Rechercher dans ce blog

lundi 4 mars 2019

UN AMOUR IMPOSSIBLE ?

( 7e dim. ord. C – Lc. 6,27-38)

C’est texte n’est pas facile à avaler, il nous reste en travers de la gorge. Il exprime un idéal de conduite qui n’est pas fait pour le commun des mortels et que même Jésus n’a pas été capable de mettre totalement en pratique. Et pourtant, le texte de Luc dit clairement que Jésus s’adressait à une "foule immense de gens" (6, 17), au "peuple" (7,1) et pas seulement au petit groupe de ses disciples, à une élite. Ces paroles rudes sont pour tous et toutes. Donc pour nous.

Et si ces paroles sont pour tous, c’est qu’elles sont pleines de sagesse humaine, indépendamment de tout aspect religieux ou chrétien : "Ce que vous voulez que les autres fassent pour vous, faites-le aussi pour eux". C’est la Règle d’Or du comportement humain que l’on retrouve formulée de toutes sortes de façons dans toutes les cultures, religions et civilisations du monde . : "Ce que tu ne veux pas pour toi … tu ne le feras pas aux autres! "Vous remarquerez que Luc formule cette consigne au positif dans la bouche de Jésus : "Ce que vous voulez pour vous … faites-le aussi aux autres ". Changement de perspective. On n'est plus dans les dangers et risques à éviter, comme si toutes les relations humaines consistaient à se protéger et à éviter les confrontations avec les autres. Avec l’évangile, on est dans le positif, dans la relation fraternelle. Une fraternité de base, initiale, à priori, pour laquelle l’autre n’est pas d’abord l’ennemi dont il faut se protéger, mais un partenaire, un ami, quelqu’un avec qui entrer en relation. Il s’agit de faire quelque chose pour autrui et non d’éviter de faire.

Cependant, avec la "Règle d’Or", on n'est pas encore au cœur de l’évangile. En effet, il y a quelque chose qui pourrait pencher du côté de l’égoïsme dans ce "Faites à autrui ce que vous voulez qu’on vous fasse". Comme si j’avais intérêt à être bon et aimable avec les autres, pour qu’ils le soient à leur tour à mon égard. Une sorte de donnant donnant. Quand je rends service aux autres, c’est que ça me sert à moi aussi; j’y trouve mon compte. Ne serait-ce qu’en me valorisant à mes propres yeux.
Mais Jésus va plus loin que cela. Si loin qu’on a peine à l’entendre et à le suivre. "Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux… Alors, vous serez les fils du Dieu très haut". Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il met la barre très haute ! Cela semble un idéal inaccessible : comment pourrions-nous pardonner à la hauteur de Dieu, avoir le cœur bon et miséricordieux comme lui ?

            Et pourtant, en même temps, nous sentons aussi en nous quelque chose d’infini, quelque chose comme un appel à aller toujours plus loin, à nous dépasser, à oser l’inhabituel, à aller à contre-courant, quelque chose comme un désir d’air nouveau où passe déjà le Souffle de l’Esprit du Dieu miséricordieux. Alors, tout à coup, l’appel de Jésus à être comme notre Père ne nous paraît pas quelque chose d’insensé. C’est au contraire un chemin qui s’ouvre à nous et s’offre à notre exploration, une invitation à suivre la trace de Dieu en nous qui veut nous faire fonctionner à l‘énergie de son amour, étant donné que nous sommes faits à son image. Cette parole de Jésus est une parole que nous jetons devant nous pour qu’elle nous tire en avant et hors de nous.

C’est dans cette lumière, donnée comme horizon à notre vie, que nous pouvons entendre et peut-être accepter les rudes paroles de Jésus : "Aimez vos ennemis, souhaitez du bien à qui vous maudit, ne réclamez pas à qui vous vole", etc. Et d’abord, avons-nous des ennemis ? Des gens qui en veulent à nos vies, non sans doute. Mais des gens qui nous ont fait du tort ou du mal, qui nous ont fait pleurer, qui nous agacent, qui n’ont pas d’égards, qui parlent dans notre dos, qui nous sont antipathiques,  oui , bien sûr.  Et il faut bien l’avouer, parfois on a envie de sauter à la gorge de ces gens, on a envie de les faire disparaître de notre vie.

 La première démarche à faire pour aller dans le sens de l’évangile, c’est peut-être d’accepter d’être comme nous sommes, d’accepter nos envies de vengeance et de violence pour régler leur compte à nos ennemis. Pour l’instant. Ensuite pourra s’ouvrir un chemin qu’il faut bien appeler chemin de conversion.

Aimer notre ennemi, nous n’y réussirons sans doute jamais. Alors contentons-nous, comme chrétiens, au moins de le respecter. Ce qui peut vouloir dire s’affronter à lui, lui résister, ne pas se laisser faire. Mais aussi ne pas entrer dans le cercle vicieux et sans fin de la violence, qu’elle soit physique ou orale. Vouloir détruire et humilier l’ennemi n’est jamais la meilleure solution : car, d’abord, cela nous rabaisse et nous avilit en tant que personne ; et ensuite cela ne fait qu’ enfermer notre ennemi dans sa haine et sa violence, lesquelles ressurgiront un jour inévitablement contre nous.

Aimer son ennemi, c’est travailler à changer le regard qu’on porte sur lui. Ne pas voir en lui qu’un ennemi à abattre. Il est, certes, menteur, voleur, violent et bien d’autres choses encore. Mais il n’est pas que cela. C’est comme pour nous : il n’est pas que méchanceté, il ne se confond pas avec le mal qu’il fait. Il faut, envers et contre tout, maintenir en soi la conviction que cet ennemi peut changer et évoluer vers le meilleur de lui-même. Évidemment, on est ici au-delà du sentiment et de l’émotion. On est dans le monde de la raison qui décide et de la conviction qui s’affirme contre vents et marées. On est proche de la foi dans laquelle cette conviction prend racine.

Aimer son ennemi, c’est le confier à Dieu. Prier pour lui, pour qu’il change et quitte le monde de la haine. Ce passage de l’évangile de Luc ne nous donne pas de consigne précise, il ne fournit aucune recette pour régler nos problèmes avec nos ennemis, petits ou grands. Mais il montre une direction, il offre une lumière dans la nuit de la violence et de la haine. Il cherche à nous faire comprendre qu’échanger le mal par du mal n’est jamais payant pour personne et que le bon sens et la sagesse qui nous viennent de la fréquentation chrétienne de l’évangile devraient nous pousser à revoir et à modifier, peut-être, nos réactions instinctives devant nos ennemis . C’est la grâce que je vous souhaite … que nous nous souhaitons…  dans cette Eucharistie!

BM

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire