( 7e
dim. ord. C – Lc. 6,27-38)
C’est
texte n’est pas facile à avaler, il nous reste en travers de la gorge. Il exprime
un idéal de conduite qui n’est pas fait pour le commun des mortels et que même Jésus
n’a pas été capable de mettre totalement en pratique. Et pourtant, le texte de Luc dit clairement que Jésus s’adressait
à une "foule immense de gens" (6, 17), au "peuple" (7,1) et
pas seulement au petit groupe de ses disciples, à une élite. Ces paroles rudes
sont pour tous et toutes. Donc pour nous.
Et
si ces paroles sont pour tous, c’est qu’elles sont pleines de sagesse humaine,
indépendamment de tout aspect religieux ou chrétien : "Ce que vous voulez
que les autres fassent pour vous, faites-le aussi pour eux". C’est la Règle d’Or du comportement humain que
l’on retrouve formulée de toutes sortes de façons dans toutes les cultures,
religions et civilisations du monde . : "Ce que tu ne veux pas pour toi …
tu ne le feras pas aux autres! "Vous remarquerez que Luc formule cette consigne
au positif dans la bouche de Jésus : "Ce que vous voulez pour vous …
faites-le aussi aux autres ". Changement de perspective. On n'est plus
dans les dangers et risques à éviter, comme si toutes les relations humaines
consistaient à se protéger et à éviter les confrontations avec les autres. Avec
l’évangile, on est dans le positif, dans la relation fraternelle. Une
fraternité de base, initiale, à priori, pour laquelle l’autre n’est pas d’abord
l’ennemi dont il faut se protéger, mais un partenaire, un ami, quelqu’un avec
qui entrer en relation. Il s’agit de faire quelque chose pour autrui et non
d’éviter de faire.
Cependant,
avec la "Règle d’Or", on n'est pas encore au cœur de l’évangile. En
effet, il y a quelque chose qui pourrait pencher du côté de l’égoïsme dans ce
"Faites à autrui ce que vous voulez qu’on vous fasse". Comme si
j’avais intérêt à être bon et aimable avec les autres, pour qu’ils le soient à
leur tour à mon égard. Une sorte de donnant donnant. Quand je rends service aux
autres, c’est que ça me sert à moi aussi; j’y trouve mon compte. Ne serait-ce
qu’en me valorisant à mes propres yeux.
Mais
Jésus va plus loin que cela. Si loin qu’on a peine à l’entendre et à le suivre.
"Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux… Alors, vous
serez les fils du Dieu très haut". Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il
met la barre très haute ! Cela semble un idéal inaccessible : comment
pourrions-nous pardonner à la hauteur de Dieu, avoir le cœur bon et
miséricordieux comme lui ?
Et
pourtant, en même temps, nous sentons aussi en nous quelque chose d’infini,
quelque chose comme un appel à aller toujours plus loin, à nous dépasser, à
oser l’inhabituel, à aller à contre-courant, quelque chose comme un désir d’air
nouveau où passe déjà le Souffle de l’Esprit du Dieu miséricordieux. Alors,
tout à coup, l’appel de Jésus à être comme notre Père ne nous paraît pas
quelque chose d’insensé. C’est au contraire un chemin qui s’ouvre à nous et
s’offre à notre exploration, une invitation à suivre la trace de Dieu en nous
qui veut nous faire fonctionner à l‘énergie de son amour, étant donné que nous sommes
faits à son image. Cette parole de Jésus est une parole que nous jetons devant
nous pour qu’elle nous tire en avant et hors de nous.
C’est
dans cette lumière, donnée comme horizon à notre vie, que nous pouvons entendre
et peut-être accepter les rudes paroles de Jésus : "Aimez vos ennemis, souhaitez du bien à qui vous maudit, ne réclamez pas
à qui vous vole", etc. Et
d’abord, avons-nous des ennemis ? Des gens qui en veulent à nos vies, non sans
doute. Mais des gens qui nous ont fait du tort ou du mal, qui nous ont fait
pleurer, qui nous agacent, qui n’ont pas d’égards, qui parlent dans notre dos, qui
nous sont antipathiques, oui , bien sûr.
Et il faut bien l’avouer, parfois on a
envie de sauter à la gorge de ces gens, on a envie de les faire disparaître de
notre vie.
La première démarche à faire pour aller dans
le sens de l’évangile, c’est peut-être d’accepter d’être comme nous sommes,
d’accepter nos envies de vengeance et de violence pour régler leur compte à nos
ennemis. Pour l’instant. Ensuite pourra s’ouvrir un chemin qu’il faut bien
appeler chemin de conversion.
Aimer
notre ennemi, nous n’y réussirons sans doute jamais. Alors contentons-nous,
comme chrétiens, au moins de le respecter. Ce qui peut vouloir dire s’affronter
à lui, lui résister, ne pas se laisser faire. Mais aussi ne pas entrer dans le
cercle vicieux et sans fin de la violence, qu’elle soit physique ou orale. Vouloir
détruire et humilier l’ennemi n’est jamais la meilleure solution : car,
d’abord, cela nous rabaisse et nous avilit en tant que personne ; et ensuite cela ne fait qu’ enfermer notre ennemi dans sa
haine et sa violence, lesquelles ressurgiront un jour inévitablement contre
nous.
Aimer
son ennemi, c’est travailler à changer le regard qu’on porte sur lui. Ne pas
voir en lui qu’un ennemi à abattre. Il est, certes, menteur, voleur, violent et
bien d’autres choses encore. Mais il n’est pas que cela. C’est comme pour nous
: il n’est pas que méchanceté, il ne se confond pas avec le mal qu’il fait. Il
faut, envers et contre tout, maintenir en soi la conviction que cet ennemi peut
changer et évoluer vers le meilleur de lui-même. Évidemment, on est ici au-delà
du sentiment et de l’émotion. On est dans le monde de la raison qui décide et
de la conviction qui s’affirme contre vents et marées. On est proche de la foi
dans laquelle cette conviction prend racine.
Aimer
son ennemi, c’est le confier à Dieu. Prier pour lui, pour qu’il change et quitte
le monde de la haine. Ce passage de l’évangile de Luc ne nous donne pas de
consigne précise, il ne fournit aucune recette pour régler nos problèmes avec
nos ennemis, petits ou grands. Mais il montre une direction, il offre une
lumière dans la nuit de la violence et de la haine. Il cherche à nous faire comprendre
qu’échanger le mal par du mal n’est jamais payant pour personne et que le bon sens
et la sagesse qui nous viennent de la fréquentation chrétienne de l’évangile
devraient nous pousser à revoir et à modifier, peut-être, nos réactions
instinctives devant nos ennemis . C’est la grâce que je vous souhaite … que
nous nous souhaitons… dans cette
Eucharistie!
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