Rechercher dans ce blog

mardi 27 février 2018

APPELÉS À NOUS TRANSFIGURER

(Marc 9, 2-10, 2e dimanche de Carême B)

Dimanche dernier, l’évangile nous présentait l'image du désert, de la solitude, de la possibilité de faire de mauvais choix, la tentation de choisir des chemins faciles, mais trompeurs. Aujourd'hui, le texte de l’évangile nous propose l'image de la lumière, de la joie, du bonheur, de la plénitude, de toucher le ciel du doigt.

La «transfiguration» consiste à voir des choses qui ne peuvent pas être vues avec les yeux de la tête, mais seulement avec les yeux du cœur. Et puisque beaucoup n'ont pas les yeux du cœur, ils sont privés de ces visionsL’évangile de ce dimanche veut répondre à la question de savoir ce qui nous rend vraiment heureux dans la vie. Il tente de décrire à quoi nous ressemblons, lorsque nous nous sentons au paradis, c'est-à-dire, remplis de bonheur, habités par la présence envoûtante et gratifiante d’un grand amour.

Si vous êtes déjà tombé amoureux, si vous avez déjà perdu la tête et fait des choses folles pour quelqu'un, si vous avez déjà vu le monde comme un paradis et un immense jardin de fleurs parce que quelqu'un, un jour, vous a dit qu'il vous aimait, alors vous pouvez comprendre l'évangile d'aujourd'hui. C’est l’évangile de l’amour qui transforme et transfigure.

 Avez-vous déjà vu les yeux d'une maman quand elle voit pour la première fois son enfant, après le travail et la douleur de l’accouchement? Avez-vous déjà vu l’expression d'un petit enfant bercé dans les bras de sa mère? Avez-vous déjà remarqué les visages radieux de deux amoureux qui se regardent avec ravissement dans les yeux ? Avez-vous déjà vu la beauté extatique des amants après les jeux et les ardeurs de l'amour ? N’est-ce pas là des visages transfigurés, lumineux, enveloppés de charme et de grâce, pétillants de bonheur, de béatitude, brûlants de vie et de désir de vivre?

Dans notre monde rationnel, scientifique et machiste, il existe des gens qui pensent qu'être des personnes sensibles, qui se laissent conduire par les sentiments, par leur cœur, est un signe d’imperfection et de faiblesse. Mais c’est plutôt le contraire qui est vrai.

La sensibilité est le signe d’une plus grande perfection de l’être. Demandez à n’importe quel chauffeur de voiture quel est le moteur qu’il préfère : sensible ou engourdi? Pour un humain, être sensible signifie être plus vivant, plus captivant, plus attachant, plus performant, car plus prêt et plus apte à réagir, à s’activer, à entrer en mouvement, en motion (e-motion) sur la route de la vie, en présence du monde et des personnes qui l’entourent.

 Être sensible signifie être plus disposé à vibrer en harmonie avec la beauté du monde, mais surtout avec la situation existentielle des personnes ; à se laisser affecter autant par leurs joies que par pour leurs peines ; autant par leur bonheur que par leurs malheurs.

C’est donc la sensibilité que nous développons qui fait battre notre cœur au rythme de la palpitation du monde et qui réalise finalement notre «transfiguration». En effet, la sensibilité change la configuration de notre personne, en la poussant à voir au-delà (trans) de sa «figure» naturelle, habituelle et banale ; au-delà aussi des limites de son individualité rationnelle, forcement aride, froide, rigide, facilement renfermée, repliée sur elle-même, pour l’élever au niveau supérieur de la rencontre émue, sensible et «amoureuse» avec le monde qui est au-delà de sa petite personne, afin de se déployer ainsi au soleil de l’amour (de Dieu et des frères humains) où elle pourra s’assouplir, s’attendrir, s’affiner, s’embraser et devenir un être de lumière.

La sensibilité qui «transfigure» consiste donc à voir les gens pour ce qu'ils sont vraiment au-delà de leur «figure» ou de leurs apparences (trans-figura-tion); à deviner ce qu’ils sont vraiment dans les profondeurs secrètes de leur cœur; à entrevoir leur véritable identité et la vérité profonde de leur être; à découvrir leur vrai visage, leur figure créée par Dieu, celle qui n'a pas été déformée par les peurs, les souffrances, la culpabilité, les erreurs, les anxiétés et les angoisses de la vie.

L'évangéliste Jean dit que "Dieu est amour". Il nous dit aussi que seulement ceux qui savent s'ouvrir et vivre dans l'amour peuvent comprendre Dieu et vivre de Dieu. Il s’en suit que ceux qui ne savent pas ouvrir leur cœur à l’amour, pourront peut-être avoir des idées sur Dieu, mais ils ne pourront jamais le sentir et l’expérimenter comme une Réalité capable de changer leur vie.
Jésus était un homme qui savait aimer; il était animé par un grand amour; il était un homme passionné de Dieu et immensément sensible aux situations humaines de ses frères ; il possédait un feu qui embrasait tous ceux qui l’approchaient.

L’homme ne saisit pas Dieu, n’entre pas en contact avec Dieu avec sa tête, mais seulement avec son cœur. Tous ceux qui ne peuvent pas se permettre des sentiments ; qui sont incapables de s’émouvoir, de s’attendrir, de s’émerveiller, de s’extasier, de désirer, de rêver, de pleurer, de compatir… ne pourront jamais être en syntonie avec l’esprit et la musique qui viennent de Dieu. Ils ne pourront jamais avoir les antennes aptes à capter et à ressentir les murmures de sa présence. Ils ne seront jamais de véritables amants.

Nous devons donc permettre aux sentiments, aux émotions, aux désirs, aux rêves, aux regrets, aux pleurs… d’entrer en nous  Il faut laisser la vie nous envahir. Il faut laisser vivre la vie en nous. Il faut permettre qu'elle naisse, qu'elle bouge (e-motion), qu’elle nous bouleverse, qu’elle nous emporte, qu’elle nous transforme. Sinon, immergés dans l'océan, nous chercherons toujours de l'eau.

 Et si cela ne nous arrive pas, il vaut mieux que nous nous fassions soigner. Il vaut mieux que nous nous demandions si notre cœur vit encore en nous ou s'il n’est pas déjà mort. Parce que la capacité de s’émouvoir, de frémir, de s’attendrir, de ressentir … dit combien nous sommes vivants.

S'il vous arrive de pleurer de joie, de vous sentir si heureux que vous avez l’impression que rien ne vous manque ; s’il vous arrive de vous sentir enflammés comme le soleil ou profonds comme la mer ; de vous sentir si comblés, si riches, que vous avez l’impression d’être déjà au ciel, bercés par l’immensité du Tout, au point que vous avez envie d’appeler (comme Françoise d’Assisi) les étoiles «mes sœurs» et les planètes «mes frères», les animaux «mes amis», une fleur ou un arbre «ma beauté» … eh bien, sachez que vous vous vivez votre «transfiguration».

Le monde dira que vous être devenus fous et continuera d'être malheureux. Mais vous, s’il vous plait, continuez d’être fous! Peut-être vous sentirez-vous un peu différents des autres, mais vous serez tellement, tellement plus heureux!

MB

lundi 19 février 2018

LE COMBAT D'UNE VIE

(Marc 1, 12-15 - 1er dim. carême, B)

Comme chaque année, la liturgie du premier dimanche de Carême nous présente l'épisode des "tentations de Jésus" dans le désert, cette année dans la version concise et lapidaire de Marc. La place du combat est le désert et les protagonistes sont: l'Esprit - Jésus - le Diable... tous avec une tâche spécifique. Voyons cela plus en détail ...

Désert et solitude : Le terme grec de l’évangile qui est habituellement traduit par le mot «désert», peut aussi être traduit par "solitude". Je préféré cette dernière traduction qui, au début de notre voyage du carême, nous fait découvrir l'immense valeur que peut avoir le fait d’«être seul avec soi-même»; de chercher la solitude, afin de découvrir la valeur de la relation et de la communion avec Dieu et les autres.

L'Évangile, contrairement à ce que l’on pourrait penser, nous dit que, lorsque l'homme essaie d'être seul pour récupérer des espaces pour lui-même, afin d’entreprendre un voyage de recherche, de réflexion, d'introspection, c’est précisément en ces moments de solitude qu’il découvre, non seulement d'être quelqu'un, d'avoir une identité, une valeur, un but, mais aussi de n’être jamais vraiment seul, mais établi dans une relation constante et nécessaire avec la création entière , sans laquelle il lui est impossible se réaliser en tant qu'homme. Ainsi, l'évangile nous dit que la solitude n'est pas une valeur en soi, mais un moyen de récupérer et de mieux vivre sa relation avec le Mystère Ultime, tel qu’il se manifeste dans la nature et dans nos frères humains.

Voilà pourquoi dans de la tradition chrétienne la solitude a été comprise comme une valeur et a conduit un grand nombre de personnes à la découverte du Dieu de Jésus (Pères du désert, les cénobites, la tradition monastique et ainsi de suite.) Lorsque la société ne donne pas ou n’offre pas assez d’espace pour un voyage vers la compréhension de soi-même, alors il faut que chacun puisse trouver le temps de s’évader loin de l’agitation et du tumulte du monde, pour susciter ou occasionner des rencontres qui transforment et donnent plus de sens à sa vie.

Dans la solitude souvent nous découvrons la présence d’un Mystère qui nous englobe et nous dépasse. Nous découvrons la compagnie de Dieu ... Dieu se rend présent dans le silence de l'homme !!! Une sortie du bruit du monde, un temps de solitude, de silence, de calme, de méditation ou de prière pourraient être le secret d’une transformation ou d’un renouvellement intérieur et le début d'une solution aux nombreux problèmes qui perturbent et agressent notre existence. Alors, pourquoi ne pas essayer avec ce Carême ?

L'Esprit : Dans l’évangile que nous venons de lire il est dit que c’est l’Esprit de Dieu, dont Jésus est rempli, qui le pousse vers la solitude du désert où il découvrira la vérité sur sa personne, sa mission et le but de sa vie. La tâche de l'Esprit est d’éclairer et de guider, mais cette possibilité doit lui être rendue possible, offerte. L’esprit qui vient de Dieu doit pouvoir trouver un porte ouverte pour entrer, une antenne dressée pour être capté. Le travail de l'Esprit vise à éclairer, clarifier la vie et les choses de la vie et à nous aider à la syntoniser sur les valeurs qui viennent de Dieu. Il est bon de souligner que Jésus, « conduit par l'Esprit», est capable de trouver sa vérité, le vrai sens de la Parole des Écritures ... et de se syntoniser sur la longueur d’onde de Dieu; ce que le Diable ne réussit pas à faire.
Ceux qui vivent dans l'Esprit deviennent des êtres sensibles à la lumière de la vérité ;  vivant dans la lumière, ils deviennent des êtres de lumière. Leurs yeux s’ouvrent. Ils peuvent alors voir et comprendre où se trouve et en quoi consiste la vérité de leur être et quelles sont les valeurs qui les enrichissent vraiment et qui donnent sens et plénitude ultime à leur vie. Parce que ouvertes et sensibles à l’action de l’Esprit, ces personnes réussissent à se construire une "spiritualité", à devenir plus « spirituelles ». Cela leur permet de donner luminosité, transparence et profondeur à leur existence. Cela fait d’elles des individus particulièrement attachants et des modèles particulièrement réussis d’humanité, que l’on a envie de suivre. C’est cela que Jésus a été et continu d’être pour tous ses disciples que nous sommes.

Le Diable : Le diable est dans la Bible le symbole et la personnification de tout ce qui se décompose en nous et nous détruit en tant que personnes. Dans ce récit des tentations, le "diable" semble être le protagoniste incontesté, comme l’égoïsme, le repliement sur nous-mêmes, l’envie de prévaloir sur les autres et de leur faire du mal, l’est souvent dans notre vie. Son rôle est de diviser (dia-bolos). En fait, il essayera de séparer Jésus du Père... et de frapper chaque être humain au plus profond de lui-même, dans ce qu'il a de plus précieux en tant que personne: sa capacité d’aimer gratuitement, librement et de créer des relations de communion et de fraternité.

La psychologie et les sciences humaines sont unanimes à affirmer que l’être humain n'est pas heureux, perd ses repères, est perturbé, angoissé et même suicidaire, quand il n'est pas capable de bâtir des relations (saines et satisfaisantes), ou lorsqu’il n’a pas une bonne relation avec soi-même. Car l'être humain est par définition un animal qui ne s’humanise et ne se réalise en tant que personne qu’à travers sa capacité à entrer en relation et de créer des relations. Sans des bonnes relations avec la Réalité qui l’entoure, ou lorsque cette capacité à créer des relations ne fonctionne pas, l’être humain se déshumanise et meurt.

À travers son langage symbolique, le récit évangélique veut nous dire que le diable (le mal) manifeste sa force et son pouvoir sur l’homme lorsque celui-ci ne veut pas ou ne peut pas trouver la bonne relation avec lui-même, son prochain et avec Dieu. L’Évangile nous invite alors à nous fortifier avec le " remède " de la Parole et de l’Esprit de Dieu proclamés par Jésus, afin que nous puissions être équipés pour faire face à la tentation de nous fermer sur nous-mêmes et de nous séparer de nos frères.

Jésus: Jésus montre que la fidélité à Dieu est possible et que les tentations peuvent être surmontées. Il est la preuve vivante que rien n'est impossible à l'homme qui se laisse guider par l'Esprit. Ainsi, dans le désert, il devient le prototype de l'homme  fidèle qui, parce qu’il a réussi à établir une bonne relation avec Dieu, parvient aussi à vivre une bonne relation avec soi-même et son prochain.

A la fin, le texte de l’évangile dit que le diable "s'éloigna de Jésus pour un moment": sans doute pour signifier que la tentation et l’attrait du mal nous guettent continuellement et que la cohérence et la fidélité aux exigences et aux appels de l’Évangile constituent le combat de toute une vie. Mais le texte dit aussi que nous avons l'aide de l'Esprit, lequel nous suggère les stratégies à prendre et les tactiques à mettre en œuvre pour nous réaliser comme humains accomplis et comme enfants de Dieu.



 BM 2018 

mardi 6 février 2018

ON A TOUS BESOIN D'AMOUR

La belle-mère avec la fièvre

 ( 5e dim. ord. B – Mc 1, 29-39)

L'Évangile d'aujourd'hui nous présente une journée « typique » de Jésus : Jésus prêche et guérit. Ce sont les deux principales activités de Jésus.

            Le texte commence par le récit de la guérison de la belle-mère de Pierre qui était au lit avec la fièvre. Il faut avoir présent à l’esprit que les évangiles sont des documents catéchétiques écrits dans le but de parfaire la qualité de la foi des premières communautés chrétiennes. Si tous les trois évangiles synoptiques nous ont transmis cette anecdote, cela signifie qu’ils lui attribuaient une importance symbolique et une valeur spirituelle qui vont bien au-delà d’un simple renseignent de chronique journalistique. C’est à nous alors de découvrir le message que ce bref récit veut nous transmettre. Essayons.  

Alors que les Évangiles sont totalement muets sur l’état civil des autres apôtres, ce passage nous annonce ouvertement que Simon Pierre était un homme marié. L’évangile nous raconte aussi que quelque temps auparavant, Simon et son frère André, qui vivaient de la pêche, sur un coup de tête, avaient quitté leur profession, laissant bateau et filets sur la grève, pour suivre un certain Jésus de Nazareth qu’ils pensaient être le messie attendu. La même chose était arrivée à deux autres frères, Jacques et Jean (Mc.1,16-20). Et voilà que maintenant les quatre nouveaux disciples ne trouvent rien de mieux à faire que de s’inviter, avec Jésus, chez Pierre, pour fêter ensemble leur nouvelle carrière de «pêcheurs d’hommes».

Vous pouvez imaginer ce que pouvaient penser de tout cela les deux femmes de la maison  de Pierre qui, soudainement, se sont retrouvées seules et abandonnées par celui qui était le seul pourvoyeur et soutien de la famille !  

On peut alors comprendre la fièvre de la belle-mère de Simon qui, veuve depuis quelques années, plus expérimentée et plus futée que la jeune épouse un peu niaise et ingénue de Pierre, s’inquiète et panique autant pour son présent que pour son avenir. Elle ne réussit ni à comprendre ni à accepter la nouvelle tournure que la vie de son genre a prise au cours de ces derniers temps. On peut facilement s’imaginer la réaction et les propos que cette femme a dû tenir : « Mais il est devenu fou ou quoi ? Il a perdu la tête ! Comment peut-il partir derrière cet illuminé de Nazareth ! Qu’est-ce qu’il lui a pris? Mais c’est un irresponsable ! Il nous met tous dans le pétrin ! Il ne peut pas nous faire une chose pareille ! Nous ne sommes pas des riches ! Comment allons-nous vivre ? Qui va s’occuper de nous, des enfants, de la maison, de l’entreprise ? Est-ce que ce vagabond, qui se prend pour le messie, va nous donner à manger ? Est-ce qu’il va payer un salaire à Simon ? C’est moi qui vai devoir écouter les ragots des voisins ! « Eh, madame, est-ce vrai que votre gendre a laissé sa femme pour partir avec un homme ?».

Une chose est certaine, la belle-mère de Pierre est une femme qui a les deux pieds sur terre. Elle pense aux conséquences économiques et sociales de cette bizarre décision de Pierre. Elle perçoit l’apparition de Jésus comme une intrusion et une agression dans sa vie et celle de sa famille. «Qu’est-ce qu’il veut de nous cet homme ? De quel droit vient-il chambarder et bouleverser notre existence, en manipulant et en perturbant l’esprit de ces pauvres nigauds influençables, ignorants et naïfs ?»

 Il ne faut donc pas s’étonner que la belle–mère, affectée au plus profond d’elle-même par cette épreuve, soit tombée malade. Elle est pleine de colère; elle brûle de rage à l'intérieur. C’est pour cela qu’elle fait de la fièvre ! Et quand elle apprend que les quatre pêcheurs séduits et ensorcelés par Jésus, s'invitent à manger chez elle avec l’ensorceleur, c’est la goutte qui fait déborder le vase. Elle ne voit plus clair; elle ne tient plus débout et va se cacher dans sa chambre, sous prétexte d’être malade :. « Qu'ils se débrouillent tous seuls, cette bande de fous !!! S'ils pensent que je vais leur faire à manger... ils peuvent toujours courir !!!» se dit-elle.

Mais Jésus, qui est fin connaisseur de l’âme humaine et de la psychologie féminine, comprend tout de suite la situation et saisit immédiatement l’état d’âme de cette femme. Il va donc la rencontrer et il lui parle. L'Évangile nous dit qu'il «s’approche» d’elle et qu'il «lui prend la main». Jésus avait compris que cette femme, restée veuve à un jeune âge, souffrait et déprimait depuis longtemps à cause de la solitude et de la frustration qui l’avaient aigrie et qu’elle avait donc un besoin énorme d’attentions, de tendresse et d’amour.

Jésus avait compris que les soucis qu’elle se faisait, la responsabilité qu’elle ressentait, l’importance qu’elle attribuait à sa présence dans la maison et les affaires de son gendre, n’étaient qu’une forme de compensation, une façon de combler un manque, un vide et une insatisfaction profonde dans sa vie, causés par de le fait de ne plus se sentir voulue et appréciée à son goût en tant que femme et personne.

Maintenant, au contact de Jésus qui s’est fait «proche» d’elle et qui la touche avec tendresse, cette femme découvre que c’est peut-être en acceptant, elle aussi, la présence de cet homme dans sa vie, qu’elle pourra assouvir sa faim d’affection et de réalisation personnelle.

 Ainsi se laisse-t-elle toucher par Jésus et ce contact la vide de sa colère ; la remet sur pieds; rallume en elle la confiance en la vie; fait disparaître sa fièvre, pour en susciter une nouvelle, faite d’ardeur, d’énergie, d’élan, de désir brûlant de s’approcher d’accompagner elle aussi cet homme, en acceptant finalement de le «servir».

Qu'est-il arrivé ? Il est arrivé qu’au contact de Jésus, de son regard, de son sourire, de son empathie, de sa bonté, de ses paroles, de l’énergie qui se dégage de sa personne, cette femme a fini par être ensorcelée et séduite elle-aussi. Et cette fascination l’a guérie de sa maladie, en la faisant passer de l’antipathie à la sympathie ; de l’aversion à l’affection; de l’évitement et la fuite loin de Jésus, au désir de vivre en sa proximité dans l’espoir de pouvoir enfin revivre à nouveau à la portée du cœur de cet homme et à l’ombre de son extraordinaire personnalité.

De cet épisode, nous pouvons apprendre quelque chose nous aussi.

Beaucoup de gens se détestent simplement parce qu'ils ne se connaissent pas; parce qu’ils sont centrés sur eux-mêmes. Ils ne voient qu’eux-mêmes et leur point de vue. Ils s'enferment dans leurs convictions et leurs préjugés. Ils ne ressentent que leur propre douleur. Ils ne veulent pas écouter et dialoguer.

Certes, lorsqu’on a été blessé, il est normal de se renfermer : mais si nous restons fermés dans le ressentiment, dans le silence acrimonieux, il n'y a pas de sortie possible, ni espoir d’un nouveau départ. Il n’y a pas de possibilité de rencontre et de rapprochement. Si nous restons sur le plan de la colère, si nous ne faisons que la guerre, rien ne sera jamais résolu, et, de plus, nous nous condamnerons nous-mêmes à une vie misérable, aigrie, révoltée, sans souffle et sans bonheur.

Mais si nous nous rencontrons dans la douleur, dans le dialogue, dans l’empathie et le pardon, alors tombent les raisons de la haine et de la rancune. Alors une vie meilleure devient possible, car ennoblie par la magnanimité de la réconciliation, du pardon et de l’amitié conquise et retrouvée et par la grandeur de la personne qui peut commencer une vie nouvelle beaucoup plus humaine et plus épanouie.  

Voyez cette femme ! Tant qu’elle se bat contre Jésus, celui-ci ne peut pas la guérir. Mais lorsqu’elle se laisse approcher, lorsqu’elle l’écoute ; lorsque les deux interlocuteurs cherchent honnêtement, sincèrement et sans parti pris à se comprendre et à saisir les raisons de leurs comportements et de leurs divergences, lorsqu’ils réussissent à se serrer la main et à se toucher le cœur, alors les distances, les préjugés, les différences, les divisions, les hostilités disparaissent. Les fièvres tombent. Les orages disparaissent. Un soleil plus éclatant vient égayer notre existence.



Bruno Mori – Montréal – février 2018 

samedi 3 février 2018

JÉSUS ET LA SYNAGOGUE


(4e dim ord. B – Mc.1, 21-28)

Chez les juifs, la synagogue était l’institution officielle de l’enseignement religieux. Elle était le symbole de la doctrine et de l’orthodoxie religieuse proclamée par des maîtres reconnus, institués et patentés : les scribes. Elle était le haut lieu par excellence de la proclamation de la Torah, de son explication et de son interprétation.

Jésus de Nazareth, à cause de ses convictions, de l’originalité de sa pensée et du caractère critique et contestataire de sa personnalité, a toujours eu un rapport conflictuel avec la synagogue. Dans les évangiles, chaque fois que Jésus entre dans une synagogue la guerre éclate. Il est contesté. Il est chassé. Il est condamné à mort. C’est une façon de dire que la vision religieuse de Jésus et celle des scribes ne sont pas compatibles.

La synagogue est donc une institution fréquentée par les bons croyants, les pieux juifs bien intégrés dans le système religieux; par des gens sans problèmes qui acceptent les dogmes, respectent les règles, suivent les lois sans discuter, sans se poser de questions et qui n’aiment surtout pas les changements et que l'on vienne les déranger dans leurs croyances rassurantes et bien établies.

 Jésus, par contre est l’homme libre et contestataire. Il est l’homme de la rue, le vagabond de Dieu qui ne se laisse emprisonner par aucun parti, ni aucune idéologie. Il n’appartient à aucune classe. Il n’est ni scribe, ni lévite, ni prêtre, ni clerc, ni membre d’aucune hiérarchie religieuse. Il est un simple laïc qu’aucune norme, qu’aucune disposition de la religion officielle ne réussissent à encadrer ou à embrigader. Il professe une liberté souveraine vis-à-vis des contraintes et des obligations de la religion officielle. Il se sent autorisé à avoir ses propres opinions, à critiquer les autorités, à enfreindre les règles ; à s’insurger contre l’instrumentalisation de la religion et des croyances en faveur et au bénéfice du système religieux en place ; à ressentir de la colère contre les abus du pouvoir, l’hypocrisie des dirigeants, le formalisme de la pratique cultuelle, le grotesque de certains comportements cléricaux.

Jésus déteste les titres, les insignes de pouvoir, les courbettes, les honneurs. Il n’accepte que l’appellation de Rabbi, «Maître» , que les gens lui donnent, parce qu'il a conscience qu’il est le seul à proposer un enseignement et à posséder une parole qui ouvre à la vérité sur soi, sur Dieu et sur le monde et qui libère et valorise ceux qui l’écoutent.

L‘évangéliste Marc insiste sur le fait que Jésus enseignait avec autorité. Jésus ne parle pas au nom de quelqu'un d'autre, comme faisaient les scribes qui, ayant derrière eux une longue tradition d’interprètes, ne faisaient que répéter la pensée des maîtres qui les avaient précédés. L’enseignement des scribes est conventionnel, stéréotypé, figé, il n’encourage ni les changements ni l’ouverture d’esprit. Pour les scribes, le bon et pieux juif est celui qui se garde dans la stabilité de ses habitudes et ses observances religieuses, dans le respect des traditions, dans la soumission à la Torah qui manifeste la volonté de Dieu.

Jésus, par contre, parle de ce qu’il a à cœur. Sa parole exprime tout ce qu’il est lui-même, les convictions et les valeurs qui le font vivre. Elle communique sa pensée, le fruit de sa réflexion, le résultat de sa prière et de sa contemplation, sa vision intérieure, son expérience intime de Dieu. Dans sa parole il se livre lui-même. Jésus sait que sa parole est la sienne, certes, mais qu’elle est aussi l’écho d’une autre Parole écoutée et recueillie dans la profondeur de son expérience de Dieu. Il dira « Ma parole, n’est pas la mienne, mais celle du Père qui m’a envoyé ».

C’est pour cela que sa parole est neuve, originelle, déstabilisante, révolutionnaire. Elle encourage la conversion, la transformation, le renouvellement. Elle ouvre de nouveaux horizons. Elle indique de nouveaux chemins. C’est pour cela aussi que sa parole frappe, secoue, bouleverse, surprend, émerveille, fascine, fait toujours réagir ceux qui l’écoutent sans parti pris. Elle ne laisse personne indifférent. C’est une parole qui «porte », car elle nous «apporte» non pas des vérités à croire, mais une nouvelle vision de la Réalité qui rend possible une façon de vivre autrement plus libre, plus valorisante, plus sereine et donc, finalement, plus humaine et plus épanouie.

Le Dieu prêché dans la Synagogue est un Dieu vieux, bougon, triste, exigeant, qui cherche des sujets soumis et dévots ; qui fait dépendre le «salut» de la vertu, de la morale, de la fidélité, de l’obéissance et des observances ; qui semble lier sa bienveillance aux vertus, aux mérites, à la «justice» de ses adorateurs, c’est-à-dire à l’honorabilité que chacun s’est bâtie aux yeux de Dieu et aux yeux des hommes.

Le Dieu de Jésus, au contraire, est un Dieu jeune, espiègle, aventurier, qui aime les défis, les aventures, les voyages, la découverte de nouveaux pays, la contemplation de nouveaux paysages. Il aime les gens qui bougent, qui expérimentent, qui cherchent, qui évoluent, progressent, réagissent, s’opposent, discutent, se trompent, font la fête, dansent, aiment...

Le Dieu de Jésus est un Dieu qui n’aime pas voir les gens se bloquer, se figer, s’immobiliser sur le bord de la route, regarder continuellement en arrière, avoir peur d’avancer, voir le danger et le mal partout et se barricader derrière les murs de leur vieille maison, afin de passer une vie sans histoires et sans remous, mais qui est, inévitablement aussi, une vie plate, sans souffle, sans progrès et sans intérêt.

Le Dieu des scribes est un Dieu que l’on doit craindre et duquel on doit acheter les faveurs et la protection au prix de sacrifices et d’une observance scrupuleuse de sa volonté, explicitée dans une infinité de normes qui finissent par étouffer le pieux pratiquant, en lui rendant la vie impossible.

Le Dieu de Jésus, par contre, est un Dieu qui n’exige rien, mais qui donne toujours le premier; qui donne sans compter; qui donne à tous sans différences ni préférences et duquel nous recevons, avec une générosité et une largesse débordantes, «grâce sur grâce».

Finalement, c’est une conception totalement différente de Dieu qui oppose l’enseignement de la synagogue et l’enseignement du Maître de Nazareth. Dans la synagogue, nous sommes là pour un Dieu qui nous écrase avec ses exigences. Dans la doctrine de Jésus, Dieu est là pour nous, pour nous libérer de nos peurs en nous faisant grandir dans la confiance amoureuse de sa présence. Dans la synagogue, Dieu a besoin de nous (de notre soumission, de notre foi, de notre adoration, de notre culte) pour être Dieu et pour se sentir Dieu. Dans l’enseignement de Jésus, l’homme a besoin de Dieu pour devenir plus humain et pour connaître la source de son être véritable et de son authentique bonheur.

De sorte qu’il n’y a plus grand chose en commun entre la synagogue et Jésus. La parole de Jésus introduit les germes d’une fermentation et d’une révolution qui un jour feront éclater le vieux système religieux juifs. Jésus vient chambarder les anciens repères et en produire de nouveaux. Beaucoup de pieux juifs se sont sentis totalement déstabilisés et désorientés devant l’originalité et la charge contestatrice de la doctrine du Maître de Nazareth. C’est la constatation que Marc met sur la bouche de l’homme dans la synagogue, tourmenté par les mauvais esprits de la scrupuleuse et formelle observance de la Torah et que la longue fréquentation de la religion avait fini par rendre encore plus malade et tourmenté: «Que nous veux-tu, Jésus de Nazareth? Es-tu venu pour nous perdre?».

Il faudra attendre que cet homme, au contact avec la personne de Jésus et par l’ouverture à sa parole, soit capable de se libérer de tous les conditionnements de son ancienne éducation, de toutes les fausses idées qu’on lui avait inculquées, des fausses croyances qu’il avait accumulées, pour qu’il récupère sa liberté et sa véritable identité. Certes, pour cet homme, le travail de restructuration et de libération n’a pas été une tâche facile. Il a été secoué avec violence. Il a souffert. Il a poussé de grands cris. Il a subi un déchirement intérieur extrêmement éprouvant. Mais c’est le prix que ce genre de personnes doivent payer pour leur guérison intérieure et pour renaître à une nouvelle forme de vie.
  

 Bruno Mori