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lundi 21 mars 2022

 

THÉISME OU POST-THÉISME ?  DANS QUEL « UNIVERS » SE SITUER ?

 

La critique fondamentale que la majorité des croyants traditionnels (théistes) adressent au post-théisme moderne s’enracine fondamentalement dans le fait que ce courant de pensée religieuse refuse l’idée d’un Dieu (« Theos ») conçu comme une Entité anthropomorphique, surnaturelle, personnelle et toute-puissante qui existerait dans son identité singulière en dehors de la réalité naturelle et physique de notre monde.

Les post- théistes considèrent une telle conception de Dieu comme un mythe et donc comme un produit de l’imagination humaine qui n’a aucune correspondance dans la Réalité. Ils reprochent donc aux croyants traditionnels théistes de ne pas se rendre compter que pour rendre « Dieu » acceptable et aimable à leurs yeux et à leur cœur, ils le transforment en une Entité conçue à leur « image et ressemblance », et donc en un produit de leur désir et en une fiction de leur esprit. 

Les théistes se comportent ainsi exactement comme l’avait prévu ce philosophe ancien (je ne sais plus si c’était Parménide ou Épicure ou, plus proche de nous, Spinoza) qui, traitant de la façon humaine de concevoir Dieu, affirmait que celle-ci n’est pas différente de celle que les vers de terre auraient s’ils étaient des créatures intelligentes, conscientes et religieuses comme nous. Ces lombrics ne seraient certainement pas portés à concevoir leur dieu comme un beau gros merle dans le ciel, mais plutôt comme un super beau, gros, reluisant vers de terre qui leur donne le goût et l’envie de s’y frotter et de l’enlacer.

De sorte que les croyants traditionnels, en voulant à tout prix faire de Dieu le partenaire d’une relation personnelle aimante et gratifiante, ainsi que le garant et le tuteur de leur bien-être et de leur bonheur, fournissent eux-mêmes au post-théisme les arguments pour critiquer et refuser leur forme de foi.

Les post théistes ont aussi pour leur dire que les croyants traditionnels théistes n’ont la moindre idée du Mystère abyssal qui se cache sous le nom de « Dieu ». Pour les adhérents du post-théisme qui, sur ce sujet, ont adopté le point de vue de la majorité des grands penseurs et des représentants des sciences et de l’astrophysique modernes, le mot « Dieu » n’est qu’un nom, qu’un son et qu’un symbole qui, comme disait déjà si bien Einstein, ne sert aux humains qu’à exprimer leur ignorance et à nommer le vide total de connaissances à propos du Mystère de Dieu. Toutefois, pour ne pas trop dénigrer les capacités intellectuelles des humains, Einstein ajoutait, en  guise de consolation,  qu’ «en tant qu’êtres humains, nous avons cependant été dotés de ce qu’il faut d’intelligence pour nous rendre compte à quel point celle-ci est inappropriée à percer le Mystère (Ultime)  de l’existence[i]».

Pour ma part, lorsque je regarde le nombre de religions et de croyants pour lesquels « Dieu » est le nom qu’ils donnent à leur prétention (qui n’admet aucun doute) de tout  savoir sur son compte, je pense que l’optimisme de Einstein sur la dose suffisante d’intelligence que tous les humains  possèdent pour saisir au moins les limites de  leurs  possibilités, est loin d’ être vraie.

De fait, pour la religion chrétienne, Dieu n’est plus un Mystère. Le dogme catholique est sûr et se vante de connaître presque tout, ou presque, sur Dieu : sa nature profonde, son fonctionnement interne et même l’intimité de ses relations personnelles. De sorte que, dans le monde croyant catholique, le mot « Dieu » qui aurait dû servir comme nom ou symbole pour indiquer le Mystère Ultime et l‘impossibilité humaine de le déchiffrer, a été converti en une figure totémique imaginaire à l’apparence humaine et désormais sans plus aucun mystère. 

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 Il faut toutefois admettre que les dynamiques qui dans l’imaginaire collectif sont à la base de ce processus de création du mythe d’un « Theos là-haut », sont finalement assez naturelles et compréhensibles, lorsque on considère les conditions de vie des hommes du néolithique qui l’ont créé.

Les humains de ces temps reculés devaient en effet résoudre non seulement les problèmes matériels concernant leur survie quotidienne, mais ils étaient surtout confrontés à la question psychologique et « métaphysique » de savoir comment vivre sans trop d’angoisse, de peur, de souffrances dans un monde dangereux et au sein d’une société en formation oppressive et violente. C’est grâce à la puissance de leur imagination qu’ils ont été capables de se donner les visions et les croyances dans lesquelles ils ont trouvé leur confort et leur salut.

Les post-théisme pense  que la croyance en un Dieu personnel et providence là-haut, n’est que l’aboutissement d’un long processus d’élaboration et de décantation d’archétypes archaïques aussi bien de fascination et d’émerveillement devant le caractère  mystérieux et sacré des phénomènes  naturels, que  d’angoisses, de peurs,  de  luttes pour la vie, d’espoirs de divinités propices et d’Éden promis, de rêves d’éternité, de bonheurs possibles, de saluts espérés, etc., encodés depuis la nuit des temps dans l’inconscient  ou l’imaginaire collectif et qui, à un certain stade de  évolution  humaine ont trouvé leur meilleure manifestation dans les croyances religieuses de l’humanité .

            Pour le post-théisme, cependant, le fait d’affirmer l’impossibilité humaine de pénétrer le Mystère de Dieu, ne signifie pas nier la possibilité ou la réalité de son existence.  De fait, pour les post-théistes, les raisons qui induisent à admettre la Présence d’un Mystère Ultime à l’œuvre dans l’Univers sont réelles et incontestables ; et si ceux-ci sont convaincus que la nature de cette Présence est et restera toujours inaccessible à l’intelligence humaine, ils admettent volontiers que son caractère fascinant et merveilleux peut être facilement capté par la sensibilité de notre cœur et de notre esprit

D'ailleurs ,  déjà en son temps Einstein écrivait  : « Il me semble que l’idée d’un Dieu à forme humaine est un concept que je ne peux pas prendre au sérieux…Mes vues sont proches de Spinoza [ii]: admiration de la beauté (de la Nature et de l’univers) et croyance en la simplicité logique  de l’ordre et de l’harmonie  que nous ne pouvons saisir qu’humblement et imparfaitement ». [iii]  Et ailleurs  Einstein disait aussi  « Ma religion consiste en une humble admiration de l’esprit infiniment supérieur qui se révèle dans le peu que nous pouvons comprendre du monde connaissable ». [iv] Et encore : « Je ne crois pas en un Dieu personnel…S’il y a quelque chose en moi que l’on puisse appeler « religieux », ce serait alors mon admiration sans bornes pour les structures de l’univers pour autant que notre science puisse le révéler. » 

Il est normal que la position post-théiste ne plaise pas aux croyants traditionnels, étant donné qu’elle les prive des repères religieux et éthiques auxquels ils sont habitués, ainsi que du sentiment de sécurité, de réconfort, de protection et de paix que la croyance en une divinité personnelle leur procure.  

J’admets qu’il n’est pas facile pour les théistes de reconnaître et d’accepter que leur conviction d’un « bon » Dieu là-haut qui n’existe que pour subvenir à leurs besoins et  pour les soutenir à travers les tribulations de leur voyage terrestre, n’est qu’une illusion et le produit de leurs rêves et de leurs désirs. Je comprends donc leurs raisons pour en vouloir aux post-théistes qui détruisent les fondations sur lesquelles ces premiers  ont bâti tout leur monde intérieur, ainsi que le sens de leur existence.

Le post-théisme, de son côté, est d’avis qu’il est urgent d’aider les nouvelles générations « croyantes » à fonder le sens de leur existence et la qualité de leur spiritualité sur d’autres bases et d’autres convictions que celles des fictions et des mythes proposés par la religion et auxquels, de toute façon, les gens de la modernité sont de moins en moins capables d’adhérer et que, de toute façon, tôt ou tard ils finiront par rejeter.   

 

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Par ailleurs, si quelqu’un pense que la vie des post-théistes soit maintenant plus facile et plus aisée à vivre, il se trompe.

Il faut beaucoup de force intérieure, de courage, de détermination pour accepter de s’aventurer dans un univers mental, culturel, spirituel totalement diffèrent de celui auquel   on est habitué. Il n’est pas facile en effet d’accepter de vivre dans un univers où tout est à refaire, à repenser et à reconstruire ; un univers où l’adaptation aux nouveaux contenus peut se révéler extrêmement pénible et difficile pour la personne croyante à cause d’une angoissante sensation de vide et d’égarement produite par la perte des anciens repères et des anciennes certitudes. 

Il faut avoir la trempe de l’aventurier, de l’explorateur et du pionnier pour oser quitter les demeures familières, les sentiers battus, les chemins bien tracés, les territoires bien mappés et se risquer vers l’inexploré, à la recherche d’horizons et de paysages plus conformes à notre nouvelle culture, à nos nouvelles sensibilités.

Il faut donc s’attendre à ce qu’il y ait un prix à payer pour que cette « adaptation » réussisse. Nous devons inévitablement passer à travers les péripéties d’une difficile recherche ; à travers un certain égarement existentiel ; à travers des moments pénibles de tâtonnement et d’obscurité ; à travers l’affolement spirituel causé par la perte du Dieu personnel auquel nous ne pouvons plus ni croire ni nous attacher.

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     Lorsque, avec du recul, je réfléchis sur le rôle de premier ordre que, dans l’histoire de l’humanité, les croyances religieuses ont joué pour rendre moins pénible et plus acceptable la vie aux humains, je suis, fortement tenté, comme déjà Karl Marx en son temps, de comparer ces croyances » à une forme d’opium du peuple fabriqué par l’angoisse humaine.  

Ainsi, pour la grande majorité des humains, la « drogue » de la croyance religieuse est vraiment devenue la réponse à leur urgent besoin aussi bien d’oublier l’état essentiellement éphémère et non-nécessaire de leur présence sur cette planète, que de faire face, avec une certaine insouciance, au caractère foncièrement angoissant et dramatique de leur existence.

Cela explique pourquoi cette « drogue » est si « universelle » et si en demande. Certes, c’est une drogue qui a énormément contribué à rendre plus vivable et plus heureuse l’existence des personnes croyantes. Mais son efficacité a réussi aussi à transformer un grand nombre d’humains en des « toxicomanes » incapables désormais de s’en passer et d’entrevoir une autre façon d’affronter leur existence.

Ces considérations peuvent alors nous aider à comprendre les raisons de la « rogne » presque instinctive que les croyants théistes  traditionnels  réservent au courant moderne du post-théisme qui les prive de leur «dose» habituelle et qui les oblige impitoyablement à  devoir faire face à dure réalité de l’ existence, en comptant uniquement sur  leur  potentiel humain : c’est-à-dire, sur la force et le courage de leur volonté, sur  l’authenticité de leur sagesse, sur la qualité de leur humanité, sur la finesse de leur sensibilité et sur  profondeur de leur spiritualité.

Tout compte fait, cette croyance dans un bonheur et dans un salut accordé par Dieu uniquement aux plus méritants de ses enfants, ne constitue-t-elle pas une forme d’aliénation, un détournement d’attention, d’intentions et d’énergies chez les humains ? N’est-elle pas une sorte d’alibi qui sert à justifier une insuffisance de réalisme et de lucidité ; une certaine forme d’irresponsabilité ; le manque d’une véritable volonté de travailler à la construction des conditions existentielles plus aptes à assurer notre salut et notre bonheur ici et maintenant ?

Je pense qu’il existe une question importante que ces croyants devraient se poser. Pourquoi serait-il meilleur, plus intelligent, spirituellement plus valorisant et plus digne de notre condition humaine, de faire dépendre notre bonheur de la bonté et de l’amour d’un Dieu paternel et imaginaire là-haut, qui nous accueillerait éternellement dans son beau paradis du ciel, plutôt que de le faire dépendre du paradis sur terre que nous, les humains, pourrions construire à travers notre dévouement, notre bonne volonté et par étendue de nos compétences ?  

Finalement, je pense que la croyance religieuse, en arrimant d’une façon exclusive notre intérêt et notre regard intérieur en un Dieu personnel là-haut, nous détourne de la compréhension de notre véritable valeur et de la découverte du sens et du but de notre présence dans l’Univers, ainsi que l’énorme importance des responsabilités que nous portons en tant que uniques créatures intelligentes et « aimantes » en ce monde.

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Par Bruno Mori – 

Montréal  mars 2022   


 



[i] A. Einstein , Lettre à la Reine Élisabeth de Belgique, septembre 1932.

[ii] Baruch Spinoza  conçoit  « Dieu »   comme une   Énergie impersonnelle  et infinie qui se confond  avec les forces et les lois  qui régissent l’Univers,   

[iii] Albert Einstein, Lettre à w. Gross. 26 avril l 1947, cité par Trinh Xuan Thuan,  Vertige du cosmos,  coll. «Champs sciences »,  Flammarion, page 426  . 

[iv][iv] A. Einstein,  Lettre à  M. Schayer, le 1er août 1927. Cité dans Dukas et Hoffmann, Albert Einstein, the Human Side, 66, et dans sa nécrologie dans le New York Times du 19 avril 1955. Archives Einstein 48-380.

[v] A. Einstein,  Lettre à la reine Élisabeth de Belgique, du 24 mars 1954.

[vi] Cette croyance « religieuse » qui fait dépendre le bonheur « ultime » de l’homme d’une fiction humaine sur Dieu, ne réussit finalement qu’à nous aliéner de nous-mêmes, nous empêchant de nous percevoir comme les seuls responsables de notre bonheur et comme les uniques artisans de notre salut. Cette croyance nous empêche aussi de creuser en nous, de descendre dans ces profondeurs où se cache le meilleur de notre être et où, depuis toujours, est gardée l’étincelle capable d’allumer en nous les feux d’un amour généreux et désintéressé

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