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lundi 15 janvier 2018

CES REGARDS POSÉS SUR NOUS...

(Jn 1,35-42 - 2e dim. ord. B - 2018)

1. Ces regards posés sur nous  

Dans ce passage de l’évangile de Jean, on sent encore le frémissement ému de la première rencontre du disciple que Jésus aimait avec son Maître, dont le souvenir est resté gravé dans sa mémoire.

Dans ce texte, écrit longtemps après les événements, nous assistons encore aujourd’hui à ce jeu de regards qui a dû tant impressionner le disciple: jeu de regards chargés d’attente, d’émotion, d’admiration, de sympathie et d’amitié posés sur les personnes et qui a eu comme effet de les changer pour toujours. Le Baptiste et deux de ses disciples fixent leur regard sur Jésus qui approche. Celui-ci se retourne et les regarde. Les disciples le regardent et lui demandent où il habite. Le Maître leur dit de venir voir. Les disciples le suivent, ils voient et ils restent avec lui ce jour-là et tous les autres jours de leur existence.

Il y a ici comme une invitation non pas à éviter ou à ignorer les regards des autres, comme nous faisons habituellement, mais à les saisir, à se laisser interpeller, affecter, toucher et pénétrer par eux. Car, s’il est vrai qu’il y a des regards mortifères qui nous jugent, nous rabaissent, nous condamnent ; il y en a aussi beaucoup d’autres qui nous sauvent, qui nous guérissent, qui nous libèrent, qui nous font revivre, qui nous donnent des ailes, parce qu’ils créent la confiance en nous-mêmes, nous font découvrir que nous sommes extraordinaires, beaux, aimables et aimés ; et qui, par conséquent, remplissent notre existence de joie et de bonheur.

2. Ces regards qui nous brisent   

Je voudrais ce matin réfléchir avec vous sur l’importance et aussi l’ambivalence de ces regards qui, au cours de notre existence, se posent sur nous. C’est un fait, que souvent on a l’impression que tout le monde nous regarde, nous observe, nous surveille, nous en veuille, au point d’en être parfois perturbés et même angoissés. Ce malaise entraîne un sentiment d’insécurité qui, dans certains cas, peut se transformer en timidité, en peur, en anxiété et en culpabilité chroniques, voire même dégénérer en « phobie sociale ».

Sans arriver à ces extrêmes, il est certain que nous donnons habituellement une grande importance à la façon dont les autres nous regardent. Nous craignons d’être jugés. Nous avons peur de faire rire de nous; de ne pas montrer notre meilleur visage. Les raisons pour craindre le regard des autres sont multiples. Elles remontent souvent à notre enfance ; à une éducation sévère et rigide; à un contexte familial difficile; à des parents autoritaires, exigeants, toujours insatisfaits de nos performances; à la fréquentation de personnes qui nous ont brimés, mortifiés, opprimés, qui ne nous ont pas fait confiance, qui n’ont pas su encourager le développement de l’estime en nous-mêmes et en nos capacités.

La société dans laquelle nous vivons et qui valorise presque exclusivement la performance, la compétition, l’excellence, la réussite … peut aussi avoir eu son impact négatif sur la perception que nous avons de nous-mêmes, de nos possibilités, de notre valeur, de notre estime : nous craignons de ne pas être « à la hauteur »… À la longue, ce regard négatif et exigeant nous pèse au quotidien ; il est éprouvant pour les nerfs ; nous empêche de relaxer, d’être pleinement nous-mêmes, de faire ce que nous aimons vraiment, de nous réaliser selon nos désirs et nos rêves et de trouver notre véritable place dans la société.

Mais avons-nous vraiment raison d’attribuer une telle importance au regard des autres ? Avons-nous raison de penser que les autres nous regardent hostilement et nous jugent durement ? Cette impression est-elle vraiment fondée, correspond-elle vraiment à la vérité et à la réalité ? Ou se pourrait-il qu’elle ne soit, en réalité, que le produit de notre imagination et la projection de nos peurs et de notre insécurité profonde ?

S’il arrive parfois que le regard des autres, en croisant le nôtre, s’arrête brièvement sur nous, pourquoi supposer, par principe, que c’est pour nous juger, critiquer ou condamner, et non pas plutôt parce qu’ils ont été agréablement frappés par les traits plaisants et singuliers de notre personnalité ?

Alors, au lieu de craindre le regard des autres posé sur nous, ne pourrions-nous développer une attitude et une approche plus positive et bienveillante et penser que, s’il y a des gens qui nous regardent, c’est peut-être pour nous signifier combien ils nous trouvent sympathiques et pour nous indiquer que la route qui mène à leur cœur est ouverte à un possible échange d’amitié, de collaboration et, pourquoi pas, d’amour ?

C’est précisément cette route que ce texte d’évangile nous invite à entreprendre.

3. Ces regards qui nous recomposent  


            Si, d’un côté, il est vrai que nous sommes portés à craindre le regard des autres, de l’autre côté, il est vrai aussi que nous détestons l’anonymat et que nous ressentons un besoin viscéral d’être regardés avec intérêt, admiration et sympathie. Quelle souffrance dans notre vie lorsqu’on se sent invisibles et insignifiants ! Quelle déception et quel coup à notre ego, lorsqu'au cours d’une fête avec des amis, d’une soirée avec des collègues de travail, d’un événement social, personne ne semble s’apercevoir de notre présence! Quelle épreuve aussi dans notre vie professionnelle lorsque nos qualités, nos talents, nos compétences ne sont pas considérées et appréciées à leur juste valeur! Quelle tristesse dans la vie d’un couple lorsque la présence de l’autre est considérée comme acquise et que son désir d’attention et de tendresse n’est même plus remarqué! Nous voulons tous être regardés, reconnus, recherchés, accueillis et aimés, afin de pouvoir nous accepter, être heureux et donner de la plénitude et du sens à notre existence.


Par ailleurs, nous savons tous de quoi sont capables certains individus pour obtenir un bref moment de célébrité à la TV, sur YouTube, Facebook, Instagram ou dans d’autres réseaux sociaux. Il y a des gens qui sont prêts à balancer aux quatre vents les valeurs les plus sacrées, les sentiments les plus nobles et même des pans entiers de leur vie personnelle et intime, pour percer la barrière de l’anonymat. Pourquoi ? Parce que si personne ne me voit, si personne ne me remarque, si personne n’entend jamais parler de moi, je ne vaux rien ; je ne suis rien ; je n’existe pas.

Cependant, il ne faut jamais oublier que la valeur et la qualité de notre personne ne sont jamais mesurées par le regard d’autrui, mais uniquement par la valeur et la qualité de notre propre regard. Nous valons et nous sommes ce que vaut et ce qu'est notre regard. Le regard ne trahit et ne ment jamais. Il est un livre ouvert sur l’état de notre âme. Il dit toujours la vérité sur ce que nous sommes, sur nos intentions et nos sentiments. Il est le reflet et le miroir de notre âme, capable de dévoiler les zones les plus mystérieuses et les plus secrètes de notre personne.

Ainsi, s’il y a des regards qui sont vides, éteints, fuyards, indifférents, absents, durs, agressifs, jaloux, haineux, provocateurs, méchants… il y en a, par contre, d’autres qui sont comme une fenêtre de ciel ouverte sur la terre, tellement ils sont purs, clairs, lumineux, inspirants, rayonnant la bonté, la douceur, la bienveillance, la joie, la tendresse et l’amour. Ces regards de ciel éblouissent, captivent, fascinent, séduisent. C’est le type de regard duquel on aimerait toujours s’envelopper et dans lequel on voudrait se perdre. Je pense que c’est ce regard que les disciples ont dû apercevoir dans les yeux de Jésus. Je suis convaincu que c’est à cause de ce regard « divin » découvert sur le visage de Jésus que les apôtres ont tout abandonné de leur vie précédente pour s’aventurer à sa suite. La vie quotidienne peut devenir banale et insignifiante lorsque on a découvert un coin de paradis où rester.

4. Ces regards qui font vivre

Finalement, si dans notre existence nous avons tous besoin de sentir un regard posé sur nous, nous ne voulons cependant pas de n’importe quel regard. Nous avons besoin que quelqu’un nous regarde et nous fixe comme Jésus a regardé et fixé Pierre (Jn 2,42).

Nous avons besoin d’un regard qui ne s’arrête pas à l’extérieur, mais qui soit capable de pénétrer en nous et de voir ce que nous sommes en réalité dans les profondeurs de notre âme. Nous voulons un regard qui nous accepte tels que nous sommes, avec notre lot de bien et de mal, avec nos zones de lumières et d’ombres.

Nous voulons un regard qui se pose sur nous avec amour et qui nous accueille sans dédain, sans honte, sans peur, sans calcul, sans conditions. Nous voulons un regard qui nous accepte et qui nous veuille tels que nous sommes; qui se complaise même dans la découverte de la lourdeur de notre existence, tissée souvent serrée avec les fils de nos faiblesses, de nos médiocrités, de nos mesquineries, de nos bêtises, de nos erreurs et de nos fautes, qui s’entrelacent cependant toujours aussi avec les fils de trame de tant de gestes de bonté, d’altruisme, de générosité, de gentillesse et d’amour qui ont fini par faire de nous ces magnifiques exemplaires d’humanité, labourés par les vicissitudes de l’existence, que nous sommes finalement devenus.

Quelle est alors la qualité de notre regard ? Jésus demandait à ses disciples d’adopter le regard de Dieu, son Dieu, qui enveloppe toutes créatures d’un regard de bonté, d’accueil, de tolérance, de miséricorde, de tendresse et d’amour. Jésus n’hésitait pas à conseiller à ses disciples d’arracher l’œil mauvais qui à cause de son regard insensible, nourri à l’égoïsme et à la convoitise, devenait cause d’injustice, de mal et de souffrances pour les autres humains.

C’est ce regard d’amour de Jésus qui a sondé les profondeurs du cœur de Simon et qui a vu et qui a cru au potentiel de feu, de courage, de fidélité, de sensibilité que cet homme possédait, avec tous ses défauts, qui a transformé le rude et frustre pêcheur de Galilée en cette «pierre» inébranlable sur laquelle a pu s’appuyer et prendre son essor le rêve (ou l’utopie) du prophète de Nazareth.

Comme Jean, Simon et André, nous avons tous besoin de ce regard d’amour posé sur nous et capable de faire venir à la lumière le meilleur qui est en nous, et d’apercevoir notre vrai visage à travers les apparences défigurées produites en nous par les combats et les blessures de la vie. Et si nos accompagnions alors les disciples pour aller voir, nous-aussi, où le Maître habite ?        
       
BM  -Janvier 2018