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vendredi 8 février 2013

Jésus, une autorité qui libère


On était frappé par son enseignement, car il enseignait en homme qui a autorité

(Marc, 1, 21-28)

Le but principal de l’évangile de Marc est de nous présenter Jésus-Christ et de répondre à la question: «Qui est cet homme?»… Pour mieux nous faire connaître le Seigneur, Marc nous raconte une journée-type de Jésus. À travers ce procédé littéraire, il nous présente son activité tout en soulignant les traits essentiels de son ministère. Ce matin, nous lisons la première partie de cette journée.

Il semble que Marc ait voulu concentrer l’intérêt du lecteur sur l’enseignement de Jésus, puisque les mots "enseigner" et "enseignement" reviennent quatre fois en quelques lignes…Marc ne parle pas tellement du contenu de l’enseignement de Jésus, mais plutôt de l’impression qu’il fait sur ceux qui l’écoutent. Marc a écrit son évangile pour les chrétiens venus du monde gréco-romain et donc de culture hellénistique. Une culture  imbue de la pensée des grands maîtres des écoles philosophiques du temps. Ces chrétiens venus du paganisme avaient maintenant trouvé en Jésus de Nazareth leur nouveau maître, un maître qui n’a rien à envier aux autres maîtres car il possède une sagesse extraordinaire et un enseignement qui fait autorité. Marc ici veut justement mettre en relief cette facette ou cette caractéristique de la figure de Jésus: il est un maître inégalable, il possède une doctrine originale énoncée avec un aplomb et une assurance qui ne finissent pas d’étonner. Et c’est l’originalité et la nouveauté de cet enseignement proclamé avec autorité qui sont à l’origine de son succès auprès des foules, mais qui causeront aussi la perte du Maître.

Jésus enseigne avec autorité, tout simplement parce qu'il ne parle pas au nom de quelqu'un d'autre comme le faisaient les scribes qui avaient derrière eux toute la tradition, qui ne faisaient que répercuter, qu'interpréter, que redire. Jésus parle de Lui-même. Sa parole, ce n'est pas simplement le son que sa voix émet, sa parole c'est Lui-même. Dans sa parole il se livre lui-même. Il parle de ce qu’il a au cœur. Il communique sa pensée, le fruit de sa réflexion, le résultat de sa prière et de sa contemplation, sa vision intérieure, son expérience intime de Dieu. Jésus sait que sa parole est la sienne, certes, mais qu’elle est aussi l’écho d’une autre Parole recueillie dans la profondeur de son expérience de Dieu. Il dira «Ma parole, n’est pas la mienne, mais celle du Père qui m’a envoyé». À la limite, il pourrait être silencieux et son silence parlerait beaucoup plus que toutes nos paroles. Mais c'est beaucoup plus difficile d'écouter et de recevoir le silence que la parole, parce qu'il faut soi-même se taire et faire taire notre cœur et tous ces mots, toutes ces paroles qui montent sans cesse en lui. C’est pour cela que sa parole frappe, que sa parole secoue, bouleverse que sa parole surprend, que sa parole émerveille, que sa parole fascine, que sa parole fait toujours réagir ceux qui l’écoutent, que sa parole ne laisse personne indifférent, que sa parole opère toujours un changement. C’est une parole qui «porte» car elle nous «apporte» non des vérités à croire, mais une expérience de vie et qui, par conséquent cherche à susciter une autre façon de vivre, C’est cela le sens du mot autorité par lequel les contemporains de Jésus qualifiaient son enseignement. Dans la racine du mot autorité, tant en grec qu'en latin, il y a l'idée fondamentale non pas de soumettre, non pas de commander, non pas d'être supérieur à, non pas de donner des ordres, mais il y a ce sens fondamental de "faire grandir" (augere, en latin, augmenter), développer,  faire pousser, faire fructifier, faire féconder. C'est cela l'autorité de la parole de Jésus. Elle ne vient pas nous couvrir,  nous opprimer,  nous obliger, elle nous est adressée  pour nous permettre de grandir en humanité.

Chez les juifs, la synagogue était l’institution officielle de l’enseignement. Elle était le symbole de la doctrine et de l’orthodoxie religieuse proclamée par des maîtres reconnus, institués et patentés: les scribes. Elle était le haut lieu par excellence de la proclamation de la Torah, de son explication et de son interprétation. A cause de ses convictions, du contenu de sa pensée et du caractère de sa personnalité, Jésus a toujours eu avec la synagogue un rapport conflictuel. Dans les évangiles, chaque fois que jésus entre dans une synagogue, la guerre éclate. Il est contesté. Il est chassé; condamné à mort. C’est une façon de dire que la pensée de Jésus et celle des scribes ne sont pas compatibles.
La synagogue est une institution religieuse réservée aux gens de bonne classe; aux bons croyants, bien intégrés dans le système religieux, des gens sans problèmes, la " bourgeoisie" dirions-nous aujourd’hui, ceux qui acceptent les dogmes; respectent les règles et suivent les lois. Les autres en sont exclus.  Jésus par contre est l’homme de la rue, car il vit dans la rue. Il n’appartient à aucune classe spéciale Il n’est ni scribe, ni lévite, ni prêtre, ni clerc, ni  membre d’aucune hiérarchie religieuse. Il est un simple laïc qu’aucune norme, qu’aucune disposition de la religion officielle ne réussissent à encadrer ou à embrigader. Il professe une liberté souveraine vis-à-vis des contraintes et des obligations de la religion officielle. Il se sent autorisé à avoir des opinions personnelles, à critiquer les croyances, à revoir les interprétations conventionnelles de la Bible, à s’insurger contre la manipulation de la religion, l’exploitation des fidèles, à ressentir et à exprimer de l’aversion et de la colère contre les abus du pouvoir, l’hypocrisie des dirigeants, le formalisme de la pratique cultuelle, le grotesque de certaines habitudes et  de certains comportements religieux. Il déteste les titres, les insignes du pouvoir, les courbettes, les honneurs. Il n’accepte l’appellation de Rabbi, de «Maître» que les gens lui donnent, que parce qu'il a conscience qu’il est le seul à proposer un enseignement et à posséder une parole qui ouvre à la vérité sur soi, sur Dieu et sur le monde et qui libère et valorise ceux qui l’écoutent.
La parole des scribes n’a rien d’original. Ils ne font que répéter les versets de la Torah et les interprétations que d’autres en ont donné. C’est un enseignement conventionnel, stéréotypé, figé, qui n’encourage pas l’ouverture, mais le repliement et pour lequel l’idéal de la perfection est placé dans la stabilité des habitudes religieuses, dans la fidélité à la tradition et dans le respect des lois humaines attribués à la volonté de Dieu. Pour Jésus l’idéal de la perfection, c’est au contraire la capacité de se laisser interpeller, de se laisser questionner,  de se remettre en question, de s’ouvrir continuellement aux avances de la grâce de Dieu… il est dans la capacité d’évolution,  de marche en avant, de changement, de renouvellement, de transformation, de conversion.

 Le Dieu prêché dans la Synagogue est un Dieu exigeant, qui cherche des sujets soumis et dévots ; c’est donc une divinité qui cherche à asservir, à faire dépendre le salut de la «vertu», de la fidélité, de la soumission, de l’obéissance, de la «justice», c'est-à-dire de l’«honorabilité»  que chacun s’est bâtie. Le Dieu de Jésus est au contraire un Dieu qui ne cherche pas à s’imposer, mais à être aimé… et qui nous préfère indépendants, contestataires, rebelles, libres plutôt que dépendants ne serait-ce que des normes d’une religion. Le Dieu de Jésus nous préfère pauvres plutôt que riches, petits plutôt que grands, enfants plutôt qu’adultes, pécheurs plutôt que justes.
Le Dieu des scribes c’est un Dieu que l’on doit craindre et duquel on doit acheter la bienveillance et la protection au prix d’une observance scrupuleuses de sa volonté explicitée dans une infinité de normes et de préceptes qui finalement  écrasent le pratiquant et lui rendent la vie impossible. Le Dieu de Jésus est, au contraire, un Dieu qui n’exige rien, qui donne le premier, qui donne sans compter et duquel nous recevons gratuitement, avec une plénitude débordante, «grâce sur grâce» .
Finalement, c’est une conception totalement différente de Dieu qui oppose l’enseignement de la synagogue à l’enseignement du Maître de Nazareth. Dans la synagogue, nous sommes là pour Dieu et il nous écrase avec ses exigences. Dans la doctrine de Jésus, Dieu est là pour nous et il nous libère de nos peurs en nous faisant grandir dans la confiance amoureuse de sa présence. Dans la synagogue Dieu a besoin de nous (de notre soumission, de notre foi, de notre adoration, de notre culte) pour être Dieu, pour se sentir Dieu; dans l’enseignement  de Jésus, l’homme a besoin de Dieu pour devenir plus humain et pour connaître la source véritable de son bonheur.
De sorte que il n’y a plus grand chose en commun entre synagogue et Jésus; entre  l’enseignement de l’une et la doctrine de l’autre. La parole de Jésus introduit les germes d’une fermentation et d’une révolution que fera un jour éclater le vieux système religieux juifs. Jésus vient chambarder les anciens repères et en produire de nouveaux. Beaucoup de pieux juifs (scribes et pharisiens) se sont sentis totalement perdus devant l’originalité et la charge contestatrice de la doctrine de Jésus. C’est la constatation que Marc met sur la bouche de cet homme que la longue fréquentation de la synagogue avait fini par rendre malade et tourmenté: «Que nous veux-tu, Jésus de Nazareth? Es-tu venu pour nous perdre?». Il faudra attendre que cet homme tourmenté, au contact de la personne de Jésus et par l’ouverture à sa parole, soit capable de se libérer l’esprit de tous les conditionnements de son ancienne éducation, de toutes les fausses idées, les fausse croyances qu’il y avait accumulées, pour qu’il récupère sa véritable identité. Certes, cela n’a pas été une tâche facile, il a été secoué avec violence, il a poussé de grands cris dans ce travail de restructuration intérieure, mais c’est le prix chaque fois qu’un être nouveau veut naître à la vie.

MB

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