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mardi 24 décembre 2019

Noël au-delà de la religion

Essai d’interprétation non religieuse du conte de Noël

En Occident nous vivons dans une société où la religion et le Dieu qu’elle propose ont été pratiquement éliminés des préoccupations et de la vie des personnes. De sorte que l’on peut affirmer, sans exagération, que la majorité des occidentaux considèrent aujourd’hui la religion comme un phénomène du passé qui n’a plus de relevance dans le présent et vivent comme si Dieu avait définitivement disparu de l’horizon de leur existence.

Le monde occidental moderne, caractérisé par les libertés individuelles, le progrès technique, les sciences et les connaissances, en éliminant Dieu et les croyances religieuses de ses intérêts, n’a pas encore été capable de combler adéquatement le vide que cette perte a laissé dans la vie de beaucoup de personnes et qui se traduit par une insatisfaction existentielle, un déficit de sens et de « spiritualité ».

Privés des repères sécuritaires et stables fournis autrefois par l’Institution religieuse, les gens expérimentent aujourd’hui une forme, plus ou moins consciente, mais réelle, d’égarement psychologique, éthique et spirituel qui cherche à se guérir à travers le mirage d’un bonheur assuré par la surconsommation et l’accumulation de biens.

Les gens de la modernité, désormais dégoûtés de l’eau stagnante et polluée que la religion leur offrait, dans leur frustration, ayant définitivement renoncé à la quête d’une « autre source » capable d’étancher leur soif de sens et de bonheur, banalisent maintenant leur existence à la surface d’un quotidien insignifiant, sans grand souci de lui conférer profondeur et qualité.

Je pense donc que la grande tâche qui nous attend, nous, les humains qui vivons dans cette époque de mort de Dieu et de divorce de la religion, est celle de chercher et de découvrir ailleurs, en dehors de la religion, une nouvelle Source de sens capable de répondre aux exigences, souvent tourmentées, de notre cœur et de notre esprit.

 Car, si le Dieu mythique des religions ne réussit plus à nous satisfaire, nous continuons quand même à avoir besoin de faire naître en nous des rêves, des espoirs, des élans, des désirs, des visions, des sentiments qui nous soutiennent le long du voyage de notre vie. Nous avons besoin de nous convaincre que nous ne sommes pas seuls et perdus dans un Univers froid et vide de sens. Nous avons besoin de nous sentir partie d’un Tout qui nous porte, nous englobe et nous accompagne et dans l’amour duquel nous vivons et un jour nous mourrons.

Nous avons besoin de sentir naître en nous la certitude de la présence d’un Mystère qui, certes, nous dépasse, mais dans lequel nous nous trouvons et qui nous veut et nous aime malgré tout et malgré nous. Et si par chance ou par une sorte de miracle cette naissance arrive à se produire dans notre vie, alors, en ce moment, nous aurons découvert la « Source» et fait la rencontre de « notre » véritable Dieu.

Mais ce ne sera pas le Dieu des religions, mais, plus probablement, le Dieu de Jésus de Nazareth. À ce moment, la venue de Dieu deviendra un événement réel et bouleversant dans notre existence, ainsi qu’elle semble annoncée et illustrée poétiquement par le conte chrétien de Noël.

Si, au cours des siècles, la transmission de l’histoire de Noël a réussi à toucher l’imagination et les sentiments d’innombrables générations de croyants et à remplir leur cœur d’espoir, de joie et de paix, cela signifie qu’elle réussissait à leur communiquer quelque chose de très « bon » pour leur vie.

Or, la sensation de ce qui est « bon » n’est jamais une perception absolue et universelle, mais toujours une perception relative, qui peut varier considérablement d’une personne à une autre et aussi dépendamment des époques, des races, des cultures, des traditions et des lieux. Ainsi, ce qui était bon, apetissant, attirant, valable dans la cuisine ou dans la conduite des humains du néolithique ou du Moyen-âge, risque de ne pas l’être du tout dans la cuisine, dans les actions et les perceptions des gens de notre époque. Ce qui est « bon », normal et recevable pour les pygmées du Cameroun, ne l‘est probablement pas pour les habitants de la Norvège.

 De la même façon, ce qui, dans le conte de Noël, a été « bon » pour les chrétiens ingénus et ignorants d’autrefois, ne correspond sans doute plus à ce qui est « bon » pour moi maintenant, moi, un occidental moderne, façonné par l’époque des sciences et des connaissances et possédant donc une culture et une mentalité à nulle autre pareille dans le passé.

J’ai maintenant ma façon à moi d’aller chercher dans le mythe chrétien de la naissance de l’Enfant-Dieu dans notre monde, ce qui me touche, ce qui me convient, ce qui me parle, ce qui m’émerveille, ce qui me fait découvrir la « bonne » nouvelle cachée qu’il veut finalement annoncer aux humains et qui va m’aider à mieux situer la place du Mystère et l’action de son Amour dans ma vie.
Comme les anciens chrétiens ont interprété à leur manière le conte de Noël pour qu’il leur fasse du bien, moi aussi,  je peux et je veux aujourd’hui l’interpréter à ma guise, en me servant et en profitant de tous les acquis de ma culture, de ma mentalité, de mes sentiments, pour que ce conte soit « bon » et fasse du « bien » à moi aussi, chrétien du XXIe siècle.

Car, finalement, les mythes, les légendes, les contes anciens ont une valeur universelle et perpétuelle qui est souvent le produit de sensations-archétypales enfouies dans les cavernes de l’inconscient collectif de l’humanité et l’expression d’une sagesse et d’une spiritualité naturelles. De sorte que, du puits de leur sagesse et de leurs intuitions ancestrales, les hommes de chaque culture et de chaque époque peuvent puiser à la mesure de leur soif, de leurs besoins, de l’orientation de leurs intérêts et de leurs aspirations; à la mesure de la configuration de leur vision du monde, de leur culture et de leur sensibilité spirituelle.

C’est pour cette raison que, moi aussi, fils du troisième millénaire, j’aime interpréter à ma façon le récit chrétien de Noël, afin de pouvoir y extraire ce qui me paraît « bon » pour moi. J’aime donc le considérer comme une belle fable qui illustre, avec des images extrêmement tendres et poétiques, l’action de l’« Énergie Amoureuse de Fond » ou du « Mystère Ultime » (que les religions ont appelé « Dieu ») dans notre monde, présentée comme une « révélation» , une « matérialisation » et une « incarnation » de sa présence dans ce qui existe de plus grand et, en même temps, de plus petit, de plus fragile, de plus précieux et de plus beau dans la matière de notre monde.

J’aime donc interpréter le conte de Noël comme un récit poétique et symbolique de l’incarnation cosmique de la Force ou de l’Esprit de Dieu dans les profondeurs de cette matière capable de se transformer en manifestation de Dieu et en « enfant » de Dieu. Cette « incarnation » cosmique du Mystère Originel dans la « sainte matière », comme l’appelait Teilhard de Chardin, est pour moi un « miracle » beaucoup plus probable, plus acceptable et plus crédible que la littéralité naïve et absurde du récit évangélique de la Nativité.

Après tout, mon interprétation a pour elle le support de la physique quantique et est tout à fait en harmonie avec les suppositions, les intuitions et les conclusions plus récentes de l’astrophysique moderne, où des scientifiques de renom postulent très sérieusement la présence en ce Cosmos d’une « Inspiration » (et donc d'un « Esprit » et donc d’un « Compositeur » de génie) nécessaire pour expliquer la musique et les extraordinaires mélodies jouées par l’orchestre symphonique de l’Univers.
Alors, laissez-moi regarder à ma façon les personnages principaux de cette tendre histoire.

Voilà alors que dans le conte de Noël, la « Vierge » Marie, la Mère-Miracle, fécondée par l’Esprit de Dieu et qui donne naissance à la manifestation matérielle, corporelle et surtout humaine de Celui-ci, se transforme pour moi en un magnifique symbole de ce Cosmos intact, de cet Utérus Originaire, de cette Terre-Mère, de cette Nature placenta et berceau de tout être et de toute vie, belle comme une épouse parée pour son époux; de cette « Sainte Matière » animée et remuée dans ses profondeurs par les vibrations d’un Mystère d’attraction et de fusion qui me dépasse.

Marie devient ainsi pour moi la figure la plus emblématique de cette fécondation cosmique par laquelle le Mystère Ultime se « matérialise », « s’incarne » et agit dans notre Monde et, par-là, il se révèle aux yeux fascinés de notre sensibilité spirituelle et il s’offre à notre émerveillement, à notre attention et aux élans de notre amour.

Joseph, l’homme juste du conte de Noël, qui assiste surpris, incrédule, affolé et préoccupé au miracle de cette prodigieuse fécondation, et à l’attention tendre et amoureuse duquel sont confiés la garde, le soin, le respect, la vénération d’une telle Mère, est également pour moi un frappante image de chaque humain sur terre et de l’attitude que chacun de nous devrait adopter face à ce Monde, à cette Planète, à cette Nature, devenus les lieux non seulement de l’action, de la manifestation et de l’incarnation du Mystère Ultime, mais aussi le berceau dans lequel tout enfant de la Terre est placé afin qu’il développe toutes les facettes de son amour et toute la profondeur de son humanité.

Jésus, l’enfant sorti du sein de Marie et confié, avec sa fragilité et son immense valeur, à la pauvreté d’une crèche, est pour moi l’icône la plus expressive de ce que chacun de nous est, ou peut devenir, en ce monde, s’il est capable de prendre conscience et d’interagir avec les Forces amoureuses qui l’habitent. Ce sont, en effet, les mêmes Forces par lesquelles le Mystère Ultime a fécondé l’Univers et qui se sont déversées et « incarnées » d’une façon spécialement intense dans le cœur de l’homme, en faisant de lui le réceptacle et le relai de la forme « divine » de l’amour dans notre monde.

Finalement, le conte du Noël chrétien se transforme dans une mise en scène géniale, touchante, pleine d’intuitions surprenantes et incroyablement modernes. C’est une fable exquise qui illustre l’action puissante des Mystérieuses Énergies qui gisent au cœur de la Réalité et qui semblent se manifester comme un projet génial ou « divin » d’unité, de relations, d’interactions, de communion et d’amour que nous, les humains, devons mettre continuellement en œuvre pour que l’Univers puisse accomplir et compléter plus aisément la marche évolutive vers sa fusion (amoureuse) avec le Tout.

Je crois que mon Noël, s’il n’est plus très religieux (dans le sens traditionnel du terme), est cependant très chrétien. Mais, non plus chrétien à la façon de l’Église, mais à la façon du Jésus des évangiles.

Au cours de sa vie publique, Jésus de Nazareth, a réussi à accomplir deux exploits remarquables: d’un côté, il a été capable de se présenter au monde comme l’homme exclusivement conduit et animé par l’esprit et les forces de l’amour qu’il disait trouver en Dieu; et, de l’autre, à présenter « son » Dieu comme la présence d’une Énergie amoureuse d’une qualité unique au cœur de chaque humain.

N’est-ce pas tout cela la naissance d’une nouvelle manière de concevoir la présence et l’incarnation de Dieu dans notre monde?

Pourquoi alors la découverte des Énergies mystérieuses porteuses d’un Esprit qui naît au cœur de la matière, en la rendant « sainte », ne serait-elle pas célébrée universellement par une grande fête remplie de lumières, d’allégresse et de chants de joie, comme la célébration moderne d’un nouveau Noël?
Pourquoi cette naissance, ne constituerait-elle pas, pour nous les modernes, une façon de donner un nouveau sens à Noël, ainsi que des raisons plus vraies et plus stimulantes de le fêter et qui suscitent d’authentiques sentiments d’émerveillement, d’exaltation et de joie?

 Bruno Mori

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