(2e dim. ord. C – Jn 2, 1-12)
C’est
vraiment une anecdote étrange que ces noces à Cana que l’évangile de Jean place
au début de la vie publique de Jésus ! Il raconte que le Maître y accomplit le premier
« signe » de son activité messianique, en changeant six cents litres
d’eau en une quantité correspondante d’un vin de première qualité pour rendre
possible la plus grande soûlerie de l’histoire. Pour composer ce récit de noces
l’auteur a dû probablement se servir de souvenirs de faits réels, encore bien
vivants dans la mémoire collective de la communauté chrétienne de la fin du
premier siècle. Ces souvenirs gardaient l’écho d’un Jésus qui était loin d’être
un ascète, qui aimait manger et boire ; qui acceptait volontiers d’être invité
à une bonne table et qui, lorsqu’il en avait l’occasion, participait avec joie
aux plaisirs de la bombance et de la démesure typiques des banquets de noces de
son temps.
Quoi
qu’il en soit, la valeur de ce texte des noces de Cana n’est pas à chercher
dans les faits qu’il raconte et qui sont pleins d’invraisemblances, mais dans le
message et la bonne nouvelle que leur symbolisme veut transmettre. Il ne s’agit
pas d’un compte-rendu d’un fait historique, mais un texte exclusivement
catéchétique.
Disons
tout de suite que dans les livres prophétiques de la Bible (Osée, Isaïe), le
mariage est un cliché (une figure) souvent utilisé pour signifier l’alliance
entre Dieu et son peuple. À maintes reprises les prophètes comparent Dieu à un époux
et le peuple juif à une épouse qui ensemble vivent une histoire d’amour parfois
très belle, mais le plus souvent, difficile et tourmentée.
Dans
les évangiles aussi, le banquet des noces devient la figure des nouveaux temps
messianiques et d’une nouvelle forme de relation amoureuse entre Dieu et les hommes
inaugurée par la présence de Jésus et que les évangiles identifient au Royaume de Dieu parmi nous.
C’est
cette nouvelle alliance et cette meilleure qualité de relation amoureuse entre
Dieu et l’homme que le récit du mariage de Cana veut mettre en relief, en
racontant l’extraordinaire abondance du vin et son exquise qualité qui, grâce a
Jésus, réjouit et met en fête le cœur des convives. La qualité et la force de
ce vin est le symbole de la qualité et de la force de l’amour qui, dans la
communauté des disciples de Jésus, peuple de la nouvelle alliance, caractérise désormais
la relation avec Dieu et avec leurs frères.
Avec
ce récit, l’évangéliste Jean veut faire comprendre aux chrétiens de son époque
et donc à nous aussi, combien différents et combien meilleurs sont maintenant
nos rapports avec Dieu, qui ne sont plus établis, comme les anciens, sur une relation
de peur, de soumission, d’obligations, sur l’observance extérieure des lois,
des normes, de prescriptions, d'interdits, de rites qui laissent les croyant
vides et froids, mais sur la confiance en un amour gratuit d’un Dieu-Père-Mère
qui aime toujours, qui aime sans mesure et sans conditions.
Jean,
à travers les différents détails du récit, veut construire un scénario qui sert
à visualiser une réalité spirituelle et religieuse : à savoir, le fait que l’ancienne
alliance entre Dieu et son peuple avait été une relation où l’amour n’avait jamais
réussi à être réciproque. C’était un mariage qui traînait de la patte et où les
infidélités se succédaient. C’était un mariage où la relation était dure,
froide, vide, comme les six énormes jarres des ablutions rituelles posées, on
ne sait pas pourquoi, dans la cours des époux, mais qui ne servent plus à rien,
qui ne lavent et ne purifient plus personnes.
C’est
dire leur inutilité ; c’est dire l’insignifiance de la religion ancienne à
rendre les gens meilleurs et plus heureux. Le vide de la vieille religion avait
besoin d’être rempli par quelque chose de nouveau, par l’infusion d’un nouvel
esprit, par l’acquisition d’une nouvelle âme. La vieille religion était sans
saveur, vide de toute attirance ; elle était comme de l’eau plate, fade, sans goût,
sans couleur, ennuyeuse, que les gens ne buvaient que par habitude ou par nécessité,
mais qui ne réussissait pas vraiment à satisfaire leur soif de sens, de sensations
intérieures plus vraies, plus satisfaisantes, plus fortes et d’un bonheur plus complet.
Pour
que les choses changent, pour que le plaisir, la joie, l’exaltation et
l’ivresse soient à nouveau de la fête, il fallait remplacer les jarres de la vielle
religion par des jarres nouvelles, remplies jusqu’au bord, non plus d’eau insipide,
mais du vin enivrant de l’amour.
Dans
le récit, la tâche d’avertir les invités du manque existentiel dans lequel ils
se trouvent, est confiée à la Mère de Jésus, c’est-à-dire à celle qui était là
avant lui et qui représente donc le régime de l’ancienne alliance ou de la vieille
religion de la Loi mosaïque. La Mère court affolée vers son fils, consciente de
l’urgence et de la gravité de la situation, et presque en panique elle lui crie
qu’il n’y a plus de vin, c’est-à-dire, qu’il n’y a plus une once d’amour dans
ce mariage ; qu’il n’y a plus d’amour dans notre religion ; qu’il n’y plus d’amour
dans nos cœurs de pratiquants… et qu’il faut faire quelque chose ! L’évangéliste
imagine donc Marie courant vers Jésus parce qu’elle sait que lui seul est
l’Homme de la situation (envoyé par Dieu) capable de sauver les noces et de combler
le manque par une abondance débordante.
Il
faudra seulement, à l’exemple des serviteurs du récit, écouter Jésus, le suivre,
se laisser toucher et diriger par lui, boire de son vin, se laisser remplir par
son esprit… «Faire tout ce qu’il nous
dira». Alors la fête reprendra, les cœurs des convives se rejoueront et dans
les noces de la nouvelle alliance l’amour sera là pour faire le bonheur de
l’homme et la joie de Dieu.
Pour
Jean c’est désormais Jésus qui remplit les jarres de pierre dure et froide de
l’ancienne relation religieuse vide, triste et culpabilisante, avec le vin autrement
plus enivrant et réjouissant de l’amour. Jean veut donc par ce récit souligner
le fait que Jésus est venu inaugurer et réaliser une nouvelle forme ou un
nouveau style de relation amoureuse avec Dieu. Jésus en nous disant que Dieu
est un amour qui aime d’une façon absolue et inconditionnelle, inaugure une nouvelle
relation avec Dieu où son Esprit pénètre et anime l’homme et où l’homme repose et
s’abandonne comme un enfant dans les bras d’un Dieu aimant et amant prêt à faire
«tout ce qu’Il lui dira ».
MB - Janvier 2019
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