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lundi 25 octobre 2021

        L’homme qui avait peur du noir

(30 dim. ord. B – Mc 10, 45-52)

Dans presque toutes les grandes religions du monde l’éveil de l’être humain à la pleine conscience de soi, à la perception de sa profondeur et de son sens, de la finalité à donner à son existence afin d’arriver à une satisfaisante réalisation de soi et à une sereine acceptation de sa présence en ce monde, est toujours qualifié d’illumination. Ce terme veut indiquer le passage de l’esprit de la personne d’un état d’obscurité, d’ignorance, de confusion chaotique dans la perception de soi et de la Réalité qui l’entoure, à un état de fulguration lumineuse qui tout éclaire.

Dans la Bible, le récit mythique raconte que c’est d’abord par le geste créateur de la lumière que Dieu fait surgir le monde des ténèbres et du chaos original pour en faire un cosmos merveilleux et ordonné.

Également, lorsque dans le NT, l’évangéliste Jean, au début de son évangile, voudra décrire l’origine du mouvement chrétien et expliquer la nature et le sens de la présence de Jésus dans notre monde et dans la vie de ses disciples, il le présentera comme la venue et l’offre d’une lumière qui vient chasser les ténèbres du mal qui depuis toujours s’étaient installées et avaient colonisé le cœur de l’homme. En même temps Jean présentera l’arrivée de cette lumière comme un drame, puisque beaucoup ne l’ont pas accueillie et ont préféré leurs ténèbres à sa lumière.

Les humains restent cependant fondamentalement des êtres qui, comme les phalènes de la nuit, sont irrésistiblement attirés par la lumière du sens et de la connaissance. Atteindre l’illumination, a toujours été le rêve et le but de toute quête humaine d’accomplissement et de bonheur, ainsi que la promesse des religions à leurs fidèles.

Et en cela le christianisme ne fait pas exception. Les auteurs chrétiens de la seconde moitié du premier siècle qui ont rédigé les évangiles, présentent Jésus comme un être de lumière venu en ce monde pour l’éclairer de ses valeurs et de sa sagesse. Ainsi, Jésus apparaît souvent à ceux qui le fréquentent comme un homme lumineux et transfiguré par l’éclat qui émane de son âme et de la qualité fascinante de sa personne et de son esprit épris de son Dieu et du bonheur de ses frères.

 Dans les Évangiles les disciples de Jésus aussi sont souvent qualifiés d’enfants ou de fils de la lumière et le baptême, qui officialise leur adhésion au mouvement de Jésus, est considéré comme un rite d’illumination  qui  les fait définitivement passer du péché à la grâce, de l’égoïsme à l’amour désintéressé, des ténèbres  à la  lumière  dans un monde où ils doivent  resplendir comme des lampes  toujours  allumées.

Si ce passage des ténèbres à la lumière est important pour tout humain, il devient essentiel pour chaque chrétien qui s’engage, à la demande et à l’exemple de son Maître, à être à son tour dans le monde une source de lumière pour tous.

De sorte que, dans le récit de l’évangile d’aujourd’hui, on comprend la frénésie, l’empressement et, en même temps, le sentiment d’urgence et le cri à l’aide par lesquels l’homme l’aveugle, immobilisé au bord de la route, cherche et demande à être libéré de l’aveuglement et de l’obscurité qui ont toujours rendu misérable et angoissante son existence. Cet aveugle est ici l’image et le prototype de tous les chrétiens et de tous ceux que l’aveuglement intérieur empêche de marcher sur le chemin de leur réalisation humaine, religieuse et spirituelle, les condamnant à une vie de banalités et d’insignifiance.

Les gestes exaspérés, exagérés, presque violents du comportement de l’aveugle Bartimée (il ne se lève pas, il saute en l’air ; il ne pose pas son manteau, il le lance loin ; il ne parle pas, il crie; il ne marche pas vers Jésus, il court ) manifestent son exaltation à la présence de la source (Jésus) de sa possible illumination,   mais aussi son anxiété, sa peur de rater sa chance de s’y abreuver et l’intensité de son désir de sortir,  une bonne fois, de cet enfers de ténèbres  et de non-sens dans lequel il avait précipité et égaré son existence .

Cet aveugle bloqué et immobilisé sur la route de son existence à cause de l’impossibilité de voir son véritable chemin, a reconnu en Jésus l’homme-miracle capable de l’illuminer et de lui ouvrir les yeux. Jésus, de son côté, arrêtera expressément sur voyage pour accueillir et exaucer cet homme assoiffé de lumière. Jésus fera cela pour lui permettre de comprendre et de réaliser comme peut être différente, plus belle, plus réussie, plus féconde, plus lumineuse et plus heureuse sa vie si, désormais, les yeux remplis de larmes et de lumière, il est disposé à le suivre sur sa « Voie ». Bartimée le fera. Et je suis sûr qu’il ne l’a jamais regretté.

Qu’en est-il de nous, les aveugles et les aveuglés du XXI siècle ?  Serons–nous capables, comme Bartimée, de crier à Jésus notre détresse causée par tous nos aveuglements et de courir à lui pour qu’il éclaire notre morne et sombre existence de la lumière de son esprit et pour qu’il la réchauffe de la chaleur de son amour ?

 

 Bruno Mori,                                                                            octobre 2021   

mercredi 20 octobre 2021

 

Le pouvoir de l’autorité

(29e dim. ord. B  -  Mc 10,35-45)

 

           Jésus a toujours catégoriquement condamné le pouvoir, mais jamais l’autorité que lui-même possédait en un dégrée extraordinaire, au point que ceux qui voyaient l’assurance avec laquelle il parlait et il enseignait se demandaient, avec émerveillement, d’où lui venait une telle autorité.

           Alors que le pouvoir se manifeste comme capacité d’imposer de l’extérieur sa volonté à d’autres individus par le recours à la contrainte, morale, psychologique ou physique, l’autorité se manifeste comme capacité de s’imposer aux autres de l’intérieur, non pas en utilisant la constriction, mais la persuasion et la conviction.

             Ainsi, utilise-t-il le pouvoir le père  qui pour se fait obéir ou  respecter par son fils  utilise la menace, violence verbale,  le châtiment  corporel; le macho abruti qui a recours au viol et  aux coups  pour montrer sa supériorité sur la femme ; le jeune libidineux qui, pour coucher vite avec  sa petite amie, menace de l’abandonner ; le petit truand, dans la cour d’école, qui terrorise et  taxe ses copains plus faibles pour leur soutirer de l’argent ou des objets; les autorités religieuses  lorsqu’ elles cherchent à imposer  l’acceptation de leurs dogmes et leurs doctrines  par inquisition, les tortures, les bûchers,  les excommunications, la menace de la damnation éternelle dans les flammes de l’enfer; les nations  qui cherchent à dominer d’autres pays en déployant la  puissance et  la sophistications de leur arsenal militaire.

             Ce tipe de pouvoir est, certes, la forme la plus facile de dominer et de résoudre cavalièrement les problèmes. Mais elle est aussi la forme la plus primitive et la plus stupide et donc la moins humaine et la moins civilisée qui existe de gouverner. N’importe quel imbécile, avec une mitraillette sous le bras, est capable de se sentir puissant et de croire qu’il a du pouvoir. Voilà pourquoi les hommes qui n’ont que ce pouvoir et qui cherchent à  s’imposer que par force brute  du pouvoir,  finissent inévitablement par devenir des ignobles et funestes figures de criminels qui souillent pour toujours l’histoire de l’humanité.

             Déjà en 1887, le catholique Lord Acton, dans une lettre à son archevêque l’informait que le pouvoir tend à corrompre, et le pouvoir absolu corrompt absolument. Les grands hommes sont presque toujours des hommes méchants[i]. Quatre siècle avant J.C., le grand dramaturge Sophocle affirmait que l’on ne peut connaître la vraie nature et le vrai caractère d’un individu qu’en regardant comment il gère le pouvoir.

             C’est donc avec raison que dans l’évangile d’aujourd’hui, Jésus met en garde ses disciples contre la tentation et les pièges du pouvoir. Cependant, s’il leur défend l’utilisation de ce type de pouvoir, il leur souhaite vivement d’acquérir de l’autorité. Jésus avait compris que le pouvoir, avec ses composantes de violence et de brutalité, est toujours le résultat de l’ignorance, du fanatisme et de l’idiotie de l’homme. Il avait compris aussi que les individus et les institutions qui ont recours ce type de pouvoir tout extérieur de la contrainte ou de la force physiques, sont habituellement ceux et celles qui font reculer l’humanisation de notre monde.  

              Jésus cherche alors à nous faire comprendre que le seul vrai pouvoir qui met les gens à nos pieds, non pas par obligation ou par peur, mais poussés par l’admiration, la joie, la confiance et l’amour, est celui intérieur qui a été acquis par l’autorité, c’est-à-dire, par la qualité de la personne. Ainsi n’importe quel malade est heureux de se soumettre et de confier sa vie à un bon médecin ou à un bon chirurgien. Ces spécialistes de la santé n’ont pas besoin de recourir à la force ou à l’imposition pour avoir du pouvoir sur leurs patients. L’autorité qui leur vient de leurs qualités humaines, de leurs connaissances et de leurs   compétences professionnelles est largement suffisante pour que les patients suivent avec joie, empressement et gratitude leurs directives et leurs ordres.

             Dans l’évangile d’aujourd’hui, Jésus a donc raison de nous mettre en garde contre les dangers du pouvoir. Il a compris que le pouvoir qui vient de l’imposition forcée est le néfaste produit d’une insatisfaction, d’un vide et d’un mal intérieur à la personne qui cherche, par ce moyen facile, à se valoriser. Alors que le pouvoir qui vient de l’autorité est toujours constitué par un courant bénéfique et salutaire dans lequel les personnes plongent avec joie et  par lequel elles se laissent volontiers transporter.

           Alors, il ne faut pas s’étonner que Jésus veuille indiquer à ses disciples par quelles attitudes ils trouveront leur efficacité et leur véritable grandeur. « Celui qui veut devenir grand, qu’il se fasse serviteur. Celui que veut être premier sera l’esclave de tous. 

             Mes chers amis, voilà, les paramètres de conduite sur lesquels, en tant que chrétiens, nous devrions construire toutes nos relations humaines. Demandons aujourd’hui au Seigneur de nous y aider. 

 Bruno Mori  -  Octobre 2021

 


[i] "Power tends to corrupt and absolute power corrupts absolutely. Great men are almost always bad men, even when they exercise influence and not authority:…. There is no worse heresy than that the office sanctifies the holder of it…",(Lord Acton, John Emerich Edward Dalberg,  Letter to Archbishop Mandell Creighton, April. 5, 1887)

 

lundi 11 octobre 2021

 

L’homme riche qui voulait posséder le ciel et la terre

(28 dim. ord. B – Mc 10, 17-30)

 

            Qu’est-ce que je dois faire pour avoir une vie éternelle ? C’est la question, que depuis l’aube de l’humanité, ce primate intelligent que l’on appelle homo sapiens, s’est posée aussitôt que la conscience de soi s’est allumée en lui. Depuis toujours l’être humain a vécu avec angoisse son état de créature vulnérable, fragile et mortelle. Il n’a jamais accepté sa finitude, ni apprivoisé l’inévitabilité de sa mort. De sorte qu’il a toujours rêvé d’une vie plus heureuse, plus accomplie et libérée enfin de toute peur et de toute souffrance au-delà des péripéties et des épreuves de son existence temporelle. Et pour donner consistance à ce rêve, les humains ont bâti des mondes imaginaires et merveilleux, remplis de bonheur et de vie qui les attendaient après leur mort. Avec le temps, les humains ont fini par attribuer une réalité ontologique aux constructions fantastiques de leur imagination et de leurs désirs. Et c’est ainsi que les religions sont nées, qui proclament et promettent un paradis de bonheur et de vie éternelle à leur fidèles.

            L’évangile de ce dimanche nous présente l’épisode de pieux juif, sans doute d’un âge avancé, pour lequel la vie est désormais plus en arrière qu’en avant et qui va voir Jésus pour lui demander s’il existe une façon sûre, claire et précise d’obtenir la vie éternelle. Cet individu cherche, de toute évidence, l’avis d’un expert, car pour lui, à ce stade de sa vie, l’enjeu est capital et il ne veut pas courir le risque de faire des erreurs. Cet homme est quelqu’un qui sait calculer, qui sait prévoir, qui sait gérer ses affaires pour qu’elles réussissent, qui sait comment bouger ses pions sur l’échiquier de la vie pour gagner toujours la partie. Il a l’habitude d’obtenir ce qu’il veut : et c’est pour cela qu’il a réussi à ramasser une grosse fortune et à devenir un homme riche.

            Or cet homme riche apparait ici comme quelqu’un qui possède non seulement beaucoup d’argent, mais aussi une énorme ambition. Il veut continuer à avoir une belle vie même après sa mort. Il a compris que l’avantage de posséder une fortune est nul, s’il peut tout perdre d’un coup à l’arrivée de sa mort. Il voudrait donc pouvoir signer un contrat d’assurance qui le protègerait contre cette terrible éventualité. Et c’est la raison qui le pousse à s’informer après d’un expert en vie éternelle sur les moyens et les stratégies à mettre en place à cette fin.

            Jésus semble surpris de la requête inusitée de cet individu original et aux désirs fous et il éprouve pour lui, nous dit Marc, un sentiment d’admiration et de sympathie. Ce n’est pas tous les jours que quelqu’un vient lui poser ce genre de questions. Cet homme lui plaît parce qu’il est sincère et qu’il a de grandes aspirations, même s’il ne se rend pas compte qu’elles sont impossibles à réaliser sans que son existence en soit totalement bouleversée.

 Cet homme voudrait en effet tout avoir : et les richesses qui lui assurent une belle vie ici-bas et les avantages d’une vie éternelle là-haut. Et il ne réussira pas à comprendre qu’au terme de son voyage sur terre, la gourde de sa vie doit nécessairement être présentée vide à la Source Ultime de l’être, pour qu’elle puisse être remplie de l’eau vive qui rejaillit en vie éternelle.

            Et c’est la raison pour laquelle Jesus veut faire comprendre à ce vieux juif, obnubilé et étourdi par sa richesse, qu’il peut bien posséder tout l’argent du monde, mais qu’en aucune façon il ne peut posséder la vie éternelle ; car celle-ci ne s’acquiert pas en se remplissant, mais en se vidant, non pas en « possédant », mais en « donnant ». « Celui qui veut garder sa vie, doit la perdre ».  Car, seulement l’amour est éternel ; et donc seulement les gestes d’amour qui se vident de soi-même, qui s’offrent, qui se donnent, qui pardonnent, qui partagent, qui aident, qui soulagent, qui guérissent et qui se déversent sans mesure là où il y a fragilité, manque, détresse, souffrance, etc…, seulement ces gestes ont une valeur et une saveur d’éternité. Seulement ces gestes ont la capacité de placer celui qui les a posés au cœur du Mystère éternel de Dieu et au cœur de ceux qui en ont bénéficié et où il vivra pour toujours.

Voilà pourquoi Jésus n’hésite pas à indiquer à cet homme, aux exigences et aux désirs inouïs, la route à suivre pour pouvoir réaliser son rêve de vie éternelle : « Va, - lui dit-il- vends tout ce que tu possèdes et donnes-le aux pauvres et tu auras un capital d’amour placé au ciel dans le cœur de Dieu. Et ensuite, devenu une nouvelle personne, libérée de tout encombrement, et riche seulement de sa bonté et de son amour, viens marcher sur ma Voie qui t’aidera dès maintenant à donner à ta vie un goût d’éternité ». 

            À la grande déception de Jésus, ce pieu juif se révélera finalement un individu davantage préoccupé de son argent que de son projet d’éternité. Le miracle que Jésus espérait n’est pas arrivé. Et c’est ainsi -note l’évangéliste - que l’homme riche s’en retourna chez lui à jouir de ses biens dans l’amertume et la tristesse.

            La rencontre avec cet homme, sera aussi déterminante pour Jésus et pour le développement ultérieur de sa pensée sur la question de l’argent et de la relation à la richesse. En effet, le comportement et la réaction de ce riche induiront Jésus à réaliser le caractère fondamentalement tragique, néfaste, pervertissant et aveuglant de la cupidité humaine, lorsqu’elle s’installe comme unique système opératif et programme de base du comportement d’un individu.

            Ainsi, à partir de cette triste et décevante expérience, Jésus s’érigera désormais sans pitié contre l’avarice et la cupidité et condamnera, avec une détermination et un courage jamais égalés auparavant, autant l’accumulation obsessive de la richesse, que l’attachement névrotique et compulsif à l’argent. Attitudes qui transforment presque toujours les grands riches en des êtres inhumains, égoïstes, mesquins, aveugles et stupides.


À ces personnes, Jésus réservera les paroles de condamnation les plus dures et les plus impitoyables de toute sa prédication : « Jamais, - affirmera-t-il - un tel type de personne n’entrera dans le Royaume de Dieu ! ».

 

Bruno Mori - 5 octobre 2021