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mardi 14 mai 2019

L’écoute qui nous accomplit


 (4e dim. de pâques, C – Jn. 10,27-30)

            Si nous sommes ici ce matin, rassemblés dans cette église, c’est parce que nous sommes des chrétiens, membres de la famille de Jésus et brebis de son bercail et que nous considérons Jésus de Nazareth comme notre berger, notre maître et notre « Seigneur ». Les quelques versets de l’évangile de Jean que la liturgie de ce dimanche propose à notre attention décrivent en trois verbes très importants le mouvement de base de notre démarche de disciples à la suite de Jésus et résument l’essentiel de notre condition de chrétiens. Nous sommes les brebis qui « écoutent », « connaissent » et « suivent » leur bon Pasteur. C’est sur ces trois verbes que je voudrais vous inviter à poser aujourd’hui votre attention et votre réflexion.

 « Mes brebis écoutent ma voix… »

            Le texte nous dit que ne réussissent à faire partie de la famille de Jésus que ceux et celles qui sont capables d’écouter. La capacité d’écoute est une qualité très rare chez les humains et très peu nombreuses sont les personnes qui la possèdent, c’est pourtant celle qui nous construit en tant que personnes.

            Or, nous savons qu’écouter est plus qu’entendre. On peut en effet entendre la voix ou les paroles d’une personne, sans vraiment l’écouter, comme c’est souvent le cas dans nos relations sociales. La capacité de l’écoute suppose un lâcher prise de nos certitudes établies, une sortie de nous-mêmes, de nos fermetures et nos repliements, un abandon de nos suffisances, pour nous ouvrir, pour adopter l’attitude de l’accueil, de l’attention et de l’intérêt envers les autres et pour ce que les autres peuvent nous dire, nous communiquer, nous apporter, nous enseigner ; posture dans laquelle interviennent notre bon sens et notre intelligence, mais surtout et principalement notre cordialité, notre sensibilité, notre affectivité, notre empathie et donc notre cœur.

            L’écoute comporte donc avant tout l’attitude de la disponibilité à recevoir du nouveau et du différent; la prise de conscience que nous ne savons et ne connaissons pas déjà tout, que nos vérités et nos raisons sont toujours incomplètes, partielles; que donc nous avons toujours besoin de nous « recycler », de nous questionner, de chercher, d’interpeller, d’écouter et d’apprendre des autres, car nous ne suffisons jamais tous seuls à atteindre une meilleure compréhension de la réalité et une plus complète réalisation de notre humanité et de notre bonheur. Celui qui reste blindé dans sa suffisance, dans ses acquis, dans ces certitudes, dans ses convictions et dans ses préjugés, restera toujours une brebis égarée.

 « Mes brebis je les connais et elles me connaissent … »

            Et évangile nous dit que l’écoute nécessite le soupir du cœur. En effet, nous n’écoutons vraiment que ce qui nous intéresse ; que ce que nous percevons comme venant répondre aux besoins, aux désirs, aux aspirations profondes de notre esprit et de notre cœur.

            Nous écoutons parce que nous sentons et nous découvrons des affinités, des résonances, des attirances entre notre âme et l’âme de la personne qui nous parle; entre notre âme et l’âme contenue dans les paroles que nous entendons. C’est pour cela que nous n'écoutons vraiment que les personnes que nous apprécions, que nous estimons, qui nous sont sympathiques ; celles avec lesquelles nous nous sentons en syntonie, en accord et en confiance ; celles finalement que nous aimons. C’est pour cela que le bon berger de l’évangile dira que ses brebis l’écoutent parce qu’elles le connaissent, elles connaissent sa voix, comme lui connaît chacune d’elles .

            Je vous fais remarquer que le verbe « connaître » utilisé dans l’évangile de Jean n‘indique pas une connaissance cérébrale, intellectuelle, mais il s’agit d’une « connaissance » au sens biblique du terme. C’est le verbe dont la Bible se sert pour exprimer l’intimité du couple réalisée par leur étreinte sexuelle. Il s’agit donc ici d’une connaissance sensible, presque « sensuelle », qui comporte une proximité, une intimité et une profondeur dans laquelle les personnes se rencontrent dans la fascination et l’extase d’une relation affective, amoureuse, de communion et d’unité qui les fusionnent en un seul être et en un seul corps à tout jamais.
 Le bon Berger de l’évangile de Jean nous assure que la connaissance qui existe ente lui et les « brebis » qui l’écoutent est de cette nature. Elle est en effet en tout semblable à la connaissance fusionnelle qui existe entre lui et Dieu son Père : « Je connais mes brebis et mes brebis me connaissent comme mon Père me connaît et moi je connais mon Père (10,14)... et sachez que moi et mon Père nous ne faisons qu’un, le Père, en effet, est en moi et moi je suis dans le Père. »

            C’est donc la bonne nouvelle de cette qualité et de cette profondeur d’unité, de communion et de fusion qui s’établit entre les brebis et leur Berger, entre le Maître et ses disciples, que ce texte de l’évangile de Jean cherche à annoncer aux chrétiens de son temps et aux chrétiens de tous les temps.

« Mes brebis me suivent… »

            Pour le disciple, le fait de suivre Jésus est alors la conséquence nécessaire du bouleversement et de l’intensité de l’expérience intérieure déclenchée en lui par la rencontre amoureuse et la communion avec son Maître Jésus lors de l’écoute de sa parole.
            Une parole qui a trouvé une résonance parfaite dans l’esprit et le cœur du disciple, parce qu’elle lui convient en tout et lui convient parfaitement ; parce qu’elle vibre en accord avec ses besoins, ses désirs, ses aspirations, ses rêves les plus chers.

        Voilà pourquoi nous sommes devenus disciples d’un tel Maître. Voilà pourquoi chaque dimanche nous devenons les brebis qui se regroupent dans son bercail (notre église paroissiale). Nous exprimons par là notre besoin et notre désir d’être toujours à l’écoute de ce Maître qui a saisi notre cœur et qui continue de nous nourrir du pain de sa parole et de nous abreuver à l’eau pure et fraîche de son Esprit.

            En sa compagnie et sous sa conduite, nous avons la certitude et la pleine confiance de pouvoir devenir de meilleures personnes, capables de construire un monde plus juste, plus heureux et plus humain.


Bruno Mori – Montréal, 8 mai 2019

mercredi 1 mai 2019

THOMAS, LE DISCIPLE QUI A FAIT CONFIANCE


Quelques réflexions occasionnées par la lecture de l’évangile du 2e dimanche de Pâques
(Jn. 20,19-31 – 2019)


            Depuis des temps immémoriaux ou, tout au moins, depuis le néolithique jusqu’au Moyen-âge, les religions ont été les seules « fabriques » de culture, de science et de connaissances. Elles se présentaient comme les seules institutions ou les seules instances « académiques » capables de fournir des explications et des réponses aux grandes questions que les humains se posaient sur leur origine, sur celle de l’Univers, sur la nature des phénomènes naturels qu’ils observaient, sur le pourquoi de la présence de la souffrance et du mal, sur le sens de la vie, de la mort et de la vie après la mort, etc.

            Pour répondre à ces questions, les religions, qui n’avaient pas plus de connaissances que les autres humains, ont eu recours à la fiction en élaborant des récits et des histoires qui frappaient l’imagination et qui fournissaient des scénarios dans lesquels les gens simples et ignorants de ces époques archaïques trouvaient les réponses qu’ils cherchaient, qui les tranquillisaient et qui leur permettaient de passer à travers les vicissitudes de leur existence sans être trop angoissés.

            Avec les temps, les religions pour affermir et assurer leur pouvoir et leur autorité, ont exigé de leurs fidèles qu’ils considèrent ces contes et ces récits non pas comme des histoires inventées, mais comme des histoires vraies, comme des faits réels, qui s’étaient vraiment produits à un moment donné de l’histoire du monde.

Il existe autant de récits et des ces contes (appelés aussi «mythes») qu’il y a de religions et de sectes répandues sur les cinq continent de la Planète. Chacune d’elle a inventé les siens et chacune d’elle ne jure que sur la vérité des histoires qu’elle raconte

La religion judéo-chrétienne a produit elle aussi son lot de récits et d’histoires que l’on retrouve parsemées un peu partout autant dans la Bible que dans les doctrines et les dogmes de la religion chrétienne.

            La religion demande donc à ses adeptes de croire à la vérité factuelle de ces récits. La foi des fidèles consiste alors dans l’adhésion de leur l’intelligence à ces contes. Cette foi est devenue la condition de base de leur appartenance à la religion, de leur orthodoxie et de leur salut éternel. Pour l’Église, c’est essentiellement cette attitude cérébrale et intellectuelle qui compte, qui est importante et qui sauve, plus que la conduite honnête, vertueuse, inspirée par la bonté, la compassion et l’amour. Giordano Bruno et Girolamo Savonarole ont été brûlés comme hérétiques par l’Inquisition romaine non pas parce qu’ils avaient eu une mauvaise conduite, mais parce qu’ils avaient osé contester certains points de la doctrine et de la foi catholique.

            Mais il y a plus : pour la religion, cet assentiment de l’intelligence aux récits qu’elle a inventé et qu’elle propose, n’est une « foi » authentique que si l’adhésion se fait « aveuglement » et « bêtement », c'est-à-dire, que si elle s’accomplit sans douter, sans discuter, sans se poser de questions, sans réfléchir et, mieux encore, sans comprendre. C’est une foi qui s’adresse à l’intelligence de la personne, mais qui, finalement, n’a pas besoin de l’approbation de l’intelligence, mais seulement de celle de la volonté de l’individu: je veux croire, j’accepte de croire, même si je ne comprends pas ; même si cela me semble invraisemblable, inconcevable et absurde.
Au point que certains théologiens de l’Église sont arrivés à affirmer que plus la foi est une entreprise difficile, plus elle est « méritoire » aux yeux de Dieu. Ce qui veut dire que croire à des absurdités, pourvu qu’elles soient proposées par la religion, constitue le summum de la vertu et de la sainteté chrétienne.

            C’est ce genre de foi que l’Église demande aujourd’hui encore à ses fidèles. Tu n’es catholique, tu n’es dans la saine orthodoxie et donc tu n’es en état de grâce et de salut, que si tu as et que si tu partages entièrement et totalement la foi de l’Église : c'est-à-dire, si tu considères comme authentique, historique, comme vrai tout ce que l’Église te propose à croire.

            Or cette foi cérébrale exigée par la religion, est une attitude intérieure fondamentalement stérile, parce qu’elle ne réussit presque jamais à apporter une contribution positive à la qualité de vie du « croyant» et à changer en mieux sa personne.

            En effet, la vie concrète et réelle d’une personne n’est pas affectée et changée, lorsqu’on propose à son intelligence des vérités abstraites auxquelles elle doit croire, mais plutôt lorsqu’elle est confrontée à une relation affective ou à un sentiment qui viennent toucher et faire vibrer les cordes les plus sensibles de son cœur. Pour dire cela autrement : le comportement et la vie d’une personne sont davantage touchés et transformés par les gestes et les paroles qui s’adressent à sa sensibilité et à son cœur, que par les données et les informations abstraites d’une religion ou autre organisation qu’elle accumule dans son cerveau.

            C’est pour cela que dans les évangiles, Jésus, qui n’aimait pas trop la religion et qui aimait encore moins les méthodes utilisées par elle, ne s’adresse jamais à l’intelligence, mais toujours aux sentiments des personnes ; jamais au cerveau, mais toujours au cœur. Il ne propose jamais des vérités à croire, mais uniquement des attitudes à avoir. Il n’est nullement obsédé, comme la religion, par la vérité, mais uniquement par la charité. Il s’en fiche de savoir si les gens autour de lui croient ou non à la vérité de ce qui est écrit dans la Torah ou à ce que prêchent les rabbins. Tout ce qui l’intéresse c’est de savoir si les gens auxquels il s’adresse sont disposés à changer de vie, à devenir de meilleures personnes, à se laisser conduire par les forces du service, des la compassion, de la fraternité et de l’amour, à la place de celles de l’égoïsme, du pouvoir et de la rivalité.
           
            Jésus ne demande jamais à ceux qu’il rencontre de croire dans la vérité des récits bibliques ou dans les contenus des doctrines enseignées par la religion de son temps, mais il demande toujours de croire en lui, d’avoir confiance en lui, de croire et de faire confiance à sa parole, à son enseignement, à ses intuitions, à ses projets, à sa façon de concevoir Dieu. Jésus ne demande jamais la foi abstraite, intellectuelle, stérile et froide de la religion, mais toujours et uniquement la confiance. Une confiance qui surgit de la qualité chaleureuse et amoureuse de la rencontre entre le disciple et son Maître. Rencontre capable d’allumer dans le disciple le désir de s’abandonner  entre les mains de son Maître et de lui confier le sort et l’orientation définitive de son existence.

            Jésus demande de lui faire confiance quand il annonce que seulement l’amour est la force capable de transformer le monde, de transformer nos relations et de transformer nos vies. Il demande de lui faire confiance lorsqu’il dit que l’Amour est le Mystère ultime et l’Énergie de fond qui soutien et pénètre toute la réalité, et que c’est dans cet Amour et dans cette Énergie amoureuse que nous nageons et nous vivons ; et que c’est l’amour qui désormais doit diriger, orienter et colorer toutes nos actions et toutes les formes de relations que nous entretenons avec les créatures qui nous entourent.

            De fait, notre condition chrétienne et notre état de disciples de Jésus de Nazareth ne nous demandent aucune foi « religieuse », mais seulement une attitude de confiance en celui qui est désormais notre Maître et notre Seigneur. Et cela parce que, dans la confiance que nous avons placée en lui, nous avons ressenti qu’il est aussi notre chemin le plus fiable et le plus assuré pour arriver à une belle réalisation de notre humanité et à la rencontre amoureuse avec le Mystère du Dieu.

            La vie chrétienne, ou plutôt la vie d’un chrétien, n’est donc pas basée sur la foi-croyance, mais sur la foi-confiance. Le chrétien ne vit pas de foi, mais de confiance. C’est la confiance qu’il a mise en Jésus qui a fait de lui un disciple. C’est à cause de la relation de confiance et d’amour que le disciple (le chrétien) a établi avec son Maître, que ce dernier vit désormais dans le disciple et que le disciple vit de l’esprit et des valeurs de son Maître.

            La confiance fait en sorte que le cœur du disciple se sente complètement rassuré, pacifié et à l’aise proche du cœur de son Maître. Dans la confiance, le disciple sait et sent qu’il lui est permis de poser sa tête sur le cœur de son Maître et, comme le disciples que Jésus aimait à la dernière cène, il sait et il sent qu’il peut, lui-aussi, oser l’audace de lui promettre que jamais il ne le trahira, que toujours il se nourrira du pain de sa parole et qu’il s’abreuvera à la coupe de son esprit; que jamais il ne s’éloignera de lui et que, quoi qu’il arrive, lui, le Maître, sera toujours présent et vivant dans son âme et dans son cœur afin qu’il dirige et accomplisse son existence.

            Dans l’épisode de Thomas, les apôtres, qui représentent ici la religion institutionnelle, s’adressent à la raison de Thomas et ils lui demandent de s’unir à eux pour admettre la réalité physique de la résurrection de Jésus. Thomas cependant, se fiant à sa seule intelligence, ne réussit pas à accepter la vérité de ce fait. Sa raison lui défend d’admettre la possibilité qu’une personne exécutée sur une croix et ensevelie depuis trois jours, puisse sortir à nouveau vivante de son tombeau avec un corps bien en forme et en pleine santé. Thomas ne se gêne pas d’avouer à ses compagnons crédules que, lui, n’est pas capable d’avoir leur genre de foi. Pour croire comme eux, il faudrait qu’il puisse mettre sa main dans les blessures ouvertes dans la chair du crucifié retourné à la vie. Chose évidemment impensable.

            Ce ne fut donc pas ce genre de foi religieuse (ou ecclésiastique) qui demande de croire à l’incroyable et à l’absurde, qui vint au secours de Thomas et qui le conduisit à se convaincre que son Seigneur et son Maître adoré était toujours vivant. Ce ne fut pas la foi, mais la confiance qui permis à Thomas de «voir» le Seigneur, de comprendre et de se convaincre qu’il était vraiment et toujours vivant.

            Thomas avait depuis longtemps confié, ou plutôt, abandonné sa vie entre les mains de Jésus de Nazareth, un peu comme celui-ci, avant de mourir, avait abandonné la sienne entre les mains de Dieu, son père. La vie de Thomas, Jésus l’avait remplie de lui et l’avait complètement transformée. De sorte que Thomas, au contact de Jésus, était devenu une autre personne. Parfois Thomas avait l’impression d’être devenu le portait, le reflet, le miroir, la copie, le double, le jumeau de son Maître. Il lui arrivait même de penser que le surnom de «didyme» qu’on lui avait collé depuis son enfance, lui convenait maintenant parfaitement et que c’était peut-être une sorte de présage ou de prophétie de son futur destin.

            Thomas avait la sensation que Jésus faisait partie de lui; que Jésus vivait en lui et que lui vivait de Jésus, ainsi que de toutes les valeurs et les richesses de sagesse, de spiritualité et d’humanité que le Maître lui avait transmises.

            Des événements tragiques avaient mis un terme à la présence physique et corporelle de Jésus en ce monde, mais ce n’était pas principalement à cette forme de présence que Thomas était attaché. Thomas savait et sentait qu’il possédait la partie la meilleure de Jésus, cette partie qu’aucun drame, qu’aucune catastrophe, qu’aucune mort n’auraient jamais pu lui enlever : il possédait l’esprit, le cœur, les valeurs de Jésus.

            C’est à la prise de conscience de tout cela que Thomas a subitement compris qu’il n’avait plus besoin de mettre ses doigts dans les plaies ouvertes du Crucifié pour croire. Thomas a eu l’inébranlable certitude que son Maître était toujours avec lui et qu’il vivait en lui et qu’aussi longtemps que lui, Thomas, serait vivant, son Seigneur et son Maître adoré aussi serait vivant et opérant dans sa vie, dans le monde et dans la communauté de ses frères

                        C’est donc en s’immergeant dans la profondeur, l’intensité et l’authenticité de cette expérience intérieure d’unité, de communion et de symbiose avec Jésus, rendue possible par la relation de confiance et l’amour qui existait entre lui et son Maître adoré, que Thomas a fini par toucher de ses mains, par voir avec les yeux de son cœur, et par capter avec les antennes de son esprit, la réalité et la vérité de la présence du Crucifié mort, mais toujours vivant.

            Finalement, ce récit sur l’incrédulité apparente de Thomas, a été écrit pour que les chrétiens de tous les temps réalisent que le Seigneur Jésus est réellement vivant et ressuscité, mais uniquement pour ceux et celles qui lui ont fait assez confiance pour l’aimer, le suivre et pour abandonner entre ses mains le sort de leur existence.

Bruno Mori
(Montréal 24 avril 2019)  

Dimanche de Pâques


( Jean, 20,1-8)


Vous aurez remarqué la fréquence avec laquelle le mot “tombeau” est répété dans ces trois paragraphes de l’évangile de Jean. Dans huit versets le mot revient sept fois. Cinq fois pour dire que les disciples arrivent au tombeau, deux fois pour dire que le tombeau est vide. On dirait que l’évangile est plus concerné par l’attitude des disciples qui cherchent, qui sont angoissés, qui veulent trouver des réponses à leurs questions, qu’à leur fournir une explication claire et précise qui peut définitivement les réconforter et les rassurer. 

C’est un fait que les disciples expérimentent un manque, vivent une épreuve, sont complètement déroutés par les événements tragiques qui ont mis à l’envers leurs vies. Et comme toute personne qui est dans le noir parce qu’elle ne réussit pas à comprendre le sens de ce qui lui arrive, ils s’affolent pour chercher une explication, une lueur d’espoir dans l’obscurité qui les enveloppe en ce moment. Ils expérimentent un manque et un vide terrible.

L’Évangile prend en effet la peine de noter qu’il faisait noir lorsque les disciples se mettent en route vers le tombeau. Quand Jésus était avec eux, c’était si lumineux! Avec lui ils avaient vécu des moments inoubliables. Cet Homme avait transformé leurs existences. À ses côtés ils avaient appris tellement de choses! Ils avaient appris à avoir confiance en eux-mêmes, à faire confiance aux autres, mais surtout à faire confiance à Dieu. Jésus parlait de Dieu comme personne ne l’avait fait avant lui. Ils avaient l’impression que Jésus avait une familiarité, une intimité, une connaissance de Dieu qui étaient uniques. 

Au contact de Jésus ils avaient, eux-aussi, appris à aimer Dieu comme s’il était leur Père et à le traiter comme s’ils étaient ses enfants. À côté de Jésus ils avaient appris que Dieu est tendresse et amour. Ils avaient appris que Dieu aime toujours le premier; qu’il aime sans conditions; qu’il aime sans regarder aux mérites ou aux qualités de la personne; qu’il aime même quand nous sommes méchants et haïssables. Jésus leur avait fait comprendre que toutes les femmes et tous les hommes, sans distinction, ont une grande valeur aux yeux de Dieu; que pour Dieu chacun est unique et qu’il est aimé, apprécié et voulu dans sa spécificité et à cause de sa singularité. Ils avaient appris que devant Dieu la meilleure chose pour un individu est d’être lui-même en tout; et que ce qui compte vraiment pour un homme et pour une femme est l’authenticité de leur être et non pas leur paraître. 

Les disciples, en fréquentant Jésus, avaient appris à ne plus avoir peur de Dieu, ni des châtiments de Dieu. Car Jésus leur avait enseigné que Dieu n’est pas un être qui punit, mais un être qui pardonne et qui pardonne toujours, et qui pardonne sans cesse et qui veut notre épanouissement, notre joie, notre bonheur déjà ici sur terre, surtout ici sur terre et pas seulement dans l’au-delà.Tout cela avait donné un nouveau sens, une nouvelle orientation et un nouvel élan à leur existence. Ils se sentaient maintenant comme des personnes transformées, renouvelées. Ils vivaient maintenant dans la joie, la confiance, l’espérance; non plus repliés sur eux-mêmes, refermés dans leurs peurs, handicapés par la conscience de leurs limites et de leurs faiblesses, mais ouverts, confiants, disponibles, donnés aux autres devenus désormais leurs frères. 

Grâce à l’enseignement du Maître de Nazareth, ils savaient que, quoiqu’il leur arrive  de triste, de douloureux ou d’éprouvant, cela ne pourrait jamais constituer une catastrophe irréparable ou un mal sans issue, puisque leur vie serait toujours soutenue et portée par l’amour et la présence de Dieu. Pendant sa vie Jésus avait vraiment allumé en eux la flamme de la confiance, de l’optimisme et de l’espérance. Les actions, les paroles, le témoignage, la façon de penser, en un mot, l’esprit qui animait Jésus, lorsqu’il parcourait les routes de la Palestine, constitueront désormais un héritage et un trésor que ses disciples garderont tendrement, précieusement, fidèlement dans leur mémoire et dans leurs cœurs. Car c’est cet héritage qui guide, inspire et donne maintenant du sens à leur vie.



Ces réflexions nous aideront à répondre à la question posée par l’évangile de Pâques que nous venons de lire: Jésus, après sa mort, où se trouve-t-il ? Où faut-il que les disciples le cherchent pour pouvoir le trouver? Peut-on encore le trouver, le sentir, l’atteindre ce Jésus exécuté sur une croix et définitivement disparu du monde des vivants? Comment peut-on affirmer qu’il est encore vivant parmi nous, comme le déclare notre foi catholique? Le récit de l’Évangile, avec l’insistance mise sur le tombeau, veut nous faire comprendre que tous ceux qui courent vers un tombeau ou qui s’obstinent à pleurer un mort ou qui veulent faire de la mort quelque chose de plus important et de plus plein que la vie, ne rencontreront en réalité, au bout de leur course, que le vide et la déception. Il ne peut y avoir que du vide dans un tombeau, car la vie est nécessairement ailleurs. Le tombeau est inéluctablement vide. Il est vide de toute forme de vie. Ce n’est pas dans un tombeau que les disciples peuvent maintenant trouver la présence de leur Maître. Pour les disciples qui cherchent la présence de Jésus, le tombeau est vide, nous répètent les textes des Évangiles. “Ne cherchez pas parmi les morts celui qui est vivant... c’est parmi vos frères que vous le trouverez ” annoncent les anges. 

Voilà enfin  dévoilé le mystère de Pâques! Après sa mort Jésus est vivant, certes, mais il est vivant au milieu de ses disciples, nous rassurent les textes des Évangiles. C’est maintenant parmi eux qu’on peut le retrouver. Ce sont maintenant ses disciples qui continuent à le faire vivre, à le maintenir en vie. De quelle façon? En gardant éveillé le souvenir de sa mémoire; en entretenant vivante dans leur cœur la flamme de la confiance et de l’amour qu’ils nourrissent envers sa personne; en continuant à modeler leur comportement sur son exemple et sur sa parole et à se laisser conduire par son Esprit. C’est maintenant nous, les chrétiens, le lieu de la présence vivante de Jésus de Nazareth dans notre monde. C’est en nous et à grâce à nous qui l’aimons et qui croyons en lui et en la valeur extraordinaire de son enseignement et donc de son Évangile, que le prophète de Galilée est toujours vivant et agissant dans l’histoire des hommes.

Je pense qu’il y a encore une autre chose que ce texte d’Évangile cherche à nous faire comprendre. Je trouve que ce récit se présente aussi comme une parabole de notre vie, de notre condition ici sur terre. Marie de Magdala, Pierre et l’autre disciple qui courent vers le tombeau sont des figures et des symboles de la condition humaine : tous, tant que nous sommes, hommes et femmes, jeunes et vieux, tous nous courrons inévitablement vers le tombeau. C’est là que s’arrêtera un jour notre course. 

Au bout de notre voyage, il se peut que nous ayons l’impression de ne trouver que l’absence, le vide et le silence. Et c’est peut-être ce sentiment ou cette perspective qui nous remplit d’angoisse et qui fait en sorte que nous regardons vers le tombeau avec inquiétude et appréhension. Cependant, ceux qui ont fréquenté Jésus, ceux qui ont été sensibilisés par lui à regarder outre les apparences et à lire dans leurs vies les signes de l’action aimante de Dieu, ceux-là seront capables de déchiffrer, au-delà du drame de la fin, au-delà du désordre de la mort et du vide du tombeau, les signes d’un ordre, d’un accomplissement, d’une plénitude et d’une présence. Pour ceux qui, comme le jeune disciple, savent regarder avec les yeux de la foi et de la confiance que Jésus leur a inspirée, la mort et le tombeau ne sont plus des événements dramatiques où terminent et s’effondrent inévitablement les aspirations et les rêves de notre cœur, mais le début d’un nouveau voyage pour lequel la main tendre de Dieu a soigneusement plié et rangé nos bagages terrestres afin que nous puissions prendre sans encombres la route de l’éternité.

Bruno Mori

LÀ OÙ LE POUVOIR DOMINE, L’AMOUR EST MORT

(Quelques réflexions à l’occasion du Jeudi Saint 2019)

Les paléontologues, les ethnologues, les anthropologues et les historiens sont unanimes à affirmer que, d’après la documentation et les sources d’informations qu’ils possèdent, l’histoire de l’humanité, au moins à partir du néolithique (environ 9000 ans avant notre ère), est fondamentalement une histoire de malheurs, de guerres et de violences.

Avec la sédentarisation des populations au néolithique, la révolution agraire, l’élevage et la domestication des animaux, surtout du cheval, la création des surplus alimentaires qui amènent à l’accumulation des biens, à la propriété privée, et donc à la création de la richesse, l’humanité rentre dans la phase la plus tourmentée et la plus malheureuse de son histoire. En effet, la richesse a allumé le feu de la cupidité humaine qui enflammera le monde avec sa panoplie de malheurs et de calamités : razzias, pillages, agressions, invasions, exterminations, guerres de conquêtes, colonisation, naissance des grands empires, etc.

            Depuis cette époque reculée et jusqu’à nos jours, l’histoire de l’humanité est caractérisée par des structures et des institutions de pouvoir et par l’usage systématique de la violence. Les humains ne naissent pas libres, mais ils arrivent dans un monde de domination, d’exploitation et de brutalité. Une petite minorité d’avides et puissants ploutocrates opprime, asservit, exploite, humilie et s’enrichit sur le dos du reste pauvre et sans défense de l’humanité.

            Ainsi, le pouvoir oppressif et exploiteur devient-il la force principale qui décide de la destinée de la quasi totalité des peuples de la terre et détermine le déroulement des événements qui bâtissent désormais la triste histoire de notre humanité, autant dans notre présent que dans le passé, et son tragique lot de violences, d’inégalités et d’injustices. Il suffit de jeter un bref regard sur l’histoire ancienne et moderne des peuples de l’Orient, de l’Occident et du Moyen-Orient pour s’en convaincre.
On peut donc affirmer, sans crainte de se tromper, que la recherche du pouvoir, avec l’usage systématique de l’oppression et de la violence, causé principalement par la soif de puissance et de grandeur et par l’avidité humaine, exercé autant par des individus, que par des groupes et des institutions, constitue depuis toujours le vrai « péché du monde», le grand mal et la grande faute de l’humanité, son véritable péché « originel ». C’est en effet un péché qui concerne tous les hommes, dans lequel tous sont impliqués et duquel tous, d’une certaine manière, sont responsables.

Jésus de Nazareth avait compris cela. Et c’est pour cela qu’il diabolise et condamne d’emblée et sans hésitation le pouvoir qui opprime et qui s’érige sur les autres. Et c’est pour cela qu’il n’a jamais accepté de se soumettre à aucun pouvoir humain, qu’il n’a jamais reconnu aucune autorité, ni civile ni religieuse, au-dessus de lui. Il a été un homme libre et qui a su se garder libre de ce péché, même si ce péché a eu le dessus sur lui et a fini par le tuer.

C’est pour cela aussi que Jésus, dans son rêve de créer un monde nouveau, plus juste, plus humain, plus fraternel ; dans son désir et son effort de changer l’orientation fondamentale de l’agir humain, a fait de la lutte contre l’avidité, la richesse et le pouvoir qui asservit et exploite les autres, son cheval de bataille et le cœur de toute sa spiritualité et de son message. Et cela dans l’espoir de réformer et transformer les mentalités et de réussir à faire comprendre que la vraie grandeur de l’homme ne consistes pas à vouloir imposer sa supériorité et sa volonté aux autres pour en faire des esclaves ou des serviteurs, mais à se faire le serviteur des autres, dans une attitude de disponibilité, de respect, de compassion et d’amour qui cherche le bien-être et le bonheur de l’autre, avant le sien propre.
L’histoire connue de l’humanité a commencé par la révolution et la victoire de l’égoïsme, de la cupidité, de l’agressivité et de la violence. Jésus, de son côté, aurait voulu déclencher un nouvelle phase de cette histoire, caractérisée par la révolution et la victoire de l’amour. Un amour universel qui aurait transformé la terre en un véritable paradis qu’il appelait le «Royaume de Dieu », où les relations entre les humains auraient été à l’image de l’amour qui est en Dieu.

Voilà pourquoi Jésus, venu pour nous libérer du péché, comme le proclame continuellement la doctrine catholique, disqualifie et condamne continuellement et ouvertement la cupidité, la richesse, la supériorité des puissants et le pouvoir oppresseur, et exige de ses disciples qu’ils en fassent autant. Voilà pourquoi il leur demande de faire du service humble, sincère et amoureux envers les autres humains le signe distinctif de leur nouvelle identité et de leur nouvelle appartenance.

«...  C’est à cela qu’ils reconnaîtront que vous êtes mes disciples : à l’amour que vous aurez les uns pour les autres… Heureux les pauvres, heureux les pacifiques… Malheureux les riches car ils leur sera impossible d’entrer dans le «Royaume de Dieu» . Dans le monde, les puissants commandent en maître, exigent, oppriment … mais parmi vous, il ne doit pas en être ainsi…. Que le premier parmi vous se fasse le dernier et que celui qui commande devienne celui qui sert… Parmi vous j’ai toujours été celui qui a servi, celui qui a tout donné de lui-même… Je vous ai lavé les pieds...  Je vous ai donné l’exemple… faites en autant ! »

Voilà ce que le Maître lègue à nous, ses disciples, en ce jeudi saint. C’est le testament spirituel qu’il nous confie avant de mourir. C’est ce que nous devons être et ce que nous devons faire en « mémoire de lui » : pour les disciples de Jésus, il n’y pas d’autre Eucharistie que celle qui rend grâce à Dieu pour être devenus dans le monde les serviteurs de nos frères, les instruments et les porteurs d’un amour toujours désintéressé, toujours tendre, toujours miséricordieux et toujours offert à tous … sans mesure et sans distinctions.

Là où il y a l’amour, il n’y a plus aucune recherche de pouvoir. 

BM – 13 avril 2019