L’homme qui avait peur du noir
(30 dim. ord. B – Mc 10, 45-52)
Dans
presque toutes les grandes religions du monde l’éveil de l’être humain à la pleine conscience de soi, à la
perception de sa profondeur et de son sens, de la finalité à donner à son
existence afin d’arriver à une satisfaisante réalisation de soi et à une sereine
acceptation de sa présence en ce monde, est toujours qualifié d’illumination. Ce terme veut indiquer le
passage de l’esprit de la personne d’un état d’obscurité, d’ignorance, de
confusion chaotique dans la perception de soi et de la Réalité qui l’entoure, à
un état de fulguration lumineuse qui tout éclaire.
Dans
la Bible, le récit mythique raconte que c’est d’abord par le geste créateur de
la lumière que Dieu fait surgir le monde des ténèbres et du chaos original pour en faire un cosmos merveilleux et ordonné.
Également,
lorsque dans le NT, l’évangéliste Jean, au début de son évangile, voudra
décrire l’origine du mouvement chrétien et expliquer la nature et le sens de la
présence de Jésus dans notre monde et dans la vie de ses disciples, il le présentera
comme la venue et l’offre d’une lumière qui vient chasser les ténèbres du mal
qui depuis toujours s’étaient installées et avaient colonisé le cœur de l’homme.
En même temps Jean présentera l’arrivée de cette lumière comme un drame,
puisque beaucoup ne l’ont pas accueillie et ont préféré leurs ténèbres à sa
lumière.
Les
humains restent cependant fondamentalement des êtres qui, comme les phalènes de
la nuit, sont irrésistiblement attirés par la lumière du sens et de la connaissance.
Atteindre l’illumination, a toujours
été le rêve et le but de toute quête humaine d’accomplissement et de bonheur,
ainsi que la promesse des religions à leurs fidèles.
Et
en cela le christianisme ne fait pas exception. Les auteurs chrétiens de la
seconde moitié du premier siècle qui ont rédigé les évangiles, présentent Jésus
comme un être de lumière venu en ce monde pour l’éclairer de ses valeurs et
de sa sagesse. Ainsi, Jésus apparaît souvent à ceux qui le fréquentent comme un
homme lumineux et transfiguré par l’éclat qui émane de son âme et de la qualité
fascinante de sa personne et de son esprit épris de son Dieu et du bonheur de
ses frères.
Dans les Évangiles les disciples de Jésus
aussi sont souvent qualifiés d’enfants ou de fils de la lumière et le baptême,
qui officialise leur adhésion au mouvement de Jésus, est considéré comme un
rite d’illumination qui les fait définitivement passer du péché à la
grâce, de l’égoïsme à l’amour désintéressé, des ténèbres à la
lumière dans un monde où ils
doivent resplendir comme des lampes toujours
allumées.
Si
ce passage des ténèbres à la lumière est important pour tout humain, il devient
essentiel pour chaque chrétien qui s’engage, à la demande et à l’exemple de son
Maître, à être à son tour dans le monde une source de lumière pour tous.
De
sorte que, dans le récit de l’évangile d’aujourd’hui, on comprend la frénésie,
l’empressement et, en même temps, le sentiment d’urgence et le cri à l’aide par
lesquels l’homme l’aveugle, immobilisé au bord de la route, cherche et demande
à être libéré de l’aveuglement et de l’obscurité qui ont toujours rendu
misérable et angoissante son existence. Cet aveugle est ici l’image et le
prototype de tous les chrétiens et de tous ceux que l’aveuglement intérieur empêche
de marcher sur le chemin de leur réalisation humaine, religieuse et spirituelle,
les condamnant à une vie de banalités et d’insignifiance.
Les
gestes exaspérés, exagérés, presque violents du comportement de l’aveugle
Bartimée (il ne se lève pas, il saute en l’air ; il ne pose pas son manteau, il
le lance loin ; il ne parle pas, il crie; il ne marche pas vers Jésus, il court
) manifestent son exaltation à la présence de la source (Jésus) de sa possible illumination,
mais aussi son anxiété, sa peur de rater sa
chance de s’y abreuver et l’intensité de son désir de sortir, une bonne fois, de cet enfers de ténèbres et de non-sens dans lequel il avait précipité et égaré son existence .
Cet
aveugle bloqué et immobilisé sur la route de son existence à cause de l’impossibilité
de voir son véritable chemin, a reconnu en Jésus l’homme-miracle capable de l’illuminer et de lui ouvrir les yeux.
Jésus, de son côté, arrêtera expressément sur voyage pour accueillir et exaucer
cet homme assoiffé de lumière. Jésus fera cela pour lui permettre de comprendre
et de réaliser comme peut être différente, plus belle, plus réussie, plus féconde,
plus lumineuse et plus heureuse sa vie si, désormais, les yeux remplis de
larmes et de lumière, il est disposé à le suivre sur sa « Voie ». Bartimée le fera. Et je suis sûr qu’il ne l’a
jamais regretté.
Qu’en
est-il de nous, les aveugles et les aveuglés du XXI siècle ? Serons–nous capables, comme Bartimée, de crier
à Jésus notre détresse causée par tous nos aveuglements et de courir à lui pour
qu’il éclaire notre morne et sombre existence de la lumière de son esprit et
pour qu’il la réchauffe de la chaleur de son amour ?
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