À cause de sa
doctrine sur le salut et la rédemption obtenus par la mort «sacrificielle» du
Christ en croix, le christianisme a toujours été porté à survaloriser le rôle
et l’importance de la souffrance dans la vie et la spiritualité de ses fidèles.
En conséquence
de cela, le christianisme, surtout dans sa version catholique, a toujours éprouvé
un certain malaise devant le plaisir qu’il n’est jamais parvenu à apprivoiser
et à accepter complètement. Il a constamment fait planer sur lui l‘ombre du
suspect et de la culpabilité. Alors que la morale catholique n’a pas de
difficulté à accepter comme bons et légitimes les plaisirs bien physiques d’une
bonne table, de la mollesse, du luxe, du confort, des demeures somptueuses, de
l’oisiveté et de la vanité, etc., elle a développé un parti pris et une
aversion arrêtée contre le plaisir lorsque celui-ci provient des parties
génitales de l’être humain. Le christianisme est en effet la seule religion,
parmi les grandes religions du monde, qui culpabilise par principe le plaisir
sexuel. Alors que toutes les autres religions considèrent ce plaisir comme une
expérience normale et naturelle, avec certaines conditions; le christianisme
trouve, par contre, normal et naturel de le condamner, sauf dans certains cas
bien déterminés, sans jamais arriver cependant à l’approuver totalement. Pour
l’église le plaisir sexuel recherché pour lui-même est toujours un «péché», même
dans le mariage. Seulement récemment, sous la pression des acquis des sciences
humaines, l’Église a accepté que le couple puisse avoir des relations motivées
par le plaisir d’être ensemble, pourvu qu’aucun moyen anticonceptionnel ne soit
utilisé.
Les raisons
historiques qui expliquent la méfiance ecclésiastique envers le plaisir et la
sexualité sont nombreuses. Aux origines du christianisme, il y a d’abord la
relativisation des réalités mondaines inscrite au cœur même du message chrétien
convaincu de la fin imminente de la «figure de ce monde». Il y a l’influence
sur la pensée chrétienne des philosophies hellénistiques et des mouvements
gnostiques hostiles à la matière et au corps. Ce dernier est considéré comme la
prison de l’âme et de l’esclavage duquel il faut se libérer, en se niant à ses
passions et en s’abstenant de toute activité sexuelle qui ne sert qu’à propager
la matière qui est mauvaise et qui est l’œuvre d’une Entité maléfique
(manichéisme). L’aversion envers le plaisir sexuel a été particulièrement
encouragée dans l’Église par l’énorme autorité de saint Augustin d’Hippone qui accuse
la relation sexuelle d’être responsable de la transmission du péché originel
qui infecte l’humanité.
La
condamnation ecclésiastique du plaisir sexuel ne repose évidemment sur aucun
fondement ni rationnel ni biblique. Elle est le fruit d’une névrose qui, à
partir d’Augustin d‘Hippone, a contaminé la pensée et le comportement des clercs
célibataires de l’Église qui, obligés à la continence, ont senti le besoin de
justifier le refoulement de leurs pulsions par la vitupération de la femme et
la réprobation du plaisir de la chair
et de l’imposer au reste de la population chrétienne.
Certes la recherche du plaisir ne doit pas devenir obsession ou dépendance névrotique et elle doit s’intégrer dans un comportement humain qui respecte les harmoniques du don de soi, de l’abnégation, de la tendresse et de l’amour. Mais ces conditions étant assurées, l’Église a tort de condamner le plaisir en tant que tel et elle devrait revoir toute sa doctrine morale à se sujet. Cette révision est d’autant plus urgente que l’autorité de Dieu sur laquelle elle s’appuie pour prouver la vérité des ses affirmation et justifier ses prises de positions dans le domaine de la sexualité, de l’amour et du mariage n’est plus aujourd’hui ni reconnue ni acceptée comme réelle et donc comme contraignante.
La
condamnation du plaisir sexuel a conduit l’Église à interdire toute activité
sexuelle en dehors du mariage et, dans celui-ci, toute relation sexuelle fermée
à la procréation. L’Église pense que les virtualités naturelles qui sont à la
base de la vie dans l’univers; que les forces d’attraction qui dans le cosmos
poussent les corps à s’approcher, à s’influencer, à entrer en relation, à
s’unir et qui sont à l’œuvre d’une façon éminente chez l’humain où elles
deviennent passions, émerveillement conscient, extase et amour… eh bien,
l’Église croit, naïvement, que ces pulsions peuvent facilement être contrôlées
et qu’elle a le droit de les limiter et même de les interdire.
Évidemment
aujourd’hui, à cause de l’évolution des mentalités et des connaissances, rares
sont ceux et celles, même parmi les chrétiens, qui reconnaissent à l’Église un
tel droit. De fait, la grande majorité des chrétiens ne se sentent plus concernés
par les directives et les prohibitions de l’Église en matière de morale. Ils
refusent tout simplement aux autorités religieuses le pouvoir et la compétence
de se prononcer sur la façon dont ils doivent gérer et vivre leur vie amoureuse
et sexuelle.
La nouvelle
mentalité est en train de libérer le mariage de la tyrannie et de la domination
de l’Institution ecclésiale qui pendant des siècles l’a colonisé et monopolisé,
en faisant de cet événement, non pas un lieu de liberté et d’épanouissement,
mais une prison de laquelle les couples ne peuvent plus s’échapper. La grande
responsable de cette tyrannie a été l’introduction dans le contrat naturel du mariage
(à partir du XIIIe siècle) de la notion d’indissolubilité,
notion que l’Église attribue à une volonté explicite de Dieu, révélée et
enseignée par Jésus-Christ.
1 . MARIAGE INDISSOLUBLE ?
L’Église
catholique pense que l’indissolubilité du mariage est affirmée par les
évangiles et qu’elle fait partie de l’enseignement de Jésus (Mt. 5,31; 19,1-9; Marc.10,1-12).
Voyons si cela correspond à la vérité. Dans ces passages de l’évangile, Jésus
s’en prend au laxisme de la loi juive (la Torah) à propos du mariage et à la
facilité avec laquelle l’homme pouvait se séparer de sa femme. Jésus se dresse
contre le machisme d’une loi qui permet aux hommes de répudier leur femme «pour
n’importe quel motif», il est convaincu que cette attitude va contre le plan de
Dieu. Pour prendre la défense de la femme et s’ériger contre l’exploitation et l’injustice
qu’elle subissait lorsqu’elle était jetée à la rue sans ressources et sans
protection, Jésus introduit, pour la première fois dans l’histoire de la
culture et de la pensée humaine, l’idée d’une union entre l’homme et la femme
qui ne devrait pas être facilement brisée, mais qui devrait résister aux
difficultés et surtout durer au-delà des caprices et de l’humeur de l’homme. En
s’appuyant sur la Bible, il élabore alors une argumentation pour prouver que
Dieu a voulu le mariage durable et permanent. Jésus pense que son idée d’un
mariage résistant et permanent correspond à une volonté explicite de Dieu,
qu’il trouve exprimée dans le livre de la Genèse (Gn.2,24).
Il est
nécessaire cependant de noter que dans le texte de la Genèse il n’est pas
question de «mariage» au sens juridique du terme, mais seulement du phénomène naturel
de l’attirance des sexes et de l’union entre deux êtres qui n’existent que pour
se compléter et se fusionner afin de rétablir l’unité originelle, en retournant
à être une seule chair.
Arriver à être une seule chair est bien l’expression que la Genèse et ensuite
Jésus utilisent pour indiquer cette finalité naturelle de l’amour entre l’homme
et la femme, lorsque cet amour est humain et lorsqu’il est véritablement
réussi. Mais cette indissolubilité du couple reste un projet de vie à
actualiser. On ne saura jamais à l’avance si elle se concrétisera et si le
couple aura les attitudes et les capacités de mettre en place les conditions de
sa réalisation. Jésus, qui aime énoncer des utopies et des rêves, en propose aussi
ici lorsqu’il parle du mariage, en présentant l’idéal d’une union indissoluble.
C’est pour cela qu’en Mt 19,5 et dans Marc 10.6-7 Jésus mettra au futur la phrase
que la Genèse avait transmis au présent de l'indicatif: «C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère et s’unira à a
sa femme et les deux ne feront qu’une seule chair». L’indicatif futur semble
donc indiquer que Jésus perçoit le fait de s’unir pour arriver à faire une
seule chair, comme une tâche que les couples doivent poursuivre tout au long de
leur vie, mais dont le résultat n’est jamais assuré à l’avance.
Il semble donc
que pour Jésus l’indissolubilité fasse partie du mariage, mais comme un but à
atteindre, un idéal de vie à réaliser qui correspond à un plan de Dieu. C’est
pour cela que Jésus se dresse contre toute forme de divorce facile, surtout
lorsque le divorce vient de l’attitude désinvolte et machiste de l’homme qui banalise
la relation amoureuse, ou qui fuit lâchement et égoïstement devant les difficultés
de la vie commune. On voit ici la nature idéaliste de Jésus qui voudrait que
dans le mariage les couples fassent l’impossible pour rendre possible une
relation qui les unisse ensemble d’une façon indissoluble.
Mais Jésus
sait que dans le concret de la vie, les choses ne se passent pas toujours d’une
manière idéale. S’il affirme donc la possibilité d’un mariage où le couple
réussit à vivre ensemble d’une manière constante jusqu'au bout du chemin, il
sait aussi que parfois les circonstances et les imprévus de l’existence peuvent
rendre la persistance du mariage une affaire presque impossible. Il prévoit
donc des « sauf...» (Mt. 5,32; 19,9). Ainsi, il y des mariages où la force et
l’attraction destinées à créer l’unité et l’inséparabilité se fragilisent en
cours de route et alors le couple clopine péniblement et lourdement ensemble sans
trop d’élan et d’enthousiasme, tenu ensemble seulement soit par la présence des
enfants, soit par les liens tenus d’une amitié qu’on n’ose ni détériorer ni
terminer car, somme toute, protectrice et réconfortante; ou par le calcul
beaucoup plus opportuniste et réaliste du confort matériel et de la sécurité économique.
Le mariage traîne alors à terre comme une dépouille inerte ou un coquillage
vide de toute forme de vie. Dans ce dernier cas, se séparer, divorcer et
chercher à se donner une autre chance d’aimer, peut et doit être une option
envisageable et parfois même nécessaire. Même selon Jésus.
Il faut reconnaître cependant que cette vision du mariage «indissoluble» est une
opinion personnelle de Jésus et que sa perception est et restera inconnue
autant par la Bible Juive que par toutes les autres cultures anciennes.
Jésus n’était
ni chrétien ni catholique, mais un juif qui, lorsqu’il parlait de mariage,
avait à l’esprit uniquement le mariage tel qu’il était célébré chez les juifs
et chez les nations «païennes» de son temps. Le mariage dont parle Jésus est
donc un mariage «civil» et «naturel» et non pas un mariage religieux et «sacramentel».
C’est donc ce contrat naturel de mariage qui, selon Jésus, doit porter les
caractéristiques et les promesses d’une union stable et perpétuelle. Pour Jésus
tout rite, civil ou pas, qui encadre formellement et juridiquement la décision d’un
couple de vivre ensemble pour la vie, porte les couleurs de la stabilité et de
la permanence, ainsi que la «bénédiction gracieuse» de Dieu.
Cependant ce n’est
pas de cette façon que l’Église catholique a interprété et compris la pensée de
Jésus. À partir du XIIIème siècle, en effet, les canonistes n’ont
plus reconnu comme indissoluble le mariage naturel et «civil» en vigueur jusqu’à
ce moment là et conclu selon les normes et les coutumes de l’époque. L’indissolubilité
a été reliée à la «sacramentalité» d’un rite religieux et au respect des
conditions «canoniques» qui en assurent sa validité. Les raisons qui ont induit
l’Église à s’approprier du mariage de ses fidèles et à monopoliser les
conditions de sa validité, sont essentiellement d’ordre politique, pragmatique
et économique. La papauté de ce temps devait s’assurer que le mariage ne soit
plus accessible aux clercs ordonnés, auxquels elle avait imposé l’obligation du
célibat. L’obligation du célibat était principalement motivée par la nécessité
de garder à l’intérieur de l’Institution ecclésiastique les propriétés et les
richesses accumulées au cours du temps par les donations, les cessions, les
legs et les héritages des princes, des rois et des empereurs. La papauté ne
voulait pas courir le risque de perdre ou de disperser ces biens parmi d’éventuels
enfants et héritiers de prêtres et de dignitaires cléricaux mariés. Pour cela
il fallait rendre impossible aux clercs ordonnés l’accès au mariage, en le
transformant en un acte religieux et en un «sacrement» dont elle pouvait établir
les conditions de validité.
Pour la première
fois dans l’histoire de l’humanité, on assistait au fait aberrant d’une Institution
que l’aveuglement du pouvoir, la cupidité de l’avoir et les exigences de
l’idéologie conduisaient à penser qu’elle pouvait s’ériger au-dessus des dynamiques
des systèmes naturels qui gèrent l’évolution et le développement de la vie dans
l’Univers. Elle s’était en effet convaincue de posséder l’autorité d’obliger les
personnes à renoncer à l’exercice de leur sexualité, à refouler les pulsions les
plus structurantes et les plus fondamentales de leur nature, en leur niant la
liberté d’aimer, ainsi que le droit sacré et intangible de se marier.
L’Église
prétend fonder l’indissolubilité du mariage sacramentel sur l’autorité et l’enseignement
de Jésus. Cependant, au lieu de rester fidèle à la pensée de Jésus et
d’appliquer les orientations qu’il donne, elle s’en éloigne totalement, en
affirmant exactement le contraire de ce que le Nazaréen avait enseigné. En effet,
si elle a retenu l’idée du Maître sur l’indissolubilité» du mariage (qu’il
attribue indûment à une intention de Dieu dans le livre de la Genèse), elle ne
l’applique cependant pas à tous les mariages, comme Jésus le souhaitait, mais seulement
au type de mariage qu’elle s’est concoctée pour les besoins de sa cause. Pour
l’Église, tous les autres mariages peuvent être dissous. La dissolution d’un
mariage civil est même accueillie avec joie par les autorités ecclésiastiques,
surtout si celle-ci permet à l’un des membres du couple de contracter un mariage
avec un nouveau partenaire au sein de l’Église catholique romaine.
Pour donner
plus de poids à sa façon de concevoir l’indissolubilité, l’Église cherchera
plus tard à la justifier théologiquement, en recourant à trois argumentations d’ordre
religieux ou spirituel: le mariage est indissoluble parce que c’est écrit dans la
Bible et Jésus l’a affirmé; parce que le «sacrement» du mariage est le «signe»
de l’amour indéfectible de Dieu pour les hommes; parce que le «sacrement» du
mariage est le «signe» de l’union indissoluble de Dieu avec l’humanité, accomplie
dans la personne de Jésus de Nazareth, incarnation de Dieu sur terre.
2. NOUVELLE VISION DE DU MONDE - NOUVELLE
IMAGE DE DIEU
Avant d’aller
plus loin dans nos considérations, nous voudrions attirer l’attention sur le
fait que l’autorité et le pouvoir que l’Église s’attribue pour imposer aux
chrétiens ses vues et sa doctrine sur la sexualité et le mariage, elle croit
les avoir reçus directement de Dieu. Et cela en vertu de la relation
privilégiée qu’elle pense entretenir avec le Très-Haut. Elle est convaincue, qu’à
cause de cela, ses directives en matière de moralité sont astreignantes et
obligatoires et que les contrevenants risquent d’encourir les châtiments de
Dieu. Cette posture de l’Église s’appuie évidemment sur une conception
primitive, mythique et mythologique de Dieu que la mentalité moderne a
définitivement abandonnée.
Voyons
brièvement quelles sont les causes qui ont conduit les gens de la modernité au
refus de l’idée traditionnelle de Dieu en vigueur dans le catholicisme officiel
et, conséquemment, au rejet de l’autorité et de l’enseignement de l’Église.
Les nouvelles
connaissances scientifiques et les nouvelles découvertes de l’astrophysique ont
rendu complètement obsolète autant l’ancienne vision du monde que l’ancienne
conception de Dieu toujours à la base du dogme catholique. On sait aujourd’hui
que la terre n’est plus le centre de l’Univers, mais une planète insignifiante
attachée à une banale étoile perdue dans l’immensité d’une galaxie composée de
centaines de milliards d’étoiles et placée à son tour dans un cosmos en
expansion qui en compte par centaines de milliards. Dans cette vision de
l’Univers, la terre et les humains qui l’habitent ont perdu l’exclusivité de
l’intérêt, de l’attention et de la protection de Dieu. Si nous croyons aux
calculs des astrophysiciens, il existe dans l’univers des millions de milliard
de planètes qui possèdent les conditions favorables à l’éclosion de la vie et
qui sont très probablement habités par des êtres intelligents. Qui nous empêche
de penser que ces êtres intelligents réclament peut-être, eux-aussi comme nous,
de pouvoir bénéficier, d’une façon préférentielle et exclusive, de la
prédilection, des faveurs, de la protection et de la présence de Dieu parmi eux
? Est-ce encore seulement pensable une foi dans une venue ou «incarnation» du
Dieu sur notre planète, grain de poussière perdu dans l’immensité de l’espace? Dans
cette nouvelle intelligence de la réalité, non seulement la terre a perdu sa
centralité dans l’Univers, mais Dieu aussi a perdu sa centralité sur la terre.
De sorte que l’ancienne façon de concevoir Dieu ne vaut plus rien et apparaît même
ridicule. Ce Dieu était imaginé comme un
seigneur tout-puissant, qui assis quelque part en dehors de notre univers
matériel, crée le monde en six jour, donne l’existence à un homme et à une
femme déjà parfaitement évolués; dicte aux humains sa pensée et ses volontés consignées
dans la Bible; décide de venir sur terre en prenant forme humaine pour sauver
les hommes perdus dans le péché originel; fonde l’Église catholique et romaine et
lui transmet son autorité et ses pouvoirs surnaturels, afin que celle-ci dirige
et sauve maintenant l’humanité à sa place; promet aux dirigeants de cette
Église et surtout au Pape une assistance particulière, afin qu’ils soient «infaillibles»
dans leurs décisions et leurs déclarations...
Ce Dieu
aujourd’hui est mort. Les scientifiques eux-mêmes affirment qu’ils n’ont plus
besoin de recourir à l’hypothèse-Dieu
pour expliquer «comment» l’Univers fonctionne; mais que, tout au plus, l’hypothèse
Dieu pourrait être utile pour expliquer «pourquoi» l’Univers fonctionne; en
autant que cette nouvelle hypothèse s’harmonise avec les phénomènes physiques
responsables de la naissance et de l’évolution du cosmos. Ce défi de taille a
suscité la réflexion autant des scientifiques chrétiens que des théologiens modernes
qui, ne pouvant plus accepter l’ancienne image de Dieu, voulaient arriver à
concilier leur foi avec les nouvelles connaissances cosmologiques.
Cette
réflexion a accouché d’une nouvelle façon de penser et de concevoir Dieu qui
s’intègre parfaitement avec les données des découvertes astronomiques modernes et
qui donne un nouveau sens, un nouveau souffle, une nouvelle fraîcheur et une
nouvelle plénitude aux contenus périmés et indigestes du dogme catholique. Dans
la pensée moderne issue des connaissances scientifiques actuelles, l’ancienne
conception de Dieu, grand monarque tout puissant et grand tyran assis là-haut
n’a plus aucune place. Dieu est présenté non plus comme extérieur, mais comme
intérieur à la réalité matérielle. Dieu n’est pas au-dehors, mais au-dedans de
ce qui existe. Il imprègne la création. Il est conçu comme la Source Originelle
ou l’Énergie de Fond, qui a mis en marche l’univers et qui soutient et active
de l’intérieur tous les processus physiques qui président à sa naissance, à son
expansion et à son évolution. Si l’on compare l’ensemble du cosmos à une symphonie,
Dieu est le compositeur, l’inspiration et l’idée musicale qui cherche à se dire
et à se développer. La diversité et la variété de la matière sont les notes ou
les sons utilisés pour composer la symphonie du cosmos. La symphonie n’est pas
le compositeur; cependant quelque chose de la nature du compositeur, son
intelligence, ses capacités, sa sensibilité, la beauté de son monde intérieur
se manifestent et se rendent physiquement perceptibles dans sa musique. L’âme
et l’esprit du compositeur sont dans sa musique. C’est cet esprit qui fait en
sorte que la diversité des sons qu’il a rassemblés ne soit pas une cacophonie,
mais une symphonie. Et puisque Dieu est par définition un «compositeur»
invisible et insaisissable, on ne peut deviner son existence et sa présence que
par l’extraordinaire beauté de la mélodie qu’il a composée et qui, à moins
d’être sourds, retentit en nous et autour de nous. L’Univers est donc pénétré
par un Esprit qui, faute d’un meilleur mot, on peut appeler «divin». Cet Esprit
est dynamisme autocréateur et auto-organisateur qui structure les galaxies, les
étoiles, les planètes et les atomes. L’Énergie Originelle de fond qui pénètre
tout ce qui existe est donc le nouveau nom de Dieu. Dieu est donc la Virtualité
ou l’Esprit qui est à l’intérieur des êtres et qui fait en sorte qu’ils existent
tels qu’ils sont, avec la particularité de leur apparence, l’unicité des programmes,
des systèmes et des lois qui structurent et déterminent leurs caractéristiques
et leurs comportements. Cet Esprit est présent d’une façon égale dans tous les êtres.
Il n’est pas moins actif dans la violette que dans l’orchidée; ou moins présent
dans la fourmi que dans l’homme; moins alerte dans le chauffeur de taxi que
dans le pape.
Dieu alors est
conçu comme la Force Originelle et Spirituelle qui, de l’intérieur, imprègne la
réalité de sa présence. Cette Énergie de fond semble être non seulement «intelligente»,
mais aussi «bénigne» et «aimante». Dans l’Univers cet Esprit trouve le lieu de
sa manifestation la plus accomplie dans un organisme vivant qu’il a su faire
évoluer jusqu’à l’éclosion de la conscience et de l’intelligence: l’être humain.
Dans cette vision, l’être humain devient la manifestation et l’«incarnation» d’une
présence privilégiée et unique de l’Esprit d’Amour dans l’Univers.
Cette Esprit ou
Énergie «amoureuse» de fond vibre dans tous les êtres animés et inanimés avec
la même force et la même fréquence. Ce qui fait la différence ce n’est pas le degré d’Esprit qui les anime, mais le degré de conscience qu’ils réussissent à en
avoir et la capacité de réponse qu’ils réussissent à donner à cette «divine» présence.
C’est cette conscience et cette réponse qui déterminent le degré de leur
«spiritualisation» et de leur perfectionnement et, dans l’être humain, le degré de son humanisation. De sorte que l’on peut affirmer que l’être humain
s’humanise dans la mesure qu’il aime et que la perfection de son humanisation
est dépendante de la perfection de son amour.
Comme tout ce
qui existe dans l’Univers, l’humanisation de la race humaine est en évolution continuelle.
L'hominisation du primate que nous sommes est un processus qui est en marche
depuis quatre millions d’années, à partir du stade archaïque de
l’australopithèque, jusqu’à l’apparition de l’homo
sapiens, il y a quelques quarante mille ans. Le processus d’hominisation
que l’Énergie Originelle a déclenché dans ce mammifère terrestre éveillé à
l’auto-conscience, se déroule, de toute évidence, très lentement. C’est pour
cela qu'aujourd’hui encore, sur notre planète, les représentants de cette
espèce sont à des stades différents d’hominisation et qu’il y a donc des individus
qui sont plus (ou moins) humains que d’autres. A juger de l’état actuel de
l’humanité sur terre, on n’a pas de difficultés à admettre que le processus
d’humanisation de notre race a encore un long chemin à parcourir. Quelques
preuves symptomatiques? La quantité démentielle d’ogives nucléaires (16300) que
la peur, l’agressivité et l’idiotie des humains leur ont fait cacher sous leurs
maisons, dans le but de s’effrayer réciproquement et de paraître plus fort que
le voisin. La dévastation, le saccage que leur cupidité et leur
irresponsabilité ont causé à la planète, leur unique havre de vie dans Univers.
Le comportement paléozoïque, bestial, violent et stupide de certains mouvements
terroristes islamistes, comme Al-Qaïda ou Boko Haram. Aujourd’hui encore, être véritablement
humain n’est pas donné à tout le monde.
Comme tout ce
qui arrive dans l’univers, l’évolution de l’espèce humaine procède par
tâtonnements et par essais. Parfois elle réussit, parfois elle échoue. Parfois elle
produit des individus qui atteignent des nivaux élevés et même sublimes
d’humanisation. Et alors la race humaine engendre et s’enrichit d’exemplaires
de première qualité comme Bouddha, Jésus de Nazareth, Teresa d’Avila, Vincent
de Paul, Gandhi, l’Abbé Pierre, Teresa de Calcutta, Mandela, etc. … D’autres
fois le processus d’humanisation n’aboutit que partiellement ou est
complètement raté. Alors surgissent ces avortons d’humanité qui se nomment Staline,
Hitler, Al Capone, Pol Pot, Idi Amin Dada, Pedro Alfonso Lopez… et l’armada
lugubre des criminels de tout acabit qui, en contaminant la société des graines
empoisonnées de la cupidité, de la violence et de haine, freine sa marche vers
une meilleure humanisation.
Ce lent et
difficile processus d’humanisation, fait de réussites et d’échecs est, pour
ainsi dire normal et il rentre dans la dynamique globale de l’évolution
cosmique. La progression et l’évolution de l’Univers ne sont, en effet, ni linéaires,
ni ordonnées, ni déterminées, mais fondamentalement hasardeuses et chaotiques. L’évolution
avance par le hasard des événements, la danse des combinaisons fortuites et
casuelles; par des essais imprévus qui réussissent ou qui échouent; par des
constructions et des destructions; des formations et des déformations; des attirances
et des répulsions; des fusions et des éclatements. Ces événements sont parfois prometteurs
et féconds et d’autres fois sans issus et catastrophiques. Dans l’Univers rien
n’est établi dans la stabilité, l’indissolubilité et la perpétuité, mais tout
est soumis à la dynamique de l’instabilité, de la transformation, du
changement, de la dissolution, dans un cycle continuel d’interactions où l’échec
et la réussite, l’union et la séparation, la
rencontre et la dissolution, le commencement et la fin, la vie et la mort, le
bien et le mal, se mélangent inextricablement pour
marquer le pas de la danse cosmique. Le résultat final est souvent une
magnifique chorégraphie. Mais combien d’essais, de labeurs, de fatigues, de
déchirements et de blessures les danseurs ont dû affronter pour pouvoir s’exhiber
sur la scène cosmique!
Dans l’ancienne
cosmogonie, Dieu était perçu comme l’Être Suprême qui garantissait la solidité et
l’immutabilité de la création. Ce Dieu était lui même imaginé comme éternel,
immobile, immuable, invariable, inchangeable et il exigeait ces mêmes
caractéristiques de ses créatures: jamais s’éloigner du projet établi;
respecter toujours les règles; rester à tout jamais fidèle aux lois établies
qui doivent assurer le fonctionnement ordonné et prévisible des événements.
Chez l’homme, ce Dieu aimait la stabilité des attitudes et des sentiments, la
permanence de l‘obéissance et de la soumission, la fidélité inconditionnelle
aux exigences de l’alliance établie avec lui. Ce Dieu aimait les humains
lorsque ceux-ci lui manifestaient un attachement qui résistait à toute
tentation de séparation et qui restait déterminé et fidèle jusqu’à la mort.
C’est cette
perception archaïque et périmée de Dieu qui a permis la formation des structures
mentales qui ont donné naissance aux catégories de fidélités perpétuelles,
d’alliances indestructibles et d’unions indissolubles qu’on retrouve en germe
dans la Bible hébraïque, mais qui, plus tard, sont entrées dans la doctrine de l’Église
comme de concepts et des valeurs de base du comportement humain et chrétien.
Ainsi l’état de baptisé est définitif et sans retour, le sacerdoce est éternel,
les vœux religieux sont perpétuels, le mariage est indissoluble, la fidélité des
époux indéfectible. Cependant le croyant moderne sait que ces qualificatifs ne
peuvent être attribués d’une façon absolue à aucune réalité matérielle et
qu’ils n’existent pas et ne se produisent jamais dans l’Univers auquel nous
appartenons. S’il est donc absurde de penser qu’ils puissent s’appliquer à des
attitudes, à des sentiment ou à des comportements humains, il est encore plus
absurde de prétendre qu’on puisse les imposer d’autorité, en exiger
l’accomplissement et envisager un châtiment pour les individus défaillants.
L’Église est
encore loin d’avoir intégré dans sa pensée et dans ses doctrines les acquis de
sciences et de l’astronomie moderne, ainsi que la composante chaotique qui est
à la base du processus évolutif de l’Univers. L’Église traite les humains comme
s’ils étaient déjà arrivés au stade final de leur évolution; comme s’ils
avaient déjà atteints le sommet de leur humanisation et comme s’ils étaient
déjà tous capables de vivre en parfaite syntonie avec l’Esprit divin qui les
habite. Une telle attitude est évidemment irréaliste et erronée, car elle suppose
dans les membres de notre race un niveau d’humanité, des attitudes
spirituelles, une qualité de sentiments que ceux-ci, à l’état inachevé de leur
évolution, ne possèdent tout simplement pas.
3. EFFONDREMENT DE L’AUTORITÉ CLÉRICALE
À la lumière
de ce que nous avons exposé plus haut, voyons maintenant comment le chrétien
d’aujourd’hui se positionne et doit se positionner devant l’enseignement moral
de l’Église catholique sur la sexualité, l’amour et le mariage et qu’elles sont
les attitudes qu’il a le droit et, peut-être, aussi, le devoir d’adopter.
Dans un monde
à tout jamais sorti du Moyen-âge et qui a définitivement abandonné l’ancienne
conception mythique de Dieu, l’Église aussi a définitivement perdu les assises de
son autorité. Elle apparaît, de conséquence, aux chrétiens de notre temps comme
une Institution qui s’arroge des pouvoirs qu’en réalité elle n’a pas. Les
modernes ne lui reconnaissent donc aucun droit de s’ériger en gardienne de la
moralité et de l’éthique humaine et d’intervenir dans la vie privée des
personnes. L’Église ne semble pas se rendre compte de l’étendue et de la
gravité de ce désaveu, ni des conséquences que cela entraîne. Elle continue
d’agir et de penser comme si son autorité était intacte et comme si le monde était
encore au Moyen-âge. Il faudra encore du temps avant que les autorités ecclésiastiques
réalisent que les sciences modernes ont détruit les fondements de leur
crédibilité et que l’instruction généralisée de la population a énormément rétréci
la zone de leur influence sur les convictions et les attitudes des gens. Les
chrétiens de la modernité se sont émancipés de l’autorité cléricale et ne se
sentent plus concerné par son enseignement. Ils ne sont plus conditionnés dans leurs
décisions et leurs comportements et ne sont plus marqués ni par la peur d’un châtiment
de Dieu, ni par la réprobation de l’Église. Ils vivent finalement en personnes
et en chrétiens libres et libérés. Ils ont récupéré leur autonomie. Ils
assument la responsabilité de leurs actions et veulent avoir la liberté de
mener leur vie comme ils l’entendent, surtout lorsqu’il s’agit de leur vie
amoureuse et sexuelle. Ils sentent que leur vie intime leur appartient d’une
façon exclusive et ils refusent de la mette entrer les mains d’une quelconque autorité
religieuse ou autre.
Les autorités
religieuses savent que leur système éthique tourne à vide et qu’il ne fait plus
marcher la machine de la bonne moralité catholique. Le 90% des chrétiens
utilisent, sans aucun remord, les contraceptifs défendus par les encycliques
papales. Les couples baptisés vivent tranquillement ensemble sans se marier ou
se marient civilement et sont très heureux de vivre en «concubinat» et «en état
de péché mortel». Les couples mariés religieusement et «indissolublement» ne se
font plus aucun scrupule à divorcer et se remarier civilement, lorsque le
premier mariage ne fonctionne plus. Les gens se moquent de l’Église qui étiquette
encore le plaisir sexuel de mauvais et de réprouvable, alors que tout le monde
le trouve excellant et qu’il est ressenti comme une des expériences les plus
gratifiantes et les plus satisfaisantes de bonheur.
L’Église est
maintenant obligée de battre en retraite sur presque tous les fronts: sur le
front de l’autorité, dont on refuse de lui reconnaître la valeur; sur le front
du pourvoir, dont on n’accepte plus le fondement divin ou surnaturel qui le
justifiait; sur le front des contenus de son enseignement théologique fondé sur
une cosmologie révolue; sur le front de son enseignement moral, dont les normes
et les interdits sont généralement disqualifiés comme présomptueux,
irréalisables et non pertinents.
Pour mieux
comprendre cela, il peut être éclairant de mettre les choses en perspective. Si
dans la nouvelle vision de la réalité, Dieu est perçu et compris par les
croyants modernes comme l’Énergie Originelle de fond qui, dansant avec le chaos
et l’harmonie, le hasard et la nécessité, a mis sur la scène de l’Univers des milliards
de galaxies et des milliards de milliards de planètes hébergeant peut-être la
vie et, sans doute, la vie intelligente, fait-il encore du sens croire que
cette Énergie Originelle puisse être particulièrement
concernée par et intéressée à ce qui se passe sur notre minuscule planète, au
point d’être affectée et perturbée par des amants humains qui font l’amour hors
des «liens sacrés» du mariage? Ou par le couple qui dans ses relations intimes
fait usage du préservatif défendu par l’encyclique papale Humane Vitae? Ou par
le fait qu’un humain, après avoir divorcé de sa première femme, avec laquelle
il ne s’entendait plus, vive maintenant heureux, hors du mariage religieux,
avec une autre partenaire? Ou par l’aventure extraconjugale d’un époux ou d’une
épouse désenchantés? Ou par l’éjaculation qu’un jeune représentant de la race
humaine a pu avoir, en serrant sa fiancée contre lui? Ou par le désir et la
détermination d’un couple homosexuel de vivre leur amour dans l’encadrement
d’une union stable?... Lorsqu’on observe les choses dans cette perspective, non
seulement les prétentions directrices et autoritaires d’une institution religieuse
terrestre paraissent ridicules, mais aussi extrêmement contingentes. Cela
permet de relativiser l’importance que l’on attache à la structure normative d’une
morale élaborée par une civilisation encore rustre et primitive, vivant sur une
minuscule planète perdue dans l’immensité de l’espace galactique, ainsi que la
valeur ou la gravité du sentiment de faute et de culpabilité que peuvent
ressentir les habitants de cette planète. Cela peut aider à comprendre pourquoi les
armes de la peur et du châtiment que l’Église brandissait autrefois pour
obtenir l’obéissance et la soumission, n’ont plus aujourd’hui aucun effet.
La mentalité
moderne a accompli un bond de géant par rapport à la pensée traditionnelle et
religieuse du passé. Elle a intégré la valeur primordiale de la sexualité et de
l’amour dans les relations humaines. Elle est convaincue que l’homme et la
femme doivent assumer leur sexualité comme un cadeau du ciel et la vivre avec
plaisir, joie, émotion, émerveillement et enthousiasme. Elle considère le sexe
comme un merveilleux instrument qui permet de moduler la richesse des
expressions et des variations contenues dans le langage corporel de la
tendresse et de l’amour. Elle a compris que ce qui détermine la valeur d’une
vie humaine est la qualité et la force de l’amour qui l’inspire et la soutient.
La modernité a compris que c’est la présence ou l’absence de l’amour qui
détermine la bonne ou la mauvaise qualité d’une décision ou d’un comportement
et qui fait la différence entre la réussite ou l’échec d’une existence. Les
gens de la modernité sont portés à croire, qu’en soi, il n’y a pas de
comportements intrinsèquement mauvais lorsqu’ils sont dictés par l’amour, mais,
tout au plus, des comportements illégitimes, illégaux, car non-conformes aux
lois, aux normes, aux coutumes, aux traditions, aux croyances établies par la
religion ou la culture.
4. MARIAGES D’AMOUR ?
L’amour est une réalité spirituelle tellement sublime
et complexe que l’humanité, à l’état actuel de son évolution, est encore très
loin de pouvoir maîtriser et de posséder en toute sa plénitude. L’Amour humain
est la déclinaison et la manifestation la plus fantastique et la plus accomplie
que l’Énergie Originelle a pu faire d’elle même dans l’Univers physique.
L’Amour porte donc en lui le mystère, la fascination, la grandeur et la
complexité de la Source Originelle d’où il jaillit et dont il est la révélation
dans ce monde. L’apparition de l’amour dans l’Univers, et particulièrement dans
l’humain, est le résultat d’une longue et lente gestation encore loin d’être
terminée. L’amour est encore à l’état d’ébauche dans l’humain. Il lui faudra
encore un long apprentissage et une longue exposition aux dynamismes qu’il
contient et qui le constituent, avant qu’il puisse se manifester dans toute sa
plénitude de sentiment presque «divin» et avant qu’il puisse exprimer dans la
vie d’un humain tout l’éventail merveilleux de ses possibilités et le délicat
arc-en-ciel de ses virtualités. La race humaine a eu besoin de millénaires pour
apprendre à parler: c’est-à-dire pour apprivoiser la penser symbolique et pour
transformer des bruits gutturaux en sons et en mots porteurs de sens. Elle aura
sans doute besoin d’une durée beaucoup plus longue pour apprendre à aimer:
c’est à-dire pour maîtriser et gérer la gamme complexe de toutes les
harmoniques de l’amour. L’être humain n’est encore qu’un débutant sur le
pianoforte de l’amour. Dans l’état de son apprentissage et de son évolution, c’est
une illusion et un manque de réalisme que de penser (comme fait l’Église) qu’on
peut lui demander d’exécuter des nocturnes ou des préludes de Chopin, alors
qu’il est à peine capable de pianoter les notes de « frère Jacques».
L’Énergie d’amour que les dynamismes et les rythmes
évolutifs ont déposée en germe dans les profondeurs de l’être humain ne s’est
pas activée immédiatement. En accord avec les lois de l’évolution cosmique, les
forces de l’amour ont eu besoin de millénaires avant de pouvoir se manifester,
agir et influencer la vie et le comportement des humains. Et puisque la
présence, la force et la qualité de l’amour sont les facteurs qui déterminent
la qualité et le dégrée d’humanisation de notre race, cela explique pourquoi le
chemin vers l’humanisation de l’homo
sapiens a été si long et encore loin d’être achevé. La qualité du sentiment
de l’amour telle que nous la connaissons et la vivons au XXIe siècle est le
résultat d’une longue gestation et d’un affinement de l’esprit et de la
sensibilité humaine accompli par les forces mystérieuses de poussées évolutives
de l’Univers. Notre qualité d’amour et de sensibilité actuelle n’existaient
pas, disons, ni au paléolithique, lorsque les humains étaient des prédateurs et
des chasseurs; ni au néolithique, lorsque les hommes sont devenus de
cultivateurs et des producteurs sédentaires, ni pendant les derniers quatre
mille ans de l’histoire humaine avant Jésus-Christ.
Les hommes et les femmes se rencontrent évidemment depuis
toujours pour s’unir, pour jouir et pour se reproduire. Cependant les
anthropologues nous assurent que les forces qui primitivement poussaient les
humaines à s’accoupler ont été pendant longtemps non pas celles de l’amour
spirituel, sentimental et «romantique», mais plutôt et principalement celles de
l’appartenance sexuelle, de la propriété d’une femelle, de l‘intérêt
économique, de l’utilité pratique et de la nécessité procréative.
La mariage semble être né du besoin de régler d’une
façon pacifique la compétition des mâles dans la lutte pour la possession et le
partage des femelles au sein de la tribus, du clan ou de la société primitive
qui, à partir du néolithique et de la sédentarisation, a commencé à se
structurer. Ce qu’on a appelé plus tard «mariage», était une sorte d’entente ou
de contrat conclu avec l’accord des mâles ou du mâle dominant de la tribu ou du
village qui établissait qu’une telle femme était désormais la propriété d’un
tel homme; et que donc aucune autre mâle n’avait plus le droit de la posséder
sexuellement. Ce contrat ou cette entente consacraient un partenariat sexuel
exclusif et, plus tard, aussi un partenariat économique, consistant en la mise
en commun des biens de chacun, avec la prise en charge, surtout de la part de
la femme, des travaux matériels de la maisonnée. Le
partenariat économique était même souvent le premier terme de l'accord, la
première raison pour un mâle de se «marier», tandis que le partenariat sexuel
n'était que secondaire.
Ce genre de contrat, où le sentiment de l’amour ne
jouait aucun rôle et n’avait aucune importance, a été, pendant des siècles (pratiquement
jusqu’au XVIIème siècle de notre ère), la seule façon de concevoir
le mariage et de s’unir en mariage dans la plupart des civilisations et des
cultures de notre planète. Ce genre de mariage sans plaisir, sans joie, sans
passion et sans extase amoureuse a été le seul type de mariage que l’Église a
connu, endossé, encouragé et propagé jusqu'au Concile Vatican II (1962-1965).
Ce Concile, pour la première fois dans l’histoire de l’Occident, a envisagé la
possibilité qu’un mariage puisse aussi être inspiré et motivé par l’amour et le
désir, ainsi que la joie de vivre ensemble. Toutefois, dans le nouveau code de
Droit Canonique de l’Église catholique paru en 1983, lorsqu’ au chapitre VII le
législateur traite du mariage, pas une seule fois il n'utilise la parole «amour» pour
qualifier le mariage chrétien. Le mariage est toujours présenté comme une alliance
où l’amour ne joue aucun rôle qui mérite d’être souligné «par laquelle un homme
et une femme constituent entre eux une communauté de toute la vie ordonné par
son caractère naturel au bien des conjoints, ainsi qu'à la génération et à
l'éducation des enfants» (Can. 1055 - § 1).
Cela prouve que la pensée de l’Église reste toujours affectée
et contaminée par la conception pessimiste et funeste de l’amour humain,
lorsque celui-ci est physique et érotique. La relation amoureuse en effet a
toujours été perçue dans l’histoire ancienne de l’Occident chrétien comme une
relation instable et fugace, aux issues souvent dramatiques, douloureuses et
catastrophiques pour les amants. Elle trouve des échos dans certains récits de
la littérature amoureuse du Moyen-âge, comme dans l’histoire de Tristan et Yseult où l'amour
est vécu comme une malédiction qui perd les amants; dans le roman de Roméo et Juliette, amants en butte
aux intérêts de leurs familles respectives et qui finissent par mourir à cause
de cet amour; dans l’Enfer de Dante où la passion amoureuse défendue, impossible
et tragique de Paolo Malatesta et Francesca da Rimini, est décrite avec un lyrisme
touchant et sublime; dans la saga beaucoup
plus réelle des amours soufferts, cachés et contrastés d’Abélard et d’Héloïse.
Dans la tradition
catholique occidentale du passé, seulement la relation sans amour était considérée
le paradigme de la stabilité et de la durabilité. Sous-jacente à cette idée,
était la conviction que la femme, étant un être sans valeur, une créature
inférieure à l’homme, la cause de la tentation, du mal et du péché, ne méritait
pas d’être vraiment aimée. Saint Augustin d’Hippone, le grand champion de
l’Église catholique, dans ses Confessions avoue son regret et sa honte d’avoir
ressenti de la passion et de l’amour pour une femme, que, d’ailleurs, il n’a
pas hésité à jeter dans la rue, avec le jeune enfant qu’elle lui avait donné. Dans
la pensée des clercs de ce temps il ne fallait surtout pas que l’amour de
l’homme pour une femme devienne sa raison de vivre ou la raison principale de
son mariage. Cela ne convenait pas à la dignité de l’homme. L’amour étant un
sentiment pur et sublime appartenant plus au monde de Dieu («Dieu est amour»)
qu’au monde de l’homme, il n’était pas convenable de le profaner et de le salir
en l’approchant de la femme et en l’associant au partenariat sexuel du mariage.
Pour la stabilité et la bonne santé spirituelle du couple, il était donc
préférable des mariages sans amour où les époux étaient liés ensemble
principalement par l’usage de la sexualité, l’intérêt économique et les soins de
la progéniture.
Depuis le
XIIIe siècle, la «validité» du mariage est donc donnée non pas par la décision
du couple de mettre ensemble pour toujours leurs amours, mais par la décision
du couple de mettre ensemble leurs corps et leur biens, dans une communauté de
vie qui respecte les conditions juridiques fixées et établies par l’Église et qui
rendent cette union ««indissoluble». L’indissolubilité n’est pas une
singularité spécifique de l’amour, mais la conséquence juridique et
contraignante du contrat établi par le rite sacramentel du mariage. De sorte
que, pour l’église catholique, le mariage reste effectif et opérant même
lorsque l’amour a disparu. Ici, l’indissolubilité du mariage est conçue comme
«obligation» de rester ensemble, parce dans le mariage ce qui compte c’est
surtout l’union des corps et des substances et non pas l’union, dans l’amour,
des âmes.
Si le mariage
est principalement un contrat qui, permet, gère, protège et garantit officiellement
l’usage de la sexualité et les intérêts économiques liés au partage des biens du
couple et pour la validité duquel l’amour n’est pas nécessaire, on comprend
pourquoi on doive s’assurer qu’un tel contrat soit stable et définitif et donc indissoluble. L’indissolubilité devient
alors une qualité essentielle d’un tel mariage. Par le partenariat économique,
un homme qui tromperait sa femme se verrait menacer de perdre énormément financièrement parlant et au niveau de
la reconnaissance sociale. Il est donc nécessaire qu’un mariage
économique, dit "de raison", dure plus longtemps qu'un mariage
d'amour: les époux ne sont nullement obligés de s'aimer, mais ils restent
ensemble parce qu'ils ont plus à perdre qu'à gagner à se séparer. Ils ont «intérêt»
à ce que le mariage dure, même s'il n'est pas un mariage heureux. L’indissolubilité
est donc un concept qui convient parfaitement aux mariages d’intérêts. Dans ce
type de mariage, les conjoints ont tout à gagner dans la stabilité de leur
contrat et ont donc intérêt à ce que leur union dure le plus longtemps possible
et que l’indissolubilité soit même obligatoire. Personne n’aime la perspective
de perdre les avantages et les bénéfices économiques qui découlent d’un tel contrat
et pour la jouissance desquels le couple a justement conclu le mariage.
Les choses
sont totalement différentes dans les mariages d’amour. En effet, si la seule
raison d'être du mariage est le sentiment amoureux qui unit les partenaires, on
comprend facilement qu’un tel mariage tienne à un fil bien mince. L’amour est un
sentiment et les sentiments sont, par leur nature, instables, fugaces et
rarement définitifs.
Si on tient compte de la façon traditionnelle
de concevoir le mariage comme un contrat, un «mariage d’amour» semble être alors un contresens. Le contrat
implique toujours une obligation. Or l’amour ne peut jamais être une obligation.
L’ancienne notion de «mariage» ne devrait pas être appliquée aux unions
amoureuses officielles modernes, car, en soi, une relation d‘amour n’a pas
besoin d’être sanctionnée par un contrat. Le mariage d'amour est motivé par un sentiment
et non pas par un intérêt social ou économique. L’amour porte déjà en lui la
motivation de son existence. Il n’a pas besoin de lois et de contrats qui
définissent les intérêts des
partenaires. Dans une relation amoureuse l’intérêt
est dans la possession et le partage de l’amour, et non pas dans la possession
et le partages des choses. De fait, de nos jours, les couples restent ensemble parce
qu’ils s’aiment et non pas parce qu’ils sont mariés.
L’indissolubilité
juridique du contrat qui convenait au mariage d’intérêt, ne convient donc plus aux
«mariages» d’amour, dans lesquels la force qui tient ensemble les partenaires n’est
pas l’obligation du contrat, mais la liberté et la spontanéité joyeuse de
l’amour. Si par fidélité à la tradition, on continue cependant à donner le nom
de «mariage» à l’union officielle d’un couple amoureux moderne, il doit être
clair que pour ces «mariages» la notion d’indissolubilité est un non sens. L’erreur
de l’Église aujourd’hui est de continuer à exiger la contrainte obligatoire du
contrat d’intérêt à des couples qui ne se sont mis ensemble que par amour et
qui ont cessé de s’aimer.
Malgré le fait que l’institution du mariage
n'a jamais été prévue pour sanctionner l'amour entre deux individus de sexe
opposé, mais uniquement pour établir l‘appartenance sexuelle et la communauté
des biens du couple et les devoirs d'un foyer, il existe toujours, même aujourd’hui
des partenaires amoureux qui acceptent l'idée traditionnelle d’un «mariage» (civil
ou religieux), parce qu'elle implique la notion d'engagement sérieux et
durable. Les amants veulent bénéficier de la durée et même de l'éternité dont
bénéficient les partenaires économiques, mais en se fondant sur la base de l'amour
plutôt que sur celle de l'intérêt. L’enthousiasme
et la passion de leur amour leur fait croire qu’il leur sera aisé de le vivre
une union durable et même éternelle.
L’amour
est un sentiment très fort. Aux débuts de la relation, l’amour naît comme une
fleur magnifique, mais délicate et fragile. Sa vie, sa vigueur, sa permanence dépendent
toutefois d’un ensemble de facteurs qui sont difficiles à maintenir ensemble et
qu’un rien peut dissoudre et dissiper. Qui pourra garantir que la fleur de
l’amour recevra toujours les soins et les attentions nécessaires pour traverser
intacte les brusques variations des saisons de la vie? Il y a beaucoup d’amours
qui naissent déjà éphémères, qui ne sont qu’un feu de paille qui ne dure que le
temps d’une passion ou d’un enfant et qui s’éteignent inexorablement parce que
le couple n’avait pas les capacités ou n’a pas pris la peine d’alimenter le
feu. L’amour est un sentiment d’autant plus délicat et fragile que sa réussite dépend
de la parfaite alchimie intérieure de deux personnes différentes, chacune
d’elles soumise aux remous des pressions sociales, des changements affectifs,
des transformations psychosomatiques. Elles sont tellement nombreuses les causes
qui peuvent altérer un sentiment d’amour qui au début n’avait que des rêves d’éternité!
On peut en nommer quelques unes: la routine, l’habitude, la fatigue, l’égoïsme, l’insatisfaction,
la déception, des nouvelles rencontres, la perspective d’un meilleur partenaire….
À cela il faut
ajouter le fait qu’aujourd’hui l’espérance de vie est beaucoup plus longue que
dans le passé. Autrefois la durée d’un mariage dépassait rarement les vingt ou
les-vingt-cinq ans. Dit cela autrement: à cause de la courte durée de vie du
couple, les mariages d’autrefois n’avaient pas le temps de se casser. L’Église
ne paraissait pas trop intransigeante en exigeant leur indissolubilité. L'indissolubilité»
du mariage était donc presque toujours assurée. Aujourd’hui un mariage peut, en
principe, facilement se prolonger pendant cinquante, soixante ans et peut être
plus. C’est long pour la santé et la vie de l’amour! Certes, il y a des amours «coriaces»
qui réussissent à tenir tout ce temps. Ils sont cependant l’exception. La
majorité des amours s’épuisent et se vident en cours de route, avec le mariage
qui les soutenait.
L’évolution de
l’Univers a déjà accompli un beau travail conduisant les humains à s’unir par
amour. Cette évolution sera-t-elle de taille pour affiner et perfectionner encore
davantage le pouvoir d’aimer des humains jusqu’à les rendre capables un jour de
sentiments et de relations amoureuses à ce point désintéressés, profonds et
stables qu’il leur sera possible de s’unir indissolublement à travers le temps
et envisager des amours qui atteignent l’éternité? L’évolution a déjà accomplie
cet exploit en certains exemplaires exceptionnels d’amants. Le reste de
l’humanité lambine sur les chemins de l’amour. L’amour fort jusqu’à la mort
reste un désir et un rêve continuellement démenti par les limites et les faiblesses
des personnes ainsi que par la dure réalité de l’existence humaine.
Il est vrai
cependant que lorsque les couples modernes décident de se marier, civilement ou
religieusement, ils font cela parce qu’ils sont sûrs de la qualité et de la
solidité de leur amour, parce qu'ils veulent réaliser un projet de vie commune
à long terme et parce qu’ils veulent donner une structure visible, officielle
et juridique à leur décision de vivre un amour qui les unira indissolublement
pour le reste de leur vie. Pour ces couples, la structure extérieure et
juridique du mariage devient secondaire et constitue seulement la protection
extérieure, la gaine ou la coquille qu’ils désirent se donner pour protéger et
mieux vivre leur amour.
Cette
structure formelle de l’institution du mariage, bien qu’elle ne soit pas
essentielle à la réalisation naturelle de l’unité amoureuse, accomplit
cependant une fonction importante dans la réussite du projet amoureux du
couple. Elle constitue l’armure que les époux choisissent de donner à leur
amour, afin que celui-ci puisse trouver, dans l’enclos cordial, réconfortant,
protégé et sécuritaire d’une entente officiellement reconnue, le milieu propice
à l’épanouissement et au développement de l’amour qui produira la fusion
indissoluble des amants en un seul être. La structure officielle du mariage est
comparable à la coquille qui protège la vie précieuse et fragile du nautile qui
l’habite. Ma grand-mère maternelle (qui a vécu 60 ans avec son époux et qui est
décédée un an après la mort de celui-ci) avait l’habitude de comparer son
mariage à un train qui avait besoin de rails, de poteaux, d’avertisseurs
lumineux placés sur sa route pour rouler droit, en toute sécurité et atteindre
sans problèmes la gare d’arrivée. Elle disait que l’amour était le charbon qui
fournissait à «son train» l’énergie d’avancer et le plaisir d’«endurer» son
mari. Elle qui était très religieuse, ne se gênait pas de dire que les curés ne
savaient pas de quoi ils parlaient lorsqu’ils prêchaient que le sacrement
rendait le mariage indissoluble. L’indissolubilité, remarquait-elle, n’est pas un
cadeau que le sacrement du mariage fait aux époux, mais c’est plutôt un cadeau
que les époux font au sacrement du mariage. Grand-mère avait une façon très
personnelle de décrire l’indissolubilité du mariage: «L’indissolubilité du
mariage- disait-elle- c’est quand tu manges quand même la soupe dans laquelle
tu as trouvé le dentier de ton vieux mari ».
Les couples
qui ont à cœur d’assurer la durée, la stabilité ainsi que la croissance et
l’approfondissement de leur amour, ont donc tout à fait raison de vouloir se
servir et de profiter de cet «instrument» qu'est le mariage. Cet instrument
leur fournit de plus un encadrement social, juridique et légal qui favorise les
soins et l’éducation des enfants et facilite l’accès aux avantages sociaux que
les gouvernements offrent à cet effet. Le mariage est donc une valeur positive inventée
par la société qui doit être encouragé et qui doit être préféré aux unions
libres, très courantes aujourd’hui
5. QUELQUES CONCLUSIONS PRATIQUES
Le principe
d’«indissolubilité» est un axiome inventé par la religion et qui ne se vérifie jamais dans la
réalité de notre Univers.
La notion
d’«indissolubilité» appliquée au mariage est une fiction juridique. Elle
convient tout au plus au contrat qui conclut le mariage d’intérêt, mais elle
est un contre-sens lorsqu’on cherche à l’appliquer aux unions formelles d’amour.
L’amour
parfait n’existe pas. Étant donné que les humains, à cause de l’état inachevé
de leur évolution, sont encore à un stade primitif du développement de leur
sensibilité et de leurs attitudes amoureuses, il est normal qu’ils éprouvent beaucoup
de difficultés à aimer «correctement» et que les relations amoureuses qu’ils
tissent soient souvent déficientes, rudimentaires, défectueuses et instables. Il
est donc normal que des amours s’étiolent, se vident, se détruisent et se
meurent. Il est même normal que la faillite de l’amour soit parfois à tel point
grave et totale qu’elle se transforme en hostilité et en haine. L’amour
«durable» dans un couple est l’exception et non pas la règle. L’Église se
trompe et s’illusionne lorsque dans le mariage elle prétend l’amour «parfait»
ou «exemplaire» et lorsqu’elle culpabilise ou punit les couples qui ne réussissent
pas à le réaliser. L’Église devrait faciliter aux amours brisés le chemin vers
un nouvel essai de restauration et vers une expérience amoureuse plus
chanceuse, au lieu d’entraver par tous les moyens la route vers un nouveau
mariage.
L’église
catholique se trompe lorsqu’elle laisse croire au couple chrétien marié que
leur mariage reste toujours valable et effectif, même si un jour l’amour vient à
disparaître. L’Église devrait tout simplement accepter le fait qu’il n’y plus
de mariage lorsqu’il n’y a plus d’amour ou, pire encore, lorsque l’amour a été
remplace par l’indifférence, le conflit et la haine. S’obstiner à croire que le
mariage continue d’exister parce que Jésus l’a déclaré indissoluble, c’est
renoncer à regarder la vérité et la réalité en face, c’est se préoccuper d’un
coquillage vide duquel toute forme de vie a disparue.
Il est tout à
fait normal et légitime que le mariage se termine et que le couple se sépare lorsque
l’amour entre les partenaires, malgré tous les efforts faits pour le ranimer, s’est
définitivement éteint. Cela cependant ne signifie pas qu’il soit toujours
opportun pour le couple de se séparer ou que l’on doive encourager la
séparation ou le divorce. Il y a des situations (enfants en bas âge, avantages
sociaux indispensables, précarité économique, insécurité affective, solitude,
etc.) où le bon sens doit suggérer au couple de rester ensemble, malgré les
difficultés ressenties et après avoir élaboré ensembles des compromis et des
stratégies de vie commune.
Le fait que
l’Église, à cause de sa croyance en l’indissolubilité, soit convaincue que le
lien d’un mariage religieux persiste même après la mort de l’amour, ne doit pas
arrêter le couple à divorcer et à se remarier, s’ils pensent pouvoir vivre une
meilleure relation amoureuse avec un autre partenaire. Les divorcés remariés
qui vivent une meilleure qualité d’amour, n’ont donc pas à s’inquiéter de la
réprobation que l’Église leur réserve. Même si celle-ci refuse de reconnaître
comme un vrai mariage leur nouvelle union, ils doivent se considérer légitimement
mariés «devant Dieu» et vivre en toute tranquillité d’esprit et de conscience:
ils sont de véritables «époux» et non pas des «concubins», comme l’Église
voudrait le faire croire. Les chrétiens divorcés et remariés ne doivent pas se
laisser affecter par l’attitude culpabilisante et discriminatoire de l’Église à
leur égard.
Seulement les
membres du couple sont responsables de la durée de leur amour et donc de la permanence
ou pas de la structure juridique qui l’encadre (le mariage).
L’Église n’a
ni pouvoir ni autorité pour légiférer en matière de sexualité, d’amour et de
mariage. Si elle le fait, personne n’est obligé ni de l’écouter ni de la
suivre.
Les chrétiens ne
doivent pas se laisser affecter, ni se sentir concernés par la menace de la
faute, du péché et du châtiment éternel infligé par Dieu. Ce Dieu n’existe pas.
Et les menaces de punitions divines ne sont qu’une invention et un stratagème
du pouvoir ecclésiastique pour s’imposer jusque dans la vie intime des croyants.
Les divorcés
remariés doivent savoir qu’un acte défendu n’est pas nécessairement un acte
invalide. L’Église peut bien crier haut et fort que les chrétiens mariés à
l’église et juridiquement divorcés ne peuvent plus se remarier; si ceux-ci,
malgré tout, décident de se marier à nouveau sans demander l’annulation canonique
du premier mariage, le résultat n’est pas un concubinat, mais un véritable
mariage. Les divorcés remariés doivent savoir qu’ils ne sont pas plus pécheurs
que n’importe quel autre chrétien; et que ce qui constitue un véritable péché
et un véritable scandale ce n’est pas tant leur situation et leur comportement,
mais plutôt l’attitude et le comportement des autorités ecclésiastiques qui les
jugent et les condamnent, en se servant d’une autorité qu’elles ne possèdent
même pas.
Les mêmes considérations valent
aussi pour les couples homosexuels qui vivent ensemble un amour authentique et
permanent.
S’il y a un
conseil qui peut être donné aux couples amoureux, c’est le suivant: ne tenez
pas compte des normes et des directives catholiques en matière de sexualité, de
procréation, d’amour et de mariage. Laissez-vous guider par votre intelligence,
votre jugement, votre bon sens. Si vos décisions et vos comportements ne sont
pas dictés par l’égoïsme et l’opportunisme, mais par le souci de vivre un amour
vrai, stable et fidèle, n’importe quelle forme de vie commune est acceptable et
légitime, quelle soit encadrée dans la structure officielle du mariage ou pas.
Les
couples dont le mariage religieux a éclaté en cours de route, n’ont même pas
besoin de se donner la peine d’obtenir son annulation auprès des autorités
ecclésiastiques pour se remarier. Cette annulation est une comédie qui ne doit
pas être encouragée. Même si l’annulation de leur mariage religieux est
facilement accordée par le tribunal ecclésiastique à ceux qui ont les moyens
financiers, il est préférable que les personnes divorcées qui veulent se
remarier à l’église donnent plutôt cet argent aux pauvres et qu’elles se
contentent d’un mariage civil qui, parole de Jésus, est aussi authentique,
digne et valable que n’importe quel mariage religieux officié par un prête ou
un évêque catholique.
Que dire de l’infidélité
et de l’adultère ? Dans l’ancienne conception du «mariage contrat d’intérêt»,
l’adultère était considéré un délit accompagné d’une réprobation sociale et
religieuse extrêmement sévère. L’adultère portait ici atteinte à l’honneur du
mâle, à son droit de propriété et à l’exercice exclusif de la sexualité avec
l’autre membre du couple (généralement la femme). Cela explique pourquoi au
cours de l’histoire les mâles ont toujours sur-culpabilisé l’adultère des
femmes et pratiquement innocenté le leur.
Dans le mariage
moderne, où c’est essentiellement l’amour qui tient ensemble le couple, la fidélité
devient la preuve de la santé de l’amour et l’infidélité le symptôme que
l’amour du couple est malade. Si le lecteur partage les idées exprimées dans
cet article sur la façon imparfaite avec laquelle nous vivons nécessairement les
composantes complexes du sentiment de l’amour, il sera davantage porté à comprendre,
à excuser et à relativiser la gravité des «erreurs » et des «écarts» de l’amour et à considérer
l’adultère comme un événement fâcheux, certes, dans la vie du couple, mais pas
surprenant et pas nécessairement catastrophique. Il sera porté à considérer l'adultère comme le débordement d'un fleuve qui devient parfois trop impétueux pour être contenu dans les limites restreintes d'un contrat. Il sera enclin à considérer l'adultère comme un épisode qui s’inscrit dans les cadences normales du processus évolutif
de l’amour dans l’histoire de chaque personne. Et comme dans l’univers tout ce
qui semble être défectueux et désastreux est souvent le début d’une nouvelle
situation qui fait progresser l’évolution du monde, ainsi, même l’infidélité peut
être porteuse de nouveaux commencements. Si on a la sagesse et la grâce de ne
pas la diaboliser.
BM