Quelques réflexions occasionnées par la lecture de l’évangile du 2e
dimanche de Pâques
(Jn. 20,19-31 – 2019)
Depuis
des temps immémoriaux ou, tout au moins, depuis le néolithique jusqu’au Moyen-âge,
les religions ont été les seules « fabriques » de culture, de science et de
connaissances. Elles se présentaient comme les seules institutions ou les
seules instances « académiques » capables de fournir des explications
et des réponses aux grandes questions que les humains se posaient sur leur origine,
sur celle de l’Univers, sur la nature des phénomènes naturels qu’ils
observaient, sur le pourquoi de la présence de la souffrance et du mal, sur le
sens de la vie, de la mort et de la vie après la mort, etc.
Pour
répondre à ces questions, les religions, qui n’avaient pas plus de connaissances
que les autres humains, ont eu recours à la fiction en élaborant des récits et
des histoires qui frappaient l’imagination et qui fournissaient des scénarios
dans lesquels les gens simples et ignorants de ces époques archaïques trouvaient
les réponses qu’ils cherchaient, qui les tranquillisaient et qui leur
permettaient de passer à travers les vicissitudes de leur existence sans être
trop angoissés.
Avec
les temps, les religions pour affermir et assurer leur pouvoir et leur autorité,
ont exigé de leurs fidèles qu’ils considèrent ces contes et ces récits non pas
comme des histoires inventées, mais comme des histoires vraies, comme des faits
réels, qui s’étaient vraiment produits à un moment donné de l’histoire du
monde.
Il existe autant
de récits et des ces contes (appelés aussi «mythes») qu’il y a de religions et
de sectes répandues sur les cinq continent de la Planète. Chacune
d’elle a inventé les siens et chacune d’elle ne jure que sur la vérité des
histoires qu’elle raconte
La religion judéo-chrétienne
a produit elle aussi son lot de récits et d’histoires que l’on retrouve
parsemées un peu partout autant dans la Bible que dans les doctrines et les dogmes de la
religion chrétienne.
La
religion demande donc à ses adeptes de croire
à la vérité factuelle de ces
récits. La foi des fidèles consiste alors
dans l’adhésion de leur l’intelligence à ces contes. Cette foi est devenue la
condition de base de leur appartenance à la religion, de leur orthodoxie et de leur
salut éternel. Pour l’Église, c’est essentiellement cette attitude cérébrale et
intellectuelle qui compte, qui est importante et qui sauve, plus que la
conduite honnête, vertueuse, inspirée par la bonté, la compassion et l’amour.
Giordano Bruno et Girolamo Savonarole ont été brûlés comme hérétiques par
l’Inquisition romaine non pas parce qu’ils avaient eu une mauvaise conduite,
mais parce qu’ils avaient osé contester certains points de la doctrine et de la
foi catholique.
Mais
il y a plus : pour la religion, cet assentiment de l’intelligence aux récits
qu’elle a inventé et qu’elle propose, n’est une « foi » authentique que si l’adhésion
se fait « aveuglement » et « bêtement », c'est-à-dire, que si elle s’accomplit sans
douter, sans discuter, sans se poser de questions, sans réfléchir et, mieux
encore, sans comprendre. C’est une foi qui s’adresse à l’intelligence de la
personne, mais qui, finalement, n’a pas besoin de l’approbation de l’intelligence,
mais seulement de celle de la volonté de l’individu: je veux croire, j’accepte
de croire, même si je ne comprends pas ; même si cela me semble
invraisemblable, inconcevable et absurde.
Au point que certains théologiens
de l’Église sont arrivés à affirmer que plus la foi est une entreprise
difficile, plus elle est « méritoire » aux yeux de Dieu. Ce qui veut dire que
croire à des absurdités, pourvu qu’elles soient proposées par la religion,
constitue le summum de la vertu et de la sainteté chrétienne.
C’est
ce genre de foi que l’Église demande aujourd’hui encore à ses fidèles. Tu n’es
catholique, tu n’es dans la saine orthodoxie et donc tu n’es en état de grâce
et de salut, que si tu as et que si tu partages entièrement et totalement la
foi de l’Église : c'est-à-dire, si tu considères comme authentique,
historique, comme vrai tout ce que l’Église te propose à croire.
Or
cette foi cérébrale exigée par la religion, est une attitude intérieure
fondamentalement stérile, parce qu’elle ne réussit presque jamais à apporter
une contribution positive à la qualité de vie du « croyant» et à changer en
mieux sa personne.
En
effet, la vie concrète et réelle d’une personne n’est pas affectée et changée,
lorsqu’on propose à son intelligence des vérités abstraites auxquelles elle
doit croire, mais plutôt lorsqu’elle est confrontée à une relation affective ou
à un sentiment qui viennent toucher et faire vibrer les cordes les plus
sensibles de son cœur. Pour dire cela autrement : le comportement et la
vie d’une personne sont davantage touchés et transformés par les gestes et les
paroles qui s’adressent à sa sensibilité et à son cœur, que par les données et
les informations abstraites d’une religion ou autre organisation qu’elle
accumule dans son cerveau.
C’est
pour cela que dans les évangiles, Jésus, qui n’aimait pas trop la religion et
qui aimait encore moins les méthodes utilisées par elle, ne s’adresse jamais à
l’intelligence, mais toujours aux sentiments des personnes ; jamais au cerveau,
mais toujours au cœur. Il ne propose jamais des vérités à croire, mais
uniquement des attitudes à avoir. Il n’est nullement obsédé, comme la religion,
par la vérité, mais uniquement par la charité. Il s’en fiche de savoir si les gens
autour de lui croient ou non à la vérité de ce qui est écrit dans la Torah ou à ce que prêchent
les rabbins. Tout ce qui l’intéresse c’est de savoir si les gens auxquels il
s’adresse sont disposés à changer de vie, à devenir de meilleures personnes, à
se laisser conduire par les forces du service, des la compassion, de la
fraternité et de l’amour, à la place de celles de l’égoïsme, du pouvoir et de
la rivalité.
Jésus
ne demande jamais à ceux qu’il rencontre de croire dans la vérité des récits
bibliques ou dans les contenus des doctrines enseignées par la religion de son
temps, mais il demande toujours de croire en lui, d’avoir confiance en lui, de
croire et de faire confiance à sa parole, à son enseignement, à ses intuitions,
à ses projets, à sa façon de concevoir Dieu. Jésus ne demande jamais la foi
abstraite, intellectuelle, stérile et froide de la religion, mais toujours
et uniquement la confiance. Une confiance qui surgit de la qualité chaleureuse
et amoureuse de la rencontre entre le disciple et son Maître. Rencontre capable
d’allumer dans le disciple le désir de s’abandonner entre les mains de son Maître et de lui
confier le sort et l’orientation définitive de son existence.
Jésus
demande de lui faire confiance quand il annonce que seulement l’amour est la
force capable de transformer le monde, de transformer nos relations et de
transformer nos vies. Il demande de lui faire confiance lorsqu’il dit que
l’Amour est le Mystère ultime et l’Énergie de fond qui soutien et pénètre toute
la réalité, et que c’est dans cet Amour et dans cette Énergie amoureuse que
nous nageons et nous vivons ; et que c’est l’amour qui désormais doit diriger,
orienter et colorer toutes nos actions et toutes les formes de relations que
nous entretenons avec les créatures qui nous entourent.
De
fait, notre condition chrétienne et notre état de disciples de Jésus de
Nazareth ne nous demandent aucune foi « religieuse », mais seulement une attitude
de confiance en celui qui est désormais notre Maître et notre Seigneur. Et cela
parce que, dans la confiance que nous avons placée en lui, nous avons ressenti
qu’il est aussi notre chemin le plus fiable et le plus assuré pour arriver à une
belle réalisation de notre humanité et à la rencontre amoureuse avec le Mystère
du Dieu.
La
vie chrétienne, ou plutôt la vie d’un chrétien, n’est donc pas basée sur la foi-croyance,
mais sur la foi-confiance. Le chrétien ne vit pas de foi, mais de confiance. C’est
la confiance qu’il a mise en Jésus qui a fait de lui un disciple. C’est à cause
de la relation de confiance et d’amour que le disciple (le chrétien) a établi avec
son Maître, que ce dernier vit désormais dans le disciple et que le disciple
vit de l’esprit et des valeurs de son Maître.
La
confiance fait en sorte que le cœur du disciple se sente complètement rassuré,
pacifié et à l’aise proche du cœur de son Maître. Dans la confiance, le
disciple sait et sent qu’il lui est permis de poser sa tête sur le cœur de son
Maître et, comme le disciples que Jésus aimait à la dernière cène, il sait et
il sent qu’il peut, lui-aussi, oser l’audace de lui promettre que jamais il ne le
trahira, que toujours il se nourrira du pain de sa parole et qu’il s’abreuvera
à la coupe de son esprit; que jamais il ne s’éloignera de lui et que, quoi
qu’il arrive, lui, le Maître, sera toujours présent et vivant dans son âme et
dans son cœur afin qu’il dirige et accomplisse son existence.
Dans
l’épisode de Thomas, les apôtres, qui représentent ici la religion
institutionnelle, s’adressent à la raison de Thomas et ils lui demandent de
s’unir à eux pour admettre la réalité physique de la résurrection de Jésus.
Thomas cependant, se fiant à sa seule intelligence, ne réussit pas à accepter
la vérité de ce fait. Sa raison lui défend d’admettre la possibilité qu’une
personne exécutée sur une croix et ensevelie depuis trois jours, puisse sortir
à nouveau vivante de son tombeau avec un corps bien en forme et en pleine
santé. Thomas ne se gêne pas d’avouer à ses compagnons crédules que, lui, n’est
pas capable d’avoir leur genre de foi. Pour croire comme eux, il faudrait qu’il
puisse mettre sa main dans les blessures ouvertes dans la chair du crucifié
retourné à la vie. Chose évidemment impensable.
Ce
ne fut donc pas ce genre de foi religieuse (ou ecclésiastique) qui demande de
croire à l’incroyable et à l’absurde, qui vint au secours de Thomas et qui le
conduisit à se convaincre que son Seigneur et son Maître adoré était toujours
vivant. Ce ne fut pas la foi, mais la confiance qui permis à Thomas de «voir» le Seigneur, de
comprendre et de se convaincre qu’il était vraiment et toujours vivant.
Thomas
avait depuis longtemps confié, ou plutôt, abandonné sa vie entre les mains de
Jésus de Nazareth, un peu comme celui-ci, avant de mourir, avait abandonné la
sienne entre les mains de Dieu, son père. La vie de Thomas, Jésus l’avait
remplie de lui et l’avait complètement transformée. De sorte que Thomas, au
contact de Jésus, était devenu une autre personne. Parfois Thomas avait
l’impression d’être devenu le portait, le reflet, le miroir, la copie, le
double, le jumeau de son Maître. Il lui arrivait même de penser que le surnom
de «didyme» qu’on lui avait collé
depuis son enfance, lui convenait maintenant parfaitement et que c’était
peut-être une sorte de présage ou de prophétie de son futur destin.
Thomas
avait la sensation que Jésus faisait partie de lui; que Jésus vivait en lui et
que lui vivait de Jésus, ainsi que de toutes les valeurs et les richesses de
sagesse, de spiritualité et d’humanité que le Maître lui avait transmises.
Des
événements tragiques avaient mis un terme à la présence physique et corporelle
de Jésus en ce monde, mais ce n’était pas principalement à cette forme de
présence que Thomas était attaché. Thomas savait et sentait qu’il possédait la
partie la meilleure de Jésus, cette partie qu’aucun drame, qu’aucune
catastrophe, qu’aucune mort n’auraient jamais pu lui enlever : il possédait
l’esprit, le cœur, les valeurs de Jésus.
C’est
à la prise de conscience de tout cela que Thomas a subitement compris qu’il
n’avait plus besoin de mettre ses doigts dans les plaies ouvertes du Crucifié
pour croire. Thomas a eu l’inébranlable certitude que son Maître était toujours
avec lui et qu’il vivait en lui et qu’aussi longtemps que lui, Thomas, serait
vivant, son Seigneur et son Maître adoré aussi serait vivant et opérant dans sa
vie, dans le monde et dans la communauté de ses frères
C’est
donc en s’immergeant dans la profondeur, l’intensité et l’authenticité de cette
expérience intérieure d’unité, de communion et de symbiose avec Jésus, rendue
possible par la relation de confiance et l’amour qui existait entre lui et son
Maître adoré, que Thomas a fini par toucher de ses mains, par voir
avec les yeux de son cœur, et par capter avec les antennes de son esprit, la
réalité et la vérité de la présence du Crucifié mort, mais toujours vivant.
Finalement,
ce récit sur l’incrédulité apparente de Thomas, a été écrit pour que les
chrétiens de tous les temps réalisent que le Seigneur Jésus est réellement vivant
et ressuscité, mais uniquement pour ceux et celles qui lui ont fait assez
confiance pour l’aimer, le suivre et pour abandonner entre ses mains le sort de
leur existence.
Bruno Mori
(Montréal 24
avril 2019)
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