement le marchandage, la rétribution pour la soumission, les ouvres et les bons services rendus. C’est donc un Dieu qui accepte seulement l’homme en règle et « juste » et qui rejette et condamne le « pécheur» qui ne suit pas les règles tracée à l’avance par le système religieux. Nous sommes ici à des années lumières du comportement du père de la parabole.   

Le père de la parabole ne demande pas au fils défait et humilié qui, après son aventure tragique, revient à la maison, une compensation et des excuses. Il n’exige pas qu’il rembourse l’argent qu’il a gaspillé, ou qu’il paie maintenant un loyer ou une pension ... rien de tout cela ! À la place, il le couvre de sa tendresse et du débordement insensé de son amour.  C’est jusque-là que va la gratuite de l’amour ! C’est ainsi que le Dieu de Jésus se comporte ! C’est cette même attitude et cette même qualité d’amour que Jésus propose comme mode de vie à ses disciples, étant donné qu’il est convaincu que chaque humain est sorti du Mystère de Dieu et qu’il est habité par son Esprit.

C’est en cela que consiste la nouvelle logique de l’évangile qui n’est plus la justice du « do ut des »,… tu fais une gaffe, tu écope…; tu fais le mal , tu en assume les conséquences ; tu commets un crime,  tu seras punis ;  tu te coupes, tu  vas saigner !  …Mais la logique folle d’une autre justice qui guérit et qui sauve sans frapper, sans humilier et sans anéantir, parce que la mesure de sa référence est celle de l’amour qui veut toujours et sans conditions le bien de l’être aimé.

Le drame de la religion chrétienne est d’avoir remplacé la logique de la gratuité de l’évangile, par la logique d’une justice « commutative »   où la miséricorde, la bienveillance, le pardon et le salut ne sont pas obtenus gratuitement, mais donnés par Dieu  « en échange » du  sacrifice de son Fils (« qui nous a acquis et mérité  le salut ») et ensuite en échange des « sacrifices » et des «mérites»  des croyants.

Ce passage de la gratuité de l’amour, à l’achat de l’amour et de la grâce de Dieu accordée en échange des «bonnes œuvres », des  mérites  et des sacrifices, a eu de lourdes conséquences non seulement sur la pratique et la spiritualité chrétiennes, mais aussi sur configuration de la société occidentale en général.

En  effet, si nous gardons présent à l’esprit le fait que la civilisation et la culture occidentales ont été moulées par la religion chrétienne, nous pouvons mieux comprendre pourquoi la mentalité de l’échange  et du «commerce» soit si profondément ancrée et présente en Occident, au point que cette partie du Globe s’est transformée  très tôt en une immense société capitaliste de marché régie par la compétition, la concurrence, l’agressivité, la consommation; où tout est négociable et monnayable; où plus rien n’est gratuit; où tout doit être  gagné et acheté , où  les seules valeurs qui comptent sont celles de l’argent, du profit et du pouvoir, avec l’aveuglement, l’insensibilité, l’irresponsabilité  et  la  folie qui souvent les accompagnent. 

Voilà alors l’urgence de retourner et de se convertir à la gratuite de l’Amour de l’évangile seule capable de  faire sortir l'humanité de la logique criminelle du pouvoir, ainsi que de l’impasse où l’aveuglement, la stupidité, la cupidité et l’irresponsabilité de ses gouvernants l’ont confinée. La réflexion sur la figure du Père de cette émouvante parabole  peut nous y aider. 

Une chose est certaine : celui qui a saisi la véritable nature du père de cette parabole, ne sera plus jamais  capable à  Noël de chanter le «Minuit Chrétien» à un petit Jésus venu au monde  «pour effacer la tache originelle - et de son père arrêter le courroux.».

B.M.   – Montréal 23 mars 2022  



[i] Cfr.: Os 6,6 ; Mt 9,13 .

lundi 21 mars 2022

 

THÉISME OU POST-THÉISME ?  DANS QUEL « UNIVERS » SE SITUER ?

 

La critique fondamentale que la majorité des croyants traditionnels (théistes) adressent au post-théisme moderne s’enracine fondamentalement dans le fait que ce courant de pensée religieuse refuse l’idée d’un Dieu (« Theos ») conçu comme une Entité anthropomorphique, surnaturelle, personnelle et toute-puissante qui existerait dans son identité singulière en dehors de la réalité naturelle et physique de notre monde.

Les post- théistes considèrent une telle conception de Dieu comme un mythe et donc comme un produit de l’imagination humaine qui n’a aucune correspondance dans la Réalité. Ils reprochent donc aux croyants traditionnels théistes de ne pas se rendre compter que pour rendre « Dieu » acceptable et aimable à leurs yeux et à leur cœur, ils le transforment en une Entité conçue à leur « image et ressemblance », et donc en un produit de leur désir et en une fiction de leur esprit. 

Les théistes se comportent ainsi exactement comme l’avait prévu ce philosophe ancien (je ne sais plus si c’était Parménide ou Épicure ou, plus proche de nous, Spinoza) qui, traitant de la façon humaine de concevoir Dieu, affirmait que celle-ci n’est pas différente de celle que les vers de terre auraient s’ils étaient des créatures intelligentes, conscientes et religieuses comme nous. Ces lombrics ne seraient certainement pas portés à concevoir leur dieu comme un beau gros merle dans le ciel, mais plutôt comme un super beau, gros, reluisant vers de terre qui leur donne le goût et l’envie de s’y frotter et de l’enlacer.

De sorte que les croyants traditionnels, en voulant à tout prix faire de Dieu le partenaire d’une relation personnelle aimante et gratifiante, ainsi que le garant et le tuteur de leur bien-être et de leur bonheur, fournissent eux-mêmes au post-théisme les arguments pour critiquer et refuser leur forme de foi.

Les post théistes ont aussi pour leur dire que les croyants traditionnels théistes n’ont la moindre idée du Mystère abyssal qui se cache sous le nom de « Dieu ». Pour les adhérents du post-théisme qui, sur ce sujet, ont adopté le point de vue de la majorité des grands penseurs et des représentants des sciences et de l’astrophysique modernes, le mot « Dieu » n’est qu’un nom, qu’un son et qu’un symbole qui, comme disait déjà si bien Einstein, ne sert aux humains qu’à exprimer leur ignorance et à nommer le vide total de connaissances à propos du Mystère de Dieu. Toutefois, pour ne pas trop dénigrer les capacités intellectuelles des humains, Einstein ajoutait, en  guise de consolation,  qu’ «en tant qu’êtres humains, nous avons cependant été dotés de ce qu’il faut d’intelligence pour nous rendre compte à quel point celle-ci est inappropriée à percer le Mystère (Ultime)  de l’existence[i]».

Pour ma part, lorsque je regarde le nombre de religions et de croyants pour lesquels « Dieu » est le nom qu’ils donnent à leur prétention (qui n’admet aucun doute) de tout  savoir sur son compte, je pense que l’optimisme de Einstein sur la dose suffisante d’intelligence que tous les humains  possèdent pour saisir au moins les limites de  leurs  possibilités, est loin d’ être vraie.

De fait, pour la religion chrétienne, Dieu n’est plus un Mystère. Le dogme catholique est sûr et se vante de connaître presque tout, ou presque, sur Dieu : sa nature profonde, son fonctionnement interne et même l’intimité de ses relations personnelles. De sorte que, dans le monde croyant catholique, le mot « Dieu » qui aurait dû servir comme nom ou symbole pour indiquer le Mystère Ultime et l‘impossibilité humaine de le déchiffrer, a été converti en une figure totémique imaginaire à l’apparence humaine et désormais sans plus aucun mystère. 

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 Il faut toutefois admettre que les dynamiques qui dans l’imaginaire collectif sont à la base de ce processus de création du mythe d’un « Theos là-haut », sont finalement assez naturelles et compréhensibles, lorsque on considère les conditions de vie des hommes du néolithique qui l’ont créé.

Les humains de ces temps reculés devaient en effet résoudre non seulement les problèmes matériels concernant leur survie quotidienne, mais ils étaient surtout confrontés à la question psychologique et « métaphysique » de savoir comment vivre sans trop d’angoisse, de peur, de souffrances dans un monde dangereux et au sein d’une société en formation oppressive et violente. C’est grâce à la puissance de leur imagination qu’ils ont été capables de se donner les visions et les croyances dans lesquelles ils ont trouvé leur confort et leur salut.

Les post-théisme pense  que la croyance en un Dieu personnel et providence là-haut, n’est que l’aboutissement d’un long processus d’élaboration et de décantation d’archétypes archaïques aussi bien de fascination et d’émerveillement devant le caractère  mystérieux et sacré des phénomènes  naturels, que  d’angoisses, de peurs,  de  luttes pour la vie, d’espoirs de divinités propices et d’Éden promis, de rêves d’éternité, de bonheurs possibles, de saluts espérés, etc., encodés depuis la nuit des temps dans l’inconscient  ou l’imaginaire collectif et qui, à un certain stade de  évolution  humaine ont trouvé leur meilleure manifestation dans les croyances religieuses de l’humanité .

            Pour le post-théisme, cependant, le fait d’affirmer l’impossibilité humaine de pénétrer le Mystère de Dieu, ne signifie pas nier la possibilité ou la réalité de son existence.  De fait, pour les post-théistes, les raisons qui induisent à admettre la Présence d’un Mystère Ultime à l’œuvre dans l’Univers sont réelles et incontestables ; et si ceux-ci sont convaincus que la nature de cette Présence est et restera toujours inaccessible à l’intelligence humaine, ils admettent volontiers que son caractère fascinant et merveilleux peut être facilement capté par la sensibilité de notre cœur et de notre esprit

D'ailleurs ,  déjà en son temps Einstein écrivait  : « Il me semble que l’idée d’un Dieu à forme humaine est un concept que je ne peux pas prendre au sérieux…Mes vues sont proches de Spinoza [ii]: admiration de la beauté (de la Nature et de l’univers) et croyance en la simplicité logique  de l’ordre et de l’harmonie  que nous ne pouvons saisir qu’humblement et imparfaitement ». [iii]  Et ailleurs  Einstein disait aussi  « Ma religion consiste en une humble admiration de l’esprit infiniment supérieur qui se révèle dans le peu que nous pouvons comprendre du monde connaissable ». [iv] Et encore : « Je ne crois pas en un Dieu personnel…S’il y a quelque chose en moi que l’on puisse appeler « religieux », ce serait alors mon admiration sans bornes pour les structures de l’univers pour autant que notre science puisse le révéler. » 

Il est normal que la position post-théiste ne plaise pas aux croyants traditionnels, étant donné qu’elle les prive des repères religieux et éthiques auxquels ils sont habitués, ainsi que du sentiment de sécurité, de réconfort, de protection et de paix que la croyance en une divinité personnelle leur procure.  

J’admets qu’il n’est pas facile pour les théistes de reconnaître et d’accepter que leur conviction d’un « bon » Dieu là-haut qui n’existe que pour subvenir à leurs besoins et  pour les soutenir à travers les tribulations de leur voyage terrestre, n’est qu’une illusion et le produit de leurs rêves et de leurs désirs. Je comprends donc leurs raisons pour en vouloir aux post-théistes qui détruisent les fondations sur lesquelles ces premiers  ont bâti tout leur monde intérieur, ainsi que le sens de leur existence.

Le post-théisme, de son côté, est d’avis qu’il est urgent d’aider les nouvelles générations « croyantes » à fonder le sens de leur existence et la qualité de leur spiritualité sur d’autres bases et d’autres convictions que celles des fictions et des mythes proposés par la religion et auxquels, de toute façon, les gens de la modernité sont de moins en moins capables d’adhérer et que, de toute façon, tôt ou tard ils finiront par rejeter.   

 

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Par ailleurs, si quelqu’un pense que la vie des post-théistes soit maintenant plus facile et plus aisée à vivre, il se trompe.

Il faut beaucoup de force intérieure, de courage, de détermination pour accepter de s’aventurer dans un univers mental, culturel, spirituel totalement diffèrent de celui auquel   on est habitué. Il n’est pas facile en effet d’accepter de vivre dans un univers où tout est à refaire, à repenser et à reconstruire ; un univers où l’adaptation aux nouveaux contenus peut se révéler extrêmement pénible et difficile pour la personne croyante à cause d’une angoissante sensation de vide et d’égarement produite par la perte des anciens repères et des anciennes certitudes. 

Il faut avoir la trempe de l’aventurier, de l’explorateur et du pionnier pour oser quitter les demeures familières, les sentiers battus, les chemins bien tracés, les territoires bien mappés et se risquer vers l’inexploré, à la recherche d’horizons et de paysages plus conformes à notre nouvelle culture, à nos nouvelles sensibilités.

Il faut donc s’attendre à ce qu’il y ait un prix à payer pour que cette « adaptation » réussisse. Nous devons inévitablement passer à travers les péripéties d’une difficile recherche ; à travers un certain égarement existentiel ; à travers des moments pénibles de tâtonnement et d’obscurité ; à travers l’affolement spirituel causé par la perte du Dieu personnel auquel nous ne pouvons plus ni croire ni nous attacher.

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     Lorsque, avec du recul, je réfléchis sur le rôle de premier ordre que, dans l’histoire de l’humanité, les croyances religieuses ont joué pour rendre moins pénible et plus acceptable la vie aux humains, je suis, fortement tenté, comme déjà Karl Marx en son temps, de comparer ces croyances » à une forme d’opium du peuple fabriqué par l’angoisse humaine.  

Ainsi, pour la grande majorité des humains, la « drogue » de la croyance religieuse est vraiment devenue la réponse à leur urgent besoin aussi bien d’oublier l’état essentiellement éphémère et non-nécessaire de leur présence sur cette planète, que de faire face, avec une certaine insouciance, au caractère foncièrement angoissant et dramatique de leur existence.

Cela explique pourquoi cette « drogue » est si « universelle » et si en demande. Certes, c’est une drogue qui a énormément contribué à rendre plus vivable et plus heureuse l’existence des personnes croyantes. Mais son efficacité a réussi aussi à transformer un grand nombre d’humains en des « toxicomanes » incapables désormais de s’en passer et d’entrevoir une autre façon d’affronter leur existence.

Ces considérations peuvent alors nous aider à comprendre les raisons de la « rogne » presque instinctive que les croyants théistes  traditionnels  réservent au courant moderne du post-théisme qui les prive de leur «dose» habituelle et qui les oblige impitoyablement à  devoir faire face à dure réalité de l’ existence, en comptant uniquement sur  leur  potentiel humain : c’est-à-dire, sur la force et le courage de leur volonté, sur  l’authenticité de leur sagesse, sur la qualité de leur humanité, sur la finesse de leur sensibilité et sur  profondeur de leur spiritualité.

Tout compte fait, cette croyance dans un bonheur et dans un salut accordé par Dieu uniquement aux plus méritants de ses enfants, ne constitue-t-elle pas une forme d’aliénation, un détournement d’attention, d’intentions et d’énergies chez les humains ? N’est-elle pas une sorte d’alibi qui sert à justifier une insuffisance de réalisme et de lucidité ; une certaine forme d’irresponsabilité ; le manque d’une véritable volonté de travailler à la construction des conditions existentielles plus aptes à assurer notre salut et notre bonheur ici et maintenant ?

Je pense qu’il existe une question importante que ces croyants devraient se poser. Pourquoi serait-il meilleur, plus intelligent, spirituellement plus valorisant et plus digne de notre condition humaine, de faire dépendre notre bonheur de la bonté et de l’amour d’un Dieu paternel et imaginaire là-haut, qui nous accueillerait éternellement dans son beau paradis du ciel, plutôt que de le faire dépendre du paradis sur terre que nous, les humains, pourrions construire à travers notre dévouement, notre bonne volonté et par étendue de nos compétences ?  

Finalement, je pense que la croyance religieuse, en arrimant d’une façon exclusive notre intérêt et notre regard intérieur en un Dieu personnel là-haut, nous détourne de la compréhension de notre véritable valeur et de la découverte du sens et du but de notre présence dans l’Univers, ainsi que l’énorme importance des responsabilités que nous portons en tant que uniques créatures intelligentes et « aimantes » en ce monde.

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Par Bruno Mori – 

Montréal  mars 2022   


 



[i] A. Einstein , Lettre à la Reine Élisabeth de Belgique, septembre 1932.

[ii] Baruch Spinoza  conçoit  « Dieu »   comme une   Énergie impersonnelle  et infinie qui se confond  avec les forces et les lois  qui régissent l’Univers,   

[iii] Albert Einstein, Lettre à w. Gross. 26 avril l 1947, cité par Trinh Xuan Thuan,  Vertige du cosmos,  coll. «Champs sciences »,  Flammarion, page 426  . 

[iv][iv] A. Einstein,  Lettre à  M. Schayer, le 1er août 1927. Cité dans Dukas et Hoffmann, Albert Einstein, the Human Side, 66, et dans sa nécrologie dans le New York Times du 19 avril 1955. Archives Einstein 48-380.

[v] A. Einstein,  Lettre à la reine Élisabeth de Belgique, du 24 mars 1954.

[vi] Cette croyance « religieuse » qui fait dépendre le bonheur « ultime » de l’homme d’une fiction humaine sur Dieu, ne réussit finalement qu’à nous aliéner de nous-mêmes, nous empêchant de nous percevoir comme les seuls responsables de notre bonheur et comme les uniques artisans de notre salut. Cette croyance nous empêche aussi de creuser en nous, de descendre dans ces profondeurs où se cache le meilleur de notre être et où, depuis toujours, est gardée l’étincelle capable d’allumer en nous les feux d’un amour généreux et désintéressé

mercredi 2 mars 2022

 

Les deux logiques

(7e dim. ord. C – Lc. 6,27-38)

Il est difficile, face à une page d’Évangile comme celle d’aujourd’hui, de ne pas réagir émotivement. Les réactions peuvent être différentes : « C’est un texte inhumain, ses besoins sont excessifs!... Je n’ai jamais compris ces mots ! ... Ce programme n’est pas pour tout le monde ; ce qui est demandé ici, dépasse toute logique ... Jésus est un rêveur et un idéaliste ... ». Si on cherchait à mettre en pratique ce que Jésus propose ici, personne ne réussirait à se frayer un chemin dans la vie. Pour survivre, il faut lutter, se battre, être agressif, savoir se défendre… pas question de tendre l'autre joue ! Dans la vie, pour percer, pour réussir, il faut être rusé, ne pas faire confiance, être constamment sur ses gardes ; si l’on veut vaincre la concurrence, gagner la compétition, on doit être capable de courir plus vite que les autres et de frapper plus fort que les autres… Pas question de se laisser devancer, de donner gratuitement, de prêter sans intérêt ou sans s’attendre à en tirer du profit. Comment survivre à la compétition acharnée et sans pitié du marché avec une telle logique ? ».

 Il faut donc en conclure que ces directives évangéliques sont le rêve d’un idéaliste qui n’a pas les deux pieds sur terre et qu’elles sont donc sans valeur, car pratiquement inapplicables ? Doit-on dire que Jésus est un rêveur qui propose un idéal de vie utopique et irréalisable ? Je pense que pour prendre au sérieux ces normes de vie déstabilisantes et perturbatrices, nous devons garder toujours présent à l’esprit que Jésus n’a pas l’intention de parler ici des comportements et des attitudes que les hommes doivent avoir dans leur monde ou, dans leur société. Jésus veut parler ici du comportement et des attitudes que les hommes doivent adopter lorsque, abandonnant leur monde, leur mentalité, leur mode de vie humain, à la suite d'une transformation intérieure, d’une conversion, ou d’une renaissance spirituelle, ils décident de rejoindre le monde de Dieu, ce monde nouveau que Jésus appelait le «Royaume de Dieu», qu’il voulait établir sur la terre et qui a toujours été son rêve le plus cher.

 En d’autres termes, Jésus veut nous dire : « les hommes dans leur monde se comportent d’une certaine manière (ils n’aiment pas leurs ennemis, ils ne bénissent pas ceux qui les maudissent, ils n’aiment que ceux qui les aiment ; ils ne font du bien qu’à ceux de qui ils peuvent ensuite tirer un profit ou un avantage ; ils règlent leurs problèmes par la force, la violence et la vengeance, etc.), mais dans le nouveau monde que je veux laisser en héritage, les hommes agissent différemment. Ils cherchent désormais à conformer leur comportement sur celui de « mon » Dieu, qui est un Être qui agit uniquement et exclusivement motivé par sa miséricorde, sa bienveillance et son amour.

Entrer dans cette logique divine qui est à l’envers de celle des hommes signifie devenir, comme Jésus, « fils de Dieu ». À ce stade, chacun de nous est invité à « réécrire » son comportement avec les caractères de ces nouvelles « normes évangéliques ». Alors le problème n’est plus de savoir si oui ou non il est sage ou faisable d’« aimer mes ennemis », de « présenter l’autre joue, etc. », mais de décider si, en tant que chrétien et disciples de Jésus qui a adopté sa « Voie », je veux, oui ou non, vivre selon sa nouvelle logique et m’éloigner le plus possible de la vieille logique qui a fait du monde des hommes un endroit malade et pitoyable.

          Vivre et aimer de cette façon nous semble donc impossible. Nous sommes cependant encouragés et soutenus par l’exemple de Jésus. Les directives qu’il propose à ses disciples et qui nous paraissent impraticables, il les a réellement lui-même pratiquées et vécues au cours de sa vie. En effet, il a vraiment expérimenté dans sa chair ce que signifie être détesté, incompris, trahi, vendu, abandonné, battu et tué. Il a vraiment aimé ceux qui le haïssaient, il a vraiment béni ceux qui le maudissaient ; il a vraiment pardonné à ceux qui le torturaient.

Jésus parle donc en connaissance de cause. C'est pour cela que pour nous, ses disciples, ces paroles difficiles de l'Évangile ne sont ni de la folie ni de l'absurdité. En regardant Jésus, le chrétien sait que seulement à ceux et celles qui, comme Jésus, se sentent habités et désaltérés par l’« eau vive » d’une Source qui leur vient d’ailleurs, sera peut-être donnée la grâce et le pouvoir de réaliser cette extraordinaire qualité d'amour dans leur vie.

 

Bruno Mori

Février 2022

 

 « POUR UN CHRISTIANISME SANS RELIGION  - Retrouver la "Voie" de Jésus de Nazareth »  

 

est le titre d’un  livre  de 296 pages que j’ai  publié en septembre 2021  aux éditions Karthala de Paris et qui pourra intéresser  les chrétiens de notre temps qui ne se  sentent  plus à  leur place  au sein  de catholicisme  soit  parce qu’ils  ne sont plus  capables  de croire  aux dogmes et  aux doctrines  proposées par l’Église, soit ou parce qu’ils sont à la recherche d’une nouvelle forme de spiritualité  plus conforme avec leur nouvelle  sensibilité  et leur nouvelle culture.

 Le Livre est disponible en libraire. J’en conseille fortement la lecture à cette catégorie de croyants.

Une édition digitale en langue espagnole de ce livre est aussi disponible gratuitement sur Internet. Il suffit de demander  « Por un cristianismo sin religion » au  moteur de recherche de Google.