JESUS MONTA DANS LA BARQUE DE
SIMON
( Luc 5, 1-11)
Lorsqu’autour
des années 85 Luc écrivait son évangile, les communautés chrétiennes étaient
déjà bien établies dans les principales villes du bassin de la Méditerranée. Luc écrivait son évangile pour assurer la
formation et l’instruction de ces jeunes
communautés et pour les introduire
plus en profondeur dans la compréhension
de la personne et de l’œuvre de Jésus de Nazareth. Tout ce qu’il raconte doit donc
être lu et interprété en gardant à l’esprit cette perspective et revu avec des
lunettes plus tardives. Les scènes que Luc décrit, les faits qu’il raconte, ne
sont donc pas des chroniques d’actualité journalistique rédigées pour
satisfaire la curiosité des lecteurs, mais des enseignements sous forme de
contes, de paraboles, d’images et de symboles dans lesquels il insère un sens
que le lecteur doit savoir découvrir afin de s’approprier de la richesse du mystère de Dieu et de la bonne nouvelle du Maitre de Nazareth.
Essayons donc
de voir quel est le message que Luc veut nous transmettre dans le texte que
nous venons de lire. Même si tout le récit semble construit autour de la personne de Simon, Luc n’a certainement pas l’intention
de faire ici l’apologie du futur pape,
comme cherchent à nous le faire croire
la majorité des commentaires
traditionnels. Simon est certes ici le protagoniste principal, mais il
est surtout une figure type (le prototype) qui, d’après l’évangéliste, nous représente tous. Jésus prêche à la foule,
mais Simon n’est pas de ceux qui écoutent. De toute évidence, il a d’autres
choses plus importantes à faire: il a une
famille, il a son travail, il a une entreprise de pêche à rentabiliser, avec
toutes les contraintes que cela implique. Simon est donc ici l’homme
pragmatique, réaliste, que nous sommes tous. Il est l’homme qui a l’habitude de
se confronter aux difficultés et aux problèmes de la vie. Il sait par
expérience que la vie est dure et parfois même cruelle et qu’elle ne fait de
cadeaux à personne et que l’on n'a rien sans efforts, sans peine, sans sacrifices
et que le peu de bien-être, d’aisance et de confort que l’on réussit à se
procurer, on a dû le gagner à la sueur de son front, car rien ne nous arrive déjà tout cuit et par miracle du ciel.
On a beau avoir des élans mystiques; on a beau désirer partir en retraite dans un lieu calme et solitaire pour écouter
les belles paroles de Jésus; on a beau vouloir penser au salut de son âme, mais
lorsqu’on a une grosse famille sur les épaules et que l’on vit uniquement du
maigre profit de la pêche, tout ce qui compte vraiment c’est le travail; les élans
religieux apparaissent bien secondaires, car on sait que si on ne s’éreinte pas à la besogne,
ce ne sera ni Dieu ni la prière qui vont remplir de poisson les cales de notre bateau.
Simon donc ne
semble pas ici un homme particulièrement religieux. Il a une famille à nourrir,
des enfants à élever et a éduquer, un travail exigeant, une maison à payer… vraiment, il n’a pas de temps à consacrer à Dieu et à la religion.
Certes, la religion c’est bien, mais elle ne fait pas vivre sa famille! Parfois
il lui arrive de penser que la religion est un loisir pour des gens riches. Bien
sûr, il croit en Dieu, il cherche à le
garder de son coté, mais il ne réussit pas à le faire passer avant sa famille
et son travail Bien sûr, les prêtres lui
disent que Dieu est plus important que tout et qu’on doit l’aimer par-dessus
tout, mais personne ne lui fera croire que Dieu est plus important que sa
famille et qu’il doit l’aimer plus que sa femme et ses enfants.
Ainsi
dans l’évangile, Jésus a beau prêcher
aux foules la Parole
de Dieu, Simon n’a pas le temps de l’écouter et il reste sur le bord du lac à laver ses filets pour la corvée de la nuit. Simon
avait la sensation que le fait d’être pris dans les engrenages de la vie concrète
et de baigner dans les contraintes d’une activité professionnelle absorbante,
lui enlevait à jamais la possibilité de se sentir satisfait et en paix avec lui-même et avec Dieu. Simon, à cause de ce travail qui le
prenait et l’absorbait du matin au soir et encore pendant la nuit, sans lui
laisser le temps de faire autre chose, était arrivé à la conclusion de vivre
loin de Dieu et que donc Dieu lui en voulait, que Dieu n’était pas satisfait de
lui. Il avait l’impression d’être une mauvaise personne, un croyant minable et un misérable pécheur. Il dira en effet à Jésus: « Éloigne-toi de moi, car je suis un pauvre pécheur! »
Simon avait
ainsi développé la conviction que la religion et lui ça n’aurait jamais pu faire bon ménage; que c’étaient comme
deux choses incompatibles et que tant qu’il aurait continué à faire cette vie,
jamais Dieu aurait pu rentrer, pour ainsi dire, dans sa barque. Et c’est à ce moment précis de la réflexion de Simon que le texte
évangélique laisse apparaître toute la magnifique et surprenante nouveauté de
son message. Quoique Simon puisse penser et contre toutes ses attentes, c’est pourtant dans sa
barque que le Seigneur entre. Et c‘est cela qui, selon Luc, constitue
l’incroyable nouveauté du message chrétien et qui place le christianisme aux
antipodes de toutes les autres croyances et de toutes les autres religions.
En faisant
rentrer le Seigneur dans la barque de Simon, Luc veut nous faire comprendre que
le lieu de la présence de Dieu n’est pas le ciel, mais la vie concrète de
l’homme; que Dieu est là où aucune religion ni aucun clerc de l’Église ne penserait
le chercher. Ici Luc, interprétant l’esprit de Jésus, proclame que Dieu n’est
pas dans les temples, les églises, les sanctuaires, les églises, le culte, les
rites, les prières, les pratiques des religions, mais dans la barque de Simon. La
barque est ici le symbole du travail de Simon, de sa labeur, de sa fatigue, de
sa vie dure, de ses soucis, des ses problèmes, de ses déceptions, mais aussi de
ses intérêts, de ses projets, de ses rêves, de son courage, de son dévouement,
de ses attachements, de ses amours. Si toute
sa vie est dans cette barque et si c’est dans cette barque que le Seigneur a
choisi de rentrer, cela signifie que toute la vie de Simon est habitée par la
présence de Dieu.
Luc veut nous dire qu’il n’y a pas une réalité qui est religieuse
et une réalité qui est profane, mais que toute la réalité est tissée dans la trame de la présence de Dieu. Dieu est vie
et il est présent là où la vie explose, se manifeste, se développe; là où il y lutte
pour la vie. Il est donc mêlé à tous nos combats, il rehausse de sa présence
tout les aspects de notre routine quotidienne: quand nous cuisinons, quand nous
mangeons, quand nous travaillons, quand nous nous occupons de nos enfants,
quand nous fêtons, quand nous dansons, quand nous aimons, quand nous tombons, quand nous souffrons, quand nous mourrons….Dieu est là. Dieu aime nos combats,
nos efforts, nos engagements, tout ce que nous faisons pour vivre, pour
réussir, pour être heureux, pour bâtir notre famille, notre maison, notre
situation humaine, un monde meilleur autour de nous. Dieu aime cela plus que
nos attitudes pieuses, nos dévotions et nos prières. La présence de Dieu en ce
monde éclate plus dans le sourire spontané; dans un geste d’amour gratuit, dans
les traits délicats d’un visage d’enfant, dans la mélodie d’un chant d’oiseau,
dans la beauté d’un cerisier en fleur…que dans l’ostentation pompeuse d’une
messe pontificale. Simon n’a donc pas à s’inquiéter de la qualité de sa
religiosité. Dans sa dure besogne quotidienne,
il est plus proche du Seigneur que tous
prêtres qui offrent à Dieu des sacrifices sur l’autel!
Une fois que
nous avons été amenés à saisir cela, si nous ouvrons notre cœur et nous
assumons l’attitude de l’émerveillement, de l’accueil et de la confiance, alors
disparaitra aussi la banalité de notre quotidien. Notre quotidien se transfigurera
en signe de cette divine présence: tout sera beau, précieux, plein de sens; tout
deviendra signe et expression d’un Amour qui nous suit, qui nous porte, qui
nous berce et qui, pourtant, nous dépasse, mais qui donne à notre existence une
fécondité et une richesse incroyables. Dans cette confiance et dans cet abandon
au mystère de cette divine Présence, nous devenons capables de remplir notre
barque de «poissons», alors même que la pêche paraissait humainement impossible.
Si
je suis convaincu que Dieu est dans ma barque, je n’ai pas peur de la diriger
vers le large et de défier les tempêtes et les dangers de la haute mer. Je suis
même prêt à oser l’impossible. Si Dieu est avec moi, si j’agis sous son regard,
je sais que tout ce que je fais ne sera pas inutile et que cela servira
peut-être à faire de moi un «pêcheur d’homme», c'est-à-dire quelqu’un capable
de sauver les autres, en les aidant à «sortir
vivants» des eaux dangereuses de la détresse, de la peur et du mal. Je
deviendrai à mon tour un «sauveur»
à l’image de mon Maitre.
MB
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