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mardi 25 novembre 2014

ERREURS SUR LE MONDE, ERREURS SUR DIEU



Les défis posés par la nouvelle cosmologie à la théologie et à la spiritualité


Au cours de son œuvre Saint Thomas d’Aquin affirme à plusieurs reprises qu’une fausse idée sur le monde entraîne toujours une fausse idée sur Dieu… Cela signifie que si je pense que le monde est éternel, non-créé, divin, profane … chacune de ces affirmations affecte l’idée que je me fais de Dieu. Cela n’est pas étonnant, car dans l’Univers, c'est-à-dire dans la réalité de ce qui existe, tout est en relation avec tout; tout est interconnecté, tout est dépendant de tout, de sorte que l’on ne peut pas « toucher» à quelque chose sans influencer tout le reste et sans impliquer l’ensemble de la réalité. Toutes les pièces de la mosaïque de la réalité font partie d’un tout et l’affectent et donc affectent aussi la façon de concevoir Dieu, qui est la dimension la plus profonde de la réalité. L’histoire des religions abonde d’exemples de l’implication de ces deux dimensions: Dieu et le monde. On pourrait affirmer que l’histoire de l’humanité est l’histoire d’une connaissance en continuel développement et l’histoire d’une religion dont les affirmations et les certitudes sur Dieu diminuent et régressent en fonction du progrès des connaissances humaines sur la nature du monde. Dans les temps anciens, Dieu était l’«expédient» ou la «combine» auxquels l’ignorance humaine faisait recours pour avoir une explication plausible et satisfaisante de la réalité («Deus ex machina»).

Le progrès scientifique de ces trois derniers siècles a été tellement fulgurant et extraordinaire que l’ancienne perception du monde, à force de reculer, a fini par se désintégrer complètement. Un grand nombre de fidèles des églises traditionnelles ont cherché à faire face à ce problème par une attitude aux caractéristiques «schizophrènes». La schizophrénie est caractérisée par la difficulté à partager une interprétation du réel avec d’autres individus, ce qui entraîne des comportements et des discours bizarres, parfois délirants. Ces fidèles ont divisé leur esprit en deux secteurs bien distincts: d’un côté leur vie et leurs croyances religieuses et de l’autre leurs connaissances scientifiques qui sont continuellement révisées et mises à jour. Dans leur vie ordinaire et à l’Université ils communient sans aucune hésitation avec le progrès scientifique, mais dans leur vie religieuse et spirituelle ils préfèrent continuer à adhérer à la vision mythique de la réalité reçue du passé et qui s’exprime dans les croyances, les rites et les sacrements de leurs églises. Les continuelles découvertes d’«erreurs sur le monde» de la part des sciences modernes (surtout physique quantique et astrophysique), ont donc entraîné avec elles de nombreuses découvertes d’«erreurs sur Dieu» dans presque toute les expressions de la religion: la théologie, la spiritualité, le dogme, la morale, les traditions et les croyances…

Dans cette étude nous aborderons les «erreurs sur Dieu» (compris dans le sens plus large d’erreurs religieuses, théologiques, spirituelles, morales…) venues à la lumière en vertu du progrès et des découvertes de ce qui nous appellerons la «nouvelle cosmologie» ou le «nouveau paradigme écologique».


Première erreur sur le monde: le géocentrisme

Le conflit entre Galilée et l’Église catholique du XVIe siècle est emblématique du conflit entre la science et la foi. Galilée, avec le télescope qu’il avait perfectionné, a pu constater une erreur sur le monde dans les convictions religieuses de son époque: notre terre n’était pas au centre de la réalité connue, mais l‘axe était constitué par le soleil autour duquel la terre évoluait. La terre cessait d’être le centre de l’Univers. L’être humain, l’enfant chéri de Dieu, la pupille des ses yeux, la raison et le but de la création et de l’histoire, n’était pas situé au centre du monde, mais il habitait une insignifiante planète rocheuse qui vaguait dans l’espace. Aujourd’hui cela nous paraît évident, mais au temps de Galilée cette évidence était difficile à accepter autant de la part de ses collègues que de la part des représentants des Églises. Ces derniers ne s’opposaient pas tellement à une vérité proprement scientifique, mais au changement de perspective que cela impliquait et qui remettait en question tout ce qu'on avait pensé et cru à propos de Dieu et du monde jusque là. De leur point de vue, les églises se révoltaient aussi contre «une erreur au sujet du monde qui impliquait une erreur au sujet de Dieu».

Jusqu’alors la croyance commune considérait comme une évidence que l’être humain était la raison pour laquelle Dieu avait créé le monde et que tout le cosmos tournait autour de cet être humain et donc autour de la Terre, la maison qu’il habitait. Affirmer que la Terre n’était pas le centre du cosmos, mais seulement une planète errante autour d’un autre centre, comportait de graves conséquences. En voilà quelques unes: les plans de Dieu n’étaient pas comme on les croyait. L’homme n’était pas la raison principale de la création. La Parole de Dieu (la Bible) qui depuis toujours semblait avoir clairement proclamé ces «vérités» (dans la Genèse, les Psaumes, et même par la bouche de Jésus) s’était trompée. Dieu s’était trompé. Dans la pensé de l’Église, il ne s’agissait pas seulement d’«une erreur sur Dieu », mais d’«une erreur de Dieu». Le géocentrisme, que les sciences astronomiques avaient démontré comme étant une erreur sur la façon de comprendre le monde mettait à découvert une erreur à propos de Dieu dans laquelle les Églises n’avaient aucune intention d’embarquer. L’Église catholique a pris trois siècles pour admettre cette erreur. Les chrétiens finirent par se convaincre que, effectivement, la Terre tourne autour du Soleil et qu’elle n’est pas le centre géométrique du système solaire… Cependant, dans l'esprit des croyants, elle continuait à être «le centre» dans un autre sens: elle est le centre salvifique de la réalité cosmique, parce qu’ici, sur cette planète minuscule et marginale tant que vous voulez, s’est accompli le mystère central de tous les temps: l’incarnation du Fils de Dieu et sa mort sacrificielle qui a sauvé l’humanité, avec le cosmos et ses créatures qui gémissaient dans les douleurs d’un enfantement. D’après ces chrétiens et cette théologie; il s’agit là d’une centralité réelle et plus profonde.

Avec le temps, la théologie a fini par abandonner les affirmations théoriques et les représentations d’un Dieu créateur d’homme au centre de l’Univers.
Tout compte fait, l’ingestion de l’erreur du géocentrisme à pu se faire sans trop de vomissements et de maux de ventre de la part des théologiens et des Églises. Il est certain que l’intégration, de la part des Églises, d’un grand nombre d’autres «erreurs» sur le monde que les sciences modernes ont dénoncé au cours de ce dernier siècle, va être plus douloureuse et plus compliquée. Cette intégration va exiger une conversion radicale de la pensée religieuse et des «changements de paradigme» dans le sens le plus fort de cette expression.


Deuxième erreur sur le monde: l’anthropocentrisme  

Beaucoup plus difficile que l’abandon du géocentrisme va être le dépassement de l’anthropocentrisme, profondément enraciné dans les mentalités et la culture chrétienne de l’Occident. La nouvelle cosmologie a découvert depuis longtemps que l’être humain n’est pas le centre du cosmos, comme l’ont proclamé presque toutes les religions et leurs divines «révélations». Le monde n’est pas anthropocentrique. Nous ne sommes pas le centre de la réalité. L’univers n’a pas été «créé pour nous». La cosmologie moderne nous dit qu’à cause de la nature de nos origines, nous sommes une réalité ni supérieure ni totalement différente des autres espèces vivantes qui nous entourent. Nous n’avons pas une autre origine et nous ne venons pas d’un monde supérieur. Nous ne sommes qu’une branche supplémentaire de l’époustouflante diversité de l’arbre de la vie. Nous sommes une branche de primates à l’intérieur de laquelle, grâce à un saut qualitatif de la vie, il y a eu une mutation de l’axe évolutif qui, de génétique et physique qu’il était, est devenu culturel et spirituel.

Il est donc faux d’affirmer que nous avons été créés à part et «à l’image et à la ressemblance de Dieu », alors que les autres créatures vivantes ne peuvent pas aspirer à la dignité d’être des «enfants de Dieu». Nous n’avons même pas été créés. Nous sommes une espèce qui vient d’autres espèces qui, à leur tour, dérivent d’autres espèces plus anciennes reliées aux premiers organismes vivants (les bactéries) apparus sur terre il y trois milliards d’années. La nouvelle cosmologie pense que l’ensemble des êtres vivants de la planète participe de la même Vie, forme une unité de Vie et une seule réalité biotique énormément diversifiée et complexifiée. L’espèce humaine est la forme de vie la plus récente et la plus évoluée; mais nous ne sommes qu’une forme de vie parmi tant d’autres.

Le fait d’avoir cru et affirmé le contraire pendant des millénaires, a constitué une erreur à propos de notre monde qui a occasionné une erreur à propos de Dieu. La théologie chrétienne traditionnelle à été bâtie sur ces erreurs. L’Église a toujours considéré ces erreurs comme des vérités révélées et donc absolument certaines et elle les a imposées avec la force et la contrainte à l’assentiment de ses fidèles. Aujourd’hui, si l’Église veut survivre dans la société moderne et parler un langage qui fasse du sens, elle doit bâtir sur d’autres assises sa doctrines et ses croyances.

La cosmologie moderne sait, en dehors de tout doute, que l’humanité ne descend pas d’un couple primitif (Adam et Ève). L’idée d’un couple «source» primordial et originel est une image mythique qui est suggestive pour véhiculer la notion de création divine de l’être humaine, mais qui ne concorde absolument pas avec les évidences des sciences anthropologiques.
La croyance en un couple originel primitif a été une erreur sur le monde et par conséquent aussi une erreur sur Dieu. Cette erreur rend totalement farfelues et ridicules les affirmations théologiques sur l’état de bonté et de perfection originelles du couple primitif doué de «dons naturels» et « préternaturels» et d’une conversation directe avec le Dieu.

Ceci mérite une mention particulière sur ce que l’on a appelé le «péché originel», commis par ce couple originel qui n’a jamais existé et qui aurait eu comme conséquence de contaminer tous leurs descendants, de les expulser du Paradis, de les condamner pour toujours aux fatigues du travail et aux affres de la mort.

Il s’agit ici d’une erreur sur le monde qui se révèle, une fois de plus, comme une erreur sur Dieu. Une théologie responsable ne devrait plus s’appuyer sur le mythe du «péché originel», considéré pendant des millénaires comme un événement réel et historique, pour continuer à justifier la doctrine perverse de la rédemption qui a causé tant de souffrances et qui a opprimé les croyants en les écrasant sous le poids de fautes et de la culpabilité.

Ce point est l’un des défis les plus importants que la théologie moderne doit aborder. Car, s’il n’y a pas eu de couple originel, il n’y a jamais eu de «péché originel» qui a contaminé l’humanité. Si nous ne sommes pas cette «massa damnata», cette humanité déchue proclamée par saint Augustin, il n‘y a pas besoin d’expiation pour une faute originelle qui n’a jamais existée. Il n’y a donc aucune raison d’affirmer la nécessité d’une rédemption divine qui n’a eu lieu que dans l’imagination des théologiens. Si l’on n’a plus besoin d’un Dieu-Fils qui prend chair dans un corps humain pour venir réparer, à travers une mort sacrificielle, les dégâts causés par la contamination du péché des origines …  alors, une théologie responsable, qui ne choisit pas de fermer les yeux, doit obligatoirement se réinventer et reformuler de fond en comble les contenus des dogmes et des doctrines proposés par les Églises à la foi des croyants.

La nouvelle cosmologie et les sciences de la vie en général, avec les mouvements écologiques modernes, dénoncent ce que l’on appelle, avec un néologisme, l’«espécisme» c’est à-dire l’abus de pouvoir de la part de l’espèce homo sapiens. Sur la base d’une idéologie construite par le même homo sapiens, celui-ci s’autoproclame maître, patron, seigneur, dominateur incontesté et absolu du monde, « la raison finale» de l’existence de l’univers, avec le droit d’utiliser et d’exploiter la création, comme si elle n’était qu’un objet et un bien de consommation à sa disposition. Les mouvements écologiques, depuis plusieurs décennies désormais, cherchent à répandre une intuition qui est, au moins en théorie, presque universellement acceptée comme une évidence qui devrait se changer en principe juridique et en loi. Cette intuition consiste à dire que tous les êtres vivants ont des droits: le droit de vivre, le droit au respect; le droit aux soins et à la sauvegarde des milieux et des systèmes naturels qui assurent leur existence et qui permettent la conservation durable de leur espèce. Il en suit que l’homo sapiens n’a pas le droit de soumettre cruellement les autres espèces à sa volonté et à ses caprices ; qu’il n’as pas le droit d’intervenir, comme bon lui semble, sur la nature pour satisfaire ses intérêts et son avidité; qu’il n’a pas le droit de dégrader et de détruire les milieux naturels de vie qui sont comme les niches écologiques d’une multitude d’autres espèces vivantes. Lynn White dans un article resté célèbre publié dans la revue «Science» 155 (1967) a dénoncé «le judéo-christianisme comme la religion la plus anthropocentrique». À son tour, la doctrine chrétienne a presque transformé en article de foi l’affirmation que l’homme est roi et maître de la création et qu’il a reçu de Dieu lui-même la consigne de s’élever au-dessus de toutes les autres créatures pour les soumettre et les dominer. La théologie traditionnelle des Églises a toujours été de mèche avec cet anthropocentrisme hystérique et cet espécisme aveugle et déréglé. Elles n’ont eu d'yeux que pour regarder la réalité du point de vue des intérêts de l’espèce humaine, comme s’ils étaient les intérêts de Dieu lui-même.

Une théologie responsable qui cherche a être à la hauteur des acquis des sciences modernes doit abandonner une fois pour toutes cet anthropocentrisme et emprunter le chemin du biocentrisme (tout centrer sur la vie) et chercher à réaliser une démocratie vraiment universelle, c’est-à-dire une biocratie planétaire, comme le souhaiterait le Dieu de la Vie, le Dieu de toute forme de vie.

La nouvelle cosmologie met en évidence notre caractère fondamentalement  tellurique: nous ne sommes pas des esprits, ni des dieux ou des êtres venus d’ailleurs. Nous sommes venus de la Terre. Nous sommes la fleur du processus évolutif de la vie qui a eu lieu sur cette planète. Nous sommes Terre, mais une Terre qui est arrivée à la conscience, à la réflexion, à l’amour, à la contemplation, à l’émerveillement… A partir de cette nouvelle vision de la réalité, les religions et les spiritualités modernes peuvent découvrir «une erreur à propos du monde» partagée dans le passé par beaucoup d’autres cultures, philosophies et religions. Celles-ci ont interprété la «supériorité» de notre race, tout récemment surgie du processus évolutif, comme si elle découlait d’une supériorité de nos origines; comme si les êtres humains ne venaient pas de ce monde, mais d’un monde supérieur, du monde de la divinité. Nous serions les «fils du Ciel» et non pas les fils de la Terre, tombés accidentellement sur une planète qui n’est pas vraiment notre demeure et sur laquelle nous vivons en pèlerins et en étrangers, dans l’attente anxieuse de nous libérer des chaînes qui nous attachent à cette «vallée de larmes» pour pouvoir enfin rejoindre notre vraie patrie dans les cieux. Cette erreur sur le monde a produit une erreur sur Dieu, perçu comme une divinité austère qui nous demande de nous détacher des choses de ce monde (fuga mundi, contemptus mundi) et de renoncer aux bonheurs et aux plaisirs éphémères qui nous viennent de notre condition matérielle, charnelle et terrestre.


Troisième erreur sur le monde : l’unicité de l’espèce humaine

Pendant des millénaires les humains non seulement ont cru être le centre et au centre de l’Univers, mais aussi d’y être uniques. Ce monde, notre monde, était «LA» création de Dieu, la pupille de ses yeux, l’œuvre de ses mains, et en dehors de lui il n’y avait rien. Giordano Bruno, pour avoir affirmé qu’il y avait d’autres mondes et probablement aussi d’autres Univers, a été brûlé vivant à Rome par l’Inquisition papale et ses cendres jetées dans le Tibre. L’unicité du monde, de l’être humain, du plan de Dieu qui nous a créés et rachetés, ont toujours été, dans la doctrine catholique, un postulat fondamental et un axiome de base jamais contestés et imposés à feu et à sang.

La nouvelle cosmologie a définitivement mis fin à la croyance en l’unicité de notre monde humain. Elle a mis au clair que cette croyance a constitué une erreur sur le monde. La Terre n’est qu’une planète parmi tant d’autres du système solaire et notre soleil n’est qu’une minuscule étoile parmi les cent milliards d’autres étoiles de notre galaxie. Les astronomes ont calculé que dans la Voie Lactée 22% des étoiles semblables au soleil gardent en orbite autour d’elles des planètes qui pourraient posséder les conditions favorables à l’éclosion de la vie. Selon le calcul des astrophysiciens, seulement dans notre galaxie, le nombre approximatif total des planètes «habitables» serait de 8,8 milliards. Selon les dernières estimations de la NASA, les astronomes ont découvert et observé à ce jour 1792 exoplanètes (planètes hors du système solaire). Cela signifie que notre planète n’est pas la concrétisation d’un « plan de Dieu», comme nous l’avons cru pendant longtemps. Croire cela, a été une «erreur sur Dieu» basée sur une «erreur sur le monde» dont nous avons été victimes à cause de la déficience de nos moyens d’observation. Aujourd’hui nous avons pris conscience de ces deux erreurs. La réluctance de la religion à vouloir les reconnaître ne peut pas nous enlever le droit d’accepter la vérité et de mettre entre parenthèse les affirmations de la religion et de la théologie fondées sur ces erreurs et proposées pendant des siècles comme des «vérités» à croire. Une théologie responsable doit aujourd’hui se reconstruire à partir de ces nouvelles données et de cette vision beaucoup plus ample de la réalité.


Le dualisme des deux étages

La nouvelle cosmologie dénonce l’«erreur à propos du monde» commune à beaucoup de religions et cultures et qui a consisté à penser que toute la réalité était fondamentalement divisée en deux parties, jusque dans son essence la plus profonde. Ce dualisme se manifestait à tous les nivaux: cosmique (terre/ciel), physique (matière/ esprit), humain (corps/âme), hylémorphique (matière/forme), religieux (naturel/surnaturel)…. Deux mondes radicalement différents et opposés. Un monde à deux étages, divisé, schizo-phrène .

La nouvelle cosmologie, avec les nouvelles sciences physiques, nous a appris que nous nous étions totalement mépris sur la constitution matérielle de ce monde. La matière n’est pas cette entité sans valeur, simple potentialité, informe, stérile, inerte, passive que dans le passé nous avions cru qu’elle était. De fait, la matière n’existe pas. Einstein nous a appris que la matière n’est qu’un des états de l’énergie; et l‘énergie est la force qui structure l’Univers entier. La matière est donc une des manifestations de cette énergie qui a seulement besoin de conditions adéquates pour s’auto-organiser (autopoiesis). Tout est relié à tout, dans un jeu extraordinaire de synergies et d‘influences réciproques. Et tout n’est qu’une même réalité qui bouillonne dans une effervescence de variations et changements de formes. Au niveau subatomique, tout se réduit à une «soupe quantique» qui revêt des formes continuellement changeantes aux stades supérieurs et pluridimensionnels du monde matériel sensible.
C’est grâce à la nouvelle cosmologie, à la biologie et à la physique quantique que nos avons pu récupérer une vision intégrée, unitaire, unifiée, «holistique», non-dualiste de la réalité. Et maintenant la religion, la théologie, la spiritualité doivent intégrer à leurs doctrines cette vision holistique si elles veulent avoir du sens pour les gens de la modernité. Les concepts et la terminologie traditionnelle de corps/âme, naturel/ surnaturel, nature/grâce, terre/ciel, paradis/enfer…, qui sont l’unique alphabet que la théologie classique a utilisé, devront être carrément abandonnés et remplacés par une terminologie et une vision qui tiennent compte de cette nouvelle compréhension de l’Univers. La réélaboration théologique doit être drastique et aller en profondeur Il ne s’agit pas de faire des retouches, des corrections superficielles ou sommaires. Il ne faut pas oublier, en effet, que ce qui doit être rectifié et dépassé ce sont de graves erreurs à propos du monde et à propos de Dieu.


Conclusion

Dans cette étude nous avons énuméré quelques unes des erreurs principales sur le monde détectées par la nouvelle cosmologie et qui historiquement ont impliqué autant d’erreurs sur Dieu. Aujourd’hui, dans un monde profondément marqué par les connaissances scientifiques, ces erreurs sur Dieu ne font qu’alourdir et embarrasser la religion et la spiritualité, si ces dernières ne sont pas guidées et soutenues par la réflexion critique d’une nouvelle théologie qui les pousse à tout reconsidérer et à tout rebâtir. Cette étude a justement comme objectif de montrer la nécessité de cette tâche.

Pour conclure, voici quelques dernières considérations.

Une première observation voudrait pointer aux dommages causés à la religion par une façon de comprendre (épistémologie) rigide et fixiste. Très souvent les Institutions religieuses donnent l’impression d’être incapables de modifier leurs croyances, même lorsqu’il est évident que cette fixité n’existe que dans l’imagination de leurs adeptes. En effet, l’histoire des cultures montre qu’il existe une continuelle évolution des religions, un syncrétisme, une transformation, une adaptation des religions aux changements philosophiques et historiques. À courte échéance, cependant, les religions résistent et paniquent toujours devant les changements. Elles sont extrêmement récalcitrante à réélaborer et à réinterpréter le patrimoine symbolique qu’elles ont reçu du passé. Elles sont prisonnières d’une épistémologie aggravée par la conviction d’être les dépositaires et les gardiennes attitrées d’une révélation divine. Le nouveau paradigme écologique les met aujourd’hui au défi. C’est aux religions de relever ce défi si elles veulent survivre.

Une deuxième observation voudrait souligner la valeur «révélatrice» de la réalité matérielle qui découle des découvertes scientifiques et en particulier des conclusions et des intuitions de la nouvelle cosmologie. Cette valeur révélatrice du cosmos, comme lieu de la présence et de la manifestation de Dieu, a été admirablement développée par Thomas Berry. Cet auteur affirme que la nouvelle cosmologie nous rend plus sensibles à Dieu et plus aptes à percevoir la manifestation du Mystère Sacré qui pulse dans les profondeurs de la Réalité cosmique, qui devient, pour ainsi dire, l’autre Bible à travers laquelle Dieu parle aux hommes.
La nouvelle vision et la nouvelle intelligence de l’Univers transmises par les sciences et la cosmologie modernes, font désormais partie de la culture et du bagage intellectuel des gens de la modernité. Il s'en suit que l’ancienne façon de comprendre la réalité, propre aux religions en général et au judéo-christianisme en particulier, est devenue aujourd’hui périmée et inacceptable. Certes, l’ancienne façon de comprendre le monde trouve encore des adeptes sporadiques en des chrétiens incultes ou en des croyants cultivés qui acceptent de vivre leur religiosité dans une posture intérieure tiraillée et schizophrène. Il reste cependant vrai que la nouvelle cosmologie, avec la nouvelle compréhension de la réalité qu’elle comporte, est aujourd’hui en train de changer de fond en comble la conscience de l’humanité. Malheureusement, les milieux religieux, théologiques et ecclésiastiques ont de la difficulté à se rendre compte du potentiel révolutionnaire de ce nouveau paradigme. Poussés par un reflexe d’auto-défense et d’autoconservation actionné par leur vieille mentalité, ils pensent qu’il ne s’agit pas là d’une question religieuse et spirituelle, mais uniquement d’une question scientifique.

Une des questions les plus difficile à résoudre et qui suscite beaucoup d’anxiétés et de palpitations dans les milieux religieux traditionnels est celle de savoir comment situer et comprendre maintenant la personne et la fonction de Jésus de Nazareth dans le contexte de la nouvelle vision de la réalité. Il est certain que les affirmations de la christologie classique n’ont plus grand sens ni avenir dans la culture contemporaine, marquée par la nouvelle cosmologie. En son temps, Teilhard de Chardin a essayé d’éclairer d’une nouvelle lumière la place du «Christ» dans l’ensemble de l’économie cosmique et de réaliser une synthèse théologique des deux cosmologies qui s’affrontaient. Toutefois sa synthèse n’a été ni assez convaincante ni assez radicale. Teilhard n’a pas eu le courage (par esprit d’obéissance au pape en tant que Jésuite et par peur des représailles du Saint Office) d’aller jusqu’au bout de ses intuitions et de ses conclusions. Sur beaucoup de questions il n’a pas osé s’éloigner de la compréhension mythique de la Bible et des affirmations de la théologie classique.

Si on ne peut pas négliger la contribution de Teilhard afin de relever les défis posés à la religion par la nouvelle cosmologie, il faut cependant reconnaître que le gros du travail de relecture et de réinterprétation du rôle et de la place de Jésus dans la nouvelle vision cosmologique reste à faire. Cela va être une des plus importantes reconstructions et restructurations critiques que la théologie de notre temps va devoir accomplir.


Étude de José Maria VIGIL, paru dans la Revue «Voices», 2011, 1 – Ecologia y religion, traduit de l’espagnol et adapté pour le lecteur français par Bruno Mori


N.B.: si le lecteur souhaite approfondir sa réflexion sur la question abordée à la fin de cet article, à savoir comment situer et comprendre la personne de Jésus dans le cadre de cette nouvelle vision de la réalité, je peux lui suggérer la lecture de l'article intitulé ''Une nouvelle façon de comprendre l'incarnation de Dieu'' que vous trouverez dans l'onglet ''L'incarnation de Dieu'' sur ce même blog.

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