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mardi 16 octobre 2018

«Donne ton argent aux pauvres…»



(28e dim ord. B – Marc 10,17-30)

En lisant ce texte de l’évangile de Marc, je ne peux me soustraire à l’impression qu’il constitue une gifle en peine face flanquée à notre société capitaliste occidentale obsédée par le rêve d’un progrès et d’une croissance économique sans fin. Il s’agit là d’un monde dominé et gouverné par l’argent, bâti et orienté exclusivement sur l’accumulation des richesses, l’augmentation du capital, le rendement des investissements, la multiplication des gains et n’obéissant à aucune autre règle et contraintes que celles de l’efficacité, du rendement et du profit.

Dans notre culture moderne, l’argent est devenu une sorte de fétiche ou d’idole. Il représente la valeur suprême, le seul dieu capable d’assurer la réussite personnelle et le bonheur de l’individu. Le culte de l’argent a remplacé tous les autres cultes. Il constitue la nouvelle religion des temps modernes. Le Dieu de la religion traditionnelle a été destitué et remplacé par le dieu-argent. Ce dieu est désormais la seule divinité devant lequel le capitaliste moderne se prosterne et rampe, comme un esclave devant son maître. Il est le seul dieu auquel il est disposé à tout sacrifier : son temps, ses énergies, son équilibre psychique et psychologique, ses amis, sa famille, sa maison, l’avenir de ses enfants, la santé de son environnent naturel et de la planète, ainsi que sa dignité, sa raison, ses sentiments. Certaines manifestions exagérées du pouvoir que l’argent donne au riche frisent parfois le grotesque et portent les symptômes de la perturbation psychique et du trouble mental.

Comme tout bon et pieux croyant, l’homme capitaliste croit lui aussi que son dieu peut le sauver et le rendre heureux. Malheureusement, dans son aveuglement et obnubilé comme il est par son avidité, il ne se rend pas compte que son dieu est en réalité un démon qui le possède entièrement, qui le tyrannise, qui le prive de sa liberté et qui le ronge de l’intérieur, en détruisant peu à peu en lui tous ces traits de cœur et d’esprit qui font la qualité de sa personne et qui tracent la véritable configuration de son humanité.

De sorte que, si l’attachement à l’argent gonfle le volume du portefeuille du riche, il amincit inévitablement sa taille humaine et spirituelle. Et si le riche est gros, gras et bien portant sur le plan économique de l’avoir, il est, bien souvent, un anorexique sur le plan spirituel de l’être.

La société capitaliste moderne ne se rend pas compte que l’obsession et le culte généralisé de l’argent déshumanisent ; et, qu’en réalité, l’accumulation de l’argent entre les mains avides d’une petite minorité de magnats ou de super-riches, au lieu d’améliorer l’état du monde, ne fait que l’empirer, en créant partout injustices, inégalités, misère et pauvreté.

Est-ce qu’il vaut la peine de vouer un tel culte au dieu-argent si, ou bout du compte, il ne réussit jamais à maintenir ses promesses de prospérité, de réalisation personnelle et de bonheur véritable ? Le prophète de Nazareth était convaincu que non.

Il affirmait, en effet, qu’il est plus facile à un chameau de passer par les trou d’une aiguille, qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu : c’est-à-dire dans l’expérience d’une perfection intérieure et d’un bonheur dont la source et située ailleurs que dans l’argent.

Jésus, homme intelligent et perspicace, savait quels dégâts l’attachement exagéré à l’argent peut causer à la qualité humaine et spirituelle d’une personne. C’est pour cela qu’il met continuellement en garde ses disciples contre les dérives de la cupidité et contre cette forme d’addiction et de dépendance. C’est pour cela qu’il pousse constamment les siens dans la direction opposée, en valorisant le détachement et la pauvreté comme une forme de vie et une attitude de fond qui devraient caractériser la physionomie spirituelle du disciple et donc du chrétien que nous sommes.

Si Jésus fait l’éloge du détachement, ce n’est évidemment pas pour que les gens manquent du nécessaire. Il veut au contraire qu’à tous soit assuré un confort sobre et décent qui rende possible une existence vécue dans la joie et la dignité.

Il refuse cependant à quiconque le droit d’aimer l’argent plus que tout. Il sait qu’être riche ou être pauvre, c’est une question d’attitude intérieure, de choix existentiel et de style de vie. On peut être riche, même si l’on est pauvre ; et on peut être pauvre, tout en étant riche. Je peux, en effet, être pauvre et ne rêver qu’à l’argent. Je peux être riche et être disposer à le partager.

Jésus est convaincu que le cœur de l’homme est à l’image du cœur de Dieu; et qu’il est donc fait pour contenir des valeurs plus sacrées, plus levées et plus précieuses que nos convoitises matérielles, nos ambitions économiques ou l’intérêt démentiel que nous portons souvent à nos comptes bancaires.

Être riche ou être pauvre, c’est finalement une question de cœur. C’est pourquoi il est important de savoir où j’ai placé mon cœur; de quoi il est rempli ; pour qui et pour quoi il bat. Utilisons-nous nos biens et notre argent pour en faire l’expression et l’incarnation bénéfique de notre amour ; un amour qui cherche à se répandre sur les autres et qui veut partager avec les autres ? Ou utilisons-nous nos biens seulement pour satisfaire nos appétits, nos caprices et nos égoïsmes personnels, en suffocant les forces amoureuses qui habitent dans notre cœur et qui sont les seules capables de nous donner une vie qui vaille la peine d’être vécue.

Jésus est convaincu que l’homme profane son cœur, lorsqu’il le remplit avec l’amour de l’argent, au lieu de le remplir avec l’amour de Dieu et de son prochain. Vivre uniquement dans le but d’accumuler de l’argent, de ramasser des biens et de s’encombrer de choses, n’est-ce pas sombrer dans l’idiotie ? N’est-ce pas faire un gâchis de sa vie ? N’est-ce pas rater le but de notre présence en ce monde ? 

Sommes-nous ici pour accumuler et dépenser de l’argent ; ou sommes-nous ici pour accumuler et dépenser de l’amour ? Voilà la question qu’aujourd’hui Jésus nous pose et à laquelle chacun de nous doit répondre.  


(Bruno Mori - 9 octobre 2018)

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