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mercredi 1 mai 2019

THOMAS, LE DISCIPLE QUI A FAIT CONFIANCE


Quelques réflexions occasionnées par la lecture de l’évangile du 2e dimanche de Pâques
(Jn. 20,19-31 – 2019)


            Depuis des temps immémoriaux ou, tout au moins, depuis le néolithique jusqu’au Moyen-âge, les religions ont été les seules « fabriques » de culture, de science et de connaissances. Elles se présentaient comme les seules institutions ou les seules instances « académiques » capables de fournir des explications et des réponses aux grandes questions que les humains se posaient sur leur origine, sur celle de l’Univers, sur la nature des phénomènes naturels qu’ils observaient, sur le pourquoi de la présence de la souffrance et du mal, sur le sens de la vie, de la mort et de la vie après la mort, etc.

            Pour répondre à ces questions, les religions, qui n’avaient pas plus de connaissances que les autres humains, ont eu recours à la fiction en élaborant des récits et des histoires qui frappaient l’imagination et qui fournissaient des scénarios dans lesquels les gens simples et ignorants de ces époques archaïques trouvaient les réponses qu’ils cherchaient, qui les tranquillisaient et qui leur permettaient de passer à travers les vicissitudes de leur existence sans être trop angoissés.

            Avec les temps, les religions pour affermir et assurer leur pouvoir et leur autorité, ont exigé de leurs fidèles qu’ils considèrent ces contes et ces récits non pas comme des histoires inventées, mais comme des histoires vraies, comme des faits réels, qui s’étaient vraiment produits à un moment donné de l’histoire du monde.

Il existe autant de récits et des ces contes (appelés aussi «mythes») qu’il y a de religions et de sectes répandues sur les cinq continent de la Planète. Chacune d’elle a inventé les siens et chacune d’elle ne jure que sur la vérité des histoires qu’elle raconte

La religion judéo-chrétienne a produit elle aussi son lot de récits et d’histoires que l’on retrouve parsemées un peu partout autant dans la Bible que dans les doctrines et les dogmes de la religion chrétienne.

            La religion demande donc à ses adeptes de croire à la vérité factuelle de ces récits. La foi des fidèles consiste alors dans l’adhésion de leur l’intelligence à ces contes. Cette foi est devenue la condition de base de leur appartenance à la religion, de leur orthodoxie et de leur salut éternel. Pour l’Église, c’est essentiellement cette attitude cérébrale et intellectuelle qui compte, qui est importante et qui sauve, plus que la conduite honnête, vertueuse, inspirée par la bonté, la compassion et l’amour. Giordano Bruno et Girolamo Savonarole ont été brûlés comme hérétiques par l’Inquisition romaine non pas parce qu’ils avaient eu une mauvaise conduite, mais parce qu’ils avaient osé contester certains points de la doctrine et de la foi catholique.

            Mais il y a plus : pour la religion, cet assentiment de l’intelligence aux récits qu’elle a inventé et qu’elle propose, n’est une « foi » authentique que si l’adhésion se fait « aveuglement » et « bêtement », c'est-à-dire, que si elle s’accomplit sans douter, sans discuter, sans se poser de questions, sans réfléchir et, mieux encore, sans comprendre. C’est une foi qui s’adresse à l’intelligence de la personne, mais qui, finalement, n’a pas besoin de l’approbation de l’intelligence, mais seulement de celle de la volonté de l’individu: je veux croire, j’accepte de croire, même si je ne comprends pas ; même si cela me semble invraisemblable, inconcevable et absurde.
Au point que certains théologiens de l’Église sont arrivés à affirmer que plus la foi est une entreprise difficile, plus elle est « méritoire » aux yeux de Dieu. Ce qui veut dire que croire à des absurdités, pourvu qu’elles soient proposées par la religion, constitue le summum de la vertu et de la sainteté chrétienne.

            C’est ce genre de foi que l’Église demande aujourd’hui encore à ses fidèles. Tu n’es catholique, tu n’es dans la saine orthodoxie et donc tu n’es en état de grâce et de salut, que si tu as et que si tu partages entièrement et totalement la foi de l’Église : c'est-à-dire, si tu considères comme authentique, historique, comme vrai tout ce que l’Église te propose à croire.

            Or cette foi cérébrale exigée par la religion, est une attitude intérieure fondamentalement stérile, parce qu’elle ne réussit presque jamais à apporter une contribution positive à la qualité de vie du « croyant» et à changer en mieux sa personne.

            En effet, la vie concrète et réelle d’une personne n’est pas affectée et changée, lorsqu’on propose à son intelligence des vérités abstraites auxquelles elle doit croire, mais plutôt lorsqu’elle est confrontée à une relation affective ou à un sentiment qui viennent toucher et faire vibrer les cordes les plus sensibles de son cœur. Pour dire cela autrement : le comportement et la vie d’une personne sont davantage touchés et transformés par les gestes et les paroles qui s’adressent à sa sensibilité et à son cœur, que par les données et les informations abstraites d’une religion ou autre organisation qu’elle accumule dans son cerveau.

            C’est pour cela que dans les évangiles, Jésus, qui n’aimait pas trop la religion et qui aimait encore moins les méthodes utilisées par elle, ne s’adresse jamais à l’intelligence, mais toujours aux sentiments des personnes ; jamais au cerveau, mais toujours au cœur. Il ne propose jamais des vérités à croire, mais uniquement des attitudes à avoir. Il n’est nullement obsédé, comme la religion, par la vérité, mais uniquement par la charité. Il s’en fiche de savoir si les gens autour de lui croient ou non à la vérité de ce qui est écrit dans la Torah ou à ce que prêchent les rabbins. Tout ce qui l’intéresse c’est de savoir si les gens auxquels il s’adresse sont disposés à changer de vie, à devenir de meilleures personnes, à se laisser conduire par les forces du service, des la compassion, de la fraternité et de l’amour, à la place de celles de l’égoïsme, du pouvoir et de la rivalité.
           
            Jésus ne demande jamais à ceux qu’il rencontre de croire dans la vérité des récits bibliques ou dans les contenus des doctrines enseignées par la religion de son temps, mais il demande toujours de croire en lui, d’avoir confiance en lui, de croire et de faire confiance à sa parole, à son enseignement, à ses intuitions, à ses projets, à sa façon de concevoir Dieu. Jésus ne demande jamais la foi abstraite, intellectuelle, stérile et froide de la religion, mais toujours et uniquement la confiance. Une confiance qui surgit de la qualité chaleureuse et amoureuse de la rencontre entre le disciple et son Maître. Rencontre capable d’allumer dans le disciple le désir de s’abandonner  entre les mains de son Maître et de lui confier le sort et l’orientation définitive de son existence.

            Jésus demande de lui faire confiance quand il annonce que seulement l’amour est la force capable de transformer le monde, de transformer nos relations et de transformer nos vies. Il demande de lui faire confiance lorsqu’il dit que l’Amour est le Mystère ultime et l’Énergie de fond qui soutien et pénètre toute la réalité, et que c’est dans cet Amour et dans cette Énergie amoureuse que nous nageons et nous vivons ; et que c’est l’amour qui désormais doit diriger, orienter et colorer toutes nos actions et toutes les formes de relations que nous entretenons avec les créatures qui nous entourent.

            De fait, notre condition chrétienne et notre état de disciples de Jésus de Nazareth ne nous demandent aucune foi « religieuse », mais seulement une attitude de confiance en celui qui est désormais notre Maître et notre Seigneur. Et cela parce que, dans la confiance que nous avons placée en lui, nous avons ressenti qu’il est aussi notre chemin le plus fiable et le plus assuré pour arriver à une belle réalisation de notre humanité et à la rencontre amoureuse avec le Mystère du Dieu.

            La vie chrétienne, ou plutôt la vie d’un chrétien, n’est donc pas basée sur la foi-croyance, mais sur la foi-confiance. Le chrétien ne vit pas de foi, mais de confiance. C’est la confiance qu’il a mise en Jésus qui a fait de lui un disciple. C’est à cause de la relation de confiance et d’amour que le disciple (le chrétien) a établi avec son Maître, que ce dernier vit désormais dans le disciple et que le disciple vit de l’esprit et des valeurs de son Maître.

            La confiance fait en sorte que le cœur du disciple se sente complètement rassuré, pacifié et à l’aise proche du cœur de son Maître. Dans la confiance, le disciple sait et sent qu’il lui est permis de poser sa tête sur le cœur de son Maître et, comme le disciples que Jésus aimait à la dernière cène, il sait et il sent qu’il peut, lui-aussi, oser l’audace de lui promettre que jamais il ne le trahira, que toujours il se nourrira du pain de sa parole et qu’il s’abreuvera à la coupe de son esprit; que jamais il ne s’éloignera de lui et que, quoi qu’il arrive, lui, le Maître, sera toujours présent et vivant dans son âme et dans son cœur afin qu’il dirige et accomplisse son existence.

            Dans l’épisode de Thomas, les apôtres, qui représentent ici la religion institutionnelle, s’adressent à la raison de Thomas et ils lui demandent de s’unir à eux pour admettre la réalité physique de la résurrection de Jésus. Thomas cependant, se fiant à sa seule intelligence, ne réussit pas à accepter la vérité de ce fait. Sa raison lui défend d’admettre la possibilité qu’une personne exécutée sur une croix et ensevelie depuis trois jours, puisse sortir à nouveau vivante de son tombeau avec un corps bien en forme et en pleine santé. Thomas ne se gêne pas d’avouer à ses compagnons crédules que, lui, n’est pas capable d’avoir leur genre de foi. Pour croire comme eux, il faudrait qu’il puisse mettre sa main dans les blessures ouvertes dans la chair du crucifié retourné à la vie. Chose évidemment impensable.

            Ce ne fut donc pas ce genre de foi religieuse (ou ecclésiastique) qui demande de croire à l’incroyable et à l’absurde, qui vint au secours de Thomas et qui le conduisit à se convaincre que son Seigneur et son Maître adoré était toujours vivant. Ce ne fut pas la foi, mais la confiance qui permis à Thomas de «voir» le Seigneur, de comprendre et de se convaincre qu’il était vraiment et toujours vivant.

            Thomas avait depuis longtemps confié, ou plutôt, abandonné sa vie entre les mains de Jésus de Nazareth, un peu comme celui-ci, avant de mourir, avait abandonné la sienne entre les mains de Dieu, son père. La vie de Thomas, Jésus l’avait remplie de lui et l’avait complètement transformée. De sorte que Thomas, au contact de Jésus, était devenu une autre personne. Parfois Thomas avait l’impression d’être devenu le portait, le reflet, le miroir, la copie, le double, le jumeau de son Maître. Il lui arrivait même de penser que le surnom de «didyme» qu’on lui avait collé depuis son enfance, lui convenait maintenant parfaitement et que c’était peut-être une sorte de présage ou de prophétie de son futur destin.

            Thomas avait la sensation que Jésus faisait partie de lui; que Jésus vivait en lui et que lui vivait de Jésus, ainsi que de toutes les valeurs et les richesses de sagesse, de spiritualité et d’humanité que le Maître lui avait transmises.

            Des événements tragiques avaient mis un terme à la présence physique et corporelle de Jésus en ce monde, mais ce n’était pas principalement à cette forme de présence que Thomas était attaché. Thomas savait et sentait qu’il possédait la partie la meilleure de Jésus, cette partie qu’aucun drame, qu’aucune catastrophe, qu’aucune mort n’auraient jamais pu lui enlever : il possédait l’esprit, le cœur, les valeurs de Jésus.

            C’est à la prise de conscience de tout cela que Thomas a subitement compris qu’il n’avait plus besoin de mettre ses doigts dans les plaies ouvertes du Crucifié pour croire. Thomas a eu l’inébranlable certitude que son Maître était toujours avec lui et qu’il vivait en lui et qu’aussi longtemps que lui, Thomas, serait vivant, son Seigneur et son Maître adoré aussi serait vivant et opérant dans sa vie, dans le monde et dans la communauté de ses frères

                        C’est donc en s’immergeant dans la profondeur, l’intensité et l’authenticité de cette expérience intérieure d’unité, de communion et de symbiose avec Jésus, rendue possible par la relation de confiance et l’amour qui existait entre lui et son Maître adoré, que Thomas a fini par toucher de ses mains, par voir avec les yeux de son cœur, et par capter avec les antennes de son esprit, la réalité et la vérité de la présence du Crucifié mort, mais toujours vivant.

            Finalement, ce récit sur l’incrédulité apparente de Thomas, a été écrit pour que les chrétiens de tous les temps réalisent que le Seigneur Jésus est réellement vivant et ressuscité, mais uniquement pour ceux et celles qui lui ont fait assez confiance pour l’aimer, le suivre et pour abandonner entre ses mains le sort de leur existence.

Bruno Mori
(Montréal 24 avril 2019)  

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