L’AMOUR QUI TRANSFIGURE
Cette scène de
la transfiguration sur la montagne est le point central de la révélation de
Jésus comme fils de Dieu; mais c’est un récit que l’on ne peut comprendre que
si on l’approche avec les yeux
intérieurs de la foi. Le but de cette mise en scène fantastique montée par les
évangélistes est éminemment didactique: impressionner et donc convaincre les
disciples sur l’intensité de la présence de Dieu en l’homme de Nazareth. Quelle
meilleure définition de Dieu en nous si non cette lumière qui jaillit de notre
visage et de notre cœur et qui nous permet de faire l’expérience d’un profond
bonheur ? Ce récit de la transfiguration
veut mettre en relief que Jésus est l’homme de Dieu, celui qui est entré dans le secret de Dieu, celui qui a saisi la
vérité et la réalité de sa présence en notre
monde et qui en vit totalement. Et cela
au point que Dieu est devenu pour ainsi dire sa seconde nature; il ne vit qu’en
Lui, de Lui et pour Lui; il ne pense qu’à Lui; il n’agit que poussé par son Esprit. Pour
l’homme de Nazareth, Dieu est le centre de son monde. Il est le soleil dont la lumière pénètre tout, pour
donner à tout croissance, beauté et vie; l’énergie qui soutient tout et qui est
à l’origine de tout. C’est pour cela que pour Jésus Dieu est Père; c’est pour
cela qu’il se sent son fils.
Comment peut-on décrire une condition humaine dans laquelle on se sent comme soulevé de terre à
cause de la présence permanente de Dieu? On ne peut la décrire que comme
une existence proche du ciel, élevée, enveloppée de lumière, transfigurée par
un bonheur tellement intense qu’il ne
peut que se déverser et transparaître dans
toute la personne, dans ses yeux, dans les traits de
son visage et dans tout son comportement. C’est de cette façon que l’évangéliste
veut présenter Jésus. En cet homme Dieu vit et se manifeste à nous et, à
travers lui, il éclaire et réjouit
notre monde triste et sombre. Cet homme est un être venu du ciel et en
compagnie duquel on se sent «comme au ciel» et duquel on ne voudrait plus
s’éloigner.
L’évangéliste cherche donc à décrire comment un
être humain pourrait apparaître aux yeux de ceux qui l’entourent, lorsqu’il vit en Fils de Dieu. Il veut imaginer comment pourrait apparaître une vie humaine vécue
dans un rapport d’intimité, d’abandon et de confiance avec Dieu. Elle ne peut
être qu’une vie transfigurée par la joie et le bonheur de
sentir que rien ne peut désormais l’arracher ou la séparer de cet Amour qui la
pénètre, l’enveloppe et la porte de toute part. Et puisque Jésus est l’homme qui vit immergé en Dieu, voilà qu’on lui attribue la
capacité d’expérimenter déjà dans son corps, ici et maintenant, ce bonheur
total qui le transfigure en en être de ravissement et de lumière.
Posséder Dieu, se sentir enveloppé par son amour,
vivre comme des personnes aimées et dégageant
de l’amour autour d’elles, voilà le secret d’un être transfiguré! Voilà la recette d’un bonheur authentique, qu’aucune épreuve, ni aucune souffrance ne peut altérer ou assombrir. Même
dans le défigurement de sa passion et l’abjection
de sa mort imminente, Jésus est et restera un être transfiguré, car toujours habité par l’amour et la
présence de Dieu. Même après sa mort il sera toujours pour tous ses disciples un être rempli de vie et de lumière.
Ce
récit veut alors nous dire que, en Jésus, nous assistons au miracle de l’amour qui
transfigure et à la métamorphose opérée par le bonheur dans la vie d’une personne. Je me demande si la
transfiguration de Jésus est un phénomène
réel ou si elle n’est pas plutôt une
sensation subjective des disciples qui
regardant Jésus dans un de ses moments de prière, de communion
avec Dieu, ont eu la chance de percevoir et de contempler pour un bref moment son visage transformé par l'extase et le bonheur de son
intimité avec le Père. N’avez-vous pas déjà remarqué qu’une personne ne révèle son véritable aspect, son vrai visage que dans les moments de joie profonde, de bonheur intense, d’extase des
sens et de l’esprit ? C’est dans ces
brefs instants que la beauté réelle de cette personne, cette beauté du
cœur souvent cachée, ce que cette
personne est vraiment au plus profond d’elle même et aux yeux de Dieu, c’est
dans ces brefs moments de ravissement
que tout cela surgit à la surface. Et c’est habituellement une révélation extraordinaire ! Une sorte de miracle s’opère: comme un diamant
frappé par le soleil, ce visage rayonne de mille éclats et devient ravissant
de beauté. L’irruption du bonheur,
causé souvent par l’expérience de l’intimité et de l’amour, fait ressortir le
vrai visage d’une personne qui est normalement altéré, faussé, caché par le
masque utilisé pour remplir le rôle et pour jouer le personnage dans le déroulement normal de la vie.
Il est donc vrai qu’il y des visages qui sont «resplendissants comme le soleil»; des visages qui sont lumineux. Il est vrai
qu’il existe des moments où nous découvrons dans les yeux de certaines
personnes, un tel amour, une telle confiance, une telle intensité de sentiments,
qu’ils nous font penser à l’eau profonde d’un lac où la beauté du ciel se réfléchit.
Il y a des personnes dont le visage est
tellement empreint de bonté et réfléchit une telle paix que l’on ne peut pas s’empêcher de penser
qu’elles sont des cadeaux du ciel et des manifestations tangibles d’un Amour
qui laisse un peu partout des traces de sa présence. C’est ainsi, je pense, que
Jésus a dû être perçu par ses contemporains.
Témoins de la transfiguration et du bonheur de leur
Maitre, les disciples, nous dit l’évangile, sont tellement ravis qu’ils
voudraient arrêter le temps et éterniser cette expérience de pur enchantement.
Ils sont heureux à cause du bonheur de
leur Seigneur. Car le bonheur est contagieux, il déborde et il se répand comme
la lumière du soleil. C’est seulement dans le bonheur de l’autre que notre
bonheur trouve sa plénitude et sa réalisation. Alors que la souffrance est
souvent «égoïste», car elle nous replie sur nous-mêmes et nous ferme aux autres à cause de la préoccupation, de la peur et de l’angoisse qu’elle fait
peser sur notre existence; le bonheur est désintéressé, ouvert, prodigue, il
cherche à se manifester et à se communiquer; et lorsqu’il est authentique, il
devient une source de salut pour tous. On dit souvent que la souffrance
rapproche de Dieu. C’est parfois vrai. Mais je pense que c’est surtout le
bonheur que nous ressentons dans notre cœur qui est le signe le plus frappant de
la présence de Dieu dans notre vie.
Drewermann disait qu’on de ne devrait pas parler
de personnes sans Dieu et de personnes qui croient en Dieu, mas plutôt de
personnes heureuses et de personne malheureuses, c’est-à-dire de personnes qui
marchent ensemble sur la route qui mène à Dieu, mais qui se trouvent à une distance
différente d’elles-mêmes et de leur Origine.
Cet évangile finalement nous transmet un
enseignement bien simple: c’est la
présence de Dieu en toi qui finalement transfigure ta vie et fait de toi un être rayonnant de bonté, de
beauté et de lumière. C’est le cœur de la
bonne nouvelle que le Maitre de Nazareth nous a laissé.
MB