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mardi 18 septembre 2018

« POUR VOUS QUI SUIS-JE ? »

(Marc 8, 27-35 - 24e dim. ord. B)

 C’est la question que Jésus posait à ses amis car, comme chacun de nous, il était intéressé à savoir quelle était l’opinion qu’ils avaient de lui. Il voulait connaître quelle place et quelle importance il avait dans leur vie. C'est une question plus que légitime, puisque personne ne peut vivre et ne peut s’engager dans l’existence sans se sentir accepté, valorisé, apprécié, reconnu par les gens de son entourage.

Pour savoir si nous méritons une telle reconnaissance de la part de notre milieu et pour mieux discerner les attitudes et les dispositions à avoir pour être reçus et perçus par les autres, il est peut-être utile d’inverser la question et de nous demander : « Quand une personne est-elle vraiment importante pour nous ? ».

Je pense qu’une personne est vraiment importante pour nous lorsque :   

-     elle nous donne du bonheur – Alors nous nous sentons réalisés et nous sentons aussi que notre vie a un sens;
-     nous nous sentons responsable d’elle;
-     nous tenons à son bonheur plus qu’au nôtre;
-   elle nous aide à nous sentir en confiance avec nous-mêmes, de sorte que, d’un coté, nous craignons moins le jugement des autres et, de l’autres coté, nous affrontons l’existence avec beaucoup plus d'assurance et de désinvolture;
-    elle nous permet de vivre une relation profonde et harmonieuse. Alors nous ne nous sentons plus seul. Nous dépassons la solitude et le sentiment de séparation pour entrer dans une expérience de communion et de partage;
-   cette personne est devenue, je ne dirais pas indispensable à notre existence, car personne n'est totalement indispensable, mais lorsque nous ne pouvons plus concevoir notre existence séparée ou privée d’elle;
-     nous nous surprenons à penser à elle sans nous en rendre compte, car elle occupe le fond de nos pensées, car elle est au centre de nos soucis, de nos désirs; et lorsque nous sentons un vide et en manque en son absence.
Si pour une personne, notre cœur se dilate de joie ou se serre de peine et d’ennui …. Alors cette personne est importante pour nous…

Heureux sommes-nous si, dans notre vie, nous avons eu la chance de ressentir cela et de réagir de la sorte à une personne que nous avons rencontrée ou si nous avons le bonheur de susciter de tels sentiments chez une autre personne ! La course de notre vie est gagnée et nous avons réussi l’épreuve de l’existence, si nous avons été capables de tels sentiments et capables de réaliser une telle qualité de relations humaines ! Sans cela, notre vie risque d’être une collection de babioles, un ramassis de futilités qui banalisent notre existence et qui risquent d’en faire un misérable gâchis.

Lorsque dans un couple d’amoureux, l’un des deux demande à l’autre : « Qui suis-je pour toi ? Qu’est-ce que je représente pour toi ? ». Généralement la réponse ne se fait pas attendre : « Tu es tout pour moi ! Tu es celui ou celle qui me permet de vivre !… ». Et souvent la personne qui pose cette question le fait dans l’espoir d’entendre de telles réponses qui ne sont que des magnifiques déclarations d’amour. Nous avons tellement besoin d’entendre quelqu’un nous dire qu’il nous aime ! De sentir que l’amour de l’autre nous est assuré ! Que nous sommes importants pour quelqu’un ! Nous avons besoin de nous convaincre que notre vie mérite d’être vécue parce qu’elle est voulue, désirée, appréciée par un autre! Parce qu’elle apporte bonheur, joie, sécurité et sens à une autre ou à d’autres personnes !

            Car finalement le malheur ou l’échec d’une vie et d’un individu sont causés par la sensation d’être inutile et superflu en ce monde, de n’intéresser personne et de n’être pas digne d’amour ou de ne pas le mériter. Cela signifie alors que le salut d’une vie est dans l’assurance de se sentir voulu et accueilli par un autre ; dans l’expérience de se sentir important pour un autre et finalement, dans la force des liens d’amours avec lesquels nous savons nous lier les uns les autres.

J’aime à penser que, dans l’évangile de ce dimanche, Jésus a voulu poser cette question parce qui il avait particulièrement besoin de se sentir entouré et soutenu par la présence aimante et valorisante de ses amis. Alors qu’il se sentait repoussé et condamné par ses adversaires et qu’il voyait sa vie s’en aller vers l’échec et la catastrophe, Jésus avait besoin de s’assurer que, dans sa vie, tout n’était pas perdu, puisqu’il pouvait compter sur l’amour des personnes qui lui avaient fait une grande place dans leur cœur et pour lesquelles il était très important, puisqu’il constituait leur seule raison de vivre.

Souvenez-vous de la question posée un jour par Jésus aux siens: « Voulez-vous me quitter vous aussi? », et la réponse des apôtres: « Mais où irions-nous, Seigneur, Toi seulement a les paroles qui nous font du bien et qui nous aident à vivre …! » (Jn.6,66-69).

Jésus, en posant cette question de « Qui suis-pour vous ? », interpelle aussi chacun de ses disciples et donc chacun de nous, sur la place que nous lui faisons ou que nous lui laissons dans notre cœur et dans notre vie« Qui suis-je pour vous ?». Un personnage rare, bizarre, comme il y en a eu plusieurs dans l’histoire ? Un phénomène culturel ? Un réactionnaire, un protestataire qui a de la peine à se conformer aux coutumes établies, aux lois, aux traditions des ancêtres ? Suis-je un innovateur qui vous apporte une parole neuve, un nouvel enseignement qui vous ouvre les yeux ; qui vous sort de l’ignorance et de l’oppression? Qui vous aide à récupérer confiance, dignité et liberté ?

 Êtes-vous avec moi par devoir, par habitude, par obligation, par peur ? … Ou êtes-vous avec moi parce qu'un jour vous m’avez rencontré, parce que vous m’avez choisi ? Parce que vous avez été pris, fasciné par moi ; parce que vous avez senti que votre vie pouvait être transformée par ma présence ; parce que vous avez découvert que je ne suis pas comme les autres, que je ne parle pas comme les autres et que je vous apporte quelque chose que les autres hommes ou les autres Maîtres ne sont pas capables de vous donner ? Parce que vous avez senti que j’étais la seule personne capable de répondre à vos attentes de sens, de sécurité de paix intérieure, de perfectionnement et d’accomplissement humains et de bonheur ? Parce que vous avez compris et ressenti que j’étais la seule personne à laquelle vous pouviez confier votre existence, avec la certitude de ne pas la perdre, mais de l’accomplir, la réussir et la sauver ? « Celui que veut sauver sa vie, doit la perdre en me la confiant … car celui qui sera capable de perdre sa vie pour moi la sauvera ».

Peut-être que la parole que le Seigneur nous adresse aujourd’hui veut nous questionner sur les motivations réelles de notre adhésion à la foi chrétienne et sur la qualité de nos rapports personnels avec Jésus de Nazareth. La seule question que nous devons nous poser à son égard est en définitive la suivante : « Sommes-nous avec lui parce que nous l’avons un jour personnellement rencontré et que nous en avons été fascinés ? Parce qu'un jour nous l’avons librement choisi comme notre guide et notre maître ? Finalement, sommez-nous avec Jésus de Nazareth parce que nous l’aimons et nous l’admirons ?

Ou sommes-nous avec lui parce qu’il nous a été imposé par les circonstances de la vie et que nous continuons de le garder par tradition et par habitude, comme on garde un vieux meuble que nos parents nous ont légué ?

En d’autres mots, sommes-nous des chrétiens par choix ? Par conviction personnelle ? Parce que nous avons été surpris et épris par la personnalité et la qualité d’humanité de Jésus de Nazareth ainsi que par les valeurs de vie qu’il nous communique…? Ou notre christianisme est-il seulement une coloration culturelle qui ne change pas vraiment ni notre cœur ni la qualité de notre vie ?...

Voilà des interrogations importantes que l’Évangile de ce jour pose à notre cohérence chrétienne et à la vérité de notre foi.
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Bruno Mori

mardi 4 septembre 2018

…L’Homme qui donne le pain …



(18e dim. ord. – Jn 6,24-35)

Nous savons aujourd’hui que le processus évolutif du cosmos et des espèces vivantes sur la terre se réalise à travers une suite ininterrompue d’échecs et de réussites, de bouleversements apocalyptiques et de fabuleux accomplissements. Ainsi, assistons-nous, au cours de l’histoire de l’humanité, à l’apparition continuelle et régulière autant de déchets que de chefs d’œuvre d’humanité; à des individus qui font honte et déshonneur à la race humaine et à d’autres qui en sont la gloire et l’orgueil. Nous voyons apparaître des personnages lugubres que l’on souhaiterait n’avoir jamais existés parce qu’ils ont obscurci et barbarisé l’histoire humaine par l’horreurs de leurs crimes et de leurs méfaits. Mais, nous assistons aussi à l’apparition de figures d’hommes et de femmes qui sont comme des étoiles qui surgissent au hasard des énergies attractives qui modulent la conformation de l’Univers et qui pendant des millions d’années éclairent de leur lumière l’immensité des espaces galactiques.

Ainsi, parmi les ratés de l’évolution humaine et pour rester seulement dans un passé récent, pensons, par exemple, aux tristes personnages de Hitler, Staline, Mao Zedong, Pol-Pot; ou, plus proche de nous, aux membres des mouvements intégristes islamiques du Moyen Orient (talibans, état islamique), à certains tyrans de pays africains, à certains présidents des grandes puissances modernes…
Parmi les réussites de l’évolution humaine, nous pouvons nommer des figures comme Bouddha, Lao, Platon, Jésus, Teresa d’Avila, Dante Alighieri, Michelangelo, Shakespeare, Mozart, Beethoven, Martin Luther King, Kierkegaard, Gandhi, Einstein, Nelson Mandela, Drewermann, Leonardo Boff,  etc.  ….. Ces personnes sont des modèles et des sources d’inspiration pour tous les humains. Ils sont des phares qui éclairent et indiquent le chemin à parcourir. Ils sont des faiseurs d’espérance et de beauté ; des prophètes qui annoncent la possibilité d’un monde nouveau, différent et meilleur. Ils sont les détenteurs d’une réelle sagesse. Ils nous communiquent des intuitions et des visions singulières sur la Réalité. Ils nous dévoilent de rêves et de projets inédits, souvent déstabilisants, certes, mais ayant le pouvoir d’interpeller, de faire réfléchir, de poser et de proposer des défis et d’inviter la race humaine sur des chemins jamais parcourus, afin de la faire progresser vers des horizons plus vastes et vers des réalisations et des formes plus accomplies d’humanité.

Jésus de Nazareth fait partie de cette catégorie d’humains particulièrement inspirante et réussie. C’est comme cela qu’il a été perçu par ses admirateurs et qu’il a été présenté dans la littérature chrétienne du premier siècle. Ainsi, les auteurs chrétiens des évangiles le décrivent-ils comme l’homme qui a su réaliser dans sa personne la synthèse la plus complète et la plus parfaite des qualités humaines, au point de le considérer comme une merveille et un miracle d’humanité; comme un homme venu de Dieu; comme un don du Ciel aux hommes ; comme le mètre et la forme sur lesquels chacun  de nous devrait désormais se mesurer et se modeler pour réussir la construction de sa propre humanité. Ainsi, pour ces auteurs anciens, Jésus est l’«Homme» et le «Maître» par excellence, sur la parole, l’enseignement et l’esprit duquel tout humain pourrait conformer et modeler sa vie.

Voilà pourquoi, dans le texte d’évangile que nous venons de lire, l’évangéliste Jean, friand d’images et de symboles comme tous les auteurs anciens, présente Jésus comme pain, nourriture, source d’eau vive, lumière que chacun doit chercher, s’il tient à satisfaire sa faim et sa soif d’absolu, de vérité, de gratification, de sens, de bonheur : faim et soif que chaque être humain, normalement constitué, un jour ou l’autre, ressent dans les profondeurs de son cœur.

Jean, avec les autres auteurs chrétiens du premier siècle, a vu en Jésus un exemplaire d’homme tellement accompli, que  son exemple, la réflexion sur les principes, les convictions, les attitudes, les forces et les virtualités qui ont régit sa vie, peuvent grandement aider et inspirer ceux et celles qui, dans une attitude de confiance amoureuse et admirative, acceptent de l’adopter comme référence ultime et source d’inspiration,  dans le but de bâtir leur existence sur le modèle et la forme de son humanité.

L’évangile (d’aujourd’hui) nous assure que les chrétiens qui acceptent de suivre ce Maître et de se modeler sur son esprit, deviendront des nouvelles créatures, des personnes d’une qualité «supérieure». Non plus des individus renfermés sur eux-mêmes, exclusivement occupés et préoccupés à mettre sur pied leur petit bien-être et leur petit bonheur personnel; individus qui accumulent et consomment des «choses», et dont les intérêts restent limités à la satisfaction de leurs  besoins primaires et biologiques…

L’évangéliste Jean nous assure que les humains qui cherchent Jésus pour le pain qu’il peut leur offrir, pourraient avoir la possibilité de devenir des individus différents : ouverts, capables d’avoir faim et soif de valeurs moins terre à terre, plus élevées et plus spirituelles. Ce qui signifie que l’imitation du Maître de Nazareth peut faire de nous des individus capables de spiritualité; c’est-à-dire, capables de s’intéresser à des réalités et à des contenus autres que ceux concernant uniquement le manger, le gagner, le posséder, l’accumuler, le consommer, l’avoir du  bon temps et  du plaisir.

La fréquentation du Nazaréen peut nous conduire à prendre conscience que, en tant qu’humains, nous avons un destin particulier en ce monde ; que nous sommes appelés à y  vivre à un niveau de conscience supérieure;  qu’il y a en nous quelque chose qui nous fait différents des animaux, puisque nous sommes capables de réflexion, d’émerveillement, de don de nous-mêmes, d’altruisme, de bonté, de tendresse et d’amour. Puisque nous rions, nous pleurons, nous espérons, nous désirons, nous nous languissons, nous sommes toujours insatisfaits. Puisque nous sommes porteurs d’une profondeur et d’un mystère qui nous dépasse et que, à cause de cela, nous pouvons nous interroger sur les raisons de la présence de la souffrance, du bien et du mal; sur le sens et le but de notre vie et de notre mort;  être assez sensibles spirituellement pour vibrer en consonance avec la Réalité ou le Mystère Ultime que nous appelons «Dieu».

La fréquentation de ce Maître peut nous aider à mieux nous orienter dans la vie, à découvrir les comportements, les projets, les quêtes et les conquêtes qui donnent vraiment consistance, qualité  et  profondeur à notre existence et qui nous bâtissent en tant que personnes riches d’une authentique sagesse et d’une attachante forme d’humanité : une humanité qui se manifeste et se déploie comme bienveillance,  bonté, compassion, partage, tolérance, attention et soin, autant en faveur  de nos  frères humains, qu’en faveur et pour le bien-être et la santé de notre Planète.

C’est pour cela que Jean fait dire à Jésus qu’il peut nous donner un pain capable de nous maintenir en vie pour toujours, maintenant et pour l’éternité. Ce texte veut finalement nous faire comprendre que le pain qui donne vie n'est pas le pain qu'on reçoit et qui se mange, mais le pain qui se donne. Si tu es épris de sa personnalité ; si tu es animé par son esprit, si tu deviens le bon pain qu’il a été, tu sauras ce que signifie vivre pleinement. Si tu te donnes, tu t’accompliras et tu seras heureux Si tu retiens tout pour toi et ne donnes rien de toi, tu te perdras; ta vie sera vide, tu t’appauvriras en humanité et tu seras un individu mesquin, triste et seul.

Cet évangile nous place donc aujourd'hui face à un défi radical : quelle est ma lumière, ma nourriture, mon eau ? Autrement dit: qui est le Seigneur de ma vie? Où puis-je trouver la source véritable de mon humanité ?


( Bruno Mori – 2 aout 2018)