DE QUEL PAIN AVONS-NOUS BESOIN ?
Le « miracle »
de la multiplication des pains que l’on retrouve dans les évangiles a un but ouvertement catéchistique. Les
évangélistes construisent ce récit en s’inspirant du miracle du
prophète Élisée qui, dans l’Ancien Testament (2 Rois,
4,42-44), rassasia quatre cents personnes avec une vingtaine de pains
d’orge. Les auteurs de ce récit évangélique veulent transmettre
un message bien simple: «Il y a ici quelqu’un qui est bien
supérieur à Élisée!». Ce conte est, de toute évidence,
construit sur le schéma de l’institution de l’Eucharistie.
L'auteur utilise exactement les mêmes mots:« Il prit le
pain, il le rompit et le donna à ses disciples…»; il veut
donc enseigner que chaque fois que les chrétiens se réunissent
pour l’Eucharistie, c’est ce même «miracle» qui s’accomplit :
le don de Dieu est là pour tous et tous peuvent en être rassasiés.
Son pain est donné en abondance. Ce récit nous enseigne cependant beaucoup d'autres choses.
Voyons maintenant en
quoi ce texte peut nous intéresser, nous qui vivons au XXIe siècle.
L'auteur fait remarquer que Jésus se trouvait dans un
lieu solitaire lorsqu'il
accomplit le miracle de la multiplication des pains. Jésus a
souvent besoin de se retirer, de s’éclipser, de s’évader loin
du brouhaha, du tumulte et de l’agitation de la vie ordinaire, afin
de se retrouver tout seul avec son âme. Nous avons tendance à
penser que c’est un luxe, un privilège que de s’arrêter, de
prendre des vacances… D’après ce que nous venons de lire, cela
semble être, au contraire, une nécessité, si nous voulons donner
une certaine profondeur à notre humanité.
Les rythmes de notre
société moderne nous usent, nous consument, nous vident
physiquement, psychologiquement et spirituellement… Fatigue,
stress, dépression, burn-out, etc. D’où la nécessité de
s’arrêter, de se débrancher, de se déconnecter de temps à
autres, de lâcher prise pour survivre, pour ne pas devenir des
robots, pour garder un semblant de dignité ou tout simplement pour
garder notre liberté. Oui, pour affirmer notre liberté! Pour dire
et prouver que nous ne sommes pas les esclaves de nos besoins
matériels, de notre travail, du rendement, du profit… Pour
affirmer que nous sommes plus que nos besoins matériels…Que nous
avons besoin d’autres choses que de l’argent, que du confort.
Pour affirmer que le travail, l’argent et le confort ne sont pas
tout dans la vie et que ce n’est pas à cause de cela que nous
allons nous sentir plus heureux et plus accomplis.
Plus que jamais nous
avons besoin aujourd’hui, comme le faisait Jésus, de nous offrir
des moments d’évasion, de fuite, de tranquillité et de
silence…pour nous mettre en face de nous-mêmes, de notre destin,
du sens de notre vie…pour faire le point, pour voir un peu plus
clair (dans nos valeurs, nos priorités, nos amitiés, nos
attachements, nos amours…), pour entreprendre le voyage vers
l’intérieur de nous-mêmes (ce voyage que nous remettons toujours
à plus tard…!), pour découvrir ce que nous sommes et ce que nous
voulons en réalité. Pour prendre conscience de notre richesse et
de notre pauvreté. Mais surtout pour découvrir le potentiel qui
se cache en chacun de nous; ces trésors qui sont ignorés,
méconnus et que souvent nous ne soupçonnons même pas de posséder
et qui donc ne sont même pas utilisés. Combien de crises, combien de complexes d’infériorité, manques d’auto-estime et de confiance
en soi, combien de dépressions, de névroses et de suicides seraient
évités si nous étions capables de pénétrer paisiblement et
sereinement à l’intérieur de nous-mêmes et de nous regarder avec
le regard bienveillant de Dieu ! Nous découvririons alors que nous
sommes tous de petites merveilles; que les zones positives de bonté
et de lumière en nous dépassent amplement celles de la méchanceté
et de l’ombre, puisque nous découvririons que nous sommes porteurs
de la présence et de la manifestation de Dieu en ce monde.
Pour nous, les
chrétiens, cette nécessité de retrait et de silence devient un
devoir d’autant plus pressant que nous vivons une relation de
confiance, d’amitié et d’amour avec le Dieu de Jésus. Comment
pourrions-nous donner consistance et réalité à cette relation,
sans nous tailler dans notre vie des temps d’arrêt, de silence et
d’intimité avec Lui ? Comment pourrions-nous être nous-mêmes
libres, vivre selon nos convictions, selon la foi qui nous anime, si
nous permettons à la matérialité de notre existence de nous
engloutir entièrement ?
C’est par nous que Dieu existe, car c’est par nous qu’il est connu et reconnu, adoré et imploré ; c’est par nous qu’il est donc Dieu. Et nous, c’est par Lui que nous recevons toute la grandeur de notre humanité.
C’est par nous que Dieu existe, car c’est par nous qu’il est connu et reconnu, adoré et imploré ; c’est par nous qu’il est donc Dieu. Et nous, c’est par Lui que nous recevons toute la grandeur de notre humanité.
Cet épisode de
l’Évangile contient aussi une composante sociale sur laquelle il y
aurait aussi beaucoup à dire et à réfléchir. Jésus est entouré
ici d’une multitude de gens qui sont dans le besoin. Les disciples
s’en rendent compte : « Qu’est-ce qu’on va faire
avec tous ces gens qui ont faim et qui de toute évidence manquent de
tout ?». Cependant, ils n’ont aucune intention de s’impliquer.
Après tout, ce n’est pas notre problème…ce n’est pas nous qui
avons causé cette situation…c’est plutôt toi…c’est notre
gouvernement…c’est la situation économique…c’est la faute
d’une politique irresponsable…du système capitaliste féroce,
sans pitié, exploiteur et qui ne fait qu’accroître les
différences et la pauvreté dans le monde et qui n’avantage que
les riches et les puissants…nous sommes impuissants…nous ne
pouvons rien résoudre…nous n’avons pas les moyens…renvoie-les,
qu’ils s’en aillent, qu’ils se débrouillent… »
Et Jésus de leur
répondre : « Il n’en est pas question ! Vous,
donnez-leur à manger ! » . Il ne s’agit pas de se dérober,
de trouver des excuses ou des prétextes pour justifier notre
inaction ou notre apathie. Il y a toujours quelque chose à faire et
on peut toujours faire quelque chose quand notre prochain est dans la
détresse et le besoin, même si nous trouvons que nous moyens sont
souvent insignifiants et que nous n’avons que des petits pains et
deux petits poissons. Qu’est-ce qu’on peut faire avec ça ? Et
pourtant…! Mettez-les en commun, nous dit Jésus, partagez-les et
vous verrez le miracle qui va se produire ! Qu’est-ce que je peux
faire, moi, devant le tremblement de terre qui a détruit Haïti ?
Devant la dévastation du tsunami qui a rasé les côtes de l’Asie
? Devant la famine qui sévit en Somalie et les pays du sud-est
africain? Toi, tout seul, pas grand-chose! Mais ensemble, nous
pouvons beaucoup. En regroupant nos pauvretés, en partageant le peu
que nous avons, nous pouvons faire le miracle de nourrir et secourir
des multitudes. Jésus vient nous enseigner donc avec ce texte,
qu’il n’y a jamais d’excuse à l’inaction et à l’indolence
lorsque notre frère est dans le besoin.
BM
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