JÉSUS DE
NAZARETH
Il est impossible d’entreprendre une réflexion sur l’Église sans posséder
une certaine connaissance de la vie et de l’activité du Prophète de Nazareth
qu’elle affirme représenter sur terre. Pour comprendre mon travail il est donc
nécessaire de posséder une certaine connaissance de la personne et de l’œuvre
de Jésus de Nazareth. Les livres sur Jésus de Nazareth remplissent des
bibliothèques. J’y renvois donc le lecteur. Même si du point de vue historique
on ne connaît pratiquement rien de Jésus, on peut cependant deviner l'esprit
qui l'animait et l'originalité de ses intuitions, en les déduisant de la foi de
ses premiers disciples, telle qu'elle s'est exprimée dans la littérature
chrétienne des origines. Parmi les nombreux ouvrages qui traitent de origines du
christianisme, je conseille au lecteur une courte étude de Lucette Woungly-Massaga sur Juda Iscariote qui porte comme titre «Juda, mon ami» (Ed. du
Moulin, 1993). Dans cet ouvrage, l’auteur décrit, d'une façon magistrale,
claire et synthétique, le climat politique, culturel et religieux qui régnait
en Palestine lorsque Jésus de Nazareth fit son apparition sur la scène
publique. La connaissance du contexte politique, culturel et religieux dans
lequel le Nazaréen a vécu, est fondamentale pour la compréhension de son œuvre.
Dans ce chapitre et le suivant, je traiterai
de certains aspects de la vie et
de la pensée de Jésus
qui ont le plus marqué la
réflexion postérieure de la pensée
chrétienne.
JÉSUS
EXÉCUTÉ SUR UNE CROIX
La doctrine de l’Église soutient que la mort de Jésus sur la croix
accomplit la rédemption de l’humanité. Ce supplice, qui répare les péchés des
hommes, leur mérite la grâce et le salut de Dieu. À cause des bénéfices qu’elle
a obtenus à l’humanité, la croix est devenue le symbole du christianisme et un
objet de culte et de vénération. Signe
de rédemption et de salut, la croix s’est transformée, dans la spiritualité
chrétienne, en symbole des sacrifices et des souffrances que les chrétiens
doivent non seulement accepter mais aussi rechercher, s’ils veulent avancer sur
la voie de la perfection et de la sainteté.
Toutefois, malgré le difficile respect que j’ai pour la théologie de la
rédemption par la croix et l’étonnement que j’éprouve pour la naïve générosité
et même l’héroïsme de ces innombrables chrétiens qui ont cru se sanctifier à
travers la pratique d’une spiritualité austère, je me sens de plus en plus
inconfortable devant la perception traditionnelle du rôle et de la fonction de
la croix dans le catholicisme. Je suis d’avis qu’il est nécessaire de
comprendre autrement la réalité de la croix si on veut qu’elle fasse encore du
sens pour les hommes et les femmes du troisième millénaire.
La mort de Jésus sur la croix est le seul fait de sa vie qui soit
historiquement certain. La raison principale de l’exécution de Jésus doit être
cherchée dans la charge déstabilisatrice et révolutionnaire de sa prédication.
On pourra partager ou non le contenu de son message ; on pourra être ou ne pas
être d’accord avec ce que cet homme a dit et fait ; une chose toutefois me
paraît certaine: en tant qu’être humain je ne pourrai jamais accepter que le
désaccord s’exprime à travers la violence et la cruauté. Je ne pourrai jamais
ratifier la haine et les raisons du pouvoir qui aboutissent à la destruction de
la vie. Je ne pourrai jamais approuver
le fait que des humains puissent être anéantis par d’autres humains. La croix sur laquelle Jésus a été supplicié
est et reste donc, pour moi, un affreux instrument de torture. Elle est et elle
reste pour moi le signe incontestable de la barbarie, de la haine et de la
méchanceté humaine. Je suis absolument incapable de considérer comme un signe
d’humanité et d’amour aucun engin construit pour tuer, que ce soit la croix, le
bûcher, la guillotine, la chaise électrique ou l’arsenal sophistiqué et
monstrueux des armes modernes. Par
quelle perverse tournure d’esprit, la spiritualité et la théologie catholique
ont-elles pu arriver à faire de la croix le symbole de l’amour de Dieu pour les
hommes, voilà quelque chose que j’aurai toujours du mal à comprendre.
Et pourtant le vendredi saint la liturgie catholique propose à ses fidèles
le rite de la ”vénération” de la croix. À part le malaise que je ressens à
utiliser le mot “vénération” pour un instrument de torture, ce rite m’a
toujours paru non seulement religieusement incongru, mais humainement insupportable.
Quelle société ou quel organisme pourrait avoir l’idée de proposer à leurs
membres la vénération et le culte de l’engin qui a servi à faire souffrir et à
faire périr leur maître, leur leader ou leur fondateur ? Comment jugerait-on l’état mental d’un dévot
de Sainte Jeanne d’Arc qui aurait l’idée de vénérer le bûcher sur lequel elle a
été brûlée ? Cette triste cérémonie du vendredi saint a ses racines
idéologiques dans la conviction que, par volonté divine, nous ne sommes sauvés
que par la souffrance, que seulement la douleur est capable de réparer le péché
dont nous sommes pétris et qui est la cause de tous nos malheurs.
J’ai la ferme conviction que la mort est toujours un drame et une
catastrophe dans la vie d’un être humain. Elle ne peut jamais être ni aimée, ni
voulue. Un homme qui chercherait volontairement à mourir ne serait pas dans son
état normal. Je pense qu’il n’est donc pas exact d’affirmer que Jésus a voulu
mourir sur la croix ; et que c’est une affirmation théologique tout à fait arbitraire
celle qui cherche à attribuer à Jésus la volonté et même le désir de mourir
pour accomplir le dessein de Dieu. Les textes bibliques (surtout l’Évangile de
Jean) sur lesquels cette assertion se base, sont déjà le fruit et l’expression
d’une interprétation théologique et de la divinisation de la figure de Jésus.
Ainsi le Catéchisme de l’Église Catholique veut faire croire que “ce
désir d’épouser le dessein d’amour rédempteur de son Père anime toute la vie de
Jésus car sa passion rédemptrice est la raison d’être de son Incarnation “10.
Je pense qu’il est plus vraisemblable de supposer que Jésus, comme tout être
humain normal, n’a jamais ni voulu, ni cherché, ni désiré sa mort ; et qu’il en
a eu peur comme tout le monde. La mort de Jésus est le fruit de son courage et
de sa force intérieure. Elle est, certes, l’aboutissement logique d’une
attitude de cohérence et de fidélité à des convictions qui ont conduit le
prophète de Nazareth à ne pas se dérober à une conclusion fatale de sa vie.
Mais cette mort n’est certainement pas le résultat d’une attitude masochiste
qui aurait poussé le Maître à désirer la souffrance pour plaire à Dieu ou pour
sauver le monde.
UNE MORT QUI
SAUVE ?
Une certaine théologie catholique semble vouloir “fétichiser” la mort en
croix de Jésus. Pour cette théologie nous sommes sauvés par le drame de sa mort
et non pas par les événements qui ont tissé la trame de sa vie. Ceux-ci ne
semblent avoir aucune valeur, puisque toute la puissance qui sauve jaillit
exclusivement de sa mort. La vie de Jésus ne compte pas. Ce qui compte c’est sa
mort! À la limite, Jésus aurait pu aussi bien passer tout son temps assis sur
le perron de sa maison de Nazareth, le seul fait de mourir sur une croix aurait
suffit à sauver l’humanité. Je suis plutôt d’avis que la valeur d’une existence
d’homme est davantage donnée par la qualité de sa vie que par la qualité de sa
mort. Une mort, surtout si elle est violente, peut être la conséquence d’une
vie héroïque qu’elle peut même couronner avec le diadème du martyre ; mais elle
n’ajoute à cette vie aucun contenu nouveau.
Martin Luther King restera toujours une grande figure dans l’histoire de
l’humanité, non pas tant parce qu’il est mort assassiné, mais parce qu’il a
vécu pour défendre la liberté, la valeur inaliénable de la personne et pour
lutter contre l’injustice du racisme et de la ségrégation.
On peut en dire autant de Jésus de Nazareth. L’amour et l’admiration que
nous ressentons pour lui nous viennent de ce que Jésus a dit et fait pendant
les jours de sa vie. Jésus est pour nous un principe de vie, de transformation,
de libération et de salut à cause de sa vie et non pas à cause de sa mort.
C’est sa vie qui est féconde. Sa mort
est complètement stérile. Elle ne nous apporte rien. Au contraire, elle nous a
enlevé à tout jamais, et d’une façon cruelle et prématurée, un Maître de
tendresse que nous aurions tellement voulu garder le plus longtemps possible
parmi nous. Cette mort a ravi à l’humanité une de ses plus admirables
expressions et une de ses meilleures réalisations. Pour moi, une chose est
absolument certaine : nous sommes sauvés par la vie de Jésus de Nazareth et non
pas par sa mort.
UNE MORT
VOULUE PAR DIEU ?
La grande majorité des États modernes a aboli aujourd’hui la peine de mort.
On assiste, un peu partout dans le monde, à des mouvements pour l’abolition de
la torture et de la peine de mort. Ces mouvements veulent sensibiliser nos
sociétés sur le caractère barbare et profondément inhumain de ces châtiments.
Comme il n’est plus possible aujourd’hui, à cause de la puissance destructrice
redoutable des armes modernes, d’envisager une guerre qui soit “juste”, de la
même façon, on éprouve de plus en plus de difficultés à justifier le recours à
la peine capitale pour décourager ou endiguer la criminalité. La valorisation de la personne et les
meilleures connaissances que nous avons acquises dans le domaine de la
psychologie et des sciences humaines nous poussent à admettre que l’erreur ou
le délit ne constituent jamais des raisons suffisantes pour enlever au coupable
le droit à une autre chance dans la vie ou le droit à la vie tout court. Pour
la mentalité moderne le fait de vouloir la mort de quelqu’un, même si cela sert
à rétablir un certain semblant de justice, suppose toujours une attitude qui
est indigne d’un être humain. Et cela non seulement à cause de la valeur unique
de la personne confirmée par le commandement divin du “Tu ne tueras pas”, mais
aussi à cause du principe éthique que “la fin ne justifie jamais les moyens”.
Or, j’ai l’impression que la doctrine catholique de la Rédemption ne semble
pas respecter ni ce commandement de Dieu ni ce principe moral. Selon cette
théologie, la mort de Jésus est l’instrument du salut et elle a été voulue et
programmée par Dieu de toute éternité. Jésus l’a assumée en esprit d’obéissance
et d’amour. D’après la pensée catholique, cette mort est nécessaire à la
rédemption. Selon cette même pensée, les comportements que la sensibilité moderne
rejette, sont attribués à Dieu lui-même.
Le Dieu qui a dicté à Moise le commandement du “Tu ne tueras pas”,
est celui-là qui a organisé et réalisé l’exécution, non pas d’un être humain
quelconque, mais de son propre Fils. Dieu a pris la décision de faire périr son
Fils non pas pour des raisons objectivement graves, mais pour des raisons, si
je peux m’exprimer ainsi, strictement personnelles. Il fallait à Dieu du sang
pour se calmer et pardonner. Pour acquitter la dette du péché, Dieu s’est payé
lui-même, en versant le prix du sang de son Fils. Pour réparer les dégâts
causés par la méchanceté humaine, Dieu est devenu méchant lui-même. Pour calmer
son agressivité, Dieu a tué. Mais en
agissant de la sorte, Dieu ne semble-t-il pas sanctionner la violence et faire
du meurtre et de la peine capitale des moyens légitimes de réparation et de
rachat ? 11
De cette mise en scène catholique sur la valeur et les conséquences de la
mort de Jésus, je tire au moins trois conclusions. Premièrement, elle ne
représente pas le scénario le plus apte à inspirer et à stimuler la lutte
contre ces formes de violence et de cruauté que sont la guerre, la torture et
la peine capitale. Deuxièmement, ce scénario discrédite l’image de Dieu,
ridiculise les contenus du dogme catholique et encourage l’athéisme : car
personne, en possession de ses esprits, serait capable de croire en des
pareilles idioties et de donner son amour à un Dieu aussi sanguinaire. Finalement, cette conception banalise la vie
de Jésus, qui est réduite à n’être qu’un simple prélude au seul événement
vraiment important : sa mort sur la croix.
UNE CROIX
GLORIEUSE ?
Puisque la croix nous a restitué la bienveillance de Dieu et nous a libéré
du péché, elle est devenue- dans la tradition et dans la dévotion chrétienne -
la grande bienfaitrice de l’humanité et donc l’objet de la gratitude, de la
vénération et de l’amour des croyants. Cet instrument de torture s’est
transformé en don de Dieu, en signe de son amour ; en symbole de victoire, de puissance et de salut. C’est au nom
de la croix et marquées par ce signe que les armées de Constantin ont massacré
celles de Maxence (312): que Charlemagne a écrasé et exterminé les Saxons
(782); que les Croisés ont tué et pillé (1099)12: que les colonisateurs
chrétiens d’Europe ont anéanti les indiens des Amériques. Ce gibet qui servait
autrefois à éliminer les plus misérables et les plus impuissants (esclaves et
bandits) est devenu le signe sous lequel et par lequel les plus faibles
continuent à être martyrisés et les plus naïfs à souffrir, convaincus de rendre
ainsi gloire à Dieu.
En réfléchissant sur la dévotion chrétienne de la croix, j’ai découvert,
avec étonnement, que cette dévotion est en fait inspirée par un égoïsme
déconcertant. J’ai l’impression que la vénération de la croix est fondée sur la
persuasion chrétienne que grâce à elle d’immenses avantages spirituels sont
arrivés à l’humanité. C’est cela qui compte et qui est important ! Tant pis si
Jésus de Nazareth y a été écartelé jusqu’à en mourir ! Soyons donc reconnaissants pour cette croix !
Il est facile de constater ici que, dans la dévotion chrétienne à la croix, ne
s’exprime pas tellement l’amour du chrétien envers Jésus, mais bien plutôt
l’amour du chrétien envers lui-même.
Ainsi cette croix ne m’apparaît pas seulement comme un affreux symbole
de la cruauté des hommes, mais aussi comme un signe inquiétant de leur égoïsme.
Enfin l’exaltation de la croix, en
divinisant la souffrance, l’obéissance et la soumission, sert aussi, à mon
avis, à justifier et à fonder le pouvoir. Comment en effet les fidèles
oseraient-ils se révolter contre le pouvoir établi ou désobéir aux injonctions
d’une autorité religieuse voulue par Dieu, si Jésus, pour obéir à ce Dieu, a
été capable d’aller jusqu’à la mort et d’endurer le supplice de la croix?
JÉSUS
"RESSUSCITÉ" TOUJOURS VIVANT
Ce Jésus,
embarrassant et révolutionnaire, que les autorités politiques et religieuses de
son temps ont éliminé en l'exécutant sur une croix, ses disciples soutiennent
qu'il est toujours vivant, car Dieu l’a "réveillé" d’entre les morts. Il n’existe pas
dans les écrits du Nouveau Testament de terme réservé à l’idée de résurrection.
Pour exprimer ce concept, les textes du N.T. utilisent principalement de deux verbes qui ont un
sens plus courant et plus étendu que le terme même de “résurrection».
Le premier verbe plus fréquemment
utilisé est “egeiro” 13 qui signifie se réveiller, sortir d’un
état de sommeil . Ce verbe, dans sa forme passive14 est presque
exclusivement appliqué à Jésus, pour exprimer son passage de la mort à la vie.
Jésus est vivant, car “il a été réveillé” par Dieu.15 L’autre verbe est
“anistemi”16 qui signifie se
relever, se mettre debout, se dresser
après avoir été dans une position couchée, allongée ou assise. Ce verbe
est à l’origine du mot “anastasis” 17 par lequel les textes du N.T. semblent
vouloir indiquer la foi en la doctrine du “relèvement” ou de la
“résurrection des morts”, telle que
professée par les courants apocalyptiques au temps de Jésus 18.
Les
plus anciens témoignages de la foi chrétienne en la “résurrection” de Jésus
datent de vingt ans après sa mort, et ils se trouvent dans les Lettres de Paul
(surtout aux Thessaloniciens et aux Corinthiens écrites entre les années 50 et
52) et dans certains textes des Actes des Apôtres.19 Ces textes,
cependant, ne sont pas une description de la résurrection, mais ils
constituent des affirmations de foi en
la puissance de Dieu qui a “réveillé” et “remis sur pied” son Christ, en
l’arrachant au monde des morts 20.
La foi en la “résurrection de Jésus” est donc étroitement liée à la doctrine
apocalyptique de la “résurrection des morts” dont elle est une conséquence.
Nous savons que les pharisiens du temps de Jésus croyaient en la
résurrection des morts. Paul de Tarse était un pharisien converti. Pour Paul la
foi en la résurrection de Jésus est une conséquence de la foi en la
résurrection des morts. D’après cet apôtre, ce n’est pas parce que le Christ
est ressuscité que les morts ressuscitent ; mais c’est parce que les morts
ressuscitent que le Christ est ressuscité. Paul fait de la foi en la
“résurrection” la condition indispensable pour admettre la “résurrection” de Jésus
et celle de tous les humains. Il affirme en effet que s’il n’y a pas de
“relèvement” (anastasis ) des morts, le Christ non plus n’a pas été
réveillé du sommeil de la mort. Et si le “relèvement” (la résurrection) des
morts ne s’est pas réalisé en Christ, il ne s’appliquera pas aux humains non
plus. La foi en Dieu qui réveille les morts est alors une chimère et ceux qui
la professent sont des faux témoins et des malheureux, puisqu’ils ont fondé
leur vie sur une illusion.
Pour
comprendre les récits évangéliques de la “résurrection ”de Jésus, imprégnés
d’images et de symboles, il faut se souvenir que la pensée juive ne connaissait
pas la division dualiste entre corps et âme, typique de la philosophie
grecque. Pour le juif, l’être humain est
un tout. Son corps est une partie essentielle de sa personne. L’individu ne
peut pas exister sans son corps. Il s’ensuit que la foi en la résurrection des
morts implique nécessairement la foi en une recomposition, en une réanimation
et en une reprise du corps. C’est cette croyance qui est exprimée dans
les lettres de Paul et dans les images très réalistes des récits des
apparitions du “Réveillé” que nous trouvons dans les Évangiles. Les Évangiles,
de leur côté, ne décrivent pas le ”fait” de la résurrection. Ils racontent
plutôt des expériences intérieures de certains disciples qui, étant
particulièrement proches de Jésus, l'ont vu et l’ont expérimenté comme toujours
agissant. Les Évangiles disent comment
Jésus, après sa mort "a été vu" par quelques-uns de ses
disciples, comment il s’est manifesté dans leur existence comme encore
vivant 21 .
Je suis conscient que la “résurrection” de Jésus est un élément essentiel
de la foi chrétienne. Il existe
cependant une conception physique ou matérielle de la résurrection à laquelle
je ne peux plus adhérer. Parce que la résurrection de Jésus est considérée par
la doctrine catholique comme une donnée fondamentale de la foi, est-il
nécessaire de la transformer pour autant en une notion insupportable pour
l’intelligence et la raison ? Parce qu’on tient absolument à affirmer la
réalité de la résurrection, faut-il pour autant la réduire à un événement
historique qui aurait pu faire la une des journaux de l’époque ? Parce qu’on ne
peut pas être chrétien sans croire que Jésus est ressuscité, ne faudrait-il pas
essayer de repenser et de présenter autrement cette donnée chrétienne, afin que
les croyants d’aujourd’hui ne soient pas acculés au terrible dilemme d’accepter
l’absurde ou de renoncer à leur foi ? Ne
faudrait-t-il pas chercher à comprendre différemment ce phénomène de foi, en le
situant davantage dans le monde de l’intériorité, de l’expérience personnelle,
de la réalité spirituelle, plutôt que dans celui de la réalité physique et
matérielle ?
Après m’être longuement questionné sur la façon traditionnelle de concevoir
la résurrection de Jésus de Nazareth, je suis enfin parvenu à me faire une idée
personnelle qui me satisfait et qui a permis de préserver ma foi sur ce point
crucial du dogme chrétien, mais en l’interprétant d’une façon différente. C’est
donc ma conception de la résurrection que je partage ici avec le lecteur.
Pour faire comprendre ce qui,
d’après moi, s'est passé dans la communauté des disciples après la mort de
Jésus, je me servirai d’une comparaison. Est-ce que Wolfgang Amadeus Mozart est
vraiment mort ? Peut-on, en toute
vérité, dire de Mozart qu'il n'existe plus ?
Je ne serais pas prêt à l’affirmer. En réalité, ce qui reste de lui,
c’est le meilleur de lui. Ce que Mozart nous a laissé de lui, c’est ce qu'il y
a de meilleur en lui. Ce qu’il nous a transmis et ce que nous possédons
maintenant de lui, suffit à faire tressaillir le cœur des humains jusqu'à la
fin des siècles. Le meilleur Mozart, le vrai Mozart, n'est donc pas celui qui est
descendu dans la tombe, mais celui qui est arrivé jusqu'à nous. La terre a son
corps, mais nous, nous avons sa musique et donc les manifestations les plus sublimes de son
esprit. Le meilleur de Mozart, c'est donc nous qui le possédons ! Pour tous
ceux qui aiment sa musique, Mozart est loin d'appartenir au passé. Il est, au
contraire, toujours présent et toujours vivant ; plus vivant, d’une certaine
façon, après sa mort que pendant sa vie. Qu’importe alors le sort de son corps
! Qu'importe sa dépouille mortelle qui
se décompose dans un tombeau, si son œuvre et son esprit continuent à composer
de l'harmonie et à produire du bonheur dans nos vies ! Mozart vit dans son
œuvre et par son œuvre.
Ce que nous disons de Mozart, nous pouvons l'affirmer, à plus forte raison,
de Jésus de Nazareth. Nous pouvons dire que le meilleur de Jésus n’a jamais été
enfermé dans un tombeau, mais qu’il continue à faire vibrer, à transformer et à
rebâtir la vie des hommes et des femmes qui ont eu la chance de le rencontrer.
Il nous importe donc peu de connaître le sort du cadavre détaché de la croix.
Cette dépouille n'est plus d'aucune importance et elle n'a plus aucune valeur.
La valeur de l'Homme de Nazareth est donnée, non pas par ce qui reste de son
corps, mais par ce qui reste de son esprit. De la même façon, Jésus est vivant
dans la vie de ses disciples non pas à cause de sa mort, mais à cause de ce
qu’il a accompli au cours de son existence ; à cause de son Esprit qui
continue, au-delà de la mort, à fasciner et à séduire le cœur des humains.
Si nous connaissions un peu mieux la mentalité des orientaux qui aiment
parler en images et qui sont capables de construire des scénarios fantastiques
pour exprimer, à travers la parabole, le symbole et même l'hyperbole, le
contenu parfois indicible d'une expérience humaine et spirituelle profonde,
peut-être aurions-nous en main la clef pour interpréter et comprendre les
récits des apparitions de Jésus après sa mort, tels que nous les trouvons dans
les plus anciens écrits du christianisme (Lettre de Paul et Évangiles).
Une chose est certaine: ceux qui ont vécu dans l'entourage du Maître, qui ont entendu ses paroles, qui ont fait
l'expérience de sa proximité et de son intimité avec ce Dieu qu'il appelait
affectueusement son “Papa”, tous ceux-là étaient convaincus que son Dieu était
un Dieu d'amour, un Dieu fidèle, un Dieu qui veut le bonheur de ses enfants, un
Dieu qui leur donne la vie et qui les accueille au-delà de leur finitude et de
leur mort; un Dieu qui n' a pas créé les humains pour les destiner au vide et
au néant. Le Dieu de Jésus était donc un Dieu qui fait vivre et qui est source
de vie éternelle. Si Jésus avait tant parlé d'un tel Dieu qui fait vivre après
la mort et si ses disciples étaient convaincus de la vérité de ses paroles,
pourquoi serions-nous étonnés de les entendre affirmer et proclamer que leur
Maître aussi, après sa mort, était vivant à tout jamais auprès de Lui ? C'est
justement leur foi dans les paroles du Maître qui les poussait à l'annoncer
comme “le vivant”!
Une autre chose pour moi est
certaine: ceux qui ont côtoyé Jésus de Nazareth au cours de sa vie terrestre; ceux qui, à cause de lui ou
plutôt grâce à lui, ont recommencé à
vivre; ceux que sa présence a libéré de leurs maux et de leurs détresses ; ceux qui, à son
contact, ont découvert la lumière; ceux qui, après avoir écouté sa parole, ont
commencé à voler au-delà de leurs
servitudes; ceux qui, grâce à Jésus, ont été capables de surmonter leurs
peurs; ceux qui, grâce à Jésus, ont pris conscience de leur dignité et de leur valeur en tant que personnes; tous
ces gens qui, grâce à sa parole ont
réussi à
vivre d’une façon nouvelle, à tisser des relations nouvelles, basées sur
la confiance et l’amour; tous ces gens ne pouvaient certainement pas penser que
leurs vies cesseraient d'être transformées et valorisées seulement parce que
leur Maître avait été exécuté sur une
croix. Les vérités que Jésus leur avait révélées, l’esprit ce qu'il leur avait
laissé, ils les possédaient maintenant pour toujours. La musique que le Maître
de Nazareth avait composée, retentira désormais à tout jamais dans leurs vies.
Si la parole de Jésus continuait à faire vivre ses disciples ; si son
esprit inspirait maintenant leurs actions et animait leurs vies, comment
aurait-on pu affirmer que le Maître était définitivement mort ? Celui dont la
parole faisait vivre, ne pouvait pas être la proie de la mort. Aussi longtemps
que ses disciples seraient vivants, lui aussi vivrait avec eux et serait vivant
pour eux. Aussi longtemps qu'il y aura des hommes et des femmes qui l'aiment et
qui vivent de son “évangile”, lui aussi sera présent et vivant. Ses disciples
le feront continuellement revivre (et donc le “ressusciteront”) dans leur
mémoire, dans leurs discours, dans leurs rencontres, dans leurs rites. Chaque
fois qu’ils se réuniront pour parler de lui, pour se souvenir de lui, il sera
là, présent et bien vivant.
C'est donc dans le cœur et dans l'esprit de ses amis que Jésus vit
maintenant. C'est là désormais le lieu de sa présence. Et c'est bien pour cela
que le tombeau du jour de Pâques est et restera vide à tout jamais. La
résurrection de Jésus se passe dans le cœur et dans la vie de ses
disciples. Elle est le résultat de leur
amour confiant et donc de leur foi. Il
ne faut plus le chercher parmi les morts, mais parmi les vivants. C'est parmi
ses frères que désormais on le trouvera.
Notre tendresse humaine à son égard voudrait tellement pouvoir le côtoyer
comme lorsqu'il marchait sur les routes de la Palestine ou l’étreindre comme
Madeleine voulait le faire à l'entrée du tombeau. Nous voudrions tellement qu'il soit encore
là! L’amant ne se résigne jamais à
l'absence de l'être aimé. Devant sa disparition, l'amour se pose toujours la
même question : “Où est-il maintenant celui que j'ai tant aimé ?” Et la réponse
vient spontanément aux lèvres de celui qui aime : “L'être aimé que j'ai perdu
est maintenant avec Dieu”. N'est-ce pas
cela la réponse que nous donnons à nos enfants lorsqu'ils nous interrogent sur
l'état d'un être cher qui a disparu ? Il
n'est plus avec nous et nous le pensons confié à cette Tendresse Mystérieuse et
Englobante qui est l'origine et la fin de toute vie et de tout être et que nous
désignons du nom de Dieu.
De Jésus, mort sur la croix, nous disons semblablement qu'il est maintenant
avec Dieu ; qu'il est à la droite de Dieu ou que Dieu l'a ressuscité. Par-là,
nous voulons dire de lui et de tous ceux qui meurent, que la goutte d'eau du
ruisseau de la vie a atteint enfin l’océan avec qui elle se confond et de qui
elle a un jour reçu l'existence.
Pouvons-nous en dire plus ?
Pouvons-nous en savoir davantage ?
Pouvons-nous déchiffrer plus profondément le mystère de l'amour, de la
mort, de la vie, de Dieu ? Je ne le pense pas. Car même cette simple
affirmation : “Il est avec Dieu”, qui répond à notre douleur et nous empêche de
sombrer dans le désespoir, est une affirmation de foi et non pas une
évidence.
C'est dans
cette foi seulement que je peux dire de Jésus qu'il est avec Dieu et que Dieu
l'a ressuscité des morts.
(Extrait du livre de Bruno Mori, Effondrement , Montréal 2003)
10.Le
Catéchisme de l’Eglise Catholique
(1998), n.607.
11. Pour illustrer ce que je viens de dire , je
propose quelques citations extraites du Catéchisme
de l’Eglise Catholique "La
passion du Christ est bien la volonté du Père (N. 555)". "La mort
violente de Jésus appartient au mystère du dessein de Dieu et elle n’a pas été
le fruit du hasard dans un concours de malheureuses circonstances (N,
599)". "En exécutant Jésus les hommes n’ont fait qu’accomplir, sans
le savoir, ce que Dieu avait décide en vu d’accomplir son dessein de salut (n.
600)"." En livrant son Fils pour nos péchés, Dieu manifeste que son
dessein sur nous est un dessein d’amour bienveillant (n. 604)".
"L’exécution de Jésus sur la croix c’est un don de Dieu lui-même: c’est le
Père qui, livre son Fils pour nous réconcilier avec lui, (n.614).
12. Un chroniqueur de la première croisade décrit ainsi l’entrée des
Croisés dans la ville de Jérusalem:"Tous les défenseurs de la ville
s’enfuirent des murs à travers la ville et les nôtres (les Croisés) les
suivirent et les pourchassèrent, en les tuant et les sabrant jusqu’au temple de
Salomon où il y eu un tel carnage que les nôtres marchaient dans leur sang
jusqu’aux chevilles...
Ils coururent bientôt par toute
la ville, raflant l’or, l’argent, les chevaux, les mulets et pillant les
maisons qui regorgeaient de richesses. Puis tout heureux et pleurant de joie,
les nôtres allèrent adorer le Sépulcre de notre Sauveur Jésus et s’acquittèrent
de leurs dettes envers lui..."(Histoire Universelle,
tome 4, p. 206, Ed. Marabout, 1963)
14. Egérthe ou egégertai: _γ_ρ'η ou _γήγερται .
15..Cfr.
Mt.28,6; Mc.16,6; Lc.24,6;
1Cor.15,4-20;Rom.5,6; 6,4.
16. _vίστημι
17._v_στασις
18.1Th.1,10; 4,14; 1Cor.6,14; 15,4-20; 2Cor.4,14; 5,15;
Act.3,15; 4,10; 5,30; 10,40;13,30.
19.1Th.1,10;
4,14; 1Cor.6,14; 15,4-20; 2Cor.4,14; 5,15; Act.3,15; 4,10; 5,30; 10,40;13,30.
20.Mt.28,6;1
Cor.15,20, la formule est : _κ vεκρ_v.
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