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vendredi 24 décembre 2021


Une naissance qui mérite d’être fêtée

Noël 2021


Depuis la nuit des temps, grand nombre des manifestations sociales des premières sociétés humaines ont été motivés par le désir de célébrer l’apparition ou l’arrivée de phénomènes et d’événements qui ont été ou qui sont particulièrement marquants et importants pour le bien-être des individus de la communauté humaine.

On peut donc dire que presque toutes les fêtes, avec leurs rites, leurs célébrations, leurs chants, leurs danses, ont été inventées pour se réjouir, pour exprimer reconnaissance, admiration et exaltation devant la « naissance » de quelque chose ou de quelqu’un qui a eu ou qui a une influence inspirante et bienfaisante sur notre existence.

Ainsi, au début de notre histoire, ce qui impressionnait les hommes primitifs c’était surtout les phénomènes naturels dont ils n’avaient pas d’explication : la naissance du soleil et l’arrivée de la lumière chaque matin, les phases de la lune, les cycles des saisons, la venue des pluies et des moissons, le miracle de la germination, de la gestation, de la maturation des produits et des fruits de la Terre, prodiges qui se répétaient régulièrement chaque année.

Les fêtes sont nées aussi pour célébrer, pour se souvenir, pour se réjouir de la « naissance » des personnes aimée qui ont été ou qui sont importantes et qui comptent beaucoup dans la vie d’autres humains.

À notre époque, si nous ne sommes plus si impressionnés par la naissance et la manifestation des phénomènes naturels qui ont désormais perdu leur caractère mystérieux et magique, nous continuons cependant à célébrer avec beaucoup d’ardeur et d’assiduité la « naissance » des personnes qui nous sont chères, au point qu’ aujourd’hui, dans notre société occidentale, cette célébration est devenue la « fête » par excellence, presque la seule fête, le seul rite et la seule solennité auxquels nous participons et qu’il ne nous est pas permis d’oublier, sans en ressentir regret, confusion et une certaine honte.

On comprend facilement le pourquoi. En effet, si aujourd’hui les phénomènes naturels ont perdu le caractère merveilleux qu’ils avaient autrefois, par contre les personnes merveilleuses qui nous entourent n’ont rien perdu de leur mystère, de leur fascination et de leur importance. De sorte qu’elles nous donnent encore et toujours envie de fêter le jour où elles sont entrées dans notre monde et dans notre vie comme un magnifique cadeau venu l’enrichir et la rendre plus heureuse. Voilà pourquoi la date de leur naissance nous donne toujours envie de nous réjouir. Nous sentons, en effet, que sans elles, le monde ne serait pas aussi beau, ni notre vie aussi remplie, aussi accomplie et aussi heureuse.

Si nous sommes d’accord avec cela, alors nous sommes à même de comprendre le sens et la charge vitale, spirituelle et émotive que la fête de Noël possède pour nous, les chrétiens, lorsque, chaque année, nous fêtons et célébrons la Naissance de Jésus de Nazareth, notre Maître et notre Seigneur.

En effet, s’il y a quelqu’un qui, par sa naissance et par sa présence parmi nous, a bouleversé et changé, en partie, le cours de l’histoire humaine, ainsi que l’existence d’un grand nombre de personnes, c’est bien l’Homme de Nazareth, véritable cadeau de Dieu donné à notre pauvre et souffrante humanité.

Aujourd’hui, en ce jour de Noël, nous les chrétiens, nous avons une raison supplémentaire de nous réjouir et de fêter cette naissance : en tant que communauté chrétienne ici réunie pour cette fête, ne sommes-nous pas des membres de sa famille, ses frères et sœurs, certainement des amis qui avons créé une relation d’attachement, d’admiration, d’amitié et d’affection uniques avec cet homme si exceptionnel et si extraordinaire que nous sommes tentés de l’adorer comme s’il était l’incarnation de Dieu? N’avons-nous pas d’excellentes raisons pour être alors aujourd’hui dans la joie et la Fête ?

Ainsi, en ce temps de Noël, à travers nos réjouissances, nos décorations, nos lumières, nos élans de bonté et d’amour typiques de ce temps, nous voulons dire et exprimer comment notre existence aurait été triste et pitoyable si elle n’avait pas été visitée, éclairée, élevée par la présence en nous de l’Esprit et des valeurs que la naissance de l’homme de Nazareth a apportées à notre monde.

Alors, un joyeux Noël, mes chers amis !!!

  

Mori Bruno – Noël 2021 

jeudi 2 décembre 2021

 

EN FINIR AVEC LE MONDE QUI NOUS HABITE

(1er dim. Avent, C – Lc 21,25-28.34-36 – 2021)

En tant que chrétiens, nous sommes aujourd’hui invités à assumer l’attitude de celui qui attend et qui espère que quelque chose de surprenant, de diffèrent et de nouveau, de meilleur se produise en nous et dans notre monde. C’est un fait que nous vivons constamment dans l’attente et l’espoir de « temps meilleurs », d’une meilleure situation, d’une meilleure vie …. et cela depuis la nuit des temps .

            En effet, depuis qu’homo sapiens a fait son apparition sur cette terre, il ne se contente jamais de son état.  Il est essentiellement un être insatisfait et donc un être de désir et avec des attentes immenses. Et c’est à cause de cela qu’il a fait l’histoire ; qu’il a transformé la Nature et qu’il a fini par altérer, saccager, détruire empoisonner son milieu de vie et par créer toutes les conditions pour déclencher la fin du monde qu’il habite. 

C’est pour cette raison que l’humain est passé à l’histoire non seulement comme la créature la plus intelligente, la plus imaginative et la plus inventive, mais aussi comme la plus avide, la plus rapace, la plus insensée et la plus stupide.   C’est également pour cette raison que chez presque toutes les grandes religions du monde l’homme a acquis la renommée d’un être fondamentalement mauvais, méchant, égoïste, destructeur, en un mot, « pécheur » .

C’est cette caractéristique de l’homme à être toujours insatisfait et à désirer toujours davantage qui est à l’origine autant des promesses et des attentes messianiques anciennes, que des mythes modernes de progrès continuel, de production, de consommation, de croissance et de développement sans limites, mythes qui, malheureusement, portent tous l’empreinte et la souillure du « péché » de l’homme.

Ainsi, par exemple, dans l’histoire ancienne, les juifs ont attendu un Messie libérateur pendant dix-huit siècles. Et lorsque beaucoup d’entre crurent qu’il était arrivé dans la personne de Jésus de Nazareth, leurs chefs furent incapables de le reconnaitre et de l’accepter. Au contraire, ils l’éliminèrent parce qu’il ne leur apportait pas le gendre de libération et de salut qu’ils espéraient. Si la  venue du Messie fut insuffisante pour les juifs, elle le fut également pour les premiers chrétiens, qui continuèrent à attendre sa « deuxième venue » .

Nous aussi aujourd’hui, en ce XXI siècle, nous continuos encore et toujours à attendre et à espérer la fin d’un monde malade, misérable et mauvais et la venue d’un autre monde plus sain, plus juste et plus beau, qui offrira à chacun la possibilité de se réaliser selon ses aspirations et de trouver enfin son bonheur. Cependant, aveuglés et hébétés par l’angoisse du pouvoir et de l’avoir, voilà que les humains font tout pour l’empirer et l’abimer encore davantage.

Le texte de l’évangile de ce dimanche, à travers son langage apocalyptique, cherche à nous faire comprendre que ce ne n’est tellement la fin d’une société injuste et souvent inhumaine et d’une terre malade, abimée et ravagée par la convoitise humaine que nous devons attendre, mais plutôt la fin du monde minable et  égoïste que nous avons bâti à l’intérieur de nous par nos attitudes prédatrices et  parasitaires.

            L’évangile veut alors nous atteler à un travail autant de déconstruction intérieure de nos priorités, de nos convictions, de nos appétits, que de conversion et de changement de notre esprit et de notre cœur, en mettant un terme en nous à tout ce monde de fausses valeurs, de névroses, de frénésies et d’attachements néfastes dont nous l’avons encombré. 

Je pense  que l’évangile ( qui est  et qui reste toujours un messager d’ espérance  et une bonne nouvelle de salut et jamais une annonce de catastrophes porteuses de mort et de fin de mondes),  par ce texte, cherche à nous dire que c’est une erreur et une  illusion que de croire ou que d’attendre la venue d’un nouveau monde et d’une nouvelle humanité à tout jamais transformés et sauvés par une intervention fulgurante   de Dieu et de son Messie, tant et aussi longtemps que l’homme continuera à  habiter son vieux monde intérieur corrompu par le mal et le « péché ».

L’évangéliste Luc, par ce texte, nous dit alors que c’est à l’intérieur de l’homme, dans son esprit et dans les profondeurs de son cœur que doit se produire la fin d’un monde et le début d’un monde nouveau. Il nous rappelle que c’est surtout en intériorisant et en pratiquant les valeurs que Jésus a laissées en héritage à l’humanité, que de celle-ci pourra en surgir une autre, capable de bâtir une nouvelle terre et des nouveaux cieux.

            Je suis alors d’avis que parler aujourd'hui d’apocalypses et de fins de monde n'a pas trop de sens. Comme n’a pas de sens de croire à une future « venue du Christ dans les nuées ».  L'important n'est pas qu'il soit venu, ni qu'il viendra, mais qu'il vienne maintenant dans la vie et dans le cœur de chaque personne. L'Avent ne nous invite pas à regarder au loin (passé et avenir), mais à regarder proche, à regarder   maintenant à l'intérieur de nous, afin de prendre conscience des valeurs qui nous habitent et de nous faire une idée de quel genre de nouvelle société et de nouveau monde nous voulons être capables de construire demain.

BM

lundi 15 novembre 2021

 

Un espoir plus fort que la mort 

(33e dim. ord. B – Marc 13,24-32-  2021)

 

 La   seconda moitié du premier siècle, lorsque l’évangéliste Marc écrivait son évangile, fut en Occident une période historique particulièrement difficile et éprouvée.  En l’année 70, la nation juive avait été anéantie par la destruction de la ville emblème et sainte de Jérusalem. En l’année 79, le Sud de l’Italie avait été bouleversé par l’apocalyptique éruption volcanique du Vésuve, qui avait littéralement enseveli, sous une pluie de feu et de cendres, les villes de Pompéi et Herculanum avec la presque totalité de leurs habitants. Au Nord de l’Europe, l’Empire Romain devait faire face aux attaques et aux invasions constantes des peuples « barbares », attirés par les terres fertiles et les climats tempérés des régions de la Méditerranée.  De leur côté, les chrétiens subissaient les féroces persécutions de Néron et de Domitien et vivaient exposés à l’insécurité, à la menace, à la haine des païens au péril de leur vie. Ils avaient donc l’impression d’assister déjà aux préludes de la fin imminente du monde annoncée par Jésus.

La foi et la confiance des chrétiens de cette époque étaient donc mises à dure épreuve. Ceux-ci  se demandaient, en effet, pourquoi ils étaient aussi détestés, aussi persécutés, aussi abandonnés par Dieu, alors que Jésus leur avait dit qu’ils étaient le sel de la terre, la lumière du monde; qu’ils leur avait promis qu’il ne les laisserait  pas orphelins et qu’il serait avec eux jusqu’à la fin des temps; que providence, la tendresse et l’amour de Dieu, son père et leur père les aurait toujours suivis, protégés et sauvés et que même pas un cheveux de leur  tête ne serait tombé sans que Dieu le veuille.

 Ce discours confus, décousu et nébuleux sur la fin du monde que Marc attribue à Jésus voudrait être une réponse à ces questions. Il voudrait exhorter les chrétiens de son temps à ne pas avoir peur. Il souhaiterait les encourager à ne pas perdre confiance et à garder la foi et l’espérance. En même temps cependant, par ces images apocalyptiques et ces descriptions d’un univers qui s’écroule et qui finit, Marc veut les rendre conscients que dans la vie, ils seront toujours confrontés à des fins et à des recommencements ; à des cataclysmes réels ou apparents ; à la lutte du mal contre le bien et du bien contre le mal. Cette lutte et ces contradictions, ils les verront à l’œuvre partout : dans leur chair, au sein de leurs familles, dans la société où ils sont insérés, dans les événements et les situations de leur époque. Ainsi auront-ils souvent l’impression que le mal est plus répandu que le bien, que la méchanceté l’emporte sur la bonté, la haine sur l’amour, les ténèbres sur la lumière et que l’on vit dans un monde déserté par Dieu et en proie au pouvoir du Mal.

     Ce texte de Marc cependant nous rassure qu’il n’en est pas ainsi ! Malgré ce que l’on peut penser ou croire, c’est Dieu qui est le plus fort. Malgré toutes les apparences contraires, les forces de l’amour, de la bonté dépassent grandement celles de la haine, de l’égoïsme et de la méchanceté. Ce sont ces énergies bénéfiques et créatrices qui soutiennent notre Univers et qui, si elles sont cultivées, continueront à faire vivre et faire progresser notre humanité.

 L’Évangile veut aussi nous faire comprendre que dans notre existence les fins et les commencements s’alternent régulièrement. Rien dans notre vie n’est stable, fixe, définitif.  Au contraire, nous ne vivons que parce que nous devenons, que parce que nous changeons. Nous nous réalisons que parce que nous nous transformons. C’est le changement qui permet à nous et à la réalité de notre Univers de continuer à exister dans un mouvement d’évolution continuelle. C’est toujours la fin de quelque chose qui devient le début d’une chose nouvelle.

     L’Évangile, qui est avant tout une école de vie, nous enseigne donc que pour devenir des hommes et des femmes de valeur, nous devons accepter de mourir continuellement à quelque chose. Que de pertes nous devons subir et endurer au cours de notre existence ! Nous perdons inévitablement la jeunesse, la beauté, la souplesse, la force, la santé, la vivacité de l’esprit, la mémoire, souvent nous perdons l’innocence, la paix intérieure, nos promesses, nos affections, nos amours, la présence des êtres chers…et, finalement et inexorablement, nous perdons notre vie .

    Faudra-t-il angoisser, désespérer, broyer du noir à cause de cela ? Jamais de la vie, nous dit l’évangile d'aujourd’hui !  Tout cela, au contraire, fait partie du mystère de l’être en ce monde, ainsi que du plan et du Mystère de Dieu.

 Mystère de Dieu, que   nous croyons, malgré tout, être un mystère d’amour qui cherche toujours à nous accomplir. Et cela à travers notre fragilité foncière, à travers les vicissitudes d’une existence inexorablement emportée par le courant du temps vers des ports inconnus mais que nous espérons être pour  nous des havres de paix et de  bonheur.

  Tel, au moins, est l’espoir que ce discours de Jesus semble vouloir semer dans notre esprit et dans notre cœur.

 

 

Bruno Mori  - Montréal le 11 novembre 20210  

 

lundi 1 novembre 2021

 

Le maître qui devint un élève

(31 dim. ord. B - 2021 – Mc 12,28-34)

Les scribes juifs du temps de Jésus étaient appelés docteurs de la Loi, rabbins ou maîtres, parce qu'ils étaient les spécialistes des écritures saintes (la Torah ou la Bible) : pour cela ils jouissaient d'un prestige incontesté dans la société juive de cette époque. La cause de cette ascension sociale des scribes était due au déclin de la monarchie, à l'exil, à la destruction du temple de Jérusalem par Nabuchodonosor II (en 586 av. J.C.) et à la décadence conséquente du sacerdoce. Tous ces événements ont fini par concentrer la religiosité juive dans la connaissance et la pratique de la Torah ou de la Loi de Dieu contenue dans les Saintes Écritures (surtout le Pentateuque). La Torah devint alors le seul guide spirituel du peuple juif et ceux qui étaient capables de la lire, de l'interpréter et de l'appliquer acquirent un grand pouvoir.   

Il était inévitable que l'esprit libre, ouvert, novateur, critique et contestataire de Jésus, combiné avec la perception totalement différente qu'il avait de Dieu, de la fonction de la Loi, du salut et du bonheur humain, se manifestent par une opposition ouverte à la mentalité et aux convictions arrêtées de ces docteurs de la Loi. Les évangélistes sont, en effet, unanimes à attribuer à Jésus un comportement méfiant, critique et parfois même agressif envers les scribes et les pharisiens que Jésus trouvait exagérément intégristes, fondamentalistes, fermés et, bien souvent, hypocrites et vaniteux.

On comprend alors les critiques que, de leur côté, les scribes adressaient à ce faux  «maître » improvisé et non qualifié qui, face à la Loi, se permettait d’en prendre et d’en laisser et qui osait l’interpréter à sa façon et selon des paramètres pas très orthodoxe et totalement différents des leurs.

Étonnamment, dans ce passage d’évangile la rencontre du scribe avec Jésus se déroule dans une atmosphère de sympathie, d'admiration mutuelle, de désir d’'apprendre de l’autre, d’espoir, de la part de ce scribe, de mieux percer le mystère de Jésus qui l’intrigue, mais que déjà, inconsciemment, il admire. En effet, si ce scribe vient ici interroger à son tour Jésus, c’est parce qu’il avait déjà été frappé par la pertinence et l'acuité de ses arguments et de ses réponses de Jésus lors d’une discussion qu’il  avait eu auparavant avec les Sadducéens au sujet de la résurrection des morts.  Ce  docteur en sciences bibliques veut savoir d’où ce paysan, sans études et sans diplômes, tire se ses connaissances bibliques et son étonnante sagesse.

 Il approche donc ici Jésus comme un professeur approche un élève, avec l’intention de lui faire passer un sorte d’examen, afin de tester la qualité de ses connaissances. Il est déterminé à percer à tout prix le mystère de cet homme, même par le recours  à la ruse et au stratagème, s’il le faut,  pour obtenir l’information qu’il veut. Il pose en effet à son élève une seule et unique question :  mais il s’agit d’une question « colle », d’une question piège, d’une sorte d’énigme auquel personne jusqu’alors n’avait été capable de répondre, mais de la bonne réponse auquel dépendait, pour ce scribe, tout le sens de son existence. En même temps, la réponse à cette question  aurait dû  lui  révéler  au-delà de tout doute, l’authenticité et la qualité du savoir de Jésus et lui aurait permis d’entrevoir la Source à laquelle ce prédicateur ambulant puisait le succès de sa prédication et sa surprenante sagesse.

La question que ce scribe, sans aucun préambule, adresse à Jésus est la suivante : «Quel est le premier de tous les commandements ? » À l'époque de Jésus, il n'y avait pas d'accord entre les spécialistes de  la Bible   sur cette question,  de sorte que  personne ne savait ou pouvait affirmer  avec certitude quel était le premier et le plus important commandement donné par Dieu aux hommes, ni combien de  commandements  divins la  Bible  contenait,  puisque, en réalité  il y en avait une infinité ( lois, ordres, directives, prescriptions, normes rituelles, prohibitions, interdits , etc.), de sorte qu’aucun spécialiste de la Torah n'avait jamais réussi à en dresser une liste exhaustive et complète. De plus, ces commandements, venant tous de Dieu, et étant donc tous également importants, ils plongeaient les biblistes   dans un grave dilemme lorsqu’il s’agissait d’établir entre eux un ordre hiérarchique de primauté et d'importance.

Cela étant dit, on peut facilement comprendre le bouleversement intérieur et l’incontrôlable sentiment d'admiration et de vénération qui jaillit du cœur de ce scribe, lorsque Jésus, sans aucune hésitation et avec l’assurance et la simplicité de celui qui sait et qui a toujours su, non seulement lui révèle quel est le premier commandement, mais il l'informe aussi   que le premier commandement possède une autre face jumelle et identique sans laquelle il ne peut pas exister.

Le scribe, devant la rapidité, l’acuité et la justesse de la réponse de Jésus, doit alors reconnaître que, ici, le vrai Maître n'est pas lui, mais cet extraordinaire bohémien rempli de l'esprit et de la sagesse Dieu. Alors, voulant complimenter Jésus pour l’à-propos de sa réponse, voilà que ce docteur de la Loi, descendu de son hauteur et abandonné toute suffisance, il ne peut pas s’empêcher de s’adresser maintenant à Jésus comme à son maitre : « Fort bien, Maître, - lui dit-il - tu as bien parlé, tu as dit vrai, tu as raison…!». Face à   Jésus, ce scribe prendre la place de l'élève et du disciple subjugué et ébloui par la lumière de ce Maître.

Et Jésus, avec son autorité de Maître, complimentera à son tour ce scribe pour la finesse de ses sentiments et la bonne qualité de ses dispositions. Il lui annoncera que, à son école, il apprendra comment réussir pleinement sa vie et comment s’impliquer dans la venue d’un monde nouveau. « Car, - lui dit-il – tu possèdes toutes les qualifications et les attitudes nécessaires pour cela, tu es un bon élément, de sorte que tu n'es pas loin du royaume de Dieu !»

 Voilà, le maître c’est prononcé. L’élève a été évalué. Il a réussi son examen. L’élève a été accepté. Les rôles, cependant, ont été inversés ! 

 

Bruno Mori - 26 octobre 2021

lundi 25 octobre 2021

        L’homme qui avait peur du noir

(30 dim. ord. B – Mc 10, 45-52)

Dans presque toutes les grandes religions du monde l’éveil de l’être humain à la pleine conscience de soi, à la perception de sa profondeur et de son sens, de la finalité à donner à son existence afin d’arriver à une satisfaisante réalisation de soi et à une sereine acceptation de sa présence en ce monde, est toujours qualifié d’illumination. Ce terme veut indiquer le passage de l’esprit de la personne d’un état d’obscurité, d’ignorance, de confusion chaotique dans la perception de soi et de la Réalité qui l’entoure, à un état de fulguration lumineuse qui tout éclaire.

Dans la Bible, le récit mythique raconte que c’est d’abord par le geste créateur de la lumière que Dieu fait surgir le monde des ténèbres et du chaos original pour en faire un cosmos merveilleux et ordonné.

Également, lorsque dans le NT, l’évangéliste Jean, au début de son évangile, voudra décrire l’origine du mouvement chrétien et expliquer la nature et le sens de la présence de Jésus dans notre monde et dans la vie de ses disciples, il le présentera comme la venue et l’offre d’une lumière qui vient chasser les ténèbres du mal qui depuis toujours s’étaient installées et avaient colonisé le cœur de l’homme. En même temps Jean présentera l’arrivée de cette lumière comme un drame, puisque beaucoup ne l’ont pas accueillie et ont préféré leurs ténèbres à sa lumière.

Les humains restent cependant fondamentalement des êtres qui, comme les phalènes de la nuit, sont irrésistiblement attirés par la lumière du sens et de la connaissance. Atteindre l’illumination, a toujours été le rêve et le but de toute quête humaine d’accomplissement et de bonheur, ainsi que la promesse des religions à leurs fidèles.

Et en cela le christianisme ne fait pas exception. Les auteurs chrétiens de la seconde moitié du premier siècle qui ont rédigé les évangiles, présentent Jésus comme un être de lumière venu en ce monde pour l’éclairer de ses valeurs et de sa sagesse. Ainsi, Jésus apparaît souvent à ceux qui le fréquentent comme un homme lumineux et transfiguré par l’éclat qui émane de son âme et de la qualité fascinante de sa personne et de son esprit épris de son Dieu et du bonheur de ses frères.

 Dans les Évangiles les disciples de Jésus aussi sont souvent qualifiés d’enfants ou de fils de la lumière et le baptême, qui officialise leur adhésion au mouvement de Jésus, est considéré comme un rite d’illumination  qui  les fait définitivement passer du péché à la grâce, de l’égoïsme à l’amour désintéressé, des ténèbres  à la  lumière  dans un monde où ils doivent  resplendir comme des lampes  toujours  allumées.

Si ce passage des ténèbres à la lumière est important pour tout humain, il devient essentiel pour chaque chrétien qui s’engage, à la demande et à l’exemple de son Maître, à être à son tour dans le monde une source de lumière pour tous.

De sorte que, dans le récit de l’évangile d’aujourd’hui, on comprend la frénésie, l’empressement et, en même temps, le sentiment d’urgence et le cri à l’aide par lesquels l’homme l’aveugle, immobilisé au bord de la route, cherche et demande à être libéré de l’aveuglement et de l’obscurité qui ont toujours rendu misérable et angoissante son existence. Cet aveugle est ici l’image et le prototype de tous les chrétiens et de tous ceux que l’aveuglement intérieur empêche de marcher sur le chemin de leur réalisation humaine, religieuse et spirituelle, les condamnant à une vie de banalités et d’insignifiance.

Les gestes exaspérés, exagérés, presque violents du comportement de l’aveugle Bartimée (il ne se lève pas, il saute en l’air ; il ne pose pas son manteau, il le lance loin ; il ne parle pas, il crie; il ne marche pas vers Jésus, il court ) manifestent son exaltation à la présence de la source (Jésus) de sa possible illumination,   mais aussi son anxiété, sa peur de rater sa chance de s’y abreuver et l’intensité de son désir de sortir,  une bonne fois, de cet enfers de ténèbres  et de non-sens dans lequel il avait précipité et égaré son existence .

Cet aveugle bloqué et immobilisé sur la route de son existence à cause de l’impossibilité de voir son véritable chemin, a reconnu en Jésus l’homme-miracle capable de l’illuminer et de lui ouvrir les yeux. Jésus, de son côté, arrêtera expressément sur voyage pour accueillir et exaucer cet homme assoiffé de lumière. Jésus fera cela pour lui permettre de comprendre et de réaliser comme peut être différente, plus belle, plus réussie, plus féconde, plus lumineuse et plus heureuse sa vie si, désormais, les yeux remplis de larmes et de lumière, il est disposé à le suivre sur sa « Voie ». Bartimée le fera. Et je suis sûr qu’il ne l’a jamais regretté.

Qu’en est-il de nous, les aveugles et les aveuglés du XXI siècle ?  Serons–nous capables, comme Bartimée, de crier à Jésus notre détresse causée par tous nos aveuglements et de courir à lui pour qu’il éclaire notre morne et sombre existence de la lumière de son esprit et pour qu’il la réchauffe de la chaleur de son amour ?

 

 Bruno Mori,                                                                            octobre 2021   

mercredi 20 octobre 2021

 

Le pouvoir de l’autorité

(29e dim. ord. B  -  Mc 10,35-45)

 

           Jésus a toujours catégoriquement condamné le pouvoir, mais jamais l’autorité que lui-même possédait en un dégrée extraordinaire, au point que ceux qui voyaient l’assurance avec laquelle il parlait et il enseignait se demandaient, avec émerveillement, d’où lui venait une telle autorité.

           Alors que le pouvoir se manifeste comme capacité d’imposer de l’extérieur sa volonté à d’autres individus par le recours à la contrainte, morale, psychologique ou physique, l’autorité se manifeste comme capacité de s’imposer aux autres de l’intérieur, non pas en utilisant la constriction, mais la persuasion et la conviction.

             Ainsi, utilise-t-il le pouvoir le père  qui pour se fait obéir ou  respecter par son fils  utilise la menace, violence verbale,  le châtiment  corporel; le macho abruti qui a recours au viol et  aux coups  pour montrer sa supériorité sur la femme ; le jeune libidineux qui, pour coucher vite avec  sa petite amie, menace de l’abandonner ; le petit truand, dans la cour d’école, qui terrorise et  taxe ses copains plus faibles pour leur soutirer de l’argent ou des objets; les autorités religieuses  lorsqu’ elles cherchent à imposer  l’acceptation de leurs dogmes et leurs doctrines  par inquisition, les tortures, les bûchers,  les excommunications, la menace de la damnation éternelle dans les flammes de l’enfer; les nations  qui cherchent à dominer d’autres pays en déployant la  puissance et  la sophistications de leur arsenal militaire.

             Ce tipe de pouvoir est, certes, la forme la plus facile de dominer et de résoudre cavalièrement les problèmes. Mais elle est aussi la forme la plus primitive et la plus stupide et donc la moins humaine et la moins civilisée qui existe de gouverner. N’importe quel imbécile, avec une mitraillette sous le bras, est capable de se sentir puissant et de croire qu’il a du pouvoir. Voilà pourquoi les hommes qui n’ont que ce pouvoir et qui cherchent à  s’imposer que par force brute  du pouvoir,  finissent inévitablement par devenir des ignobles et funestes figures de criminels qui souillent pour toujours l’histoire de l’humanité.

             Déjà en 1887, le catholique Lord Acton, dans une lettre à son archevêque l’informait que le pouvoir tend à corrompre, et le pouvoir absolu corrompt absolument. Les grands hommes sont presque toujours des hommes méchants[i]. Quatre siècle avant J.C., le grand dramaturge Sophocle affirmait que l’on ne peut connaître la vraie nature et le vrai caractère d’un individu qu’en regardant comment il gère le pouvoir.

             C’est donc avec raison que dans l’évangile d’aujourd’hui, Jésus met en garde ses disciples contre la tentation et les pièges du pouvoir. Cependant, s’il leur défend l’utilisation de ce type de pouvoir, il leur souhaite vivement d’acquérir de l’autorité. Jésus avait compris que le pouvoir, avec ses composantes de violence et de brutalité, est toujours le résultat de l’ignorance, du fanatisme et de l’idiotie de l’homme. Il avait compris aussi que les individus et les institutions qui ont recours ce type de pouvoir tout extérieur de la contrainte ou de la force physiques, sont habituellement ceux et celles qui font reculer l’humanisation de notre monde.  

              Jésus cherche alors à nous faire comprendre que le seul vrai pouvoir qui met les gens à nos pieds, non pas par obligation ou par peur, mais poussés par l’admiration, la joie, la confiance et l’amour, est celui intérieur qui a été acquis par l’autorité, c’est-à-dire, par la qualité de la personne. Ainsi n’importe quel malade est heureux de se soumettre et de confier sa vie à un bon médecin ou à un bon chirurgien. Ces spécialistes de la santé n’ont pas besoin de recourir à la force ou à l’imposition pour avoir du pouvoir sur leurs patients. L’autorité qui leur vient de leurs qualités humaines, de leurs connaissances et de leurs   compétences professionnelles est largement suffisante pour que les patients suivent avec joie, empressement et gratitude leurs directives et leurs ordres.

             Dans l’évangile d’aujourd’hui, Jésus a donc raison de nous mettre en garde contre les dangers du pouvoir. Il a compris que le pouvoir qui vient de l’imposition forcée est le néfaste produit d’une insatisfaction, d’un vide et d’un mal intérieur à la personne qui cherche, par ce moyen facile, à se valoriser. Alors que le pouvoir qui vient de l’autorité est toujours constitué par un courant bénéfique et salutaire dans lequel les personnes plongent avec joie et  par lequel elles se laissent volontiers transporter.

           Alors, il ne faut pas s’étonner que Jésus veuille indiquer à ses disciples par quelles attitudes ils trouveront leur efficacité et leur véritable grandeur. « Celui qui veut devenir grand, qu’il se fasse serviteur. Celui que veut être premier sera l’esclave de tous. 

             Mes chers amis, voilà, les paramètres de conduite sur lesquels, en tant que chrétiens, nous devrions construire toutes nos relations humaines. Demandons aujourd’hui au Seigneur de nous y aider. 

 Bruno Mori  -  Octobre 2021

 


[i] "Power tends to corrupt and absolute power corrupts absolutely. Great men are almost always bad men, even when they exercise influence and not authority:…. There is no worse heresy than that the office sanctifies the holder of it…",(Lord Acton, John Emerich Edward Dalberg,  Letter to Archbishop Mandell Creighton, April. 5, 1887)

 

lundi 11 octobre 2021

 

L’homme riche qui voulait posséder le ciel et la terre

(28 dim. ord. B – Mc 10, 17-30)

 

            Qu’est-ce que je dois faire pour avoir une vie éternelle ? C’est la question, que depuis l’aube de l’humanité, ce primate intelligent que l’on appelle homo sapiens, s’est posée aussitôt que la conscience de soi s’est allumée en lui. Depuis toujours l’être humain a vécu avec angoisse son état de créature vulnérable, fragile et mortelle. Il n’a jamais accepté sa finitude, ni apprivoisé l’inévitabilité de sa mort. De sorte qu’il a toujours rêvé d’une vie plus heureuse, plus accomplie et libérée enfin de toute peur et de toute souffrance au-delà des péripéties et des épreuves de son existence temporelle. Et pour donner consistance à ce rêve, les humains ont bâti des mondes imaginaires et merveilleux, remplis de bonheur et de vie qui les attendaient après leur mort. Avec le temps, les humains ont fini par attribuer une réalité ontologique aux constructions fantastiques de leur imagination et de leurs désirs. Et c’est ainsi que les religions sont nées, qui proclament et promettent un paradis de bonheur et de vie éternelle à leur fidèles.

            L’évangile de ce dimanche nous présente l’épisode de pieux juif, sans doute d’un âge avancé, pour lequel la vie est désormais plus en arrière qu’en avant et qui va voir Jésus pour lui demander s’il existe une façon sûre, claire et précise d’obtenir la vie éternelle. Cet individu cherche, de toute évidence, l’avis d’un expert, car pour lui, à ce stade de sa vie, l’enjeu est capital et il ne veut pas courir le risque de faire des erreurs. Cet homme est quelqu’un qui sait calculer, qui sait prévoir, qui sait gérer ses affaires pour qu’elles réussissent, qui sait comment bouger ses pions sur l’échiquier de la vie pour gagner toujours la partie. Il a l’habitude d’obtenir ce qu’il veut : et c’est pour cela qu’il a réussi à ramasser une grosse fortune et à devenir un homme riche.

            Or cet homme riche apparait ici comme quelqu’un qui possède non seulement beaucoup d’argent, mais aussi une énorme ambition. Il veut continuer à avoir une belle vie même après sa mort. Il a compris que l’avantage de posséder une fortune est nul, s’il peut tout perdre d’un coup à l’arrivée de sa mort. Il voudrait donc pouvoir signer un contrat d’assurance qui le protègerait contre cette terrible éventualité. Et c’est la raison qui le pousse à s’informer après d’un expert en vie éternelle sur les moyens et les stratégies à mettre en place à cette fin.

            Jésus semble surpris de la requête inusitée de cet individu original et aux désirs fous et il éprouve pour lui, nous dit Marc, un sentiment d’admiration et de sympathie. Ce n’est pas tous les jours que quelqu’un vient lui poser ce genre de questions. Cet homme lui plaît parce qu’il est sincère et qu’il a de grandes aspirations, même s’il ne se rend pas compte qu’elles sont impossibles à réaliser sans que son existence en soit totalement bouleversée.

 Cet homme voudrait en effet tout avoir : et les richesses qui lui assurent une belle vie ici-bas et les avantages d’une vie éternelle là-haut. Et il ne réussira pas à comprendre qu’au terme de son voyage sur terre, la gourde de sa vie doit nécessairement être présentée vide à la Source Ultime de l’être, pour qu’elle puisse être remplie de l’eau vive qui rejaillit en vie éternelle.

            Et c’est la raison pour laquelle Jesus veut faire comprendre à ce vieux juif, obnubilé et étourdi par sa richesse, qu’il peut bien posséder tout l’argent du monde, mais qu’en aucune façon il ne peut posséder la vie éternelle ; car celle-ci ne s’acquiert pas en se remplissant, mais en se vidant, non pas en « possédant », mais en « donnant ». « Celui qui veut garder sa vie, doit la perdre ».  Car, seulement l’amour est éternel ; et donc seulement les gestes d’amour qui se vident de soi-même, qui s’offrent, qui se donnent, qui pardonnent, qui partagent, qui aident, qui soulagent, qui guérissent et qui se déversent sans mesure là où il y a fragilité, manque, détresse, souffrance, etc…, seulement ces gestes ont une valeur et une saveur d’éternité. Seulement ces gestes ont la capacité de placer celui qui les a posés au cœur du Mystère éternel de Dieu et au cœur de ceux qui en ont bénéficié et où il vivra pour toujours.

Voilà pourquoi Jésus n’hésite pas à indiquer à cet homme, aux exigences et aux désirs inouïs, la route à suivre pour pouvoir réaliser son rêve de vie éternelle : « Va, - lui dit-il- vends tout ce que tu possèdes et donnes-le aux pauvres et tu auras un capital d’amour placé au ciel dans le cœur de Dieu. Et ensuite, devenu une nouvelle personne, libérée de tout encombrement, et riche seulement de sa bonté et de son amour, viens marcher sur ma Voie qui t’aidera dès maintenant à donner à ta vie un goût d’éternité ». 

            À la grande déception de Jésus, ce pieu juif se révélera finalement un individu davantage préoccupé de son argent que de son projet d’éternité. Le miracle que Jésus espérait n’est pas arrivé. Et c’est ainsi -note l’évangéliste - que l’homme riche s’en retourna chez lui à jouir de ses biens dans l’amertume et la tristesse.

            La rencontre avec cet homme, sera aussi déterminante pour Jésus et pour le développement ultérieur de sa pensée sur la question de l’argent et de la relation à la richesse. En effet, le comportement et la réaction de ce riche induiront Jésus à réaliser le caractère fondamentalement tragique, néfaste, pervertissant et aveuglant de la cupidité humaine, lorsqu’elle s’installe comme unique système opératif et programme de base du comportement d’un individu.

            Ainsi, à partir de cette triste et décevante expérience, Jésus s’érigera désormais sans pitié contre l’avarice et la cupidité et condamnera, avec une détermination et un courage jamais égalés auparavant, autant l’accumulation obsessive de la richesse, que l’attachement névrotique et compulsif à l’argent. Attitudes qui transforment presque toujours les grands riches en des êtres inhumains, égoïstes, mesquins, aveugles et stupides.


À ces personnes, Jésus réservera les paroles de condamnation les plus dures et les plus impitoyables de toute sa prédication : « Jamais, - affirmera-t-il - un tel type de personne n’entrera dans le Royaume de Dieu ! ».

 

Bruno Mori - 5 octobre 2021

jeudi 30 septembre 2021

 

Peut-on monopoliser le bien, l’amour et le salut ?

(Mc 9, 38-48)

            Pendant des siècles, la religion chrétienne (l’Église) a cru et a enseigné d’être d’origine divine car née de l’Incarnation du Fils de Dieu sur terre en l’homme Jésus. Elle se considère donc comme la continuation dans le temps de la présence et de la mission terrestre du Fils de Dieu incarné et comme la custode de son enseignement, de son héritage spirituel et de son action salvifique. À cause de cela, elle est fermement convaincue d’être la seule religion en possession de la vérité et des moyens du salut pour toute l’humanité.

             De sorte que depuis toujours les Églises chrétiennes proclament qu’en dehors d’elles il n’a pas de salut possible pour personne et qu’il est donc impératif pour tous de devenir chrétiens pour pouvoir entrer dans le beau paradis de Dieu.

             Ainsi, la doctrine chrétienne enseigne que toutes les autres religions et confessions religieuses sont des inventions humaines, peut-être même diaboliques, certainement un amalgame de faussetés, d’erreurs et de superstitions qui ne font qu’égarer les humains loin du vrai Dieu, de la vérité et de leur bonheur éternel.

             De là la naissance des mouvements missionnaires qui, au cours des siècles, ont représenté le souci constant de la religion chrétienne d’apporter la vérité et le salut du vrai Dieu et de son Fils Jésus aux pauvres sauvages vivants dans l’ignorance, l’erreur, la superstition et le paganisme dans d’autres parties du Globe.

             Cependant, lorsque je lis ce texte d’évangile de Marc, je ne peux pas me soustraire au sentiment que l’Église catholique, ainsi que les différentes confessions chrétiennes, se sont égarées bien loin de l’esprit et du comportement de Jésus de Nazareth, avec leur conviction d’être le seul lieu et la seule porte de salut pour tous les humains

             En effet, dans ce passage d’évangile, Jésus  réprimande vivement l’apôtre Jean de ne pas réussie  à comprendre et à accepter qu’il puisse exister ailleurs que dans son  groupe (religion ou église) des gens charismatiques, admirables, capables de faire le bien, de répandre la bonté, de donner de l’amour, de poser des gestes gratuits et désintéressés qui aident, qui guérissent, qui contribuent à donner de l’espoir, du courage, de la confiance et un regain de vie à ceux qui sont éprouvés ou démolis par les épreuves, les revers et les souffrances de l’existence.

                      L’apôtre Jean, auquel Jésus n’hésite pas à faire savoir son désaccord, incarne ici l’attitude typique du jaloux, du fanatique et de l’intolérant, convaincu que tout geste de bonté, d’altruisme, d’empathie, de compassion qui va au secours de ceux qui vivent dans un état de misère et de détresse, doit nécessairement porter sa signature ou celle de son parti pour être légitime et acceptable.  Dans le cas contraire il doit être empêché.

             Rien de plus perfide ! Et Jésus alors de s’insurger : « N’empêchez jamais la bonté, la compassion et l’amour de s’exprimer et de se répandre et le bien de se faire ! Car de quelque côté que ces gestes surgissent, ils viennent toujours de l’Esprit de Dieu, qui souffle partout, mais surtout au cœur de chaque humain. Et cela indépendamment de ses croyances, de sa religion, de sa race et de sa culture ! En effet, là où il y a de l’amour, là il y a présence du Mystère de Dieu et présence d’un salut et d’une guérison possibles pour tout individu. Même un verre d’eau, donné par amour, aura partout la même valeur et la même récompense aux yeux de Dieu ».

             Ici Jésus cherche donc à faire comprendre à nous, ses disciples, qu’il n’existe aucun groupe, ni aucune organisation, ni aucun parti, ni aucune religion, ni aucune Église qui peuvent s’arroger l’exclusivité de la bonté et de l’amour qui humanisent, qui guérissent et qui sauvent.

             Jésus nous dit ici : « Tu t’accomplis pleinement en tant qu’humain, maintenant et pour l’éternité, uniquement par l’amour que tu es capable d’avoir et de donner. La religion n’a rien à faire dans cela ! Au contraire, elle acquière sa légitimité et son droit à l’existence seulement si elle te permet et t’aide à mieux aimer et à mieux te réaliser par la bonté que tu possèdes et par l’amour que tu répands aux quatre vents ».

              De sorte que, en suivant l’esprit de Jésus, on peut affirmer, d’un côté, que toutes  les religions sont bonnes et méritent d’exister, si elles aident les humains à s’unir, à s’humaniser davantage et à devenir des êtres de bonté, de compassion et  d’amour; et de l’autre, que toutes les religions sont mauvaises et doivent être abandonnées, si elles créent ou maintiennent les divisions entre les cultures et les peuples, si elles pervertissent leurs adeptes en les transformant en des individus fanatiques, intolérants, inhumains, haineux, violents et cruels.

             Qui nous dira si notre religion est bonne ou pas ? Si elle mérite de vivre ou de mourir ?  Seulement si elle nous aide à construire notre liberté intérieure et si elle nous conduit à bâtir toute notre existence uniquement sur le fondement du don de nous-mêmes et de l’amour désintéressé pour toutes créatures.

 Si notre religion a réussi à faire cela, alors elle mérite que nous nous asseyions à sa table.

 

 

Bruno Mori -  21 sept. 2021

 

dimanche 29 août 2021

 

Nous sommes tous des hypocrites…

(22° dimanche ordinaire B - Mc 7,1-23)

Je me souviens encore très bien de la religion de mon enfance : c’était une religion de pratiques rituelles, d’observances et d’obligations et pour laquelle le faire était plus important que l’être. Il fallait faire un certain nombre de choses pour être en règle avec l'Église, avec Dieu et avec notre conscience[1]. C'était donc une religion fondamentalement formaliste et ritualiste. En tout semblable à celle des Pharisiens du temps de Jésus et que Jésus critique et condamne dans les textes de l’évangile de ce dimanche.

  C’est un fait que dans le passé (et aujourd’hui encore !) on n’entendait pas souvent les curés parler dans leurs sermons de justice sociale, d’égalité de genre, de droits de la personne ou des minorités homosexuelles et autres ; du respect et du soin de la terre et de la nature. Dans nos églises, rarissimes sont encore aujourd’hui les ecclésiastiques qui auraient l’idée et le courage de se lever pour protester contre l'exploitation du Tiers-monde ou pour condamner la néfaste logique capitaliste d’une économie continuelle en croissance et d’une consommation illimitée causes principales de la déprédation  insensée des ressources naturelles de la planète, de la  destruction systématique des écosystèmes indispensables à la conservation de la diversité des espèces et de la vie,  dont nous commençons a peine à  en écoper des conséquences mortifères et catastrophiques …   

Hier, comme aujourd’hui, ces attitudes irresponsables, ne semblent pas poser beaucoup d’inquiétudes ni à nos ministres ou autres autorités politiques, ni à nos responsables religieux, ni à la bonne conscience d’un grand nombre d’humains, chrétiens ou pas.

Nous admirons aujourd’hui la franchise et le courage de Jésus qui n’a pas eu peur de se confronter aux autorités religieuses-civiles de son temps : à leur hypocrisie, à leur superficialité, à leur formalisme, à leur vanité et à leur cupidité, à leurs fausses convictions d’être des  modèles de justice et de religiosité.

Ces grands-prêtres et ces pharisiens d’antan n’existent plus, cependant ces paroles de Jésus continuent à s’adresser à tous ceux qui aujourd’hui les ont remplacés.  C’est à moi, c’est à  nous tous, c’est  à  nos gouvernants , à  nos politiciens,  à tous ceux en pouvoir et ont  qui entre leurs mains les destins de nos sociétés et de notre  monde que  ces paroles  sont maintenant adressées .  « Hypocrites !». Et cela nous gifle, nous fait mal. Cela nous humilie. Et c’est bien qu’il en soit ainsi, car ses paroles doivent nous faire réfléchir, nous remettre en question ; nous confronter à notre mauvaise volonté, à l’attachement farouche que nous vouons à notre confort et à notre bien-être matériel auxquels nous ne voulons pas renoncer. Ces paroles de Jésus nous confrontent ainsi à notre lâcheté, à notre manque de volonté de sortir du moule de l’homogénéité, de la conformité et du  « così  fan tutti ». Ces paroles de Jésus nous confrontent finalement à  notre myopie et à notre stupidité,

                Si dans notre  culture chrétienne d’Occident capitaliste et  individualiste  nous avons  tous, plus ou moins, adopté  des  styles de vie et des attitudes égocentriques, égoïstes et prédatrices qui  mettent l’intérêt et le bien-être personnel avant ceux du bien commun et du bien de la  Planète,  c’est en grande partie  parce que au cours des siècles, les autorités religieuse en charges de nos âmes, comme les pharisiens du temps de Jésus, ont surtout insisté, dans leur prédication, dans la formations des consciences des fidèles  sur l’adhésion aux dogmes, aux doctrines, aux normes, aux pratiques ; sur la soumission et l’obéissance à l’autorité du pape ; sur les pratiques extérieures de la religion, …  plutôt que sur la rectitude de leurs pensées et de leurs convictions; sur  la pureté et leurs pensées et de leurs intentions; sur la bonté de leur cœur, sur l’importance de l’engagements au service des plus faibles, des plus abandonnés… afin de les  pousser à se compromettre en  faveur  de la justice, de l’égalité, d’une bonne politique sociale et écologique qui encourage la solidarité, le respect et de soin  des personnes et du monde  naturel où nous vivons  …

Malheureusement, il faut admettre, qu’au cours de l’histoire, les hommes d’Église ont souvent entretenu et encouragé l’hypocrisie chez leurs fidèles, en leur faisant croire que Dieu aime les gens qui prennent à cœur les intérêts de leur religion plus que ceux de la justice, des pauvres et des opprimés.

            La question que l’évangile nous pose aujourd’hui est la suivante : « Es-tu vraiment le disciples de Jésus, la personne droite, ou cœur pur et bon, qui met en accord ses actes, ses paroles, ses convictions, ses principes avec les exigences de la vérité, de la transparence, de cohérence et surtout de l’amour pour ton semblable et pour toute la création  autour de toi ? ».

Quand Jésus nous traite d'hypocrites, il veut nous réveiller, nous faire sortir de nos illusions. Il veut nous établir autant dans l’humilité que dans la vérité. Jésus ne cherche pas à nous accabler avec l’énumération de nos vices et nos inconséquences. Il veut nous ouvrir les yeux. Il veut nous montrer, devant nous, le trou noir dans lequel nous risquons de tomber, afin que, prenant un nouvel élan, nous puissions sauter de l’autre côté et poursuivre avec plus d’éveil, d’attention, de confiance et d’assurance le chemin de notre vie.

            Évidemment, toutes les pratiques religieuses et pieuses que nous évoquions au début semblent bien dérisoires face à l’exigence que Jésus soulève de « faire la vérité en nous ».  Mais aussi, nous sentons, avec ces paroles fortes de Jésus, passer un souffle frais, un air de liberté intérieure qui nous donne envie de vivre à plein, sans faux semblant, dans la liberté retrouvée des enfants de Dieu.  Que l’esprit de Jésus que nous cherchons de suivre puisse nous aider à mettre plus de vérité et de cohérence dans notre vie, avec le courage et la détermination que cela exige.


Bruno Mori, août 2021



[1] On récitait chaque jour le Credo pour avoir toujours présent à l’esprit les grands événements que Dieu avait accomplis pour nous sauver ; on devait savoir par cœur les dix commandements de Dieu et les cinq préceptes de l'Église, la liste des sept vices capitaux. On était constamment prévenus par nos curés contre le risque du péché qui était partout. Le péché mortel nous guettait à tout coin de rue et l’enfer souvent nous menaçait sérieusement au bout de notre voyage. Alors, pas question de manquer la messe le dimanche ; pas question d'aller communier si on n’était pas purs comme des anges, ou si on n'était pas à jeun depuis minuit ; pas question de manger de la viande le vendredi ; pas question de se marier en blanc et au maître-autel si on était enceinte ou si bébé était déjà né ; pas question, pour une femme mariée, de s’opposer ou de se refuser à son mari , etc.….


 

mardi 17 août 2021

 Ces femmes déjà au ciel de Dieu  


Comment parler de l’Assomption de Marie alors qu’aucune page de l’Écriture ne nous dit ce qu’est la vie après la mort, ni celle de Marie, ni même celle Jésus « ressuscité » de la mort ?

    Ce n’est donc pas en scrutant le ciel que nous comprendrons ce mystère mais en regardant Marie dans son cheminement humain et en marchant humblement à sa suite. Si Marie est dans la gloire, c’est parce qu’elle a cru en la Parole de Dieu et que, chaque jour de sa vie, elle a correspondu à cette Parole. Dès son enfance, Marie s’est habituée à dire oui à Dieu. Mieux que tout autre, elle peut assurer n’avoir jamais rien refusé à Dieu ! C’est cela que nous, les chrétiens, voulons dire quand, en empruntant la pensée mythique de l’Église catholique, nous affirmons de Marie qu’elle est sans péché, qu’elle est immaculée, qu’elle est la toute pure et la toujours vierge.

    À travers le mythe de son Assomption au ciel, la tradition spirituelle chrétienne veut nous rappeler et nous signifier que l’aboutissement de notre vie ne dépend pas de nous. Dieu seul peut répondre à cet infini d’amour auquel nous aspirons. Nous ne pouvons qu’accueillir le don gratuit que Dieu nous fait de lui-même à travers l’amour qu’il a versé dans nos cœurs. Mais accueillir, vivre et rependre l’amour, c’est précisément, comme Marie,  dire oui au Mystère de Dieu qui nous interpelle.. 

    Aujourd’hui, unis à l’humble femme de Galilée, ce sont toutes les femmes du monde, qui adressent à Dieu leur Magnificat et leur action de grâce pour leur beauté et  leur grandeur intérieures,  pour  leur dignité, pour leur abnégation,  pour le don de soi,  pour toute la compassion, toute la tendresse et tout  l’amour dont elles sont capables et dont est rempli leur cœur.     

La fête d’aujourd’hui est aussi l’assomption au ciel et l’exaltation des toutes les femmes tyrannisées et exploitées. Nous rendons aujourd’hui hommage aux femmes-esclaves (partout dans le monde, mais surtout en Afrique, au Moyen et Extrême Orient) ; ces femmes qui ne peuvent jamais sortir de leur prison, de leur maison, de leur état de dépendance ; qui ne seront jamais des individus libres, autonomes et indépendants ; qui ne seront jamais maîtres de leurs décisions et de leur vie. Ces femmes qui ne seront jamais des personnes, mais seulement des objets de plaisir, de travail, de reproduction. Ces femmes martyres enlevées, vendues comme des animaux ou de la marchandise, qui sont abusées, violées, battues torturées, tuées. Ces femmes victimes de la violence des hommes, du fanatisme religieux, des préjudices culturels, de coutumes barbares. Ces femmes qui, aujourd’hui encore, dans nos sociétés modernes évoluées, démocratiques et de droits, sont victimes d’injustices, de discriminations, de harcèlement, d’exclusion

    Oui, la fête d’aujourd’hui veut nous rappeler la grandeur et les souffrances des femmes dans ce monde encore et toujours géré et dominé par le pouvoir et par la fausse mais persistante conviction de la supériorité masculine. Cette fête veut enseigner à nos sociétés patriarcales que, s’il y a une créature qui, avec la totalité de son être et toute la consistance humaine de sa personne, mérite d’être avec Dieu, et d’être considérée comme la créature la plus proche de Dieu et plus semblable à Dieu, c’est bien la femme…

    En effet c’est elle qui incarne le mieux le Mystère de la présence de l’amour de Dieu dans notre monde. Un amour qui se décline et se manifeste à travers le merveilleux éventail de ses variations dont surtout les femmes possèdent la capacité et le secret :  un amour qui se fait don de soi, soin, attention, abnégation, dévouement, sourires et larmes, câlins, étreintes, caresses et vie.

    La fête d’aujourd’hui, en nous présentant l’histoire d’une Femme qui vit déjà au ciel avec toute la plénitude de ce qu’elle est dans son âme et dans son corps, cherche à faire comprendre à tous ces chefs d’États et ces machos qui tiennent en main le sort de l’humanité, qu’ils empêcheront que la société humaine et la Planète ne deviennent un enfer, seulement s’ils seront capables d’y faire régner les principes et les valeurs qui sont au cœur de l’âme féminine.


Bruno Mori   

15 août 2021  - En la  fête catholique de l’Assomption de Marie, la mère de Jésus, au ciel de Dieu