(Luc 17,5-10)
Le
concept de «foi » occupe une place privilégiée dans le discours de Jésus de
Nazareth. Sa signification est assez complexe, mais sur la bouche du Maître ce
terme sert fondamentalement à indiquer toutes ces réactions intérieures qui
surviennent au niveau du cœur, lorsqu’on est épris d’une personne qui nous
paraît unique et extraordinaire et qui soudainement influence le cours de notre
vie. Dans les évangiles le mot «foi» sert donc à décrire avant tout l'émerveillement
de l’individu devant la qualité humaine de la personne de Jésus de Nazareth et
l’attrait et le ravissement qu’il ressent envers lui. Le mot «foi» signifie
aussi la disposition du disciple à avoir une confiance totale dans les contenus
innovateurs de la parole de son Maître, ainsi que dans les valeurs qu’elle
propose. Finalement la foi indique l’attitude qui pousse le disciple à vivre
son existence en conformité avec, le projet, les convictions, les principes et
le style de vie du Nazaréen, afin de les incarner dans la société et le monde.
Nous
savons que le rêve de Jésus, consistait à vouloir construire un monde plus
humain, dans lequel les relations entre les hommes n’étaient plus régies par
les règles du pouvoir, de l’oppression, de l’exploitation et de la violence,
mais par les attitudes plus humaines du service, du partage, du respect, de
l’égalité, de la fraternité, en en mot, par les forces de l’amour. Or cet
Amour, qui pour Jésus constitue la substance ou l’essence de la nature de Dieu,
le Nazaréen voulait qu’il devienne le principe inspirateur de toute action et
de tout engagement humain dans le monde, afin d’instaurer ce qu’il appelait le
«Royaume de Dieu» sur terre. Dans la mise en ouvre et dans la diffusion
universelle des forces de l’amour, Jésus voyait le secret d’une progression et
d’un perfectionnement toujours plus grandissants de la race humaine. Pour dire
cela en langage moderne: pour Jésus la capacité humaine d’aimer est la seule
force capable de faire évoluer positivement notre monde vers un accomplissement
toujours plus parfait, le pétrissant de la substance de Dieu.
Cela
signifie alors que pour Jésus avoir la foi équivaut à se laisser conduire par
les mêmes dynamiques qui sont à l’origine de l’agir de Dieu dans l’Univers et
qui, par la foi, se manifestent et agissent dans l’humain comme des «énergies
aimables» faites de bonté, de compassion, de bienveillance, de tendresse, de
respect, de soin, de partage, et d’amour. Pour Jésus ce sont les personnes qui,
comme lui, sont mues par ces attitudes «amoureuses» celles qui ont la foi et
qui agissent en véritables enfants de Dieu.
Voilà
pourquoi Jésus dira à propos du centurion romain qui lui a demandé de venir
guérir son esclave mourant: «Je n’ai jamais trouvé autant de foi en Israël!».
La foi à laquelle Jésus fait allusion, c’est ici l’empressement tendre et
affectueux de ce soldat païen qui se préoccupe de la santé de celui qui n’était
que son esclave, mais qu’il aimait comme s‘il était son enfant.
Voilà
aussi pourquoi chaque fois que Jésus, dans un geste de compassion et de
tendresse, se penche sur l’infirmité, la souffrance et la détresse humaines, il
demande toujours et d’abord à ses bénéficiaires d’«avoir la foi», c’est-à dire,
d’intérioriser son geste de pitié et de bonté pour en faire autant.
Voilà
pourquoi dans ce texte de l’évangile de Luc (17,5-10) les disciples demandent à
Jésus d’augmenter leur foi. En regardant agir leur Maître, ils se rendent compte,
d’une part, combien ils sont encore loin d’adhérer à son message et, de
l’autre, combien ils sont encore loin d’intérioriser ses sentiments et de vivre
son style de vie, totalement donné au service amoureux de Dieu et des frères
humains.
Et
Jésus de leur dire que s’ils étaient juste un peu plus réceptifs à son enseignement;
s’ils avaient juste un peu plus d’amour, s’ils étaient juste un peu moins
centrés sur eux même et un peu plus ouverts et attentifs aux autres, ils
pourraient faire bouger des montagnes, accomplir des merveilles autour d’eux.
Car un peu plus d’amour dans le cœur de chaque personne peut faire toute la
différence entre un monde vivable et un monde invivable. Un peu plus d’amour
dans le cœur de chacun peut constituer une force immense de transformation et
de renouveau capable de balayer une grande partie des malheurs et des
injustices de la face de terre. Juste une petite graine de plus de cette «foi»,
annonce Jésus - et les disciples auraient à leur disposition la force de Dieu
qui change le monde.
Malheureusement,
il faut admettre que l’enseignement religieux que nous avons reçu à l'église au
cours de notre éducation chrétienne (catéchisme, prédication...) nous a
inculqué une toute autre notion de la «foi». Si pour Jésus la foi consistait
dans les gestes désintéressés de l’amour qui se déploie sans réserve au service
des autres (surtout s‘ils sont faibles, pauvres et vulnérables); si dans les
Évangiles la foi était synonyme de choix, de liberté, de courage, d’engagement,
de volonté de calquer sa propre vie sur celle du Maître; si pour Jésus la foi
était surtout une question de cœur et de passion,... pour l’enseignement
catholique, la foi est devenue un aride exercice intellectuel qui doit amener
le croyant à accepter, sans discuter et sans douter, toute une série
d’affirmations doctrinales et dogmatiques que le magistère officiel déclare
inspirées par Dieu et par conséquent nécessaires et obligatoires au salut.
De
toute évidence, cette foi que j’appellerai «ecclésiale», est loin d’être une
foi qui transforme la vie de la personne et qui améliore la qualité du monde,
grâce à la mise en ouvre des valeurs que Jésus nous a laissées. Cette foi
ecclésiale est constituée d’un système de formules abstraites, comparable à un
«mot de passe» que le chrétien doit mémoriser et garder toujours à l’esprit pour
pouvoir entrer dans le programme catholique où il aura accès à tout ce dont il
aura besoin pour bâtir sa «justice» et sa sainteté et pour se sentir en paix
avec sa conscience, avec son Église et avec son Dieu.
Ce
genre de foi est donc essentiellement un phénomène cérébral qui peut exister
dans l’esprit d’une personne sans affecter moindrement ni son cœur, ni son
comportement quotidien, ni la situation du monde extérieur autour de lui. C’est
une foi qui sert uniquement de décoration et de signe d’identification d’un
membre au sein d’un système religieux dans lequel le seul avantage que le
membre en retire est la bonne conscience d’appartenir à une communauté d’élus,
dans laquelle il trouve tous les moyens de son salut et la garantie d’avoir
accès à la plénitude et à la «splendeur» de la vérité (Pape Jean-Paul II).
Selon
cette foi ecclésiale, ce qui sauve le chrétien ce n'est pas son adhésion à
l’enseignement de Jésus, mais son adhésion à l’enseignement de l’Église.
D'après cette foi, même si le monde est ravagé par la cupidité humaine; même si
les relations entre les peuples et les nations sombrent dans le chaos de
l’injustice, de l’intolérance, de la haine et de la violence, cette foi
ecclésiale permet aux chrétiens de rester les bras croisés et de vaquer
tranquillement à leurs petites affaires, pourvu qu’ils soient des croyants
soumis à l’autorité du pape et qu’ils gardent inébranlable leur foi dans les
dogmes du péché originel, de la Sainte Trinité, de l’Incarnation de Dieu, de
l'immaculée virginité de Marie et de son assomption corporelle au ciel, de la
transsubstantiation et de l’infaillibilité du Pape...
Lorsqu’on
regarde la foi que l’Église exige de ses fidèles, on se rend compte que cette
foi, étant une attitude exclusivement intellectuelle, est aussi un phénomène
totalement stérile, entraînant même souvent des conséquences néfastes. En
effet, cette foi peut exister sans avoir aucun impact sur les options
fondamentales de la personne, sur son comportement et sur la situation du
monde. Par exemple, l’adhésion indiscutable de Charles Magne à tous les
articles de foi formulés dans le Credo de Nicée-Constantinople ne l’a pas
retenu, au nom de cette même foi, de faire tranquillement décapiter, en l’année
782 à Verden, quatre mille cinq cent Saxons en une seule journée.
Semblablement, la foi du pape
Alexandre II dans les affirmations dogmatiques de ce même Credo ne l’a pas
empêché, en 1063, d’écrire à l’archevêque de Narbonne que ce n’était pas un
péché que de verser le sang des infidèles ou de prendre part à une guerre utile
aux intérêts de l’Église et que de telles actions étaient même louables et
méritoires comme l’aumône et le pèlerinage.
Je
pense que les chrétiens modernes doivent relativiser beaucoup la nécessité
d’adhérer à cette foi «ecclésiale» exigée par les autorités relieuses et dont
le condensé indigeste continue à être proposé dans les différentes formulations
du «Credo» proclamé à chaque eucharistie dominicale.
Je pense que de nos jours les
chrétiens doivent plutôt se laisser conduire par la réaction amoureuse et
émerveillée que la rencontre avec la personne et la parole de Jésus de Nazareth
a suscité dans leur cœur. Cela fera d’eux des chrétiens plus vrais, plus
libres, plus indépendants, plus critiques, plus adultes et, certainement, plus
engagés à faire passer l’esprit d’amour du Maître de Nazareth dans le concret
de leur vie et dans le monde dans lequel ils opèrent.
Le texte de Luc qui est proposé ici à notre considération nous interpelle sérieusement sur la nature et la qualité de notre foi.
Je pense qu’il est facile de comprendre qu’en tant que disciples de Jésus, nous devons nous laisser modeler par ses valeurs et avoir foi en la possibilité de nous changer et de changer le monde en vertu des forces de l’amour. Car une foi qui ne rend pas plus humains les croyants et qui ne transforme pas le monde est une foi complètement inutile.
Je
pense que, fondamentalement, la foi est le produit de deux amours qui se
cherchaient et qui, en se rencontrant, éclatent en mille feux pour embraser et bouleverser,
changer la vie des amants à tout jamais. Lorsque, dans l‘amour, on peut dire
d’une personne qu’elle a toute notre confiance ou que notre foi en elle est
totale, cela signifie que cette personne est devenue vraiment importante pour
nous. Cela signifie qu’elle occupe un grande place dans notre cœur; qu’elle
fait partie désormais de notre vie et qu’elle la marque à tout jamais par la fascination
qui se dégage de sa seule présence.
Le
Maître de Nazareth à exercé ce genre d’attraction sur les personnes qui l'ont fréquenté.
J’aime penser que c’est sans doute à cause de cela que la foi et la confiance
que ses disciples avaient en lui les a radicalement transformés en des
individus nouveaux, capables de déplacer des montagnes.
Quant à nous, les nouveaux
disciples du XXIe siècle, qu’en est-il de notre foi ?
BM
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