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mardi 27 novembre 2018

Une royauté pas comme les autres

(34e dim. ord. B – Fête du Crist-Roi - Jn. 18, 33-37)


            Cette fête catholique du Christ-Roi m’a toujours mis mal à l’aise étant donné que ce terme de « roi » a pour nous des connotations et des consonances qui s’accordent difficilement avec ce que Jésus a été et a enseigné au cours de sa vie.

            Ce titre de roi, en effet, comporte nécessairement l’idée de supériorité, de pouvoir, d’autorité suprême, d’honneurs, de faste, de richesses… qui sont des concepts et des attitudes que l’on ne peut évidemment pas attribuer à Jésus de Nazareth  et que celui-ci a toujours réprouvé et surtout refusé pour lui.

            À vouloir à tout prix garder le symbolisme de la royauté que cette fête liturgique nous propose, je préfère l’interpréter dans le sens d’une « royauté » personnelle que Jésus a vécue intensément et pleinement au cours de son existence parmi nous.

Par royauté personnelle j’entends le fait que Jésus a toujours été le maître et le souverain unique de son existence. Il ne s’est jamais soumis à personne, en dehors de Dieu. Il n’a reconnu et accepté dans sa vie aucune autre volonté, aucune autre autorité et aucun autre pouvoir. Il ne s’est laissé dominer ni par les instances civiles, ni par les instances religieuses. Il a été l’homme de la liberté et de l’indépendance la plus totale. Il s’est toujours senti libre vis-à-vis des impositions, des obligations, des contraintes qui lui venaient des lois, des normes, de préceptes, des interdits de la religion de son temps. Il a eu l’audace de se déclarer publiquement maître du sabbat et de disqualifier ouvertement tout usage d’autorité et de pouvoir qui ne prennent pas la forme du service gratuit et de la disponibilité amoureuse.

            Cette indépendance intérieure, cette maîtrise personnelle de sa vie et cette attitude de liberté royale de Jésus, brillent de tous leurs feux dans ce dialogue de Jésus avec Pilate proposé par l’évangile de Jean en ce dimanche. Jésus est devant le procureur romain comme l’accusé, le délinquant, le coupable, qui, apparemment, n’a plus aucun pouvoir, aucune valeur, aucune dignité, ni aucune liberté. Pilate, au contraire, semble être l’incarnation du pouvoir, de l’autorité, de la royauté et de la liberté. Il représente l’autorité impériale de Rome, il peut donc se permettre n’importe quoi ; il peut faire tout ce qu’il veut ; il a droit de vie et de mort sur ses sujets. Et il ne s’en privera pas de l’exercer.

            En réalité, Pilate est un pauvre type. C’est un opportuniste qui ne cherche que son succès ; qu’à louvoyer pour survivre dans un milieu politique fait de luttes, de rivalités et de compétions ; un fonctionnaire qui fait des pieds et des mains pour bien paraître, pour maintenir son poste ; pour défendre et renforcer par tous les moyens son prestige et sa bonne réputation vis-à-vis de Rome et des autorités religieuses juives. Il est un homme fondamentalement insécure, instable, lunatique, peureux et totalement dépendant de l’opinion publique et de la raison politique.

            De sorte que sa peur et son insécurité le poussent à agir et à gouverner comme un tyran, par le recours à une cruauté telle que Rome devra intervenir pour l’obliger à contrôler ses états d’âme psychopathiques et à limiter les massacres et le nombre d’exécutions.

            Confronté donc à la qualité humaine de Jésus, la piètre qualité humaine de Pilate ne fait vraiment pas le poids. Dans cette scène de Jésus au tribunal de Pilate, celui qui possède le contrôle de la situation et le véritable pouvoir sur sa propre vie, ce n’est pas Pilate, mais Jésus. Ici celui qui a un vrai comportement royal, ce n’est pas Pilate, mais Jésus. Ici ce n’est pas Pilate qui cherche à sauver Jésus, c’est plutôt Jésus qui cherche à sauver Pilate; à lui ouvrir le yeux sur la sombre vérité de sa vie; à lui faire comprendre que son pouvoir et sa liberté sont nuls tant qu’il ne sera pas capable de prendre le contrôle de sa vie, de se libérer de ses anxiétés, des ses peurs et de ses angoisses; tant qu’il ne cessera pas de vivre en fonction de sa carrière et en fonction des autres et d’être esclave de la satisfaction de ses ambitions et de ses rêves de gloire et de puissance.

            « Regarde-toi – semble lui dire Jésus – mes adversaires mon livré à toi pour que tu me juges et que tu me condamnes. En faisant cela, ils te dictent à l’avance quoi faire. Cela signifie qu’ils se moquent de ton autorité ; qu’ils te mènent par le bout du nez et qu’à leurs yeux tu n’es qu’une marionnette qu’ils font bouger à leur guise. Et tu te comportes envers moi exactement comme eux ont prévu que tu fasses. Tu sais que je suis innocent, et pourtant tu es trop lâche pour me faire justice et pour contrarier les autorités juives qui veulent ma mort. En réalité tu n’as aucun pouvoir et tu n’agis pas en maître de ton autorité et de la situation. »

            « Tu es esclave de tes peurs, de tes calculs politiques, des équilibres de pouvoir, de tes intérêts personnels et de tes ambitions. Tu es incapable de juger ma cause avec l’indépendance et la véritable autorité d’un magistrat libre et impartial. Tu n’es pas capable de prendre le contrôle de mon cas, comme tu n’es pas capable de prendre le contrôle de ta vie. Et alors tu t’en laves les mains, tu renonces et tu abdiques à tes responsabilités et tu condamnes un innocent et tu montres ainsi que tu es incapable d’agir selon la justice et de faire la vérité dans ta vie et dans celle des autres. »

            « Tu n’as donc aucun pouvoir ni sur ta vie, ni sur la mienne. Ma vie m’appartient totalement. Au contraire de toi, moi, ma vie je la possède pleinement, je la contrôle, je l’oriente et je lui donne la configuration que je veux. Ni toi, ni personne, vous ne pouvez me la prendre. Ma vie, je la vis comme je veux et je la donne quand je veux. Je suis le seul roi et maître de mon existence. Oui, cher Pilate, je suis roi, mais pas à ta façon, pas dans ton monde, pas en utilisant tes moyens. »

            Le discours que Jésus fait à Pilate, il l’adresse aussi à chacun de nous : « Es-tu maître et roi de ta vie ? Quelles autorités, quels principes, quelles valeurs orientent tes choix ? C’est qui, c’est quoi qui dirige ton existence ? Qui commande dans ta maison ? Est-ce toi qui régis les contenus de tes désirs, de tes aspirations, de tes rêves, de tes attachements, de tes amours ? Ou ce sont ces contenus qui contrôlent et qui commandent le déroulement de ton existence ? De quoi rêves-tu ? Rêves-tu de posséder en grand ou d’être grand ? De posséder beaucoup de biens ou de faire beaucoup de bien ? Veux-tu être roi, seigneur et maître de ton cœur, de ton âme et de ton esprit…? Es tu un homme libre ou un esclave : esclave des biens et des choses que tu possèdes, esclave de la drogue, de l’alcool, de la cigarette, de la pornographie, de la TV, d’Internet, des jeux en ligne, du téléphone intelligent …? Es-tu un homme libre ou un individu dépendant de sa cupidité, de ses pulsions instinctives, de ses préjugés, de son intolérance, de son agressivité, de la mode du moment, de la publicité, de l’opinion et des goûts des autres, des achats compulsifs, de la consommation à outrance… ?

            Cette fête est une bonne occasion pour réfléchir sur nos esclavages et nos dépendances, afin de faire naître en nous le désir d’être des personnes libres comme Jésus et de devenir, comme lui, les rois et les maîtres véritables de notre existence.



Bruno Mori – 19 novembre 2018




  

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