L’EUTHANASIE - POUR UN DÉBAT PLUS
SEREIN
PRÉLIMINAIRES
A l‘occasion du projet de Loi 52 sur l’Euthanasie que
le Gouvernement du Québec s’apprête à discuter, l’archevêque de Montréal, Christian
Lépine, a cru bon de divulguer en janvier 2014 une lettre pour aider les
québécois à réfléchir sur les enjeux éthiques et religieux reliés à cette
question.
Dans mon cas, la
lettre de l’archevêque a atteint son but, car elle m’a obligé à réfléchir sur
la question de l’euthanasie. Elle m’a surtout poussé à aller examiner de plus
près la valeur des arguments sur lesquels l’archevêque s’appuie pour défendre
le point de vue catholique sur cette question. J’avoue que j’ai été entraîné à
cela plus par une réaction de malaise face aux propos de l’archevêque, que par
l’envie d’intervenir dans un débat complexe et délicat. Si je me suis attelé à
la tâche d’écrire sur ce sujet, c’est
surtout parce que je ne veux pas que l’on pense que l’archevêque de Montréal
est représentatif de tous les catholiques de son diocèse et que tous rentrent de plein pied dans les
contenus et la forme qu’il adopte pour présenter et exprimer ses idées.
L’archevêque a
évidemment le droit d’avoir et de
défendre ses propres opinions sur la question de l’euthanasie. Il faut cependant
qu’il sache que ce n’est pas l’importance de sa fonction, ni la portée de son
autorité religieuse, ni le prestige de l’Institution qu’il représente qui confèrent
nécessairement poids et valeur à ses
affirmations.
L’euthanasie
(que le projet de Loi 52 qualifie comme «aide médicale à mourir») est normalement
définie comme une intervention qui provoque volontairement la mort pour alléger
la souffrance du malade.
Étymologiquement
le mot «euthanasie» vient du grec et signifie «bien mourir», c’est-à dire une
mort qui se passe dans les meilleures conditions possibles autant physiques que
psychiques, ce qui est précisément le but des soins palliatifs.
Aujourd’hui
le langage courant distingue entre une «euthanasie passive« et une «euthanasie
active». L’euthanasie passive est la forme la mieux acceptée
d'assistance à la fin de vie. Elle consiste à arrêter les traitements (médicaments,
alimentation ou hydratation artificielle), sur la demande du patient ou, à
défaut, de sa famille. L'administration de substances destinées à diminuer les
douleurs du patient ou à abaisser son niveau de conscience, mais qui peuvent
avoir pour conséquence d'accélérer sa mort, entre également dans ce cadre.
L’euthanasie active
ou directe sert à qualifier l’action médicale par laquelle un tiers (le personnel
soignant) intervient directement et activement pour abréger ou mettre fin à la
vie d’un malade en phase terminale qui l’a demandé ou le demande explicitement,
car souffrant d’une douleur subjectivement insupportable.
C’est cette dernière
forme d’euthanasie dont il est question dans cet article que le
projet de loi 52 du Gouvernent du Québec appelle «aide médicale à mourir» .
Au Canada, alors que la loi criminalisant l’avortement
a été abolie en 1988, celle qui criminalise l’euthanasie est toujours en
vigueur. L’euthanasie est donc illégale. Il est évident que le gouvernement du
Québec, légiférant sur cette délicate question, empiète sur la compétence du
gouvernement fédéral en matière de droit criminel.
Fondamentalement
la question posée par toute la problématique concernant l’euthanasie est la suivante: l’être humain a-t-il le droit de mettre
fin à sa propre vie? L’humanisme moderne (qui s’émancipe des impératifs de
la religion) reconnait de plus en plus le plein droit de l’homme sur sa mort,
pourvu que les conditions légales soient respectées. L’Église, par contre, ne
reconnait pas ce droit et condamne le
suicide et par conséquent l’euthanasie comme un glissement criminel vers une
«culture de la mort» (pape Jean Paul II). L’Église refuse qu’on limite la
valeur de la vie de quelqu’un à sa possibilité de vivre sans souffrance. Elle
assimile l’euthanasie active à un meurtre ou à un suicide, dépendamment des
personnes qui l’exécutent. C’est donc à cette forme d’euthanasie que s’oppose
l’archevêque de Montréal, par un devoir de fidélité à la position
traditionnelle de l’Église.
La question que je me pose ici est la suivant: la religion chrétienne en
général et l’Église catholique en particulier ont-elles l’autorité nécessaire
pour se poser comme des instances éthiques susceptibles d’être écoutées? D’où leur
vient l’autorité qu’elles pensent détenir?
Les sources ou les fondements «transcendants» de leur autorité sont-ils encore fiables, valables, et
susceptibles d’être pris en considération dans le monde technique,
scientifique, laïque et multiculturel d’aujourd’hui?
Si l’Église tient à dire son mot
sur l’euthanasie, son point de
vue peut-il encore être présenté comme normatif? C’est cela que je
voudrais vérifier dans la suite de cet article.
LE POINT DE VUE TRADITIONEL CATHOLIQUE
SUR L’EUTHANASIE
Dans la
première partie de cet article je me propose d’analyser brièvement les
fondements doctrinaux de la position de l’Église sur l’euthanasie. Dans une deuxième
partie, je présenterai l’approche moderne de cette question; approche qui a
sans doute inspiré et facilité la
légalisation de l’euthanasie dans certains Pays de l’Occident.
Analyse des principes idéologiques de
base qui soutiennent la condamnation catholique de l’euthanasie
1. Le commandement biblique:« Tu ne tueras pas». Ce «commandement» qui fait partie des «dix paroles» ou «décalogue» que l’on
trouve dans livre de
l’Exode (20, 2–17), et dans le Deutéronome (5,6–21) est considéré par l’Église
comme promulgué directement par Dieu. En tant que «parole de Dieu», elle lui a
conféré un caractère absolument obligatoire, même si dans la Bible il n’était qu’une directive
pratique visant à rendre possible la vie en société. Dans le Deutéronome, ce commandement
est immédiatement suivi de toutes sortes de tueries et d’exécutions punitives ordonnées
par Dieu lui-même. Ce qui pousserait à croire que ce cinquième commandement
n’est pas, après tout, si obligatoire que ça. En effet, une analyse plus approfondie
de celui-ci porte à conclure que ce qu’il défend en réalité c’est plutôt le
meurtre haineux, méchant et gratuit, perpétré par un juif contre un autre juif,
soit pour assouvir sa haine, soit pour se procurer des avantages personnels. Ce
qu’il défend serait donc l’assassinat prémédité par méchanceté. La traduction
allemande de la bible traduit le « Tu ne tueras point» par un « Tu
n’assassineras point ». Tuer alors pour de «bonnes raisons» serait tout à fait permis.
Nous trouvons la confirmation de cela dans le fait que, d’une part la Bible est pleine de tueries commandées
par Dieu lui-même contre les ennemis de son peuple et, d’autre part l’Église,
le long de son histoire, ne s’est jamais gênée de prêcher et d’encourager les
guerres saintes et d’exécuter les hérétiques et les ennemis de la foi.
Si le commandement
«divin» semble donc ne défendre que le crime haineux et si, de toute évidence,
on peut tuer pour de «bonnes raisons», pourquoi serait-il défendu de tuer par
compassion, par pitié, par bonté, par humanité, parce que celui qui agonise sans
espoir de guérison demande à être libéré de ses souffrances? Pourquoi serait-ce
un crime, un «péché» tuer par amour? N’est-ce pas ce que nous faisons
couramment avec nos petits animaux de compagnie lorsqu’ils tombent malades sans
espoir de guérison ? Pour leur éviter une longue et inutile souffrance, ne les
conduisons-nous pas alors, le cœur déchiré et les larmes aux yeux, chez le vétérinaire
pour qu’il les endorme définitivement? Est-ce là une action blâmable? Qui
pourra affirmer que celui qui a débranché l’appareil respiratoire de Georges Welby
est un assassin ? Il est donc évident que l’on peut difficilement s’appuyer sur
cette «parole» biblique pour justifier une opposition absolue à l’euthanasie.
2. L’axiome : «La vie est un don de Dieu et
Lui seul a le droit de l’enlever». Un axiome est une proposition qui est
reconnue comme vraie sans besoin de démonstration. Il y a d’innombrables axiomes
(ou postulats) qui circulent dans la doctrine catholique et qui sont devenus
des articles de foi. Dans l’Église les axiomes sont généralement des
affirmations qui proviennent de personnages
importants, d’auteurs ou de théologiens renommés. Ces affirmations à force
d’être répétées, finissent par s’imposer comme des vérités incontestées. Et
cela pour la simple raison que n’étant pas vérifiables, elles ne sont donc pas contestables.
Voilà quelques exemples de ces axiomes: le péché originel; l’enfer, le purgatoire;
l’incarnation de Dieu; la Bible
comme Parole de Dieu; la valeur rédemptrice de la mort de Jésus; la Messe actualisation du sacrifice
de la croix; la présence réelle du corps de Jésus dans l’hostie consacrée; le «caractère»
sacré et indélébile de l’ordination sacerdotale dans celui qui la reçoit; l’efficacité
automatique des sacrements, le baptême qui efface le péché originel; l’infaillibilité
papale etc., etc., etc.
Les axiomes
ont donc l’avantage d’éviter à ceux qui les proclament la fatigue et l’effort
d’en prouver la vérité. L’axiome que la vie est un don de Dieu est le leitmotiv
répété par tous les mouvements catholiques qui militent contre l’avortement et l’euthanasie.
Voyons donc s’il est pleinement justifié.
C’est un fait
que l’origine de la vie sur notre planète est un mystère que l’état actuel de
la recherche scientifique n’a pas encore été capable d’expliquer entièrement.
Et c’est un fait aussi que, par un réflexe très archaïque, les humains sont
portés à recourir à Dieu pour trouver l’explication de ce qu’ils ne réussissent
pas à expliquer ou à comprendre. C’est ce que font habituellement et très volontiers
les religions, qui ont tout intérêt à faire intervenir Dieu le plus souvent
possible dans la vie des humains. Le mystère des origines de la vie sur terre fournit
à la religion une excellente occasion de l’attribuer à une intervention
explicite de la divinité et d’enseigner a priori à ses fidèles que Dieu est
l’auteur de la vie.
Si la première partie de cet
axiome est discutable, la deuxième (Dieu seul a le droit de faire mourir) l’est
encore davantage. Et cela pour trois raisons fondamentales:
Première
raison: La métaphysique nous dit que si Dieu est Dieu, il est par définition
immuable. Pour adopter la façon anthropomorphique de parler de Dieu propre à l’Église,
on pourrait dire que c’est contre la nature de Dieu de changer d’avis en cours
de route. En admettant comme possible le fait que Dieu puisse «donner» quelque
chose en dehors de lui-même, il est certain qu’il ne peut pas donner une chose
le matin et la reprendre le soir; donner d’une main pour reprendre de l’autre. Dieu
ne peut pas donner provisoirement. Si Dieu donne quelque chose de ce qu’il est,
il donne pour toujours; cela reste pour l’éternité. Les dons qui viennent de
lui devraient être éternels.
La notion de
don et l’action de donner sont des concepts qui font partie de la façon humaine
de s’exprimer, mais ils n’ont pas le même sens lorsqu’on cherche à les
appliquer à Dieu. Seulement pour les humains, individus distincts, limités et
circonscrits par l’espace et le temps cela a du sens de parler d'une activité
qui fasse passer quelque chose d’un individu à un autre. En effet, un humain n’étant
pas tout et donc ne possédant pas tout, il peut toujours donner quelque chose à
un autre individu qui en manque. Par contre, Dieu est l’Être infini, la Source de l’être et
l’Intériorité de tout ce qui existe. Il n’existe donc rien en dehors de lui. Il
ne peut donc rien donner qui soit différent de lui-même. Rien ne peut passer,
pour ainsi dire, de l’intérieur à l’extérieur de Dieu, car rien n’existe en
dehors de Dieu qui puisse être «donné» à une autre entité existante en dehors
de Dieu. Dieu ne donne pas, il englobe, il inclut, il fait surgir de l’intérieur
de lui-même; il se répand, il se manifeste, il partage ce qu’il est... On ne peut
donc utiliser le mot «donner» lorsqu’on parle de la Réalité Ultime que
dans un sens imagé et symbolique, faute d’une meilleure expression pour indiquer
la communication amoureuse et gratuite que Dieu fait de lui-même dans
l’univers.
Deuxième raison:
Admettons la vérité de l’axiome ci-dessus et retenons comme vraie l’affirmation
que la vie est un don de Dieu. Cette affirmation est lourde de conséquences qui
ne vont pas tout à fait dans le sens des conclusions que l’Église voudrait en
tirer. En effet, si Dieu m’a donné la vie, je peux en conclure que maintenant elle
m’appartient. S’il me l’a donnée, c’est parce qu’il me fait confiance, car il
sait que j’en ferai un bon usage. Il sait que je ferai tout pour qu’elle soit
un reflet de sa perfection, de son amour et de sa beauté. Ma vie est donc à moi.
J’en dispose comme je veux. Cette vie je la chéris parce qu’elle me vient d’une
mère qui a eu juste le temps de me la donner et parce qu’elle est maintenant le
seul souvenir qui me reste d’elle. Cette vie je l’aime, je la soigne, je la
savoure, je la développe, je l’enrichis, je la partage, je la donne. À cause de
sa qualité, cette vie donne valeur et dignité à mon existence. Elle me permet
d’être humain. C’est pour cela qu’elle m’a été donnée. Et parce qu’elle est à moi,
je pense avoir aussi le droit d’en disposer à ma guise le jour ou elle
m’empêchera d’être et d’agir en humain. Lorsque ma vie aura fait son temps;
lorsque le temps, qui rend toutes choses périssables, aura aussi consumé
l’énergie qui l’allumait, en ce temps là, par respect pour ce don reçu de Dieu,
par respect pour les personnes qui m’aiment et auxquelles je voudrais épargner le
désagréable et douloureux spectacle de mon délabrement physique et mental, en
ce temps je voudrais pouvoir décider quand la remettre entre ses mains, avant
qu’elle ne soit trop ruinée et qu’elle ne soit plus présentable.
S’il est vrai
que Dieu m’a donné la vie, il est peut-être vrai aussi qu’il a fait cela pour
que moi-aussi je me situe dans la dynamique de son geste et que je la redonne à
mon tour. Il m’a peut-être donné la vie pour que je la partage, pour qu’elle serve
à insuffler plus de bonheur dans la vie des autres; pour qu’elle contribue à mieux
les faire grandir, à mieux les faire épanouir. En en mot, cette vie je l’ai
pour que je la donne. Je peux donc décider de la donner, si c’est par amour. C‘est
à cela que suis appelé. Je peux décider de renoncer à vivre et demander à
mourir, si cela sert à sauvegarder la valeur, la dignité, la bonté de mon
existence et de celle des autres. Jésus l’a fait, Maximilien Kolbe l’a fait,
une infinité de héros l’ont fait, qui ont volontairement accepté de mourir pour
le bien des autres. Qui pourrait incriminer ces gens? Qui pourrait affirmer
qu’ils sont suicidaires, donc transgresseurs et pécheurs parce qu’ils se sont
attribués le pouvoir de renoncer à vivre, pouvoir qui appartient seulement à Dieu?
Un malade en phase terminale qui demande l’euthanasie pour éviter à ses proches
la douleur d’assister impuissants à sa souffrance et à son long et inévitable
délabrement ; ou qui demande qu’on l’aide à mourir pour épargner aux siens de consistantes
et inutiles dépenses d’argent dont ils ont peut-être besoin pour vivre; ou
simplement pour déposer sa vie avec élégance et dignité, à cause de l’amour et
du respect qu’il ressent pour sa vie et celle des ses proches …., un tel malade
ne pose-t-il pas là un geste qui est beau, qui est grand, qui est magnifiquement
humain? Qui pourrait dire que sa décision est mauvaise et éthiquement
condamnable? Comme il y des cas où tuer un autre n’est pas un homicide, il y a
des cas où se tuer soi-même ou demander de l’aide pour sortir de la vie, n’est
pas un suicide. Il est donc évident que la condamnation catégorique et
inconditionnelle du suicide (et par conséquent de l’euthanasie) est une
position éthique insoutenable. Une telle condamnation ne trouve même pas
d’appui dans la Bible,
qui n’exprime aucune critique pour le suicide du roi Saul ou de Samson. Cela prive
alors de sa valeur l’axiome qui affirme qu’à Dieu seul revient la décision
ultime de mettre un terme à notre existence, sur lequel l’interdiction
catholique du suicide est basée.
Troisième
raison. Croire que «Dieu donne la vie et que lui seul est celui qui
l’enlève» comme affirme l’axiome mentionné plus haut, c’est mettre en jeu la
bonne renommée de Dieu; c’est transformer Dieu en un monstre sans cœur ou, tout
au moins, l’impliquer dans toutes sorte d’affreuses situations. Est-ce Dieu qui
enlève la vie lorsque des criminels, des violeurs, des psychopathes, des
terroristes, des tortionnaires, des soldats… tuent, assassinent, font la guerre,
font tout sauter en l’air ? Peut-on dire de ceux et celles qui sont morts victimes
de la méchanceté, de la cupidité, de l’intolérance, de la violence, que leur
mort est le résultat d’une décision aimante de Dieu, ou d’un plan qu’il avait prévu
à l’avance? Peut-on, sans blasphémer, affirmer que Dieu a voulu que ces gens terminent
ainsi leur existence; et que c’est de cette façon que Dieu, dans son infinie
sagesse et bonté, a décidé de reprendre la vie qu’il leur avait donnée? A-t-on
le droit d’impliquer Dieu dans de semblables méfaits, dans l’horreur de
meurtres infâmes, sans le transformer en un être détestable et en un affreux complice
de la haine et du mal? Peut-on dire aussi que tous ces
malheureux qui meurent suite à des catastrophes naturelles; que tous ces
innocents qui, à cause de l’injustice de nos sociétés, périssent par centaines
de milliers partout dans le monde victimes de la pauvreté, de la faim, du
manque de soins…, peut-on dire que tous ces gens meurent de cette manière parce
que Dieu, dans son amour et sa bonté, a voulu utiliser ces moyens pour mettre
un terme à leur vie ? Il est beaucoup plus simple et logique de dire que Dieu
n’a rien à faire dans la mort de l’être humain; et que bien souvent ce sont des
hommes qui décident quand d’autres hommes vont mourir
Ces considérations montrent au
moins que cet axiome est loin d’être une vérité évidente et qu’il existe de bonnes raisons pour le
disqualifier.
3. L’axiome:
La souffrance est bonne car elle sert à notre sanctification et à notre salut -
« Jésus a sauvé le monde par sa souffrance» Dans la
pensée de l’Église, ce troisième postulat est la suite logique du précédent. La
vie est un don de Dieu, mais c’est un don amer qui doit être consommé dans une
«vallée de larmes». De Dieu vient la vie et la souffrance qui l’accompagne. Pour
l’Église catholique ce don de la souffrance qui assaisonne la vie du chrétien
est tellement important qu’elle lui a conféré une «valeur salvifique» pour
l’humanité. Dans la spiritualité chrétienne la valeur salvifique de la
souffrance a été déclinée dans tous les cas, chantée sur tous les tons possibles
et imaginables et présentée avec des variations qui déconcertent la sensibilité
moderne. Voici quelques unes des ces principales variations: souffrance comme vengeance
de Dieu; souffrance comme punition de Dieu à cause de la transgression; souffrance
comme initiative pédagogique de Dieu en vue de la correction; souffrance
envoyée par Dieu en vue de la conversion du pécheur; souffrance entretenue et
souvent procurée en vue de l’expiation du mal commis; souffrance comme action
aimante de Dieu en vue du salut du monde et acceptée pour participer à
l’activité rédemptrice du Christ en croix. Ce thème de la souffrance rédemptrice du Christ à laquelle tout bon chrétien doit apporter
sa contribution, revient comme un refrain dans grand nombre de documents
anciens et récents de la littérature chrétienne.
Dans cette
vision, la souffrance est autant l’instrument de la justice que de l’amour de
Dieu; autant l’instrument de sa colère que de sa bienveillance et de sa grâce. Il
faut donc accepter la souffrance, sinon avec joie, tout au moins avec foi; en
croyant qu’à travers elle Dieu réalise son projet. Projet incompréhensible,
certes, à notre pauvre entendement, mais toujours orienté vers notre plus grand
bien. Il n’est pas trop conseillé de se l’infliger volontairement, même si une
foule de héros de l’ascèse chrétienne ont essayé de conquérir par ce moyen les
cimes de la sainteté. Cependant, lorsqu’elle arrive, il faut l’accueillir comme
un «don de Dieu», l’accepter sans récriminations, ne pas trop chercher à la
soulager, ni à l’abréger, ni à la supprimer, car elle plait à Dieu qui l’a même
infligée à son Fils. C’est avec elle que Dieu éprouve notre foi et notre
fidélité. C’est avec elle que nous construisons notre sainteté et que nous
méritons notre salut éternel.
Pour la pensée catholique la souffrance est donc toujours
salutaire; toujours méritée à cause de notre méchanceté foncière. Elle sert
toujours une bonne cause: à prouver notre fidélité; à exercer notre endurance
dans l’épreuve; à exprimer notre confiance en Dieu. Elle sert à nous convertir,
à nous purifier du mal, à nous sentir plus proches du Christ qui, par ses
souffrances a sauvé le monde. En souffrant avec Lui, nous apportons notre
contribution à l’œuvre du salut et à la rédemption du monde. Dieu aime la
souffrance de l’homme. Il aime faire souffrir les humains non seulement au
cours de leur vie sur terre, mais aussi après leur mort. C’est dans ce but que
pour les morts il a mis en place le «purgatoire». Il veut que les humains puissent
continuer à souffrir même dans l’au-delà. Quand l’homme souffre, Dieu s’attendrit,
il oublie ses péchés et lui ouvre les portes de son paradis.
Nous trouvons
un exemple particulièrement significatif de l’apologie catholique de la
souffrance dans la lettre apostolique «Salvifique Doloris» (1984) du pape Jean
Paul II, que je conseille de lire pour comprendre à quelles extravagances et à quelles
fabulations peut conduire l’adhésion acritique à la lettre de certains postulat
théologiques. Je ne citerai ici que quelques perles de ce document papal. Le
pape affirme que dans la vie d’un chrétien la souffrance n’arrive pas comme une
mauvaise nouvelle, mais toujours comme une «Bonne Nouvelle». Le pontife insiste
longuement sur «l’évangile de la souffrance» que Jésus aurait annoncé pour
aider les humains à vivre plus heureux. La souffrance serait une « source de bienfaits»:
«La souffrance, imprégnée de l'esprit de sacrifice du
Christ, est précisément, d'une manière irremplaçable, la médiation et la
source des bienfaits indispensables au salut du monde. Cette souffrance,
plus que tout autre chose, ouvre le chemin à la grâce qui transforme les âmes.
C'est elle, plus que tout autre chose, qui rend présentes dans l'histoire de
l'humanité les forces de la
Rédemption(27)». Dans ce même texte le pape a introduit
un paragraphe qu’il n’aurait sans doute jamais composé, s’il avait pu connaitre
à l’avance la dégradation et la décadence de ses derniers mois d’existence. Il
écrit: «Lorsque le corps est profondément atteint par
la maladie, réduit à l'incapacité, lorsque la personne humaine se trouve
presque dans l'impossibilité de vivre et d'agir, la maturité intérieure et la grandeur spirituelle
deviennent d'autant plus évidentes, et elles constituent une leçon
émouvante pour les personnes qui jouissent d'une santé normale (26)». Écrire
cela c’est, de toute évidence, n’avoir aucune idée du délabrement physique de
la personne et des ravages opérés sur les facultés spirituelles d’un individu
par le stade avancé d’une maladie mortelle. N’en déplaise au pape, il n’y a habituellement
aucune maturité intérieure ni aucune grandeur spirituelle qui se dévoile au
chevet d’une personne qui souffre à en mourir; mais seulement l’étalement
angoissant de son extrême misère et de son immense fragilité.
La condamnation
ecclésiastique de l’euthanasie trouve dans cette doctrine catholique sur la souffrance
son fondement idéologique et sa justification.
4. La mort est un mal – La mort est un bien.
A ce point de mon exposé, je voudrais attirer l’attention sur certaines ambigüités
de la pensée catholique à propos de la mort qui peuvent aider à mieux cerner attitude
de l’Église face au suicide et l’euthanasie.
La doctrine théologique de l’Église qualifie la mort comme un mal. D’après la
théologie catholique la mort n’a été ni inventée ni voulue par Dieu. Aux
débuts, Dieu avait créé l’homme
immortel. La mort, ainsi que la souffrance, est la conséquence de la faute et du
péché de l’homme. Elle est simultanément punition de Dieu et œuvre du démon.
Jésus l’a assumée comme une malédiction qui pesait sur l’humanité afin de la
détruire et de faire triompher la vie.
Parce que la mort est un mal et une œuvre du démon, l’Église
en a peur. Elle considère la mort comme un moment spirituellement dangereux
pour le chrétien en fin de vie et une occasion d’attaques particulièrement
virulentes de la part du démon. Par des exorcismes, des invocations, des
incantations et des rites propitiatoires l’Église se croit en devoir d’aider le
mourant à neutraliser les assauts du diable. C’est probablement pour cette
raison qu’elle cherche à retarder le plus possible le moment de cet
affrontement, dans l’espoir que la purification du malade, opérée par la
souffrance, le rende plus apte à combattre l’ennemi. La mort serait alors déclenchée
par une décision de Dieu lorsqu’il juge le malade spirituellement équipé pour
entrer en «agonie» (=lutte) et vaincre l’Adversaire.
Mais dans la
tradition spirituelle chrétienne, la mort est aussi considérée comme un bien. Elle
constitue pour le malade le moment de la libération de la souffrance et de son
entrée dans la lumière, le repos et la paix de Dieu. Pour les anciens chrétiens
la mort était le moment de leur deuxième naissance, de leur entrée définitive dans
la vie et le monde de Dieu. Pour les mystiques chrétiens la mort était le moment
le plus sublime dans la vie du croyant, car elle réalisait finalement la rencontre
et l’union éternelle de deux amours qui, dans le temps, s’étaient longtemps et
vainement cherchés. Tout au long des siècles les bons chrétiens, comme François
d’Assise, ont apprivoisé la mort, en la considérant une bonne compagne, une sœur
et une amie.
Si la foi chrétienne
enseigne que la mort est la seule façon que nous avons de «voir Dieu» et de
nous réaliser pleinement en tant que ses enfants, alors pourquoi celui qui, par
l’euthanasie, hâterait volontairement l’accomplissement de ce merveilleux
événement serait-il à condamner? Qui nous assure que cet événement lumineux sera
de meilleure qualité parce que le malade s’est laissé macérer et décomposer
jusqu’au bout dans un puits de souffrances? Qui nous assure que Dieu aimera davantage
celui qui aura attendu avec crainte et résignation que la mort vienne enfin le
sortir de sa misère? Qui nous dit que Dieu aimera moins celui qui se sera lancé
volontairement vers lui, en ouvrent lui-même la porte afin de courir plus vite
à sa rencontre? Si la mort est un «gain», comme l'affirmait saint Paul (Phil.1,21),
pourquoi faudrait-il blâmer celui qui cherche à l’acquérir sans délais
inutiles? Que de martyrs, de saints et de mystiques, dans l’histoire de la sainteté
chrétienne, se sont volontairement faits mourir; ont délibérément écourté la
durée de leur existence par des privations, des mortifications, des macérations
et des pénitences de toutes sortes, afin de «gagner» le plus vite possible le
bonheur éternel! Ne peut-on pas considérer cela comme une forme lente de
suicide? Pourtant l’Église n’a que de l’admiration pour ces champions de la
mort à petit feux et les propose comme des exemples à imiter.
5. «Glissements» et abus. Une autre raison
de l’opposition de l’Église à la pratique de l’euthanasie est la peur des «glissements»
éthiques et des abus qui peuvent se produire dans une société qui valorise
exagérément la santé, la forme physique, la rentabilité, l’argent et le profit.
Elle se pose des questions comme les suivantes: nos institutions de soins devenant des lieux où l'on peut
provoquer la mort, ne courent-elles pas le risque de devenir des lieux ambigus,
voire inquiétants ? Qu'en sera-t-il des dilemmes éthiques? De la relation entre
collègues? Qu'en sera-t-il de la relation de confiance entre le médecin et le
patient? Elle craint que la méchanceté humaine
puisse produire des individus comme Hitler ou Staline, ainsi que des institutions
(hospitalière ou autres) sans scrupules, manœuvrées par l’avidité et les
intérêts économiques, capables
d’encourager et de pratiquer l’élimination
volontaire d’individus devenus un poids pour la société et un gaspillage
inutile des ressources : les
personnes atteintes de maladies dégénératives, les personnes handicapées, les
personnes vivant avec un trouble de santé mentale, etc.
Ces craintes,
si elles sont légitimes, sont aujourd’hui, à mon avis, injustifiées. Nos sociétés
modernes ont grandement évoluées dans la garantie du respect de la personne.
Elles sont régies par des lois et des Chartes basées sur les droits
inaliénables et la valeur absolue de la personne. Ces lois dictent et encadrent
de près le comportement responsable des employés des institutions publiques en
général et des instituions hospitalière en particulier. Il est certain qu’aucune
loi n’est à l’épreuve de l’astuce et de la perversité humaine et qu’il y aura
toujours de possibles transgresseurs. Mais parce qu’il y a des automobilistes
qui ne respectent pas les «stop», faudrait-il qu’il n’y ait pas de loi que les
obliges à s’arrêter? Cela étant dit, il n’en demeure pas moins vrai qu’il est
important d’encadrer la pratique de l’euthanasie par des lois, des règlements
et une surveillance stricte afin que soit évitée toute occasion de possibles
dérapages et c’est au législateur de veiller à ce que la loi soit tissée avec
une précision telle qu’il devienne très difficile de se faufiler impunément entre
ses mailles.
L’argument du
«glissement» éthique souvent évoqué par les autorités religieuses pour
s’opposer à l’euthanasie, ne peut que faire sourire lorsqu’on regarde le nombre
d’êtres humains exécutés, au cours de l’histoire de l‘Occident chrétien, pour
des raisons religieuses, ou tués dans des guerres de religion, ou persécutés pour
leurs convictions. On se demande pourquoi, tout à coup, les représentants de cette
même Église s’attendrissent sur le sort final des quelques malades qui demandent
à mourir parce la maladie et la souffrance ont enlevé sens et valeur à leur
existence.
Il y a un autre
paradoxe dans le comportement de l’Église que je voudrais également souligner.
On sait que l’Église catholique n’a jamais condamné officiellement ni la guerre
ni la peine de mort. Elle a même appliqué et pratiqué cette dernière pendant
des siècles. Aujourd’hui encore elle admet que des fonctionnaires de l’État puissent
tuer délibérément un détenu qui est en parfaite santé physique et qui ne
demande qu’à vivre. Par contre, elle s’oppose de toutes ses forces à ce que des
médecins puissent intervenir pour mettre fin à la vie d’un malade en phase terminale
qui ne demande qu’à mourir. Et cela même si leur geste est motivé par un réel sentiment de compassion et
d’humanité.
On doit
admettre que le message que l’Église lance au monde avec cette incohérence est
loin d’être évangélique. Ce message revient à ceci: tu peux tuer quelqu’un, si
c’est par vengeance pénale, par punition étatique, par peur, par opposition idéologique, pour défendre tes dogmes, pour
assurer ton pouvoir, pour privilégier tes convictions… mais tu ne peux pas
mettre fin à la vie de quelqu’un si c’est pour le seconder; pour son plus grand
bien; par bienveillance, par bonté, par compassion …
Je suis
parfois tenté de penser que, si l’Église tient tellement aujourd’hui à se
présenter au monde comme une championne d’humanité, c'est pour faire oublier
combien dans le passé elle a été
championne d’inhumanité.
LE POINT DE VUE MODERNE SUR L’EUTHANASIE
Je veux d’emblée
mettre au clair un point: dans l’Église catholique pas tous les
chrétiens se rangent derrière les positions du magistère officiel sur la
question de l’euthanasie. Il existe un vaste secteur de croyants «modernes» qui
ont abandonné les figures et les schémas intellectuels traditionnels à travers
lesquels s’exprimaient et se transmettaient les contenus de la foi chrétienne.
De sorte que l’on peut affirmer que beaucoup de chrétiens aujourd’hui
perçoivent, comprennent et professent différemment les «vérités» que la
religion propose à leur adhésion. Cela explique pourquoi la mentalité et la
sensibilité avec lesquelles ces chrétiens approchent l’euthanasie est
sensiblement différente de l’approche ancienne et traditionnelle de leur Église
La
problématique concernant l’euthanasie est un fait récent qui ne s’est jamais présenté
dans le passé quand l’espérance de vie était plus courte et la médecine plus
primitive. On a commencé à en parler seulement à partir de le seconde moitié du
siècle passé. Des cas fameux de malades (Georges Welby, Eluana Englaro, Chantal
Sébire ) qui se sont battus, eux ou leur famille, pour que l’on mette fin à
leur existence, ont beaucoup contribué à sensibiliser la société à la question
de l’euthanasie. Cette question est donc reliée au vieillissement général de la
population, phénomène typique des temps modernes, rendu possible grâce aux
énormes progrès de la médecine. Pour la première fois dans l’histoire de
l’humanité, les dispositifs de la technique moderne sont capables de prolonger
les fonctions physiologiques du corps humain au-delà des fonctions cérébrales qui
régissent les activités proprement «spirituelles» de la personne, telles que la
conscience, l’intelligence et la volonté, qui constituent les valeurs
essentielles de la vie d’un être humain. Pour la première fois la technique
moderne a la capacité de maintenir opératives les fonctions biologiques d’un
corps humain que la maladie a cependant dépossédé depuis longtemps de son
esprit.
Je voudrais présenter
ici brièvement cette nouvelle façon chrétienne de croire, qui permettra de mieux
comprendre la nouvelle position croyante face aux questionnements éthiques reliés
à la cessation volontaire d’une vie humaine.
Le chrétien «moderne»
n’est plus capable d’adhérer à la conception anthropomorphique et mythologique
de Dieu propre aux contenus doctrinaux et dogmatiques de l’Église. Aujourd’hui,
grâce au progrès des sciences et des connaissances, on n’a plus besoin de
recourir, comme dans le passé, à l’«hypothèse-Dieu» pour expliquer le monde, la
nature et les phénomènes naturels. Le monde moderne a pris conscience de
l’autonomie du cosmos et de l’être humain. Il a donc définitivement abandonné
la croyance en un monde surnaturel qui existerait réellement «au-dessus» et «au-delà»
de notre monde humain. La modernité a pris conscience du caractère illusoire et
fantastique du monde de l’au-delà conçu
comme le «lieu» de résidence d’une divinité toute-puissante qui nous
dominerait, de laquelle nous serions dépendants et qui interviendrait dans les
affaires des humains. Cette conception anthropomorphique de Dieu est le produit
d’une culture primitive dans laquelle le mythe, l’ignorance, la peur et le
besoin de sécurité ont joué un rôle prépondérant. Cette image de Dieu a
constitué une étape provisoire dans l’histoire de l’humanité et est maintenant totalement
dépassée par les rythmes de l’évolution humaine.
Les croyants modernes
sont davantage portés à penser que «Ce» que nous appelons «Dieu» n’a pas
d’existence en dehors de ce qui existe. Et puisque, de toute évidence, cet
Univers, visible et invisible est toute la réalité qui existe, ils en concluent
que c’est dans cet Univers que Dieu est et que c’est dans cet
Univers et non pas en dehors de lui qu’il faut le chercher. Mieux
encore, ils soupçonnent que «Dieu» est ce qui existe et que donc l’Univers est,
peut-être, la forme que Dieu prend pour exister; et que Dieu devient
«reconnaissable» et «dicible » lorsque dans le cosmos apparait une structure
intelligente capable de le penser et de le dire.
Les chrétiens
modernes préfèrent donner à Dieu des noms qui sont plus conformes à leur
perception de la réalité et qui expriment, sans doute mieux, leur nouvelle
façon de ressentir et de comprendre sa nature, son action et sa présence dans
le monde. Ils l’appellent de différents noms: «Mystère Originel, «Fondement de
l’être», «Source de l’être», «Profondeur de la réalité», «Réalité Spirituelle
Originelle», «Prodige Originel». Ils préfèrent cependant le penser comme «Amour
ou Énergie spirituelle d’Amour» qui serait au fond de toute réaction, de tout mouvement,
de toute transformation, dans toute l’évolution de la réalité, jusqu’à produire
l’homme dans lequel l’Énergie Spirituelle d’Amour se manifeste et se concrétise
d’une manière particulièrement accomplie et consciente. La présence de l’Amour dans
l’homme est alors vue et comprise comme la plus stupéfiante incarnation du
Mystère Originel dans notre monde. Dieu est ainsi conçu comme une Réalité qui
n’est pas «en-dehors», ni «au-delà» ni «au-dessus» du monde, mais qui est à
l’intérieur ou plutôt qui est l’intérieur de l’Univers existant. Le cosmos est
compris comme la manifestation ou l’expression ou l’incarnation même du Mystère
Originel.
L’Esprit Originel
d’Amour (Dieu) qui se manifeste dans l’Univers et à travers l’Univers, trouve
dans l’être humain son expression et son incarnation la plus parfaite. Dans
cette vision, l’homme apparait alors comme le lieu conscient et actif de
l’amour dans le monde. Rendre présent et opérant l’Amour est la raison de la présence
de l’Humain dans le cosmos. On peut donc dire que l’homme est ce qu’il est,
donc humain, parce qu’il a été «produit» pour aimer. L’Amour est sa seule
raison d’être et la seule raison de son être. Être présence d’Amour dans le
monde, exprimer l’Amour, donner de l’Amour, répandre l’Amour, tel est le but de
son existence. Il n’est humain qu’à cause de cela et pour cela. Il n’a la vie
que pour aimer. Il vit véritablement aussi longtemps qu’il est capable d’aimer.
La vie qu’il possède peut être considérée comme valable, digne d’être protégé
et gardée tant et aussi longtemps qu’elle reste «humaine», c’est-à-dire apte à
aimer. Cela signifie que lorsque l’homme n’est plus capable d’aimer, il n’est
plus capable de vivre. Cela signifie que la fin de l’amour constitue aussi la
fin de sa vie. Or aimer c’est entrer en relation. Aimer c’est la capacité de
vivre une relation consciente et affective avec d’autres personnes. Lorsque la maladie
a détérioré les conditions physiques au point d’induire un état quasi permanent
d’inconscience ou un coma irréversible qui rend définitivement impossible toute
relation d’amour, dans ces cas, le croyant moderne ne ressent aucun scrupule, ni
religieux ni éthique, a demander pour soi la possibilité de mettre fin à une
existence qui pour lui n’a plus aucune vie. Dans ce cas, l’euthanasie ne fait
que mettre fin aux fonctions physiologiques d’un corps qui déjà n’a plus ni
aucune vie ni aucune possibilité de vie. Parfois la décision de l’euthanasie, si
elle vient de la volonté du malade, peut être inspirée par le désir de mourir
vivant, plutôt que de sortit déjà mort de l’existence.
Dans cette
nouvelle vision, la vie de l’homme est en fonction de l’amour qu’il doit donner.
Lorsque la vie n’est plus capable de dégager de l’amour et n’est plus apte à
faire le bonheur des autres, mais se transforme en un obstacle à leur bien et à
leur bonheur, le malade moderne en phase terminale pense, qu’en ce cas, sa conscience
l’autorise à en disposer. Lui, non pas les autres. Il pense en plus que, si le
fait de mourir épargne veilles, soucis, inquiétudes, anxiétés, souffrances,
angoisses à ses proches, ainsi qu’utilisation coûteuse prolongée d’équipements
sophistiqués et de compétences médicales qui pourraient être plus utilement employées
pour d’autres, alors, en ce cas, demander explicitement à mourir peut constituer
le dernier geste d’amour qui, semblable à l’explosion finale d’un orchestre, conclut
avec éclat et panache la symphonie de son existence. Il fait à ce moment ce que
le poète latin Horace décrivait avec l’expression du «conviva satur» ou du «
convive rassasié» qui se lève satisfait et reconnaissant de la table du banquet
pour que d’autres puissent s’y asseoir. Pour le malade de la modernité,
demander qu’on l’aide à mourir plus vite peut constituer la façon la plus
chrétienne, la plus humaine et aussi la plus galante de sortir de la vie. Ce chrétien
pense qu’antéposer le bien-être des autres à son propre instinct naturel de
conservation, est encore la façon la plus vertueuse et la plus humaine de
mourir.
La façon
moderne de concevoir Dieu influence donc nécessairement l’attitude que le
croyant assume devant sa mort. Puisque la dépendance à Dieu n’est plus comprise
comme la soumission d’une sujet à un souverain absolu ou d’un esclave à un
maitre tout-puissant qui a droit de vie et de mort sur ses dépendants, celui-ci
sent qu’il a son mot à dire autant sur la qualité de sa vie que sur la qualité
de sa mort.
En plus, étant
donné que le chrétien moderne ne croit plus à un Dieu qui interviendrait de
l’extérieur pour lui imposer sa volonté ou lui dicter les normes du bien et du
mal, il retrouve son autonomie dans le monde. Il n’est plus handicapé par la
peur d’une condamnation divine ou d’un châtiment éternel. Il se sent donc libre
dans ses décisions et responsable de ses actions. Il cherche et trouve en lui
les valeurs et les principes qui guident et orientent son comportement. Il sait
qu’il ne doit pas rendre compte de ses actions à aucun juge divin assis là-haut
dans le ciel, mais seulement à sa conscience et à la société de ses frères humains.
Il n’est donc plus conditionné dans ses choix par des lois, des commandements,
des règles, des normes, des codes éthiques, des interdictions que la religion lui
a présentés comme venant de Dieu et comme constituant une obligation absolue.
Il sait que la seule obligation qu’il a en tant qu’humain est celle d’aimer et
que l’amour est la seule norme qui doit guider son comportement, s’il veut
rester humain. Il ne se sent lié ni aux commandements bibliques ni aux postulats
ou axiomes doctrinaux sur lesquels la tradition religieuse s’appuie pour
s’opposer à l’euthanasie. Commandements et postulats qu’il relativise et
desquels il n’hésite pas à s’écarter, s’il le juge nécessaire pour son bien et
le bien de ceux qui l’entourent.
Le chrétien moderne
ne croit plus à la valeur chrétienne d’une «souffrance rédemptrice». De sorte
que le malade terminal, lorsque l’évolution de la maladie lui cause une souffrance
insupportable, irréversible, dégradante, avilissante, destructrice de son cœur
et de son esprit, à cause du respect qu’il a pour lui et pour les autres, se
croit en droit de demander qu’on l’aide à mourir. Et il ne devrait y avoir
aucune loi qui l’empêche de le faire. Une telle loi serait injuste, car elle irait
finalement contre le bien de la personne, c’est-à-dire contre le bien que ce
malade, en toute lucidité, juge être en ce moment le sien. Et qui pourrait
avoir la prétention de contredire la décision du malade qui demande à mourir,
en lui objectant qu’il connait mieux que lui où se trouve son bien véritable?
Pour la
première fois dans l’histoire de l’humanité, le malade est conscient des droits
inaliénables qu’il possède en tant que personne. Il sait qu’il est le sujet du
droit et non pas un objet des lois. Il connait sa valeur, sa dignité et sa
liberté. Et cette liberté il veut l’exercer, surtout au moment où il faut qu’il
gère la conclusion de son existence. Il veut donc avoir le droit de choisir la
qualité de sa mort comme il eu le droit de choisir la qualité de sa vie. Il
veut qu’on lui reconnaisse également le droit de choisir entre une qualité
de vie et une quantité de jours à vivre dans la souffrance et la
déchéance. Il veut avoir son mot à dire pour déterminer quand et comment il va
mourir. Il veut que sa fin soit le point d’orgue qui conclut une symphonie et
non l’affreux spectacle d’un délabrement et d’une décomposition qui afflige et
dégoûte ceux qui sont obligés d’y assister. Il ne considère pas son geste et sa
décision de se faire mourir comme un crime ou un suicide, mais comme un geste
de respect envers sa dignité, comme un acte d’amour envers ses proches et, s‘il
est croyant, comme l’expression d’une espérance qu’il cherche à approcher, la
manifestation d’un désir qui le pousse à se fondre, sans trop de délais, avec la Source Originelle de son être.
POINT DE VUE PERSONNEL ET CONCLUSION
Comme nous l'avons
vu les fondements doctrinaux et les axiomes sur lesquels se base l'Église
catholique pour condamner l'euthanasie sont pour la plupart discutables, voire
réfutables, si on les analyse de manière plus approfondie et apparaissent
dépassés au regard du chrétien moderne.
Il n'en reste
pas moins que l’Église a fondamentalement raison de proclamer et de défendre de
toutes ses forces le caractère intouchable, inviolable, inaliénable et «sacré» de
la vie humaine.
L’Église a
raison de considérer la vie comme étant le bien le plus précieux de l’homme et
de le comparer, d’une façon imagée, à un «don» venant de Dieu. Par cette image
elle veut signifier et faire comprendre que personne sur cette terre n’a le
doit d’y toucher.
L’Église a
raison d’affirmer que tous les humains son égaux devant Dieu et qu’ils ont donc
tous la même valeur et la même dignité. Par conséquent, elle a raison de dire que
personne ne peut «jouer à être Dieu»; que personne ne peut se croire au-dessus
des autres et supérieur aux autres au point de s’arroger le droit et le pouvoir
de décider d’enlever la vie à une personne innocente et malade, même si elle
est en fin de vie.
L’Église a
raison de qualifier une telle attitude de «criminelle» et de la condamner
inconditionnellement.
L’Église a
donc de bonnes et sérieuses raisons de s’opposer à l’euthanasie. Son attitude
manifeste le souci réel qui l’anime d’être et de se présenter à la face du
monde comme une Institution qui défend la cause de l’homme et qui prend
fortement parti pour la vie de l’homme. Et cela est tout à son honneur.
La posture de
l’Église face à la vie humaine devrait inspirer et orienter l’esprit et les
contenus des législations civiles et les politiques des gouvernements modernes.
Il faut aussi
qu’il soit clair que, théoriquement, dans une société idéale, la question de
l’euthanasie ne devrait même pas se poser. Si le but de l’action politique est
celui de créer et d’assurer les conditions optimales du bien-être des citoyens,
l’État se doit de mettre en place toutes les structures nécessaires pour que le
citoyen malade en phase terminale n’ait jamais à subir des conditions
d‘hospitalisation tellement mauvaises et inadéquates que la seule issue qui lui
reste pour abréger son état de souffrance et d’abandon soit celle de demander l’euthanasie
ou, comme on dit au Québec, de «l’aide à mourir. Dans un monde idéal donc, il
ne devrait pas exister de société dont les responsables politiques soient
obligés de légiférer pour permettre que l’on aide un malade à mourir parce que
les conditions de son existence sont devenues tellement invivables qu’il
préfère mourir plutôt que de continuer à vivre.
Le système
politique qui gouverne un Pays subit un revers et une défaite chaque fois que
des citoyens atteints d’une maladie grave, évolutive ou terminale demandent
qu’on les aide à mourir parce qu’ils ne trouvent pas dans l’institution hospitalière
la qualité de soins qui améliore la qualité de leur vie, qui respecte leur
dignité et qui rende leur souffrance tolérable.
Il faut donc
qu’il soit clair que l’expression «aide médicale à mourir», dont il est
question dans le projet de Loi 52 du Gouvernement du Québec, n’est pas un synonyme déguisé ni de
«soins médicaux», ni de «soins palliatifs»,
mais plutôt la reconnaissance de la
faillite des uns et des autres dont aucune société ne devrait être fière.
S’il y a donc
une action à entreprendre contre le recours à l’euthanasie, c’est n’est pas
tellement celle de partir en croisade contre «une culture de la mort»; ou de s’attrouper
pour crier publiquement de respecter la vie; ou de fulminer contre les
gouvernants laïcs, impies et libertins qui approuvent des lois qui permettent
le mal et le «péché». S’il y a une action à entreprendre c'est plutôt celle de conscientiser
les responsables politiques des priorités à respecter dans les programmes
sociaux. En ce sens, il y a peut-être à se mobiliser pour leur faire savoir que
l’on considère éthiquement irresponsable, injuste, inhumaine et aberrante une
politique qui dépense plus d’argent dans les armements et la guerre que dans
les soins de santé. S’il y a une action à entreprendre au niveau politique,
c'est celle de voter pour des candidats qui ont une valeur humaine
incontestable, du souffle intérieur, de grandes visions et de grands projets ; c'est
celle de s’assurer que ces candidats soient des personnes compétentes, honnêtes,
responsables, animées par un vrai désir de s’engager au service de leur Pays dans
le but d’améliorer les conditions de vie de tous les citoyens. S’il y un action
à entreprendre c'est celle de faire pression sur les instances décisionnelles pour
que l’État investisse davantage dans la création d’infrastructures de santé modernes
et efficaces; et, pour la question qui nous intéresse ici, dans la mise en
place d’unités de soins palliatifs suffisantes
et de qualité, c'est-à-dire bien
équipées, bien administrées et desservies par un personnel professionnel, spécialisé
et dévoué. Ces investissements dans le secteur des soins palliatifs sont rendus
d'autant plus nécessaires que le vieillissement de la population dans nos pays
occidentaux ne fait que croître. Si on considère que dans certaines régions du Québec, jusqu'à 80% de la
population ne peut avoir accès aux soins palliatifs, on voit aisément où le
gouvernement de cette Province devrait mettre ses priorités, avant même de
penser à faire une législation pour
rendre acceptable ou possible l’euthanasie.
Dans une société
bien organisée le malade en fin de vie est pris ou devrait normalement être pris
en charge par les centres de soins palliatif qui l’assistent et l’accompagnent
tendrement jusqu’au moment de sa mort. Le but des soins palliatifs est précisément
de faire pour le malade « tout ce qui reste à faire, quand il n’y plus rien à
faire», d’être à l’écoute de ses besoins et de lui assurer toute l’aide
médicale, les soins, le confort, le support psychique et spirituel nécessaires pour
qu’il puisse aller vers sa mort d’une façon naturelle, agréable et sereine, en
gardant le long de ce pénible chemin une qualité de vie acceptable.
Il est important
de noter que les soins palliatifs sont administrés dans un contexte d’approche globale
qui cherche à tenir compte de tous les aspects de la vie du patient: ses
convictions, ses croyances, sa culture, sa sensibilité, son degré de tolérance
à la douleur, ses peurs, ses angoisses, son entourage, ses proches …. Il est
aussi important de savoir qu'autant l’acharnement thérapeutique que la pratique
de l’euthanasie vont contre la finalité des soins palliatifs
Cela étant
dit, il ne reste pas moins vrai que la question fondamentale à laquelle on est
confronté et à laquelle il faut donner une réponse est la suivante: qu’est ce
qui arrive et comment faut-il se comporter si un malade atteint d’une maladie
évolutive ou terminale, malgré le fait d’être pris en charge par un centre de
soins palliatifs, malgré le fait de recevoir les meilleurs soins et d’être entouré
des meilleures attentions possibles, décide quand même de mettre un terme à sa
vie et demande, en pleine lucidité d’esprit, de une aide médicale pour mourir?
Le débat sur l’euthanasie est né de l’effort des gouvernements modernes de
trouver une solution et une réponse à cette situation bien concrète.
Il y a des Pays
(comme par exemple la
Belgique) qui, dans un souci de respect des droits et des
libertés de la personne, ont légalisé l’euthanasie, en élaborant des lois qui
permettent au personnel soignant de donner une réponse positive au patient qui
demande de l’aide pour mourir.
D’autres Pays
(comme le Canada), appuyés et soutenus en cela par le Vatican, s’opposent catégoriquement
à toute participation directe dans l’exécution de cette demande et condamnent
l‘euthanasie comme un crime.
Dans les Pays
où l’aide à mourir (l’euthanasie) est
légale, le personnel soignant et la famille du patient devraient accéder à la
demande du malade, après s’être bien assuré que toutes les conditions prévues
par la loi sont vraiment respectées. Par contre, là où l’euthanasie n’est pas
permise, le personnel soignant doit s’abstenir de toute action directe visant à
procurer la mort du patient.
Il est normal
que, même là où l’euthanasie est légalisée, la première réaction du personnel
soignant et de la famille envers le malade qui demande de l’aide à mourir soit
celle de l’opposition et du refus. Il est normal que des médecins soulèvent des
«objections de conscience». Après tout
ils sont là pour aider à vivre et non pas pour aider à mourir. Je pense cependant,
que le respect que ceux-ci doivent au malade ne doit pas disqualifier à priori
son désir et sa décision et ne doit pas les transformer ni en juges
malveillants ni en défenseurs inflexibles de leurs propres certitudes ou de
leurs croyances. La considération de ce que le malade lucide pense être
son plus grand bien, doit toujours avoir le dessus sur les convictions ou les
sentiments personnels des médecins et de la parenté.
Les considérations
exposées plus haut dans cet article pourront aider les professionnels soignants
et la famille du malade à avoir une approche plus éclairée, plus dégagée, plus
humaine, moins entravée par les tabous, les interdits, les préjugés religieux
et culturels dans les soins apportés au malade en fin de vie. Ces observations pourront
aider aussi à trouver de nouveaux repères; fournir de nouveaux éléments de
réflexion pour assumer une posture plus sereine, plus ouverte sur la question
de l’euthanasie; ouvrir aussi des pistes pour que les intervenants puissent
relativiser des idées et des convictions établies, dépasser les barrages
psychologiques et religieux venant d’une vision pré-moderne et obsolète de la
réalité et intervenir sans être trop tourmentés par les remords d’une conscience
qui n’avait jamais été peut-être suffisamment éclairée.
BM