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lundi 16 février 2015

JÉSUS, L’HOMME QUI A VÉCU COMME UN EXCLU



La Palestine juive du temps de Jésus était une théocratie religieuse de fait. Dans cette Palestine une personne pour être acceptable et respectable devait être religieuse et pratiquante. La norme de la droiture et de la respectabilité était constituée par la Loi Mosaïque (la Torah) et l’observance de 613 règles ou prescriptions morales et cultuelles établies par les théologiens juifs de l’époque (les scribes). Seulement ceux qui connaissaient et pratiquaient la Loi avec ses prescriptions, étaient considérés dignes d’estime, de respect et de considération. Tous ceux et celles qui, à cause de leur ignorance, de leur manque d’instruction, de leur situation sociale misérable ou pour toutes sortes d’autres raisons, n’étaient pas à même de connaître et de pratiquer la Torah, étaient considérés comme des «maudits», des pécheurs, des impurs et des exclus qu’il fallait éviter, car leur présence et leur contact constituaient une source de contamination qui empêchait les gens «bien» de participer aux fonctions sociales et religieuses de la vie publique.

Dans la société juive du temps de Jésus, la liste de ces exclus de la société était très longue et incluait une grande partie de la population: elle comprenait les pauvres, les mendiants, les clochards, les gens sans instruction; ceux qui exerçaient des professions considérées impures ou infamantes (comme les berges, les collecteurs d’impôts, les prostituées, les usuriers, les soldats, les fossoyeurs, les coiffeurs, les teinturiers, les cordonniers, les bouchers, les journaliers à la solde des grand propriétaires terriers… etc.). À cette liste il fallait ajouter les esclaves, les enfants, les veuves, tous les guenilleux et les désespérés qui traînaient dans les rues à la recherche de nourriture, d’un travail sporadique; tous ces malades affectés de handicaps physiques ou mentaux (estropiés, paralysés, aveugles, sourds-muets, malades mentaux desquels on disait qu’ils étaient habités par des «esprits mauvais», lépreux ...).

Tout ce monde de paumés constituait finalement la plus grande partie de la société de l’époque: d’un côté il y avait la minorité de gens riches et fortunés, instruits, religieux, fidèles à la Loi; et de l’autre côté tout le reste de la population, que les gens «bien» considéraient comme de la «racaille». Jésus, et c’est en cela que consiste le trait extraordinaire et fascinant de cet homme, s’est toujours considéré comme faisant partie de la «racaille». Dans les évangiles on ne trouve jamais Jésus du côté des personnes rangées, respectables, religieusement irréprochables, mais toujours du côté de ceux et celles que la société officielle avait marginalisés, isolés et proscrits.

Jésus s’est rendu compte que ces pauvres gens qui manquaient de statut social, de légitimation, de considération, de respect, de valeur… eh bien , ces gens possédaient en réalité une innocence, une simplicité, une beauté intérieure, des richesses et de valeurs humaines qui les rendaient bien plus intéressants, bien plus attrayants, bien plus sympathiques, bien plus faciles à fréquenter et à aimer que l’élite religieuse piquée d’intégrité et de moralité. Jésus a eu la ferme conviction que ce sentiment de préférence, d’empathie, d’amitié, de solidarité, de proximité envers les maganés de la vie qu’il ressentait si intensément dans son cœur et dans son esprit, était aussi partagé par Dieu lui-même. Jésus eut d’abord l’intuition et la sensation et ensuite la ferme conviction que Dieu, s’il était vraiment l’être d’amour qu’il devait être, ne pouvait que ressentir et éprouver les mêmes sentiments que lui et que donc Dieu devait, lui-aussi, se plaire en compagnie de ce monde de paumés et qu’il devait les aimer de toutes les forces de son cœur.

Pour ces gens abandonnés, laissés à eux-mêmes, sans appui, sans protection, sans aucune sorte de sécurité et d’avenir, Jésus a éprouvé un grand élan de tendresse et de compassion. Les évangiles nous présentent souvent Jésus qui, regardant avec consternation les déplorables conditions du peuple qui l’entoure, a l’impression de contempler un troupeau de brebis à l’abandon, qui erre sans but, sans protection, sans guide, sans pasteur. Il se dit que Dieu, son Dieu, ne peut pas être insensible à tant de détresse et de malheur. Il se dit que Dieu a certainement un plan; qu’il a certainement l’intention d’intervenir, de faire quelque chose afin de changer les conditions de vie de tout ce pauvre monde. Il se dit que sans doute un jour Dieu interviendra, il s’approchera, il touchera de sa main les plaies et les tribulations de ces gens et il transformera leur vie par le miracle et les forces de sa présence.

C’est parce que Jésus a été traumatisé par la constatation de l’état de destitution, de souffrance, d’abrutissement et de dégradation dans lequel vivait la grande majorité de ses contemporains, qu’il a commencé à concevoir le rêve ou l’utopie d’un monde différent qu’il a appelé le «Règne de Dieu». Le règne de Dieu devient alors pour Jésus le rêve d’une monde nouveau qui n’est plus régi par les stratégies de l’ambition et de la cupidité; par la course au pouvoir; par l’oppression et l’exploitation du plus faible par le plus fort; mais qui est inspiré et guidé par les forces de la communion, du dialogue, du respect, de la fraternité, du partage, de la bonté, du don, du pardon, en un mot, par l’attitude de l’amour tel qu’il existe à l’intérieur de la vie et du monde de Dieu.

Jésus n’a qu’un seul souci: celui d’annoncer et de répandre parmi ce monde de pauvres, d’exclus et de paumés la bonne nouvelle que Dieu les aime et qu’il s’apprête à intervenir en leur faveur; qu’il est avec eux, de leur côté; qu’il n’est pas et n’a jamais été du côté des grands, des puissants, des ceux qui sont dans les normes, qui se croient justes, honnêtes et en règle avec la Loi et la religion. Pour leur montrer que Dieu était de leur côté, voilà que Jésus se tient lui aussi de leur côté. Les paumés deviennent ses amis, ses préférés, le milieu de vie dans lequel il évolue, agit et vit. Au point que ses adversaires l’accusent de manger et boire avec les «pécheurs»; de fréquenter les samaritains hérétiques, les voleurs publiques et les prostituées des rues; d’assumer la façon de faire et de vivre de ces «maudits» qui ne se préoccupent pas de respecter ni le sabbat, ni les règles de pureté rituelle établie par la religion; ni de se conformer aux directives des prêtres du Temple. Pour les représentants de la religion officielle juive, Jésus est vraiment devenu un pécheur parmi les pécheurs, en assumant toute la réprobation et les conséquences que ce choix comporte. Il finira en effet exécuté sur une croix comme le plus dangereux et le plus exécrable des bandits.

Dans le récit évangélique de ce dimanche (Mc.1.40-45), nous avons un exemple de cette attitude de Jésus et de comment la souffrance et la détresse humaine le perturbent. Le texte de l’évangile que nous venons de lire raconte que, devant le lépreux, Jésus ressent immédiatement de la «compassion». Le verbe grec utilisé par l’évangéliste signifie plus précisément «être «pris aux tripes», «en avoir les entrailles remuées». Il désigne donc un sentiment tellement fort qu’il en est tout bouleversé. Et c’est parce que Jésus est affecté de la sorte par la condition misérable de l’autre qu’oubliant toute précautions, faisant fi de toutes lois, tabous et interdictions, il se sent irrésistiblement poussé à s’approcher du lépreux, à abolir la séparation, («il allonge la main»), à entrer en contact réel et concret («il le touche») avec sa maladie et sa situation, afin que ce malheureux ne se sente plus jamais ni repoussé, ni exclu, ni seul, ni abandonné, mais transformé et guéri par l’effet de cette présence de compassion et d’amour qui «veut» se communiquer et qui n’hésite pas à se compromettre et à risquer sa propre sécurité et sa propre vie. «Oui, je le veux! ….Sois guéri ! Sois Heureux!».

Jésus fait tout cela pour redonner dignité, confiance et espoir. Pour faire comprendre que ce qui compte devant Dieu ce n’est pas la conformité de la conduite aux normes, aux coutumes, aux traditions inventées par les hommes, mais la conformité du cœur aux exigences et aux appels de l’amour. Et pour cela Jésus pense qu’on n’a pas besoin ni d’être puissant, ni d’être nanti, ni d’être en pleine santé, ni d’être conforme; mais seulement d’avoir un cœur sensible et compatissant. C’est pour cela que dans «le royaume de Dieu» les derniers seront les premiers et Dieu ira lui-même à la recherche de la brebis égarée pour la ramener à la sécurité du bercail et pour l’assister avec la tendresse de son amour. Il ne veut pas qu’un seul de ces «petits» se perde ou perde la chance d’expérimenter dans sa vie le bonheur de se sentir aimé.

C’est en cela que consiste fondamentalement  la bonne nouvelle ou l’«évangile» que Jésus est venu annoncer.




BM

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