THÉISME OU POST-THÉISME ?
DANS QUEL « UNIVERS » SE SITUER ?
La critique
fondamentale que la majorité des croyants traditionnels (théistes) adressent au post-théisme
moderne s’enracine fondamentalement dans le fait que ce courant de pensée religieuse
refuse l’idée d’un Dieu (« Theos ») conçu
comme une Entité anthropomorphique, surnaturelle, personnelle et toute-puissante qui existerait dans son identité
singulière en dehors de la réalité
naturelle et physique de notre monde.
Les post- théistes considèrent une telle conception
de Dieu comme un mythe et donc comme un produit de l’imagination humaine qui
n’a aucune correspondance dans la Réalité. Ils reprochent donc aux croyants
traditionnels théistes de ne pas se
rendre compter que pour rendre « Dieu » acceptable et aimable à leurs yeux et à
leur cœur, ils le transforment en une Entité conçue à leur « image et ressemblance », et donc en un produit de leur désir et
en une fiction de leur esprit.
Les théistes se comportent
ainsi exactement comme l’avait prévu ce philosophe ancien (je ne sais plus si c’était
Parménide ou Épicure ou, plus proche de nous, Spinoza) qui, traitant de la façon
humaine de concevoir Dieu, affirmait que celle-ci n’est pas différente de celle
que les vers de terre auraient s’ils étaient des créatures intelligentes,
conscientes et religieuses comme nous. Ces lombrics ne seraient certainement
pas portés à concevoir leur dieu comme un beau gros merle dans le ciel, mais
plutôt comme un super beau, gros, reluisant vers de terre qui leur donne le goût
et l’envie de s’y frotter et de l’enlacer.
De sorte que les
croyants traditionnels, en voulant à tout prix faire de Dieu le partenaire
d’une relation personnelle aimante et gratifiante, ainsi que le garant et le
tuteur de leur bien-être et de leur bonheur, fournissent eux-mêmes au
post-théisme les arguments pour critiquer et refuser leur forme de foi.
Les post théistes ont aussi pour leur dire que
les croyants traditionnels théistes n’ont la moindre idée du Mystère abyssal
qui se cache sous le nom de « Dieu ». Pour les adhérents du post-théisme qui,
sur ce sujet, ont adopté le point de vue de la majorité des grands penseurs et des
représentants des sciences et de l’astrophysique modernes, le mot « Dieu »
n’est qu’un nom, qu’un son et qu’un symbole qui, comme disait déjà si bien
Einstein, ne sert aux humains qu’à exprimer leur ignorance et à nommer le vide
total de connaissances à propos du Mystère de Dieu. Toutefois, pour ne pas trop
dénigrer les capacités intellectuelles des humains, Einstein ajoutait, en guise de consolation, qu’ «en tant
qu’êtres humains, nous avons cependant été dotés
de ce qu’il faut d’intelligence pour nous rendre compte à quel point
celle-ci est inappropriée à percer le Mystère (Ultime) de l’existence[i]».
Pour
ma part, lorsque je regarde le nombre de religions et de croyants pour lesquels
« Dieu » est le nom qu’ils donnent à leur prétention (qui n’admet aucun doute) de
tout savoir sur son compte, je pense que
l’optimisme de Einstein sur la dose suffisante
d’intelligence que tous les humains
possèdent pour saisir au moins les limites de leurs possibilités,
est loin d’ être vraie.
De fait, pour la
religion chrétienne, Dieu n’est plus un Mystère. Le dogme catholique est sûr et
se vante de connaître presque tout, ou presque, sur Dieu : sa nature
profonde, son fonctionnement interne et même l’intimité de ses relations
personnelles. De sorte que, dans le monde croyant catholique, le mot « Dieu »
qui aurait dû servir comme nom ou symbole pour indiquer le Mystère Ultime et
l‘impossibilité humaine de le déchiffrer, a été converti en une figure
totémique imaginaire à l’apparence humaine et désormais sans plus aucun
mystère.
******************
Les humains de ces
temps reculés devaient en effet résoudre non seulement les problèmes matériels
concernant leur survie quotidienne, mais ils étaient surtout confrontés à la
question psychologique et « métaphysique » de savoir comment vivre sans
trop d’angoisse, de peur, de souffrances dans un monde dangereux et au sein
d’une société en formation oppressive et violente. C’est grâce à la puissance
de leur imagination qu’ils ont été capables de se donner les visions et les croyances
dans lesquelles ils ont trouvé leur confort et leur salut.
Les post-théisme pense que la croyance en un Dieu personnel et
providence là-haut, n’est que l’aboutissement d’un long processus d’élaboration
et de décantation d’archétypes archaïques aussi bien de fascination et
d’émerveillement devant le caractère
mystérieux et sacré des phénomènes
naturels, que d’angoisses, de
peurs, de luttes pour la vie, d’espoirs de divinités
propices et d’Éden promis, de rêves d’éternité, de bonheurs possibles, de
saluts espérés, etc., encodés depuis la nuit des temps dans l’inconscient ou l’imaginaire collectif et qui, à un certain
stade de évolution humaine ont trouvé leur meilleure
manifestation dans les croyances religieuses de l’humanité .
Pour
le post-théisme, cependant, le fait d’affirmer l’impossibilité humaine de
pénétrer le Mystère de Dieu, ne signifie pas nier la possibilité ou la réalité
de son existence. De fait, pour les
post-théistes, les raisons qui induisent à admettre la Présence d’un Mystère
Ultime à l’œuvre dans l’Univers sont réelles et incontestables ; et si ceux-ci
sont convaincus que la nature de cette Présence est et restera toujours
inaccessible à l’intelligence humaine, ils admettent volontiers que son
caractère fascinant et merveilleux peut être facilement capté par la
sensibilité de notre cœur et de notre esprit
D'ailleurs , déjà en son temps Einstein écrivait : « Il me semble que l’idée d’un Dieu à forme humaine est un concept que je ne peux pas prendre au sérieux…Mes vues sont proches de Spinoza [ii]: admiration de la beauté (de la Nature et de l’univers) et croyance en la simplicité logique de l’ordre et de l’harmonie que nous ne pouvons saisir qu’humblement et imparfaitement ». [iii] Et ailleurs Einstein disait aussi « Ma religion consiste en une humble admiration de l’esprit infiniment supérieur qui se révèle dans le peu que nous pouvons comprendre du monde connaissable ». [iv] Et encore : « Je ne crois pas en un Dieu personnel…S’il y a quelque chose en moi que l’on puisse appeler « religieux », ce serait alors mon admiration sans bornes pour les structures de l’univers pour autant que notre science puisse le révéler. »
Il est normal que la
position post-théiste ne plaise pas aux croyants traditionnels, étant donné
qu’elle les prive des repères religieux et éthiques auxquels ils sont habitués,
ainsi que du sentiment de sécurité, de réconfort, de protection et de paix que
la croyance en une divinité personnelle leur procure.
J’admets qu’il n’est
pas facile pour les théistes de reconnaître et d’accepter que leur conviction
d’un « bon » Dieu là-haut qui n’existe que pour subvenir à leurs besoins
et pour les soutenir à travers les
tribulations de leur voyage terrestre, n’est qu’une illusion et le produit de
leurs rêves et de leurs désirs. Je comprends donc leurs raisons pour en vouloir
aux post-théistes qui détruisent les fondations sur lesquelles ces premiers ont bâti tout leur monde intérieur, ainsi que
le sens de leur existence.
Le post-théisme, de son
côté, est d’avis qu’il est urgent d’aider les nouvelles générations
« croyantes » à fonder le sens de leur existence et la qualité de
leur spiritualité sur d’autres bases et d’autres convictions que celles des
fictions et des mythes proposés par la religion et auxquels, de toute façon, les
gens de la modernité sont de moins en moins capables d’adhérer et que, de toute
façon, tôt ou tard ils finiront par rejeter.
********************
Par ailleurs, si quelqu’un pense que la vie des post-théistes soit maintenant plus facile et
plus aisée à vivre, il se trompe.
Il faut beaucoup de
force intérieure, de courage, de détermination pour accepter de s’aventurer
dans un univers mental, culturel, spirituel totalement diffèrent de celui
auquel on est habitué. Il n’est pas
facile en effet d’accepter de vivre dans un univers où tout est à refaire, à
repenser et à reconstruire ; un univers où l’adaptation aux nouveaux contenus
peut se révéler extrêmement pénible et difficile pour la personne croyante à
cause d’une angoissante sensation de vide et d’égarement produite par la perte des
anciens repères et des anciennes certitudes.
Il faut avoir la trempe
de l’aventurier, de l’explorateur et du pionnier pour oser quitter les demeures
familières, les sentiers battus, les chemins bien tracés, les territoires bien
mappés et se risquer vers l’inexploré, à la recherche d’horizons et de paysages
plus conformes à notre nouvelle culture, à nos nouvelles sensibilités.
Il faut donc s’attendre
à ce qu’il y ait un prix à payer pour que cette « adaptation » réussisse. Nous
devons inévitablement passer à travers les péripéties d’une difficile recherche
; à travers un certain égarement existentiel ; à travers des moments pénibles
de tâtonnement et d’obscurité ; à travers l’affolement spirituel causé par la
perte du Dieu personnel auquel nous ne pouvons plus ni croire ni nous attacher.
Ainsi, pour la grande
majorité des humains, la « drogue » de la croyance religieuse est vraiment
devenue la réponse à leur urgent besoin aussi bien d’oublier l’état essentiellement
éphémère et non-nécessaire de leur présence sur cette planète, que de faire
face, avec une certaine insouciance, au caractère foncièrement angoissant et dramatique
de leur existence.
Cela explique pourquoi cette
« drogue » est si « universelle » et si en demande. Certes, c’est une
drogue qui a énormément contribué à rendre plus vivable et plus heureuse l’existence
des personnes croyantes. Mais son efficacité a réussi aussi à transformer un
grand nombre d’humains en des « toxicomanes » incapables désormais de
s’en passer et d’entrevoir une autre façon d’affronter leur existence.
Ces considérations
peuvent alors nous aider à comprendre les raisons de la « rogne » presque
instinctive que les croyants théistes traditionnels réservent au courant moderne du post-théisme qui
les prive de leur «dose» habituelle et qui les oblige impitoyablement à devoir faire face à dure réalité de l’
existence, en comptant uniquement sur
leur potentiel humain :
c’est-à-dire, sur la force et le courage de leur volonté, sur l’authenticité de leur sagesse, sur la qualité
de leur humanité, sur la finesse de leur sensibilité et sur profondeur de leur spiritualité.
Tout compte fait, cette
croyance dans un bonheur et dans un salut accordé par Dieu uniquement aux plus
méritants de ses enfants, ne constitue-t-elle pas une forme d’aliénation, un
détournement d’attention, d’intentions et d’énergies chez les humains ? N’est-elle
pas une sorte d’alibi qui sert à justifier une insuffisance de réalisme et de lucidité
; une certaine forme d’irresponsabilité ; le manque d’une véritable volonté de
travailler à la construction des conditions existentielles plus aptes à assurer
notre salut et notre bonheur ici et maintenant ?
Je pense qu’il existe
une question importante que ces croyants devraient se poser. Pourquoi serait-il
meilleur, plus intelligent, spirituellement plus valorisant et plus digne de
notre condition humaine, de faire dépendre notre bonheur de la bonté et de
l’amour d’un Dieu paternel et imaginaire là-haut, qui nous accueillerait
éternellement dans son beau paradis du ciel, plutôt que de le faire dépendre du
paradis sur terre que nous, les humains, pourrions construire à travers notre dévouement,
notre bonne volonté et par étendue de nos compétences ?
Finalement, je pense
que la croyance religieuse, en arrimant d’une façon exclusive notre intérêt et
notre regard intérieur en un Dieu personnel là-haut, nous détourne de la
compréhension de notre véritable valeur et de la découverte du sens et du but de
notre présence dans l’Univers, ainsi que l’énorme importance des
responsabilités que nous portons en tant que uniques créatures intelligentes et
« aimantes » en ce monde.
Par Bruno Mori –
Montréal
mars 2022
[i]
A. Einstein , Lettre à la Reine Élisabeth
de Belgique, septembre 1932.
[ii]
Baruch Spinoza conçoit « Dieu » comme une
Énergie impersonnelle et infinie
qui se confond avec les forces et les
lois qui régissent l’Univers,
[iii]
Albert Einstein, Lettre à w. Gross. 26 avril l 1947, cité par Trinh Xuan
Thuan, Vertige du cosmos, coll.
«Champs sciences », Flammarion,
page 426 .
[iv][iv]
A. Einstein,
Lettre
à M. Schayer, le 1er août 1927. Cité
dans Dukas et Hoffmann, Albert Einstein, the Human Side, 66, et dans sa
nécrologie dans le New York Times du 19 avril 1955. Archives Einstein 48-380.
[v] A. Einstein,
Lettre à la reine Élisabeth de Belgique,
du 24 mars 1954.
[vi]
Cette croyance « religieuse » qui fait dépendre le bonheur « ultime » de
l’homme d’une fiction humaine sur Dieu, ne réussit finalement qu’à nous aliéner
de nous-mêmes, nous empêchant de nous percevoir comme les seuls responsables de
notre bonheur et comme les uniques artisans de notre salut. Cette croyance nous
empêche aussi de creuser en nous, de descendre dans ces profondeurs où se cache
le meilleur de notre être et où, depuis toujours, est gardée l’étincelle
capable d’allumer en nous les feux d’un amour généreux et désintéressé
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