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vendredi 24 avril 2020


Prendre soin de son corps et du corps des autres en temps de coronavirus

Par Leonardo Boff (traduit du portugais par Bruno Mori)

18/04/2020


En ces temps dramatiques, sous l'attaque du coronavirus sur nos vies et sur nos corps, il n'y a rien de plus opportun que de réfléchir plus profondément sur nos corps, sur ce qu'ils sont et comment nous devons, plus qu'avant, prendre soin d'eux et du corps des autres.

Pour cela, il est important d'enrichir notre compréhension du corps, car celle héritée des Grecs et qui prévaut encore dans la culture dominante, comprend le corps comme une partie de l'être humain, à côté de l'autre partie qu'est l'âme. Les êtres humains sont généralement compris comme un composé du corps et de l'âme. En mourant, le corps retourne à la Terre, tandis que l'âme est transférée dans l'éternité, heureuse ou malheureuse, selon la qualité de vie qu'elle a vécue. Essayons d'enrichir notre compréhension du corps à la lumière de la nouvelle anthropologie.

L'unité complexe corps-esprit

L'anthropologie biblique et l'anthropologie contemporaine (et il y a beaucoup d'affinités entre les deux) nous présentent une conception plus complexe et holistique du corps. Selon elles, le corps n'est pas quelque chose que nous avons, mais quelque chose que nous sommes. Nous parlons alors d’un homme-corps immergé dans le monde et lié et connecté dans toutes les directions.

L'être humain se présente donc avant tout comme un corps. Corps vivant et non cadavre, réalité bio-psycho-énergétique-culturelle, dotée d'un système perceptif, cognitif, affectif, évaluatif, informationnel et spirituel.

Il est fabriqué à partir des matériaux cosmiques qui se sont formés depuis le début du processus de cosmogénèse il y a 13,7 milliards d'années, de biogenèse il y a 3,8 milliards d'années et d’anthropogenèse il y a 7 à 8 millions d'années, avec 400 billions de cellules, continuellement renouvelées par un système génétique formé sur 3,8 milliards d'années (c'est l'âge de la vie), habité par un quadrillion de microbes (Collins, The language of life, p.200), équipé d’un cerveau unique à trois niveaux, avec 50 à 100 milliards de neurones. Le plus ancestral, le cerveau reptilien, qui a émergé il y a 250 millions d'années, explique nos réactions instinctives, telles que l'ouverture et la fermeture des yeux, le rythme cardiaque et autres, autour duquel s'est formé le cerveau limbique, il y a 125 millions d'années, qui explique notre affectivité, notre amour et nos soins. Enfin le tout a été complété par le cerveau néocortical, qui a surgi il y a environ 5 à 8 millions d'années, grâce auquel nous avons conceptuellement organisé le monde et nous sommes ouverts à la totalité de la réalité.

La corporalité est une dimension du sujet humain concret. Cela signifie que dans la réalité nous ne trouvons jamais un esprit pur, mais toujours un esprit incarné. La corporéité de l’humain appartient au domaine de l'esprit et avec celle-ci il entre en relation permanente avec toutes choses. En tant qu'homme-corps, nous émergeons comme un nœud de relations universelles dans  notre être-dans-le-monde-avec-les-autres.

Cet être-au-monde-avec-les-autres n'est pas une dimension géographique, ni accidentelle mais essentielle. Cela signifie, qu'à chaque instant et en sa totalité, l'être humain est corporel et simultanément, en sa totalité, il est spirituel. Nous sommes un corps spiritualisé, car nous sommes aussi un esprit « corporisé ». Cette unité complexe de l'être humain ne doit jamais être oubliée.

De cette façon, les actes spirituels les plus sublimes, ou les plus hautes envolées de la création artistique ou mystique, sont marqués par la corporéité. Tout comme les actes corporels les plus simples, comme manger, se laver, conduire une voiture, sont imbibés d’esprit. Le corps est un esprit qui se déploie dans la matière. Et l'esprit est la transfiguration de la matière.

En ce sens, nous pouvons dire que l'esprit est visible. Lorsque nous regardons un visage, par exemple, nous ne voyons pas seulement les yeux, la bouche, le nez et le jeu des muscles. Nous voyons également la joie ou l'angoisse, la résignation ou la confiance, l'éclat ou le découragement de la personne. Ce qui est vu, par conséquent, est un corps qui est animé et pénétré par l'esprit. De même, l'esprit ne se cache pas derrière le corps. Dans l'expression faciale, dans le regard, dans le discours, dans la manière d'être présent et même dans le silence, se révèle toute la profondeur de l'esprit.

 Les forces de l'affirmation de soi et de l'intégration

D'un autre côté, il est important de comprendre que, biologiquement, nous sommes des êtres nécessiteux. Nous ne sommes pas dotés, comme les animaux, d’organes spécialisés qui nous garantiraient la survie ou nous défendraient des dangers. Un caneton sort de l’œuf et il commence aussitôt à nager. L'être humain, en revanche,  a besoin d'apprendre. Certains biologistes vont jusqu'à dire que nous sommes « un animal malade », un « faux pas », un « passage » (Übergang) vers quelque chose de plus élevé ou plus complexe. Nous ne sommes donc jamais fixés ; nous sommes entiers, mais pas encore complets, toujours à faire.

Cette situation a pour conséquence que nous devons assurer en permanence notre survie à travers un travail et une intervention planifiée sur la nature. De cet effort est né une culture qui organise d’une façon stable les conditions infrastructurelles, ainsi qu’humaines et spirituelles, pour que nous puissions vivre mieux et plus confortablement.

Il y a aussi un autre aspect, également présent dans tous les êtres de l'univers, mais qui, au niveau humain, acquiert une pertinence particulière, les soins à prodiguer. Il y a deux forces en nous et en chaque être. La première est la force de l'affirmation de soi, la seconde est la force de l'intégration. Ces forces travaillent toujours ensemble dans un équilibre difficile, mais toujours dynamique.

Par la force de l'affirmation de soi, chaque être, en l'occurrence l'être humain, se concentre sur lui-même et son instinct est de se préserver, de se défendre contre toutes sortes de menaces pour son intégrité et sa vie. Il se défend lorsqu'il est menacé de mort. Personne n'accepte simplement de mourir. Lutter pour continuer à vivre, à se développer et à se reproduire. Cette force explique la persistance et la subsistance de l’individu.

Nous devons à ce stade surmonter complètement le darwinisme social, selon lequel seuls les meilleurs et les plus doués triomphent et subsistent. C'est une demi-vérité qui s'oppose au processus évolutif. La loi fondamentale de l'Univers est la relation de chacun avec tous et la coopération entre tous, afin qu'ils puissent exister et continuer à évoluer. Ce processus ne favorise pas seulement les mieux équipés. Si c'était le cas, les dinosaures seraient encore parmi nous. Le sens de l'évolution est de permettre à tous les êtres, même aux plus vulnérables, d'exprimer des dimensions de la réalité et des virtualités qui sont  latentes dans l'univers en évolution. Nous le répétons : c'est cela la valeur de l'interdépendance de tous avec tous et de la solidarité cosmique. Chacun s'entraide pour coexister et co-évoluer. Les faibles méritent également de vivre et ils ont quelque chose à nous dire. Remarquez comment, même dans un petit trou dans l'asphalte, une petite plante peut surgir. C'est le miracle de la vie et cela nous envoie un message sur sa force.

Par la force de l'intégration, l'individu se retrouve intégré dans un réseau de relations sans lequel, seul en tant qu'individu, il ne pourrait ni vivre ni survivre. Tous les êtres sont interconnectés et chacun vit pour les autres, avec les autres et grâce aux autres.   L'individu s'intègre donc naturellement dans un tout plus large, dans la famille, dans la communauté et dans la société. Même si l'individu décède, l'ensemble assure le maintien de l'espèce, permettant à d'autres représentants de venir lui succéder.
La sagesse humaine reconnaît qu'il arrive un moment dans la vie où la personne doit dire au revoir, avec gratitude, pour laisser la place, même physiquement, à d'autres qui viendront.

L'univers, les nations, les espèces et aussi les êtres humains se gardent en équilibre entre ces deux forces, celle de l'affirmation de soi de l'individu et celle de l'intégration dans un tout plus large. Mais ce processus n'est pas linéaire et serein. Il est tendu et dynamique. L'équilibre des forces n'est jamais conquis une fois pour toutes, mais un exploit à réaliser à tout moment.

C'est là que les soins entrent en jeu. Si nous n'y prenons pas garde, l'affirmation de soi de l'individu peut prévaloir au détriment d'une intégration insuffisante dans l'ensemble et alors le moi, l'individualisme, l'autoritarisme et la violence prévalent ; ou bien l'intégration peut prévaloir, le nous peut prendre le dessus au prix de l'affaiblissement, voire de l'annulation du moi. Alors d’un côté, c’est le moi et l’individualisme qui gagnent la partie, de l’autre, c’est le collectivisme et l'aplatissement des individualités qui l'emportent. Le soin, ici, se traduit par une juste mesure et une retenue de soi, afin de ne privilégier aucune de ces forces.

En fait, dans l'histoire sociale humaine, des systèmes ont émergé qui favorisent parfois le moi, l'individu, leur performance et la propriété privée, comme c'est le cas avec le système capitaliste ; ou la propriété collective et sociale, comme c'est le cas avec le socialisme réel. L'exacerbation de l'une de ces forces, au détriment de l'autre, entraîne des déséquilibres, des dévastations et des tragédies. Le soin disparaît pour laisser place à la volonté de puissance et même à la brutalité.

Afin d'équilibrer ces deux forces, la démocratie a été conçue. Elle cherche à inclure et à articuler le moi avec le nous, chaque individu peut participer et avec d'autres créer le nous social. De cette coexistence, pas toujours facile, du moi avec le nous, la recherche du bien commun est née. La démocratie représente la participation de chacun, de la famille, de la communauté, des organisations, dans la manière d'organiser l'État. C'est une valeur universelle à vivre et à entretenir en permanence.

Quel est le défi qui se présente aujourd’hui à l'être humain ?

 Le défi de porter attention et soin à la création. Ce défi consiste dans la recherche d’un équilibre construit consciemment et de faire de cette recherche un but et une attitude de base. Porteur de conscience et de liberté, l'être humain a cette mission qui le distingue des autres êtres. Lui seul peut être un être éthique, un être attentif et responsable de lui-même (moi) et du sort des autres (nous). Il peut être hostile à la vie, opprimer et dévaster. Il peut aussi être le bon ange, le gardien, le protecteur et le serviteur de tout. Cela dépend de sone engagement à prendre soin ou à accepter que des forces sombres et incontrôlables prennent le contrôle de la vie.

Du fait de sa liberté, l’homme n'est pas soumis à la fatalité du dynamisme des choses. Il peut intervenir et sauver les plus faibles, empêcher une espèce de disparaître ou créer des conditions qui réduisent la souffrance, comme c'est le cas en ce moment.

En lieu et place de la loi des plus doués et des plus forts, il fait valoir la loi du soin envers les moins doués et les plus faibles. Seul l'être humain peut le faire. C'est pour cela qu’il a été établi (dans le mythe biblique de la Genèse) comme le gardien de toutes les créatures et  comme le jardinier qui cultive et garde le Jardin de l'Éden. L’homme surgit donc en ce monde comme celui qui voit et qui pourvoit à ce que les êtres puissent avoir les conditions nécessaires pour vivre et pour s’insérer dans le Tout. De cette façon, il assure un avenir au plus grand nombre de personnes et de représentants d'autres espèces possibles. C'est en cela que consiste le défi pour notre pays et pour la Terre entière dévastée par la COVID-19.

Les défis du soin de notre corps

Après cette longue introduction, la question se pose: comment prendre soin de son propre corps? Ce point est fondamental à l'heure où nous devons accepter l'isolement social pour nous protéger du coronavirus.

Tout d'abord, un effort est nécessaire pour maintenir notre intégrité et notre unité complexe. Nous devons assumer notre enracinement dans le monde au travers de notre famille, notre travail, notre profession et notre engagement envers la vie. Et nous devons  le faire avec la totalité de notre être, en sachant que nous sommes la partie consciente et intelligente d’un Tout capable de valoriser chaque initiative, depuis celle qui concerne l'hygiène du corps, jusqu’au travail le plus sophistiqué de l’intelligence.

En ce moment, il est nécessaire de se protéger avec un masque lorsque nous quittons la maison et de nous laver continuellement les mains avec du savon ou un gel alcoolisé. Le corps-homme est cette unité complexe qui nécessite tous ces soins, surtout en ce moment dramatique de notre vie.

Il est nécessaire de s'opposer consciemment aux dualismes que la culture persiste à maintenir, d'une part, le "corps" déconnecté de l'esprit; et d'autre part, "l'esprit" dématérialisé de son corps. Le marketing explore cette dualité, présentant le corps non pas comme la totalité de l'humain, mais comme l’assemblage de ses composantes : son visage, ses seins, ses muscles, ses mains, ses pieds…
Les principales victimes, et non les seules, de cette fragmentation sont les femmes. En effet, le machisme a profité du monde médiatique de la publicité pour exploiter les différentes parties du corps de la femme : son visage, ses yeux, ses seins, son sexe etc.,  continuant ainsi, de façon perverse, à en faire un « objet de consommation ». Nous devons nous opposer fermement  à cette distorsion culturelle.

Il est également important de refuser le simple "culte du corps" dans les innombrables gymnases, ou à travers d’autres formes d’intervention sur sa dimension physique, comme si le corps-homme était une machine dépourvue d'esprit, à la recherche de performances musculaires sans limites. Avec cela, nous ne voulons cependant pas minimiser les bienfaits qu’apportent les palestres de conditionnement physique. Il convient aussi de souligner l’importance d’une alimentation équilibrée et saine, les avantages indéniables de l’exercice physique, des massages qui tonifient le corps et font circuler les énergies vitales, en particulier les techniques et les disciples orientales, parmi lesquelles, la capacité du yoga à renforcer l'harmonie corps-esprit.

L’habillement mérite une attention particulière. Il n'a pas seulement une fonction utilitaire en nous protégeant des intempéries et en cachant ces parties qui dans notre culture (différente de la culture des peuples autochtones) sont considérées comme sexuelles. Il appartient aux soins du corps, car le vêtement représente un langage, une manière de se révéler sur la scène de la vie. Il est important de s'assurer que les vêtements soient l'expression d'une façon d'être et montrent le profil humain et esthétique de la personne.

 Ces beautés construites par mille moyens artificiels, pour que les personnes apparaissent différemment de ce que la vie a voulu qu'elles soient, sont une démonstration de l'anémie de leur esprit. Il y a une beauté propre à chaque âge, un charme qui naît du travail que la vie et l'esprit ont imprimé dans l'expression « corporelle » de l'être humain. Il n'y a pas de Photoshop pour remplacer la rude beauté du visage d'un travailleur, façonné par la dureté de la vie; ni pour reproduire les traits d’un visage sculpté par la souffrance et la lutte. Ces visages acquièrent une expression de grande force et d'énergie. Ils parlent de la vie réelle et non artificielle et construite. Tandis que les visages, transformés en des icônes de la beauté conventionnelle, sont tous semblables, sans traits ni nuances, et masquent à peine l'artificialité de la figure construite par le marketing.

Tous ces artifices de notre culture, plus liés au marché qu'aux besoins réels de la vie, nous empêchent de cultiver le soin de chaque phase de la vie, avec sa beauté et son irradiation singulière, mais aussi de nous réconcilier avec les marques qu’une vie vécue a laissé sur le visage et dans le corps : les luttes, les souffrances, les dépassements. De telles marques sont des décorations et créent une beauté inégalée et un éclat spécifique, au lieu de garder un type de profil d'un  passé déjà vécu.

Nous prenons positivement soin du corps, en  retournant là d’où, pendant des siècles, nous nous étions exilés : à la nature et à une relation faite de fascination et de tendresse avec l'ensemble de la Terre. Cela signifie établir une relation de biophilie, d'amour et de conscience avec les animaux, les fleurs, les roses et les plantes, les climats, les eaux, avec les paysages, avec la Terre. Lorsque la Terre est vue de l'espace, avec ces belles images du globe terrestre transmises par les grands télescopes ou par les vaisseaux spatiaux, nous éprouvons un sentiment spontané de révérence, de respect et d'amour pour notre Maison Commune, notre Grande Mère, de l'utérus de laquelle nous sommes tous sortis. Nous nous sentons humbles quand nous regardons la Terre devenue un petit point bleu pâle, sur la dernière photo prise par la sonde spatiale Voyager 1 (en aout 2012) qui quittait le système solaire pour entrer dans l'espace infini.

Peut-être que le plus grand défi pour l'homme-corps consiste à parvenir à un équilibre entre l'affirmation de soi, sans tomber dans l'arrogance et la dépréciation des autres ; et l'intégration dans un plus grand ensemble (la famille, la communauté, le groupe de travail et la société ), sans se laisser massifier et tomber dans une adhésion non critique.

La recherche de cet équilibre n'est pas résolue une fois pour toutes, mais elle doit être assumée au quotidien, car elle nous est demandée à chaque instant. Et chaque situation, aussi étrange que cela puisse paraître, est suffisamment bonne pour trouver le bon équilibre entre les deux forces qui peuvent nous déchirer ou unifier et alléger notre existence.

Le soin de notre manière d'être dans le monde avec les autres, implique également notre alimentation : ce que nous mangeons et buvons. Faire de l'alimentation plus qu'un processus de nutrition, mais un rite de communion avec les fruits de la générosité de la Terre. Ainsi, chaque repas devient une célébration de la vie. Savoir choisir les produits issus de l'agriculture biologique ou ceux moins traités chimiquement. Voici le soin, comme amour de soi, qui se traduit par une vie saine ; et le soin comme précaution contre toutes les maladies qui peuvent surgir à cause de l'air contaminé, les eaux polluées, l'intoxication générale de l'environnement.

L'homme-corps doit montrer cette harmonie intérieure et extérieure, en tant que membre de la grande communauté terrestre et biotique.

Prendre soin du corps des autres, des pauvres, de la Terre

La plupart des corps humains sont malades, émaciés et déformés par trop de besoins. Il y a des corps humains affamés et assoiffés, désespérés d'esprit par l'excès du travail, l'exploitation et l'humiliation d'être traités comme '' du charbon à consommer dans le processus de production'', selon l'expression de l'anthropologue Darcy Ribeiro.

Prendre soin des corps des pauvres et des condamnés de la Terre, ce n'est pas les nier et les mépriser, comme cela se produit dans notre tradition d'esclavage. Mais les considérer comme des égaux, comme des personnes qui ont la même dignité et les mêmes droits. Socialement, cela signifie se battre pour des politiques publiques, comme l'ont fait les projets sociaux de « Faim Zéro », « Luz para Todos », « Ma Maison, ma Vie », avec l'agriculture écologique et familiale, et autres, comme les cuisines communautaires, comme l'UPAS et d'autres initiatives qui organisent la solidarité sociale afin que chacun puisse avoir droit à une convivialité réalisée: pouvoir manger suffisamment et décemment chaque jour.

Permettez-moi de vous donner un exemple: dans notre Centre pour la défense des droits de l'homme à Petrópolis, nous avons développé un projet « Pain et beauté », qui donne à la population de la rue un bon repas quotidien (environ 300 personnes: le moment du Pain) et ensuite un moment de Beauté, qui est l'accomplissement de leur dignité, en commençant par le nom de la personne (car la plupart n’ont que des surnoms); en faisant des cercles de discussion sur leurs problèmes; en les accompagnant en cas de maladie vers une assistance médicale ou psychologique et en voyant comment les réintégrer dans la société avec un travail. La perspective reste de prendre soin de l'être humain intégral, corps-esprit, à travers le Pain nécessaire et l'Esprit cultivé.

L'important, en termes de pédagogie libératrice, est d'aider les nécessiteux eux-mêmes, en tant que sujets, à s'organiser et à faire pression pour garantir les bases qui soutiennent la vie. Mais pas seulement pour satisfaire la faim de Pain, toujours nécessaire, mais aussi la faim insatiable de Beauté, de reconnaissance, de respect, de communion, de Transcendance, toujours ouverte à un développement illimité.

Prendre soin du corps social est une mission politique qui nécessite de sévères critiques contre un système de relations qui traite les gens comme des choses et leur refuse l'accès aux biens communs auxquels tous les êtres humains ont droit, comme la nourriture, l'eau, un terrain, le traitement des eaux usées et des ordures, la santé, un logement, la culture et la sécurité.
En fait, une véritable révolution humanitaire s'imposerait ici. Mais il ne suffit pas de la vouloir. Des conditions socio-historiques qui la rendent viable et victorieuse sont nécessaires. C'est l'utopie minimale à réaliser, même par un minimum de sens éthique.

Prendre soin du corps de la Terre Mère

Aujourd'hui plus qu'autrefois, il est urgent de prendre soin du corps de la Terre Mère, marqué par des blessures qui ne se ferment pas. Il y a des ravages inimaginables dans le règne animal et végétal, dans les sous-sols et dans les mers. J'ai déjà exprimé l'opinion que peut-être le coronavirus est une réaction de la Terre Mère, une contre-attaque à la violence systématique dont elle souffre continuellement.

Soit nous prenons soin du corps de la Terre Mère, soit nous courons le risque qu'il n'y ait plus de place pour nous sur la Terre, parce qu’elle ne voudra plus de nous sur son sol. Prendre soin du corps de la Terre, c'est prendre soin des déchets, du nettoyage général des rues, des places, de l'eau, de l'air, des transports, s'intéresser à tout ce qui se dit dans les médias sur l’état de la planète, sur comme elle est traitée, agressée ou soignée.

Rappelons enfin le message chrétien qui, par l'incarnation du Fils de Dieu, a sanctifié la matière et l'a également éternisée. La résurrection de l'homme des douleurs, blessé et crucifié, confirme que la fin des voies de Dieu n'est pas un " esprit " sans matière, mais l'homme-corps transfiguré, qui a réalisé toutes les potentialités cachées en lui et s'est élevé au plus haut degré de son évolution humaine et divine.

C'est le soin suprême que Dieu a montré au corps-homme, le ressuscitant comme un nouvel homme, "le tout nouvel Adam" comme l'appelle Saint Paul et, enfin, l'assumant dans sa propre réalité infinie et éternelle.


Leonardo Boff

Traduit du portugais par Bruno Mori