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mercredi 22 juin 2022

 

La fête du Corpus Domini, supercherie, mythe ou réalité ?

 Lc 9, 11-17

            Je trouve très difficile, en parlant de l’eucharistie, de m’en tenir uniquement aux affirmations théologiques de la doctrine traditionnelle ou de la « saine orthodoxie » catholique, sans chercher à présenter une vision plus plausible et une compréhension  plus  acceptable pour les  chrétiens aujourd’hui du sens de ce  sacrement qui, pour la religion chrétienne-catholique, constitue le centre de sa foi et de sa pratique cultuelle . 

            Je dois avouer que j’ai toujours été intellectuellement mal à l’aise avec les contenus théologiques et les transports dévotionnels de la piété populaire pour cette fête appelée du nom latin de Corpus Domini ou du « Corps du Seigneur ». Par une telle dénomination, on voulait évidemment se référer à la personne physique de Jésus de Nazareth, dans sa dignité de Messie et de « Fils de Dieu » que cette fête célèbre comme toujours physiquement et corporellement présent, en le proposant à l’adoration de ses fidèles.  

            Il fut un temps où je ne pouvais pas m’empêcher de penser que cette l’adoration du « corps » de Jésus, avait tout l’air d’être la version religieuse du culte moderne que notre société séculière voue au corps  humain, autant masculin que féminin, considéré comme le « temple » par excellence de la vénération de sa valeur et de sa beauté. De sorte que, par exemple, des individus comme Brigitte Bardot, Angelina Jolie, Arnold Schwarzenegger, Silvestre Stallone, etc.… devenaient des « divinités » avec un grand nombre d’adorateurs.   

            La fête d’aujourd’hui, avec son culte de la présence réelle du corps de Jésus dans le pain consacré constitue, à mon avis, l’aboutissement ultime et paradoxale de la foi chrétienne en le dogme de l’incarnation Dieu dans notre monde, laquelle ici semble se dédoubler. De sorte que nous assistons d’abord à une première incarnation exprimée par la croyance en l’incarnation de Dieu dans l’homme-Jésus, considéré comme le lieu de la présence ontologique d’une Entité divine. Il s’agit ici d’une croyance qui trouve tout à fait normal que le Mystère Ultime, infini et insondable (que nous appelons « dieu ») présent et agissant dans toute la Réalité, vienne renfermer, limiter et restreindre sa présence et toutes ses virtualités dans la structure organique d’un minuscule mammifère de genre « homo », surgi par le hasard des transformations évolutives des composantes biochimiques d’une petite planète perdue dans les profondeurs sidérales d’une banale galaxie.

            La deuxième incarnation est celle qui est exprimée par la croyance en une incarnation de l’homme-Dieu-Jésus de Nazareth en du pain de blé et dont la substance est prodigieusement remplacée par celle du Corps de Jésus, en vertu des pouvoirs surnaturels du prêtre célébrant. Ainsi tout pieux et fidèle catholique est-il convaincu que dans le pain consacré à la messe (la « sainte hostie »), l’homme-Dieu-Jésus-de-Nazareth est réellement présent avec « son Corps, son sang, son âme et sa divinité ».et que donc  ce pain n’est plus du pain mais le « Corps du Christ! », ainsi que le prêtre le proclame emphatiquement avant de le  lui tendre pour la  manducation .

            Je suis personnellement convaincu que cette façon très primitive, grossièrement matérielle et surtout totalement insensée d’imaginer et de faire valoir la présence du Mystère de Dieu dans notre monde, a les jours comptés. Et cela, non seulement parce que aujourd’hui un tel récit ne peut plus être perçu comme crédible par personne en possession d’une saine raison, mais aussi et surtout parce que de telles fabulations ne réussissent finalement qu’a ridiculiser la religion qui les propose et à détruire sa crédibilité et sa raison d’être.  

            Aujourd’hui beaucoup de penseurs, (croyants, athées et agnostiques) se demandent avec stupeur et perplexité quels mécanismes psychologiques ou quels troubles psychotiques ont bien pu amener des théologiens et des hommes d’église du passé à de tels délires et quelles sortes des motivations peuvent pousser les autorités religieuses actuelles à maintenir toujours vivantes de telles absurdités. 

                                                           *****

            Voyons maintenant comment on pourrait cependant interpréter d’une façon plus positive le symbolisme de cette festivité du Corpus Domini et comment lui donner  peut-être un sens et des contenus qui pourraient la rendre acceptable et même inspirante pour les chrétiens de n notre temps.    

            Personne, tant soit peu familier avec les contenus des évangiles et avec la personne de l’Homme de Nazareth, serait capable de l’imaginer se promenant sur les routes de la Palestine, croyant être l’incarnation de Dieu et demandant aux gens qu’il rencontre de se prosterner en adoration devant lui. Rien de tel en lui, qui se reconnaissait en tout semblable aux autres hommes, humain parmi les humains, frère parmi des frères, pauvre parmi les pauvres, banni et persécuté parmi les bannis et les persécutés, mal aimé parmi les malaimés.

            Cependant, si Jésus était comme nous quant à sa nature humaine, il n’était pas tout à fait comme nous, ou comme la majorité de nous, quant à l’esprit qui l’animait. On peut donc dire que Jésus de Nazareth était différent à cause de son esprit, à cause des rêves, des valeurs, des priorités, des principes, des convictions profondes qui l’inspiraient et le faisaient vivre ; à cause de sa conception de Mystère de Dieu et de la nature des relations qu’il entretenait avec son Dieu et ses frères humains.

            Les évangiles nous présentent un Jésus non seulement totalement humain, mais aussi et surtout un Jésus maitre d’humanité ; un Jésus prophète, visionnaire, éveilleur de consciences, de responsabilités, d’une nouvelle façon d’être, de vivre et de bâtir des relations ; un Jésus qui rêve à la possibilité d’une nouvelle communauté humaine fondée non plus sur la confrontation et sur l’amour du pouvoir, mais sur la fraternité et le pouvoir de l’amour.

            Nous avons fait de l’eucharistie, sacrement ou symbole de la présence « réelle » de l’esprit et de l’amour de Jésus parmi nous, un rite souvent purement extérieur, aride, constitué de gestes incompréhensibles, stéréotypés et vides d’emprise sur notre vie. La plupart du temps la « messe » du dimanche n'est, pour beaucoup de chrétiens, qu'une obligation pénible pour s’affranchir de laquelle tous les prétextes sont bons. Voyons alors quel sens nous pourrions donner à nos assemblées eucharistiques pour qu’elles nous aident à mieux intégrer à notre vie le pouvoir innovateur et transformateur de la présence et de l’esprit de Jésus qu’elles célèbrent dans la joie et l’action de grâce, et qu’elles veulent transmettre.

             Dans le rite eucharistique l’élément central est le pain. Cependant l’importance et la valeur de nos messes ne réside pas dans le pain en tant que tel, mais dans la signification que, dans ce rite, nous lui conférons. Pour nous, ce pain représente  non seulement la présence continuelle de Jésus (« pain de vie ») et de son esprit parmi nous ; mais ce pain est là aussi pour nous rappeler que nous serons des vrais chrétiens et des êtres humains exemplaires et accomplis seulement si nous sommes capables de nous asseoir à la table du banquet que Jésus nous prépare et de manger la nourriture qu’il nous offre et qui est rien de moins que lui-même.

            Dans la vie ordinaire, en effet, le pain n’est pas préparé pour décorer la table, mais uniquement pour être donné, partagé et mangé. De sorte que le pain constitue, sans aucun doute, le meilleur symbole de ce que Jésus a été durant sa vie et de ce qu’il doit être maintenant pour chacun de nous, ses disciples. En effet, Jésus a été l’homme de Dieu qui, comme un bon pain, s’est donné à tous pour que tous s’en nourrissent, surtout ceux qui en ont le plus besoin : comme les pauvres, les faibles, les laissés pour compte, les exploités, les opprimés, les désespérés et les perdus de la vie…

            Au temps de Jésus, tous ceux qui l’ont fréquenté ont trouvé en lui, qui s’est définit comme le véritable pain qui nourrit et donne vie, l’énergie, l’élan, les motivations dont ils avaient besoin pour se fortifier, se redresser, se reprendre en main, reprendre courage et confiance en leur valeur, pour croire en leur possibilités, pour revivre et s’ouvrir à l’espérance d’une vie nouvelle.

            Dans la manducation de ce pain qui est Jésus lui-même, ses disciples ont découvert le secret de leur salut et de leur bonheur ainsi que de ceux du monde entier. Il s’agit, en effet, non pas d’un faux salut fondé sur la logique habituelle et universelle du pourvoir individuel et égocentrique qui ne génère que confrontations, antagonismes, hostilité et divisions et donc que des mécanismes de souffrance, de désagrégation et de mort, mais il s’agit d’un salut et d’un bonheur que tous trouvent dans l’amour fraternel, désintéressé et gratuit, avec lequel ils s’aiment et ils prennent soin les uns des autres et du monde naturel qu’ils habitent ;  amour donc  que les chrétiens déclarent vouloir  assimiler et incarner dans leur  existence par le geste de la manducation de ce  Pain.  

            La « communion » constituée par la manducation du pain au cours du rite eucharistique n'a aucune valeur si nous lui ôtons son caractère de signe et de symbole de notre volonté et de notre désir de nous nourrir de la parole, de l’enseignement, des valeurs, des attitudes que l’Homme de Nazareth a incarné dans sa vie et qu’il a laissé en héritage à ses disciples.

            Communier signifie donc vouloir être « en communion » avec tout ce que Jésus a dit et il a été.  Mais communier signifie aussi vouloir être en communion d’esprit, de cœur, d’intentions avec nos frères, ainsi qu’avec tous les hommes de bonne volonté disséminés dans le monde entier.

            Concrètement, moi, le chrétien, qui chaque dimanche célèbre un rite d’action de grâce (une eucharistie) pour la présence parmi nous de l’esprit du Seigneur Jésus dont je veux me nourrir…, et bien, par ce geste, je veux signifier que moi aussi, comme mon Maitre, je veux être capable de vivre pour les autres et de donner ma vie pour les autres ; cependant, non pas en mourant, mais en étant toujours disponible à quiconque peut avoir besoin de moi et de ma « miséricorde ».

            Je résume ces réflexions en disant tout simplement que toutes les marques de respect de la foi populaire envers le pain consacré sont excellentes. Cependant, si le comportement et l’esprit de Jésus ne se reflètent pas dans notre vie, la célébration de l'eucharistie sera toujours de la magie à bon compte et un gros mensonge qui pourra difficilement nous « sanctifier ».  

 

M B – 16 juin 2022

 

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