(5e dim. carême, B - 2018 - Jn 12, 20-23)
Avec
cette parabole du grain de blé, Jésus veut nous confronter à une attitude
qui a constitué une caractéristique essentielle de sa vie et qui, dans sa
pensée, acquiert aussi valeur de loi universelle pour quiconque cherche à
donner sens et plénitude à son existence : le grain de blé semé dans la
terre doit «mourir» pour porter du fruit. Dans cette image utilisée par Jésus
le mot clef est le verbe «mourir».
Accepter
cependant de mourir a du sens seulement s’il existe une raison valable, noble
et grande pour le faire; seulement si la mort devient un principe ou une cause de
salut et de vie pour un autre ou pour d’autres. Jésus ne voulait pas mourir. Il
voulait cependant que sa vie et son action servent à apporter un peu plus de
vie, de santé, d’espoir, et de bonheur au pauvre monde qui l’entourait. Il
voulait que le grain de blé de sa vie devienne un bon pain offert à l’appétit
de tous les affamés de la terre. Et c’est à cause de cela qu’il n’a pas cherché
à se soustraire à la mort.
Cette
parabole du grain de blé qui doit nécessairement se décomposer pour devenir ce
qu’il est destiné à être, énonce alors une loi universelle qui s’applique aussi
à tout humain qui veut vivre en accord avec sa nature : nous tous devons
mourir à quelque chose ou à plusieurs, si nous voulons que notre vie devienne
belle, bonne, féconde, attachante, heureuse et réussie.
Nous
devons mourir, à nos instincts mauvais, à nos vices, à nos dépendances asservissantes,
à notre égoïsme, à notre cupidité, à l’esclavage de l’avoir, du posséder, de
l’accumuler. Nous devons mourir à l’illusion de la satisfaction, du bien-être et
du bonheur par la consommation impulsive et démesurée. Nous devons mourir à
l’angoisse du pouvoir, qui nous pousse à vouloir être supérieurs aux autres, plus
performants que les autres, plus importants et plus puissants que les autres …
Jésus ici nous
avertit que si nous ne réussissons pas à faire mourir en nous cette partie
obscure et sinistre de notre nature, jamais l’homme nouveau, libre et transfiguré
que nous sommes appelés à devenir, ne verra la lumière; jamais une meilleur
forme d’humanité ne pourra naître en notre monde.
Cette
loi du mourir et du lâcher prise est une loi nécessaire à notre croissance humaine
et spirituelle, si nous voulons grandir en conformité avec l’esprit de Dieu,
tel que l’Homme de Nazareth nous l’a montré agissant dans sa vie. Ainsi ce
texte d’évangile veut-il nous faire comprendre qu’il faut que, quelque part, nous
fassions taire ou que nous éliminions ce qui vient de notre esprit, pour faire
place à l’esprit qui vient de Dieu. Il faut que notre ego meure et avec lui
notre vision et notre perception limitée, opportuniste, égoïste, matérialiste de
la réalité, pour qu’elles soient remplacées par ce regard d’amour «divin» posé
sur toute chose qui fait jaillir en nous la source du soin, du respect, de la
compassion, de la tendresse et du don de nous-mêmes qui procurent du sens,
valorisent et accomplissent notre vie.
C’est
en cela que consiste la grande loi de la vie et de sa bonne réussite. La vie,
tu l’as reçue non pas pour la retenir, mais pour la donner; non pas pour la
posséder pour toi tout seul, mais pour la partager. Finalement, cet évangile
nous révèle que, sur l’échiquier de la vie, il faut jouer la partie du «qui
perd, gagne». Et l’ironie dans tout cela, c’est de constater que celui qui ne
veut mourir à rien (c’est à dire qui ne veut pas changer, se rénover, se
corriger , évoluer , croître…) est déjà un mort-vivant. En effet, il ne
réussira jamais à découvrir et à développer tout le potentiel de bien, de
bonté, de générosité, d’empathie et de don
de soi que Dieu a déposé dans les profondeurs de son cœur.
Comme le grain
de blé, nous devons tomber à terre et mourir, pour porter du fruit.. Tomber à
terre et mourir signifie nous salir les mains et nous confronter avec la dure
réalité de la vie; payer de sa personne; trouver les solutions adéquates aux
problèmes concrets de l’existence; porter aide et soulagement à ceux qui se
trouvent dans le besoin, la détresse, l’injustice, l’oppression. En tant qu’humains
et chrétiens, nous n’avons pas le droit de dire à ceux qui souffrent (comme on
le faisait souvent autrefois dans nos églises): « Endurez, acceptez vos maux et
vos épreuves avec foi et patience; la vie est une vallée de larmes. Jésus aussi
a souffert sur la croix ; souffrez, vous-aussi accumulerez des mérites devant
Dieu qui vous donnera votre récompense au ciel ... ».
Tomber à terre
comme le grain de blé signifie renoncer à se voir placés plus haut que les
autres; à se croire supérieurs aux autres; plus grands, plus importants, avec
plus de droits et de privilèges que les autres.
Tomber à terre
comme le grain de blé signifie accepter le caractère vulnérable de notre
nature, nécessairement affectée par le terreau humain dans lequel elle a été
plantée. Cela signifie donc être capable d’accepter notre sensibilité, nos
moments d’obscurité, d’égarement, d’angoisse, de peur et de pleurs, ainsi que
nos heures d’extase, de joie et de bonheur.
Tomber
à terre comme le grain de blé signifie aussi être capable d’apprivoiser et de
se pacifier avec nos faiblesses, nos limites, nos défauts, nos erreurs, nos
fautes, comme étant des blessures et des entailles que la vie forme
inévitablement dans la paroi de notre vécu quotidien, mais qui peuvent
cependant servir de tremplin ou de point d’appui pour grimper à un niveau plus
élevé de notre existence.
Il y des
personnes qui ne vivent que pour elles-mêmes, Elles sont une graine qui meurt,
mais qui ne porte pas de fruit. Leur existence n’est d’aucun aide, d’aucun soutien
à personne. On ne peut rien apprendre, ni rien prendre d’elles. Elles sont
comme une semence qui ne s’est jamais enracinée ; qui n’a jamais acquis de la profondeur,
qui n’a jamais germée, jamais grandie, jamais mûrie, qui est restée stérile, ne
donnant donc aucun fruit.
Il
y a des individus qui ont toujours vécu à la surface, au ras du sol, sans
aucune spiritualité. Ils n’ont acquis ni aucune sagesse, ni aucune profondeur.
Ils n’ont jamais regardé en haut, mais toujours en bas. Ils n’ont jamais essayé
de percer aucun mystère. Ils n’ont jamais aperçu d'anges. Ils n’ont jamais ressenti
la nostalgie du paradis perdu ou d’un monde habité par des esprits pleins de grâce,
d’amour et de bonté. Ils n’ont jamais entendu les arbres parler. Ils n’ont jamais
eu l’impression que, dans les champs et les jardins, les fleurs s’habillent de
leurs plus belles couleurs pour se séduire et se faire la cour. Ils n’ont
jamais remarqué que sur les arbres et dans les buissons les oiseaux se gazouillent
des chansons d’amour. Pour ces gens le monde est sans poésie, sans charme, sans
ouverture, sans fantaisie, sans esprit..
Ces
gens vivent dans un monde gris, opaque, fermé et insignifiant. Ils passent le
meilleur de leur temps à travailler, à gagner de l’argent, à faire carrière, à gérer
leur commerce, à bichonner leur voiture, à mettre en ordre leur garage, à faire
des réparations à leur maison; à apporter des améliorations à leur chalet ; à
cuisiner des gueuletons avec les amis; à faire des voyages ; à tuer le temps devant
la PlayStation ou la TV ;
à commérer avec les copains et les copines sur les réseaux sociaux ; à acheter
et accumuler toute sorte de gadgets et bébelles inutiles, question d’être à la
fin pointe de la technique et du progrès et de ne pas se sentir inférieurs aux copains…
Il n y a rien de mal en tout cela ! Mais le mal c’est de ne mettre la valeur de
sa propre vie qu’en cela !
Il est
dramatique de constater qu’il existe un grand nombre de personnes (j’oserais
presque dire qu’il s’agit de la majorité) qui passent à travers la vie sans
jamais se douter qu’il est possible de donner une profondeur spirituelle à leur
existence. Ces individus n’auront peut-être fait aucun mal, mais ils n’auront
fait aucun bien. Ils mourront tristes, en laissant le monde comme ils l’ont
trouvé, sans aucune trace de leur passage. Ils n’auront apporté aucune amélioration.
Ils n’auront construit rien de durable ni de valable. Ils auront vécu inutilement,
en gaspillant leur temps, en remuant de l’air, en s’agitant pour des banalités.
N’ayant vécu que pour eux-mêmes, ils mourront sans deuil, sans regrets, sans
larmes de la part de personne.
Ils auraient pu
devenir un arbre majestueux pour le bonheur et la satisfaction de beaucoup; mais
ils ne se sont pas préoccupés de le faire grandir. Ils ont eu peur des problèmes
et des complications que cela pouvait leur procurer. Ainsi l’arbre de leur vie
est-il resté stérile. Il n’a jamais produit les fruits qu’il aurait pu donner.
« Ne
soyez pas de ces gens là » - nous avertit le Maître dans l’évangile de ce
dimanche - « comme moi j’ai fait avec ma vie, vous aussi donnez la vôtre ! C’est
la seule façon que vous avez de transformer votre existence transitoire en une
source de satisfaction et de bonheur éternels. »
Bruno Mori - mars 2018
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