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mardi 2 avril 2019

LE PÈRE PRODIGUE DANS L’AMOUR

( 4e dim. carême, C – Lc.15, 1-32)

Une « religion » est constituée, d’un côté, par un ensemble de pratiques extérieures et, de l’autre, par un ensemble d’attitudes intérieures, qui servent à « relier », d’une façon positive, harmonieuse et enrichissante l’être humain avec la réalités qui l’entoure.

            Les hommes ont donc créé la religion afin d’avoir à leur disposition un instrument qui puisse les aider à mettre en place, dans leur existence, de bonnes relations avec soi-même, les autres, le monde et le Mystère Ultime qui anime et soutient toute la Réalité et qui est identifié habituellement par le nom de « Dieu». Une religion qui ne réussit pas à rendre les hommes meilleurs, plus spirituels et donc plus humains, n’a aucune valeur, est inutile, peut même être dangereuse et doit donc être abandonnée.

Jésus de Nazareth fut le premier à remarquer que les religions en général, et la sienne en particulier, le long de leur parcours historique, s’étaient complètement fourvoyées soit à propos de l’idée qu’elles avaient de Dieu; soit dans le choix du chemin à parcourir  et des moyens à utiliser pour rendre les humains capables de bâtir derelations leur permettant de devenir des meilleures personnes, avec une qualité d’humanité qui possède de la profondeur, du charme et du charisme.

D’après le Maître de Nazareth, les religions se sont égarées et ont fait fausse route, parce qu’elles ont fondé la construction de ces relations sur l’obligation, l’imposition, la contrainte, l’obéissance aveugle, la soumission servile, la menace, le châtiment, l’intimidation , la peur, la confrontation, la supériorité, le pouvoir, la négation, la dépréciation de la réalité présente et des valeurs mondaines et séculières, au lieu de fonder leurs relations exclusivement sur les valeurs de la liberté, de l’ouverture, de l’accueil, de la confiance et surtout de l’amour.

C’est sans doute à cause de la mauvaise qualité de la religion dans laquelle il a été élevé que Jésus de Nazareth n’a jamais été une personne ni particulièrement religieuse ni particulièrement pratiquante et qu’il a toujours entretenu des relations très critiques et très conflictuelles avec la religion (juive) de son tempe et avec ses représentants. Cela ne l’a pas empêché cependant d’être un Maître « spirituel » exceptionnel et extraordinairement inspiré.

Le Maître a donc cherché à faire comprendre à ses disciples quelle genre d’attitudes, de contenus, d’esprit, d’énergie, ils devraient insuffler dans leurs relations avec les autres, le monde et Dieu, pour que le miracle de la transformation et du perfectionnement de l’homme et du monde s’accomplisse.

Tout l’enseignement de Jésus se réduit et se condense dans une seule et unique exhortation : « Trempez toutes vos relations dans le courant de l’amour, car l’amour est la Force Ultime et Originale de renouvellement d’accomplissement. L’amour est la seule et unique Énergie qui soutient, fait évoluer, fait vivre et conduit à sa perfection tout ce qui existe. Tout se tient grâce à l’amour. L’amour est tout et rien ne subsiste et ne dure sans lui. L’amour est ce qui fait la valeur de la personne.»

L’évangéliste Jean, répercutant la pensée de Jésus, arrive à dire que l’amour est Dieu ou que Dieu n’est qu’Amour. Dieu est le nom le plus anodin et le plus banal que les hommes ont pu inventer pour indiquer la Réalité la plus sublime, la plus merveilleuse, la plus créatrice, la plus féconde, la plus universelle qui existe : la réalité de l‘Amour.

Toute la vie de Jésus a été une hymne d’émerveillement, d’extase, d’action de grâce, d’abandon à cet Amour dans lequel il se voyait et il se sentait continuellement immergé et qu’il désirait faire connaître, partager et communiquer aux personnes qui l’entouraient. Il a fait de ce désir le centre et le but de toute sa vie et le contenu de sa « Bonne Nouvelle » aux hommes : une bonne nouvelle qui devait ouvrir les portes de leur esprit et de leur cœur à ce Dieu-Amour, qu’il appelait « son Père », afin qu’il devienne aussi « notre Père ».

 C’est pour faire comprendre la nature de cet amour qui est Dieu, que Jésus a raconté cette parabole dite du fils prodigue, mais qui, en réalité, est la parabole du père prodigue dans son amour. Cette parabole a été occasionnée par la réaction indignée des scribes et des pharisiens qui se scandalisaient du fait que Jésus se plaisait à fréquenter les gens simples du peuple, les gens des classes pauvres ; qui aimait s’asseoir à la table des gens peu recommandables, considérés comme des impurs et des pécheurs.

Avec cette parabole, Jésus veut montrer aux scribes et aux pharisiens, ainsi qu’aux autres théologiens, docteurs et spécialistes de la religion et de la Loi, que malgré leur instruction, leurs livres sacrés, et leur science, ils ne connaissent et ne savent pas grand-chose de la vraie nature de Dieu; et que le Dieu, auquel ils rendent leur culte et leur adoration, n’est qu’une mauvaise caricature du vrai Dieu, une idole, imbu de lui-même, plein d’arrogance, d’exigence et de ressentiment, construite à leur image et ressemblance.

Avec sa parabole, Jésus veut donc dire à ces gens : « Vous avez votre Dieu ; moi, j’ai le mien ! Le mien, voilà à quoi il ressemble ! Écoutez et jugez par vous-mêmes ! » Et il leur raconte la parabole du père prodigue : un Père avait deux fils… deux crapules de fils…

Un fils plus jeune qui en a marre de la vie de famille ; qui étouffe dans la maison paternelle, où il se sent opprimé, contrôlé, emprisonné et qui veut sa liberté ; qui veut être maître de sa vie, sans personne pour lui dire quoi faire ou ne pas faire. Il veut toute sa liberté. Et pour cela il veut mettre le plus de distance possible entre lui et son père. Il n’aime pas le père, mais seulement l’argent du père.
Le Père sait qu’il est inutile de retenir ce fils qui a besoin d’air, d’aventures, de liberté, de faire ses expériences. Il le laisse partir, sans dire un mot, sans demander de raisons, d'explications, sans lui faire de reproches, sans opposer aucune résistance, et… avec l’argent qu’il a demandé, même s’il n’y a aucun droit…

Le temps passe : fêtes, bombances, réjouissances, la belle vie aussi longtemps qu’il a de l’argent. Lorsque l’argent s’épuise, l’aventurier se retrouve à la rue sans un sous. Alors il décide de retourner à la maison, non parce qu’il regrette ce qu’il a fait, mais parce qu’il meurt de faim. Il est et il reste un voyou et un profiteur. La faillite de son aventure n’a pas réussi à lui faire comprendre qu’il n’y a pas d’avenir loin de l’amour du père.

Quel amour ? L’amour incroyable de ce père incroyable qui ne semble vivre que pour son fils, même s’il est une crapule. L’amour de ce père qui, malgré les âneries de son fils, continue de l’aimer d’un amour débordant, exagéré, presque fou. L’amour de ce père qui, le cœur brisé par l’absence de ce voyou, attend continuellement son retour. L’amour de ce père qui scrute l’horizon chaque matin ; qui guette à la fenêtre chaque soir dans l’espoir, qui sait, de le voir apparaître.

L’amour de ce père, (qui a plutôt le cœur et le comportement d’une mère) qui un beau jour aperçoit de loin son fils s’avancer vers la maison, la tête basse, lourde de culpabilité ; le pas traînant à cause de la faim et de l’épuisement, et qui tressaille, s’émeut, pleure de joie, de bonheur, de tendresse ….
L’amour de ce père, qui, oubliant son âge et toute retenue, court, court à la rencontre du fils perdu et retrouvé ; lui saute au cou ; le serre dans ses bras ; le couvre de baisers ; presse avec force le visage du fils contre son cœur de père, pour le soutenir, pour lui faire entendre les palpitation de son amour; pour empêcher qu’il s’affaisse, qu’il se mette à genoux, qu’il s’humilie et s’écrase davantage (il est son fils! Il n’est pas fait pour ramper, grand dieu !!) ; pour l’empêcher de parler ; pour arrêter net les mots d’excuse et de faux repentir que ce flibustier avait d’avance concocté pour la mise scène de son regret.

L’amour fou de ce père, qui s’en fout des excuses de son fils. Qui s’en fout de ce qu’il est et de ce qu’il a fait, de sa stupidité, de ces gaffes, de sa bêtise, de son hypocrisie, de l’héritage dilapidé,... Il sait déjà tout cela, mais il l’aime pareil ! Il a à nouveau son fils, et pour lui, c’est tout ce qui compte ! Il refuse d’analyser et de vérifier ses intentions et ses sentiments. Tout ce qui l‘intéresse et qui le réjouit, c’est que son enfant chéri soit sain et sauf, soit à nouveau heureux, soit à nouveau près de lui et retrouve à nouveau et vite sa place dans la maison et sa dignité et sa grandeur de fils et d’héritier.

L’amour de ce père, chez qui il n’y aucun reproche, aucune amertume, aucun ressentiment, aucune requête d’explication ou de compte-rendu, aucune demande de repentir, aucune exigence de conversion. Que de la joie, de la jubilation, du ravissement devant ce fils qui, voilà enfin, est à nouveau la lumière de ses yeux et le bonheur de son cœur.

Ce père qui n’éprouve aucun besoin de le pardonner afin de le réinsérer à nouveau dans la sphère de son amour, car cette fripouille n’a jamais quitté son cœur de père. Tout ce que le père lui demande, en guise de compensation, c’est de ne pas refuser les signes et les manifestations d’un amour qui n’en pouvait plus d’attendre.

Avec cette parabole, Jésus veut finalement dire aux scribes et aux pharisiens qui lui reprochent d’aimer et de fréquenter la canaille : « Voilà comme il est mon Dieu, à moi. ! C’est ainsi qu’il agit. Je ainsi que je l’aime. C’est parce qu’il est ainsi que j’en ai fait mon Dieu et mon amour . C’est parce qu’il est ainsi, qu’il est adorable et que j’ai envie de faire comme lui, d’aimer comme lui, et de baigner et de tremper ma vie et mes relations dans l’esprit de son amour.

 Par cette parabole, Jésus veut faire alors comprendre que seulement si une religion est capable de conduire et d’aider les humains à construire dans leur vie des relation animées et inspirées par le même genre de sentiments, d’attitudes et d’amour à l’œuvre dans le père de la parabole, elle accomplit sa fonction, est utile, mérite d’exister et d’être suivie.


BM 27 mars 2019