L’Église catholique
tient absolument à présenter l’Eucharistie comme la «représentation» rituelle,
l’«actualisation» sacramentelle du sacrifice de Jésus sur la croix. Elle va jusqu’à
affirmer que «le sacrifice du Christ et le sacrifice de l’Eucharistie sont un
unique sacrifice». Cette idée est insoutenable tant du point vue intellectuel que
du point de vue scientifique. On ne peut pas rendre réellement présent un événement
du passé. Elle sous-entend, en outre, une idée mythique de la divinité qui
n’est plus conciliable avec la façon moderne de penser. Un sacrifice culturel
est donc un concept vide de sens pour les chrétiens qui ont cessé depuis
longtemps d’égorger et de brûler des animaux pour s’attirer les faveurs de la
divinité.
Certes, Jésus
a été un exemple de «sacrifice», d’abnégation et de don de soi. Il n'a pas vécu
pour lui-même, mais pour les autres et pour Dieu. Il a passé sa vie à parler de
Dieu; à corriger les idées que les gens de son temps avaient sur Lui. Il
enseignait que Dieu est un être d’amour qui n’est pas au-dehors de nous, mais à
l’intérieur de nous. Il a passé sa vie à libérer les gens de leurs préjugés et
de leurs peurs et à les rendre conscients de leur valeur, de leur dignité et de
leur grandeur. Il enseigné que nous ne devons jamais, jamais avoir peur de
Dieu, même lorsque nous nous sentons indignes et coupables. Car Dieu n'est pas
comme les religions le décrivent: un Être lointain, en dehors de notre monde,
austère, bourru, colérique, exigeant, qui surveille les gens pour les surprendre
en erreur, qui a une piètre opinion des humains qu’ils considère infidèles et
méchants; toujours prêt à juger, à condamner et à punir la faute et le péché
durant la vie des transgresseurs ou durant celle de leurs descendants. Jésus enseignait
que Dieu ne correspond pas du tout à l’idée que la majorité des gens religieux
se font de lui. Jésus enseignait que Dieu est un être d'amour, de compassion,
de compréhension, qui nous accepte tels que nous sommes, qui aime tout et tous sans
distinctions, avec la tendresse et la sollicitude d'un père ou d'une mère.
Jésus voulait que les gens se sentent à l'aise avec Dieu. Jésus voulait donc libérer
les gens de la peur de Dieu. Il voulait changer les mentalités, les idées
fausses, et les préjugés négatifs au sujet de Dieu. Le point central de sa
prédication a toujours été une invitation à changer, à se renouveler. Il disait
: "Changez votre façon de penser; convertissez-vous à un nouvel état
d'esprit; à une nouvelle façon de voir et de percevoir Dieu; à une nouvelle façon
de vous mettre en relation avec Dieu, avec vous-mêmes, avec les autres, avec le
monde et la nature qui vous entoure ». Jésus a consacré toute sa vie à cette
mission de libération ou de rédemption (nous racheter de nos peurs, de notre
ignorance et de nos préjugés).
Changer les
mentalités n'est pas chose facile. Car les gens sont attachés à leurs idées, à
leurs convictions, même si elles sont fausses, erronées, même si elles sont
totalement dépassées et depuis longtemps archivées. Les gens ne veulent pas se
faire bouleverser l'existence par ceux qui prêchent des nouveautés ou proposent
des changements radicaux. En général, les gens se sentent bien dans l’univers mental
et religieux qu’ils se sont construits. Ils se sentent à l’aise dans leurs
vieilles croyances, dans leurs vieilles idées, dans leurs vieilles valeurs. Surtout
si ces idées et ces valeurs servent à conserver leurs certitudes, à assurer leur
paix et stabilité intérieures et à préserver leur prestige et leur autorité.
C'est pour cela que Jésus a rencontré hostilité et opposition de la part des
autorités religieuses et civiles de son temps. Elles le considéraient comme un
subversif, une tête folle qui voulait tout mettre à l'envers et changer leur
monde. Et c’est pour cela qu’il a été éliminé. Les autorités juives ont tué le prophète
de Nazareth parce qu’elles se rendaient compte qu’il constituait une menace pour
leur religion, pour leur mode de vie et surtout parce que ses idées sapaient
les bases de leur pouvoir.
Jésus a donc
été tué parce qu'il était considéré comme une personne gênante et dangereuse.
Jésus est mort parce qu’il a voulu être en accord jusqu’au bout avec ses
convictions et fidèle à ce qu'il considérait être sa mission. Sa mort a été une
mort politique (sa cause n’a aucune
connotation religieuse) et non pas une mort
rédemptrice ou un sacrifice
d'expiation destiné à apaiser la colère de Dieu et à l’induire à changer son
attitude hostile et agressive envers l'humanité pécheresse, afin qu’il se réconcilie
avec les coupables, pardonne leurs péchés et ouvre à nouveau pour eux les
portes de son amitié, de sa grâce et de son paradis (comme pendant des siècles une
doctrine erronée l’a fait croire aux chrétiens). Jésus a été tué non pas parce
qu'il a essayé de changer l'attitude de Dieu envers les hommes, mais parce
qu'il a essayé de changer l'attitude des hommes envers Dieu. Jésus n'est pas
mort parce qu'il voulait amener Dieu à changer d'idée au sujet des hommes, mais
parce qu'il voulait amener les hommes à changer d’idées au sujet de Dieu.
L'Eucharistie ne
commémore et ne reproduit donc pas le sacrifice expiatoire de la croix. Il n'y
a jamais eu de sacrifice d'expiation voulu par Dieu et que Jésus aurait accepté
et accompli en mourant sur la croix. Jésus n'a pas payé une rançon à Dieu pour
que celui-ci oublie sa colère et pardonne nos péchés. Dieu n'a jamais été en
colère contre l'humanité. Cette façon de comprendre Dieu et la mort de Jésus
est fantaisiste, absurde et blasphématoire. Jésus n'est ni notre «rédempteur»,
ni notre « acheteur », car il n'y a jamais eu personne à «acheter» ou à «racheter»
des mains cruelles d’une divinité courroucée.
Cette position
théologique de l’Église qui considère la mort de Jésus (et la «messe») comme un
sacrifice expiatoire voulu par Dieu, est donc à combattre et à effacer de
l’enseignement catholique. Malheureusement cette doctrine a infecté comme un
virus maléfique presque toutes les formulations rituelles de la liturgie
catholique, jusqu’à s’infiltrer dans les prières eucharistiques et les paroles mêmes
de la consécration.
Jésus
est et restera uniquement le «libérateur» et le «sauveur» de l'humanité. Libérateur,
parce qu’il nous a libéré de la peur de Dieu. Sauveur, parce qu'il nous a
laissé les valeurs, les principes et les attitudes qui ont la capacité de nous
sauver en tant qu'individus, de sauver l'humanité dans son ensemble et de
sauver la planète que nous habitons. Si ces valeurs et ces principes ne sont pas
respectés, l'humanité et la terre iront inévitablement vers leur ruine et
personne ne sera sauvé.
L'Eucharistie est un rituel symbolique par lequel Jésus est présenté comme celui qui se donne, qui passe toute sa vie à nous changer, pour nous libérer de l'intérieur, pour nous faire sortir de l'obscurité de notre ignorance et pour nous installer dans une toute nouvelle relation de confiance, d'abandon et d'amour envers Dieu et par conséquence envers notre prochain.
L'Eucharistie présente Jésus sous des symboles de nourriture quotidienne (pain et vin), pour exprimer qu'il est et qu’il doit devenir pour nous le pain que nous devons manger pour assimiler ses idées, ses paroles, son enseignement, afin d’avoir en nous son esprit et faire vibrer notre vie en syntonie avec la sienne. Lorsque nous sommes animés par son esprit, nous pouvons vivre d’après son style d’existence et trouver, nous aussi, le désir et la force de donner et de dépenser notre vie au service des autres, dans une attitude de confiance absolue dans l'amour et la bonté de Dieu, considéré comme un père qui nous aime d'un amour sans limites et sans conditions.
Participer à l'Eucharistie et manger le pain
consacré qui représente Jésus, par conséquent, ne signifie pas seulement vouloir
faire communion avec lui, mais aussi vouloir faire communion avec tous nos
frères. Lorsque, au cours de la liturgie eucharistique, nous nous approchons de
la sainte table pour manger le pain consacré, nous disons justement que nous
allons «faire la communion». Jamais expression n’a été plus vraie! Par ce
geste, en effet, nous voulons exprimer le fait d'être en communion avec Jésus,
avec Dieu et avec notre prochain. Par ce geste, nous voulons manifester notre
volonté de nous engager pour lutter, dans notre vie et dans notre société,
contre les impulsions meurtrières et destructrices de la haine, de la
vengeance, de la violence, de l'intolérance, de l'égoïsme, de la cupidité, de
la fermeture sur nous-mêmes, afin de construire un monde meilleur, qui se développe
à l’enseigne des valeurs évangéliques de la tolérance, de la compréhension, du
pardon, du respect mutuel, de la fraternité et de l'amour.
Voilà pourquoi l'Eucharistie est le sacrement
(c'est à dire le signe) de l'amour qui doit caractériser tous ceux et celles qui
acceptent de la célébrer. Voilà pourquoi l'Eucharistie est le sacrement de la
liberté qui crée des relations, non plus déterminées par la contrainte,
l’obligation, la méfiance et la peur, mais inspirées par l'amour qui est le
seul sentiment vraiment libérateur.
BM