Mt.25,31-46
Dans ce récit de la venue du Seigneur à la fin des temps que l’on trouve au
chapitre vingt cinq de l’évangile de Matthieu, il est question d’un tri entre
les bons et les moins bons. Cette parabole cherche à nous rendre conscients du
fait que l’amour pour Dieu, qui nous est prêché de toutes parts, n’est pas quelque
chose d’évident pour l’homme. Cet amour est là où nous ne le cherchons pas ;
et il n’est pas là où nous voudrions le trouver. Cet amour pour Dieu peut même
être, très souvent, un leurre ou un alibi qui nous dispense d’aimer les seuls
êtres que nous soyons vraiment capables d’aimer : nos frères humains. Tout
amour envers Dieu qui ne se concrétise pas comme amour humain envers nos
frères, est un mythe qui risque de nous égarer sur les chemins de l’utopie et
de l’illusion.
Les religions nous disent d’aimer Dieu. Le pouvons-nous vraiment d’une
façon humaine? Un sentiment amoureux envers Dieu est-il possible chez des
humains dont les mécanismes de l’amour sont déclenchés seulement par
l’intermédiaire de leurs sens? Comment aimer Dieu d’un amour humain, car
humains nous sommes, si l’objet de cet amour est une Entité ineffable, une Énergie
inimaginable, insaisissable, invisible, inconnue, muette, absente, dont
l’existence même est discutable?
Jésus de Nazareth nous dit cependant qu’il est possible d’aimer Dieu, mais
essentiellement à travers l’amour que nous portons à notre prochain. Il y a des
gens qui sont si préoccupés de plaire à Dieu; de savoir si leur vie, leurs comportements
sont conformes ou pas à sa volonté et à ses commandements, tellement soucieux
de bien faire leurs devoirs et d’être des enfants disciplinés et sages, qu’ils
ne voient plus les personnes autour d’eux. L’importance ou la place qu’ils accordent
à Dieu et à la religion, les détourne de leurs frères et les rend insensibles
et aveugles à leurs besoins.
C’est assez facile d’avoir le désir de plaire à Dieu. Ce qui est difficile
c’est d’avoir le désir et la préoccupation de plaire à notre prochain. La chose
la plus difficile, en réalité, ce n’est pas d’aimer le bon Dieu du ciel, mais
d’aimer l’homme concret, rustre et souvent crapuleux de la terre.
Ce récit évangélique cherche à nous faire comprendre que nous devons aimer
les autres non pas pour Dieu, mais pour eux-mêmes. Je dois t’aimer, toi que je
rencontre, toi qui es sur mon chemin; parce que ta présence en ce monde est
importante; parce que tu as besoin de moi; parce que ton sort m’intéresse; parce
que ta souffrance me bouleverse; parce que je veux contribuer à ton bonheur.
Jésus nous dit que la seule façon humaine d’aimer Dieu consiste à aimer notre
prochain en qui Dieu vit et se manifeste. «Comment peux-tu dire d’aimer Dieu
que tu ne vois pas, si tu n’es pas capable d’aimer le frère que tu
vois ?».
Dans ce texte du jugement dernier, la différence entre ceux qui sont rangés
à droite et ceux qui sont rangés à gauche est constituée par l’empathie que les uns ont eue et que les
autres n’ont pas eue. L’empathie est la capacité de sentir avec, de pâtir ensemble, d’avoir de la compassion, d’entrer
à l’intérieur de l’autre et de ressentir ce que l’autre vit dans son cœur. La
différence entre ces deux groupes de personnes consiste dans le fait que les
uns se laissent affecter, interpeller, toucher par ceux qui les entourent,
tandis que les autres élèvent des barrières, se protègent, assument une attitude
de défense, de méfiance, et donc d’indifférence et de rejet. Ceux de droite
entrent dans la vie de l’autre et y participent, ceux de gauches restent à l’extérieur
et imperméables à ce que les autres vivent et donc indifférents et insensibles.
Sentir de l’empathie (compassion) est alors se laisser impliquer, se
laisser entraîner dans le destin de l’autre et par le destin de l’autre. Et on
ne peut pas pénétrer dans la vie de l’autre sans en être affecté, transformé.
L’empathie et la compassion nous changent. Car si nous nous faisons toucher par
les autres, si les autres pénètrent dans notre cœur, nous devenons forcement
des nouvelles personnes, remodelées à l’image des autres, enrichies de toutes
les richesses que les autres apportent. Nous acquérons un supplément de cœur, d’âme
et d’esprit. Une vie ainsi ouverte aux autres nous met en communion avec le
monde entier. Plus rien ne nous est étranger. Nous devenons familiers et amis
de tout ce qui existe autour de nous, car notre cœur pulse au rythme du cœur de
Dieu. Nous nous «divinisons», car nous avons en nous les mêmes sentiments qui
sont en Dieu. En conséquence de cela, nous pouvons nous sentir en communion
avec tout ce qui existe dans l’Univers ; unis aux arbres, aux fleurs, aux
oiseaux, aux rivières et à la mer, aux enfants et aux personnes âgées, à ceux
qui sont dans la douleur et à ceux qui sont dans la joie; à l'arc en ciel et
aux galaxies. La vie devient une émotion très intense et d’une merveilleuse
richesse intérieure. Nous nous construisons comme personnes qui possèdent une
qualité supérieure d’humanité. Dans l’amour nous nous humanisons; sans l’amour
nous nous déshumanisons… et nous manquons le but de notre présence en ce monde.
Mère Teresa était un jour en train de soigner un moribond couvert de plaies
purulentes sur un trottoir de Calcutta. Un journaliste qui la voyait faire lui
demanda: «Pourquoi faites-vous cela ?» Il s'attendait à ce que Mère Teresa lui
réponde «Pour Dieu», mais elle lui répondit: «Parce que j’ai de la compassion
pour cette personne». «Par amour pour
Dieu?», reprit l’autre. "Non, par amour pour cet homme et parce que sa souffrance
touche mon cœur ». Et le journaliste d'ajouter « Moi je ne le ferais même pas si
l’on m’offrait un million de dollars» - « Moi non plus» répondit» mère Teresa. «Même
si Dieu lui-même me demandait de le faire», reprit le journaliste, «moi non
plus» rétorqua Teresa. Et si Dieu n'existait pas?", demanda-t-il une autre
fois à Mère Teresa. «Je n'aime pas pour Dieu. J’ai toujours agi par amour pour
ceux et celles que j’ai rencontrés dans ma vie"».
Je ne sais pas si celui que dit aimer Dieu l’aime vraiment, mais cet
évangile veut certainement nous enseigner que l’amour que nous ressentons pour
notre semblable est la seule façon humaine que nous avons, que nous le sachions
ou pas, d’aimer Dieu.
MB
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