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lundi 15 novembre 2021

 

Un espoir plus fort que la mort 

(33e dim. ord. B – Marc 13,24-32-  2021)

 

 La   seconda moitié du premier siècle, lorsque l’évangéliste Marc écrivait son évangile, fut en Occident une période historique particulièrement difficile et éprouvée.  En l’année 70, la nation juive avait été anéantie par la destruction de la ville emblème et sainte de Jérusalem. En l’année 79, le Sud de l’Italie avait été bouleversé par l’apocalyptique éruption volcanique du Vésuve, qui avait littéralement enseveli, sous une pluie de feu et de cendres, les villes de Pompéi et Herculanum avec la presque totalité de leurs habitants. Au Nord de l’Europe, l’Empire Romain devait faire face aux attaques et aux invasions constantes des peuples « barbares », attirés par les terres fertiles et les climats tempérés des régions de la Méditerranée.  De leur côté, les chrétiens subissaient les féroces persécutions de Néron et de Domitien et vivaient exposés à l’insécurité, à la menace, à la haine des païens au péril de leur vie. Ils avaient donc l’impression d’assister déjà aux préludes de la fin imminente du monde annoncée par Jésus.

La foi et la confiance des chrétiens de cette époque étaient donc mises à dure épreuve. Ceux-ci  se demandaient, en effet, pourquoi ils étaient aussi détestés, aussi persécutés, aussi abandonnés par Dieu, alors que Jésus leur avait dit qu’ils étaient le sel de la terre, la lumière du monde; qu’ils leur avait promis qu’il ne les laisserait  pas orphelins et qu’il serait avec eux jusqu’à la fin des temps; que providence, la tendresse et l’amour de Dieu, son père et leur père les aurait toujours suivis, protégés et sauvés et que même pas un cheveux de leur  tête ne serait tombé sans que Dieu le veuille.

 Ce discours confus, décousu et nébuleux sur la fin du monde que Marc attribue à Jésus voudrait être une réponse à ces questions. Il voudrait exhorter les chrétiens de son temps à ne pas avoir peur. Il souhaiterait les encourager à ne pas perdre confiance et à garder la foi et l’espérance. En même temps cependant, par ces images apocalyptiques et ces descriptions d’un univers qui s’écroule et qui finit, Marc veut les rendre conscients que dans la vie, ils seront toujours confrontés à des fins et à des recommencements ; à des cataclysmes réels ou apparents ; à la lutte du mal contre le bien et du bien contre le mal. Cette lutte et ces contradictions, ils les verront à l’œuvre partout : dans leur chair, au sein de leurs familles, dans la société où ils sont insérés, dans les événements et les situations de leur époque. Ainsi auront-ils souvent l’impression que le mal est plus répandu que le bien, que la méchanceté l’emporte sur la bonté, la haine sur l’amour, les ténèbres sur la lumière et que l’on vit dans un monde déserté par Dieu et en proie au pouvoir du Mal.

     Ce texte de Marc cependant nous rassure qu’il n’en est pas ainsi ! Malgré ce que l’on peut penser ou croire, c’est Dieu qui est le plus fort. Malgré toutes les apparences contraires, les forces de l’amour, de la bonté dépassent grandement celles de la haine, de l’égoïsme et de la méchanceté. Ce sont ces énergies bénéfiques et créatrices qui soutiennent notre Univers et qui, si elles sont cultivées, continueront à faire vivre et faire progresser notre humanité.

 L’Évangile veut aussi nous faire comprendre que dans notre existence les fins et les commencements s’alternent régulièrement. Rien dans notre vie n’est stable, fixe, définitif.  Au contraire, nous ne vivons que parce que nous devenons, que parce que nous changeons. Nous nous réalisons que parce que nous nous transformons. C’est le changement qui permet à nous et à la réalité de notre Univers de continuer à exister dans un mouvement d’évolution continuelle. C’est toujours la fin de quelque chose qui devient le début d’une chose nouvelle.

     L’Évangile, qui est avant tout une école de vie, nous enseigne donc que pour devenir des hommes et des femmes de valeur, nous devons accepter de mourir continuellement à quelque chose. Que de pertes nous devons subir et endurer au cours de notre existence ! Nous perdons inévitablement la jeunesse, la beauté, la souplesse, la force, la santé, la vivacité de l’esprit, la mémoire, souvent nous perdons l’innocence, la paix intérieure, nos promesses, nos affections, nos amours, la présence des êtres chers…et, finalement et inexorablement, nous perdons notre vie .

    Faudra-t-il angoisser, désespérer, broyer du noir à cause de cela ? Jamais de la vie, nous dit l’évangile d'aujourd’hui !  Tout cela, au contraire, fait partie du mystère de l’être en ce monde, ainsi que du plan et du Mystère de Dieu.

 Mystère de Dieu, que   nous croyons, malgré tout, être un mystère d’amour qui cherche toujours à nous accomplir. Et cela à travers notre fragilité foncière, à travers les vicissitudes d’une existence inexorablement emportée par le courant du temps vers des ports inconnus mais que nous espérons être pour  nous des havres de paix et de  bonheur.

  Tel, au moins, est l’espoir que ce discours de Jesus semble vouloir semer dans notre esprit et dans notre cœur.

 

 

Bruno Mori  - Montréal le 11 novembre 20210  

 

lundi 1 novembre 2021

 

Le maître qui devint un élève

(31 dim. ord. B - 2021 – Mc 12,28-34)

Les scribes juifs du temps de Jésus étaient appelés docteurs de la Loi, rabbins ou maîtres, parce qu'ils étaient les spécialistes des écritures saintes (la Torah ou la Bible) : pour cela ils jouissaient d'un prestige incontesté dans la société juive de cette époque. La cause de cette ascension sociale des scribes était due au déclin de la monarchie, à l'exil, à la destruction du temple de Jérusalem par Nabuchodonosor II (en 586 av. J.C.) et à la décadence conséquente du sacerdoce. Tous ces événements ont fini par concentrer la religiosité juive dans la connaissance et la pratique de la Torah ou de la Loi de Dieu contenue dans les Saintes Écritures (surtout le Pentateuque). La Torah devint alors le seul guide spirituel du peuple juif et ceux qui étaient capables de la lire, de l'interpréter et de l'appliquer acquirent un grand pouvoir.   

Il était inévitable que l'esprit libre, ouvert, novateur, critique et contestataire de Jésus, combiné avec la perception totalement différente qu'il avait de Dieu, de la fonction de la Loi, du salut et du bonheur humain, se manifestent par une opposition ouverte à la mentalité et aux convictions arrêtées de ces docteurs de la Loi. Les évangélistes sont, en effet, unanimes à attribuer à Jésus un comportement méfiant, critique et parfois même agressif envers les scribes et les pharisiens que Jésus trouvait exagérément intégristes, fondamentalistes, fermés et, bien souvent, hypocrites et vaniteux.

On comprend alors les critiques que, de leur côté, les scribes adressaient à ce faux  «maître » improvisé et non qualifié qui, face à la Loi, se permettait d’en prendre et d’en laisser et qui osait l’interpréter à sa façon et selon des paramètres pas très orthodoxe et totalement différents des leurs.

Étonnamment, dans ce passage d’évangile la rencontre du scribe avec Jésus se déroule dans une atmosphère de sympathie, d'admiration mutuelle, de désir d’'apprendre de l’autre, d’espoir, de la part de ce scribe, de mieux percer le mystère de Jésus qui l’intrigue, mais que déjà, inconsciemment, il admire. En effet, si ce scribe vient ici interroger à son tour Jésus, c’est parce qu’il avait déjà été frappé par la pertinence et l'acuité de ses arguments et de ses réponses de Jésus lors d’une discussion qu’il  avait eu auparavant avec les Sadducéens au sujet de la résurrection des morts.  Ce  docteur en sciences bibliques veut savoir d’où ce paysan, sans études et sans diplômes, tire se ses connaissances bibliques et son étonnante sagesse.

 Il approche donc ici Jésus comme un professeur approche un élève, avec l’intention de lui faire passer un sorte d’examen, afin de tester la qualité de ses connaissances. Il est déterminé à percer à tout prix le mystère de cet homme, même par le recours  à la ruse et au stratagème, s’il le faut,  pour obtenir l’information qu’il veut. Il pose en effet à son élève une seule et unique question :  mais il s’agit d’une question « colle », d’une question piège, d’une sorte d’énigme auquel personne jusqu’alors n’avait été capable de répondre, mais de la bonne réponse auquel dépendait, pour ce scribe, tout le sens de son existence. En même temps, la réponse à cette question  aurait dû  lui  révéler  au-delà de tout doute, l’authenticité et la qualité du savoir de Jésus et lui aurait permis d’entrevoir la Source à laquelle ce prédicateur ambulant puisait le succès de sa prédication et sa surprenante sagesse.

La question que ce scribe, sans aucun préambule, adresse à Jésus est la suivante : «Quel est le premier de tous les commandements ? » À l'époque de Jésus, il n'y avait pas d'accord entre les spécialistes de  la Bible   sur cette question,  de sorte que  personne ne savait ou pouvait affirmer  avec certitude quel était le premier et le plus important commandement donné par Dieu aux hommes, ni combien de  commandements  divins la  Bible  contenait,  puisque, en réalité  il y en avait une infinité ( lois, ordres, directives, prescriptions, normes rituelles, prohibitions, interdits , etc.), de sorte qu’aucun spécialiste de la Torah n'avait jamais réussi à en dresser une liste exhaustive et complète. De plus, ces commandements, venant tous de Dieu, et étant donc tous également importants, ils plongeaient les biblistes   dans un grave dilemme lorsqu’il s’agissait d’établir entre eux un ordre hiérarchique de primauté et d'importance.

Cela étant dit, on peut facilement comprendre le bouleversement intérieur et l’incontrôlable sentiment d'admiration et de vénération qui jaillit du cœur de ce scribe, lorsque Jésus, sans aucune hésitation et avec l’assurance et la simplicité de celui qui sait et qui a toujours su, non seulement lui révèle quel est le premier commandement, mais il l'informe aussi   que le premier commandement possède une autre face jumelle et identique sans laquelle il ne peut pas exister.

Le scribe, devant la rapidité, l’acuité et la justesse de la réponse de Jésus, doit alors reconnaître que, ici, le vrai Maître n'est pas lui, mais cet extraordinaire bohémien rempli de l'esprit et de la sagesse Dieu. Alors, voulant complimenter Jésus pour l’à-propos de sa réponse, voilà que ce docteur de la Loi, descendu de son hauteur et abandonné toute suffisance, il ne peut pas s’empêcher de s’adresser maintenant à Jésus comme à son maitre : « Fort bien, Maître, - lui dit-il - tu as bien parlé, tu as dit vrai, tu as raison…!». Face à   Jésus, ce scribe prendre la place de l'élève et du disciple subjugué et ébloui par la lumière de ce Maître.

Et Jésus, avec son autorité de Maître, complimentera à son tour ce scribe pour la finesse de ses sentiments et la bonne qualité de ses dispositions. Il lui annoncera que, à son école, il apprendra comment réussir pleinement sa vie et comment s’impliquer dans la venue d’un monde nouveau. « Car, - lui dit-il – tu possèdes toutes les qualifications et les attitudes nécessaires pour cela, tu es un bon élément, de sorte que tu n'es pas loin du royaume de Dieu !»

 Voilà, le maître c’est prononcé. L’élève a été évalué. Il a réussi son examen. L’élève a été accepté. Les rôles, cependant, ont été inversés ! 

 

Bruno Mori - 26 octobre 2021