Prendre soin de son corps et du corps des autres en temps de
coronavirus
Par Leonardo Boff (traduit du portugais par Bruno Mori)
18/04/2020
En ces temps
dramatiques, sous l'attaque du coronavirus sur nos vies et sur nos corps, il
n'y a rien de plus opportun que de réfléchir plus profondément sur nos corps,
sur ce qu'ils sont et comment nous devons, plus qu'avant, prendre soin d'eux et
du corps des autres.
Pour cela, il est
important d'enrichir notre compréhension du corps, car celle héritée des Grecs
et qui prévaut encore dans la culture dominante, comprend le corps comme une
partie de l'être humain, à côté de l'autre partie qu'est l'âme. Les êtres
humains sont généralement compris comme un composé du corps et de l'âme. En
mourant, le corps retourne à la Terre, tandis que l'âme est transférée dans
l'éternité, heureuse ou malheureuse, selon la qualité de vie qu'elle a vécue.
Essayons d'enrichir notre compréhension du corps à la lumière de la nouvelle
anthropologie.
L'unité
complexe corps-esprit
L'anthropologie
biblique et l'anthropologie contemporaine (et il y a beaucoup d'affinités entre
les deux) nous présentent une conception plus complexe et holistique du corps.
Selon elles, le corps n'est pas quelque chose que nous avons, mais quelque
chose que nous sommes. Nous parlons alors d’un homme-corps immergé dans le
monde et lié et connecté dans toutes les directions.
L'être humain se
présente donc avant tout comme un corps. Corps vivant et non cadavre, réalité
bio-psycho-énergétique-culturelle, dotée d'un système perceptif, cognitif, affectif,
évaluatif, informationnel et spirituel.
Il est fabriqué à
partir des matériaux cosmiques qui se sont formés depuis le début du processus
de cosmogénèse il y a 13,7 milliards d'années, de biogenèse il y a 3,8
milliards d'années et d’anthropogenèse il y a 7 à 8 millions d'années, avec 400
billions de cellules, continuellement renouvelées par un système génétique
formé sur 3,8 milliards d'années (c'est l'âge de la vie), habité par un
quadrillion de microbes (Collins, The language of life, p.200), équipé d’un
cerveau unique à trois niveaux, avec 50 à 100 milliards de neurones. Le plus
ancestral, le cerveau reptilien, qui a émergé il y a 250 millions d'années,
explique nos réactions instinctives, telles que l'ouverture et la fermeture des
yeux, le rythme cardiaque et autres, autour duquel s'est formé le cerveau
limbique, il y a 125 millions d'années, qui explique notre affectivité, notre
amour et nos soins. Enfin le tout a été complété par le cerveau néocortical,
qui a surgi il y a environ 5 à 8 millions d'années, grâce auquel nous avons
conceptuellement organisé le monde et nous sommes ouverts à la totalité de la
réalité.
La
corporalité est une dimension du sujet humain concret. Cela signifie que dans
la réalité nous ne trouvons jamais un esprit pur, mais toujours un esprit
incarné. La corporéité de l’humain appartient au domaine de l'esprit et avec
celle-ci il entre en relation permanente avec toutes choses. En tant
qu'homme-corps, nous émergeons comme un nœud de relations universelles dans notre être-dans-le-monde-avec-les-autres.
Cet
être-au-monde-avec-les-autres n'est pas une dimension géographique, ni
accidentelle mais essentielle. Cela signifie, qu'à chaque instant et en sa
totalité, l'être humain est corporel et simultanément, en sa totalité, il est
spirituel. Nous sommes un corps spiritualisé, car nous sommes aussi un esprit «
corporisé ». Cette unité complexe de l'être humain ne doit jamais être oubliée.
De cette façon, les
actes spirituels les plus sublimes, ou les plus hautes envolées de la création
artistique ou mystique, sont marqués par la corporéité. Tout comme les actes
corporels les plus simples, comme manger, se laver, conduire une voiture, sont
imbibés d’esprit. Le corps est un esprit qui se déploie dans la matière. Et
l'esprit est la transfiguration de la matière.
En ce sens, nous
pouvons dire que l'esprit est visible. Lorsque nous regardons un visage, par
exemple, nous ne voyons pas seulement les yeux, la bouche, le nez et le jeu des
muscles. Nous voyons également la joie ou l'angoisse, la résignation ou la
confiance, l'éclat ou le découragement de la personne. Ce qui est vu, par
conséquent, est un corps qui est animé et pénétré par l'esprit. De même,
l'esprit ne se cache pas derrière le corps. Dans l'expression faciale, dans le
regard, dans le discours, dans la manière d'être présent et même dans le
silence, se révèle toute la profondeur de l'esprit.
Les forces de l'affirmation de soi et de
l'intégration
D'un autre côté, il est
important de comprendre que, biologiquement, nous sommes des êtres nécessiteux.
Nous ne sommes pas dotés, comme les animaux, d’organes spécialisés qui nous
garantiraient la survie ou nous défendraient des dangers. Un caneton sort de
l’œuf et il commence aussitôt à nager. L'être humain, en revanche, a besoin d'apprendre. Certains biologistes
vont jusqu'à dire que nous sommes « un animal malade », un « faux pas », un «
passage » (Übergang) vers quelque chose de plus élevé ou plus complexe. Nous ne
sommes donc jamais fixés ; nous sommes entiers, mais pas encore complets,
toujours à faire.
Cette situation a pour
conséquence que nous devons assurer en permanence notre survie à travers un
travail et une intervention planifiée sur la nature. De cet effort est né une
culture qui organise d’une façon stable les conditions infrastructurelles,
ainsi qu’humaines et spirituelles, pour que nous puissions vivre mieux et plus
confortablement.
Il y a aussi un autre
aspect, également présent dans tous les êtres de l'univers, mais qui, au niveau
humain, acquiert une pertinence particulière, les soins à prodiguer. Il y a deux forces en nous et en chaque
être. La première est la force de l'affirmation de soi, la seconde est
la force de l'intégration. Ces forces travaillent toujours ensemble dans
un équilibre difficile, mais toujours dynamique.
Par la force de l'affirmation de soi, chaque être, en
l'occurrence l'être humain, se concentre sur lui-même et son instinct est de se
préserver, de se défendre contre toutes sortes de menaces pour son intégrité et
sa vie. Il se défend lorsqu'il est menacé de mort. Personne n'accepte
simplement de mourir. Lutter pour continuer à vivre, à se développer et à se
reproduire. Cette force explique la persistance et la subsistance de l’individu.
Nous devons à ce stade
surmonter complètement le darwinisme social, selon lequel seuls les meilleurs
et les plus doués triomphent et subsistent. C'est une demi-vérité qui s'oppose
au processus évolutif. La loi fondamentale de l'Univers est la relation de
chacun avec tous et la coopération entre tous, afin qu'ils puissent exister et
continuer à évoluer. Ce processus ne favorise pas seulement les mieux équipés.
Si c'était le cas, les dinosaures seraient encore parmi nous. Le sens de
l'évolution est de permettre à tous les êtres, même aux plus vulnérables, d'exprimer
des dimensions de la réalité et des virtualités qui sont latentes dans l'univers en évolution. Nous le
répétons : c'est cela la valeur de l'interdépendance de tous avec tous et de la
solidarité cosmique. Chacun s'entraide pour coexister et co-évoluer. Les
faibles méritent également de vivre et ils ont quelque chose à nous dire.
Remarquez comment, même dans un petit trou dans l'asphalte, une petite plante
peut surgir. C'est le miracle de la vie et cela nous envoie un message sur sa force.
Par la force de l'intégration, l'individu se retrouve
intégré dans un réseau de relations sans lequel, seul en tant qu'individu, il
ne pourrait ni vivre ni survivre. Tous les êtres sont interconnectés et chacun
vit pour les autres, avec les autres et grâce aux autres. L'individu s'intègre donc naturellement dans
un tout plus large, dans la famille, dans la communauté et dans la société.
Même si l'individu décède, l'ensemble assure le maintien de l'espèce,
permettant à d'autres représentants de venir lui succéder.
La sagesse humaine
reconnaît qu'il arrive un moment dans la vie où la personne doit dire au
revoir, avec gratitude, pour laisser la place, même physiquement, à d'autres
qui viendront.
L'univers, les nations,
les espèces et aussi les êtres humains se gardent en équilibre entre ces deux
forces, celle de l'affirmation de soi
de l'individu et celle de l'intégration
dans un tout plus large. Mais ce processus n'est pas linéaire et serein. Il
est tendu et dynamique. L'équilibre des forces n'est jamais conquis une fois
pour toutes, mais un exploit à réaliser à tout moment.
C'est là que les soins
entrent en jeu. Si nous n'y prenons pas garde, l'affirmation de soi de
l'individu peut prévaloir au détriment d'une intégration insuffisante dans
l'ensemble et alors le moi, l'individualisme, l'autoritarisme et la violence
prévalent ; ou bien l'intégration peut prévaloir, le nous peut prendre le
dessus au prix de l'affaiblissement, voire de l'annulation du moi. Alors d’un côté,
c’est le moi et l’individualisme qui gagnent la partie, de l’autre, c’est le
collectivisme et l'aplatissement des individualités qui l'emportent. Le soin,
ici, se traduit par une juste mesure et une retenue de soi, afin de ne
privilégier aucune de ces forces.
En fait, dans
l'histoire sociale humaine, des systèmes ont émergé qui favorisent parfois le
moi, l'individu, leur performance et la propriété privée, comme c'est le cas
avec le système capitaliste ; ou la propriété collective et sociale, comme
c'est le cas avec le socialisme réel. L'exacerbation de l'une de ces forces, au
détriment de l'autre, entraîne des déséquilibres, des dévastations et des
tragédies. Le soin disparaît pour laisser place à la volonté de puissance et
même à la brutalité.
Afin d'équilibrer ces
deux forces, la démocratie a été conçue. Elle cherche à inclure et à articuler
le moi avec le nous, chaque individu peut participer et avec d'autres créer le
nous social. De cette coexistence, pas toujours facile, du moi avec le nous, la
recherche du bien commun est née. La démocratie représente la participation de
chacun, de la famille, de la communauté, des organisations, dans la manière
d'organiser l'État. C'est une valeur universelle à vivre et à entretenir en
permanence.
Quel est le défi qui se présente
aujourd’hui à l'être humain ?
Le défi de porter attention et soin à la création.
Ce défi consiste dans la recherche d’un équilibre construit consciemment et de
faire de cette recherche un but et une attitude de base. Porteur de conscience
et de liberté, l'être humain a cette mission qui le distingue des autres êtres.
Lui seul peut être un être éthique, un être attentif et responsable de lui-même
(moi) et du sort des autres (nous). Il peut être hostile à la vie, opprimer et
dévaster. Il peut aussi être le bon ange, le gardien, le protecteur et le
serviteur de tout. Cela dépend de sone engagement à prendre soin ou à accepter que
des forces sombres et incontrôlables prennent le contrôle de la vie.
Du fait de sa liberté,
l’homme n'est pas soumis à la fatalité du dynamisme des choses. Il peut
intervenir et sauver les plus faibles, empêcher une espèce de disparaître ou
créer des conditions qui réduisent la souffrance, comme c'est le cas en ce
moment.
En lieu et place de la
loi des plus doués et des plus forts, il fait valoir la loi du soin envers les
moins doués et les plus faibles. Seul l'être humain peut le faire. C'est pour
cela qu’il a été établi (dans le mythe biblique de la Genèse) comme le gardien de
toutes les créatures et comme le
jardinier qui cultive et garde le Jardin de l'Éden. L’homme surgit donc en ce
monde comme celui qui voit et qui pourvoit à ce que les êtres puissent avoir
les conditions nécessaires pour vivre et pour s’insérer dans le Tout. De cette
façon, il assure un avenir au plus grand nombre de personnes et de
représentants d'autres espèces possibles. C'est en cela que consiste le défi
pour notre pays et pour la Terre entière dévastée par la COVID-19.
Après cette longue introduction,
la question se pose: comment prendre soin de son propre corps? Ce point est
fondamental à l'heure où nous devons accepter l'isolement social pour nous
protéger du coronavirus.
Tout d'abord, un effort
est nécessaire pour maintenir notre intégrité et notre unité complexe. Nous
devons assumer notre enracinement dans le monde au travers de notre famille,
notre travail, notre profession et notre engagement envers la vie. Et nous
devons le faire avec la totalité de
notre être, en sachant que nous sommes la partie consciente et intelligente d’un
Tout capable de valoriser chaque initiative, depuis celle qui concerne
l'hygiène du corps, jusqu’au travail le plus sophistiqué de l’intelligence.
En ce moment, il est
nécessaire de se protéger avec un masque lorsque nous quittons la maison et de
nous laver continuellement les mains avec du savon ou un gel alcoolisé. Le
corps-homme est cette unité complexe qui nécessite tous ces soins, surtout en ce
moment dramatique de notre vie.
Il est nécessaire de s'opposer
consciemment aux dualismes que la culture persiste à maintenir, d'une part, le
"corps" déconnecté de l'esprit; et d'autre part, "l'esprit"
dématérialisé de son corps. Le marketing explore cette dualité, présentant le
corps non pas comme la totalité de l'humain, mais comme l’assemblage de ses
composantes : son visage, ses seins, ses muscles, ses mains, ses pieds…
Les principales
victimes, et non les seules, de cette fragmentation sont les femmes. En effet, le
machisme a profité du monde médiatique de la publicité pour exploiter les
différentes parties du corps de la femme : son visage, ses yeux, ses seins, son
sexe etc., continuant ainsi, de façon
perverse, à en faire un « objet de consommation ». Nous devons nous opposer
fermement à cette distorsion culturelle.
Il est également
important de refuser le simple "culte du corps" dans les innombrables
gymnases, ou à travers d’autres formes d’intervention sur sa dimension
physique, comme si le corps-homme était une machine dépourvue d'esprit, à la
recherche de performances musculaires sans limites. Avec cela, nous ne voulons cependant
pas minimiser les bienfaits qu’apportent les palestres de conditionnement
physique. Il convient aussi de souligner l’importance d’une alimentation
équilibrée et saine, les avantages indéniables de l’exercice physique, des
massages qui tonifient le corps et font circuler les énergies vitales, en
particulier les techniques et les disciples orientales, parmi lesquelles, la
capacité du yoga à renforcer l'harmonie corps-esprit.
L’habillement mérite
une attention particulière. Il n'a pas seulement une fonction utilitaire en
nous protégeant des intempéries et en cachant ces parties qui dans notre culture
(différente de la culture des peuples autochtones) sont considérées comme
sexuelles. Il appartient aux soins du corps, car le vêtement représente un
langage, une manière de se révéler sur la scène de la vie. Il est important de
s'assurer que les vêtements soient l'expression d'une façon d'être et montrent
le profil humain et esthétique de la personne.
Ces beautés construites par mille moyens
artificiels, pour que les personnes apparaissent différemment de ce que la vie
a voulu qu'elles soient, sont une démonstration de l'anémie de leur esprit. Il
y a une beauté propre à chaque âge, un charme qui naît du travail que la vie et
l'esprit ont imprimé dans l'expression « corporelle » de l'être humain. Il n'y
a pas de Photoshop pour remplacer la rude beauté du visage d'un travailleur,
façonné par la dureté de la vie; ni pour reproduire les traits d’un visage
sculpté par la souffrance et la lutte. Ces visages acquièrent une expression de
grande force et d'énergie. Ils parlent de la vie réelle et non artificielle et
construite. Tandis que les visages, transformés en des icônes de la beauté
conventionnelle, sont tous semblables, sans traits ni nuances, et masquent à
peine l'artificialité de la figure construite par le marketing.
Tous ces artifices de
notre culture, plus liés au marché qu'aux besoins réels de la vie, nous
empêchent de cultiver le soin de chaque phase de la vie, avec sa beauté et son
irradiation singulière, mais aussi de nous réconcilier avec les marques qu’une
vie vécue a laissé sur le visage et dans le corps : les luttes, les
souffrances, les dépassements. De telles marques sont des décorations et créent
une beauté inégalée et un éclat spécifique, au lieu de garder un type de profil
d'un passé déjà vécu.
Nous prenons
positivement soin du corps, en retournant là d’où, pendant des siècles, nous nous
étions exilés : à la nature et à une relation faite de fascination et de
tendresse avec l'ensemble de la Terre. Cela signifie établir une relation de
biophilie, d'amour et de conscience avec les animaux, les fleurs, les roses et
les plantes, les climats, les eaux, avec les paysages, avec la Terre. Lorsque
la Terre est vue de l'espace, avec ces belles images du globe terrestre
transmises par les grands télescopes ou par les vaisseaux spatiaux, nous éprouvons
un sentiment spontané de révérence, de respect et d'amour pour notre Maison
Commune, notre Grande Mère, de l'utérus de laquelle nous sommes tous sortis.
Nous nous sentons humbles quand nous regardons la Terre devenue un petit point
bleu pâle, sur la dernière photo prise par la sonde spatiale Voyager 1 (en aout 2012) qui quittait le
système solaire pour entrer dans l'espace infini.
Peut-être que le plus
grand défi pour l'homme-corps consiste à parvenir à un équilibre entre
l'affirmation de soi, sans tomber dans l'arrogance et la dépréciation des
autres ; et l'intégration dans un plus grand ensemble (la famille, la
communauté, le groupe de travail et la société ), sans se laisser massifier et
tomber dans une adhésion non critique.
La recherche de cet
équilibre n'est pas résolue une fois pour toutes, mais elle doit être assumée
au quotidien, car elle nous est demandée à chaque instant. Et chaque situation,
aussi étrange que cela puisse paraître, est suffisamment bonne pour trouver le
bon équilibre entre les deux forces qui peuvent nous déchirer ou unifier et
alléger notre existence.
Le soin de notre
manière d'être dans le monde avec les autres, implique également notre alimentation
: ce que nous mangeons et buvons. Faire de l'alimentation plus qu'un processus
de nutrition, mais un rite de communion avec les fruits de la générosité de la
Terre. Ainsi, chaque repas devient une célébration de la vie. Savoir choisir
les produits issus de l'agriculture biologique ou ceux moins traités
chimiquement. Voici le soin, comme amour de soi, qui se traduit par une vie
saine ; et le soin comme précaution contre toutes les maladies qui peuvent
surgir à cause de l'air contaminé, les eaux polluées, l'intoxication générale
de l'environnement.
L'homme-corps doit
montrer cette harmonie intérieure et extérieure, en tant que membre de la
grande communauté terrestre et biotique.
Prendre
soin du corps des autres, des pauvres, de la Terre
La plupart des corps
humains sont malades, émaciés et déformés par trop de besoins. Il y a des corps
humains affamés et assoiffés, désespérés d'esprit par l'excès du travail,
l'exploitation et l'humiliation d'être traités comme '' du charbon à consommer
dans le processus de production'', selon l'expression de l'anthropologue Darcy
Ribeiro.
Prendre soin des corps
des pauvres et des condamnés de la Terre, ce n'est pas les nier et les
mépriser, comme cela se produit dans notre tradition d'esclavage. Mais les
considérer comme des égaux, comme des personnes qui ont la même dignité et les
mêmes droits. Socialement, cela signifie se battre pour des politiques
publiques, comme l'ont fait les projets sociaux de « Faim Zéro », « Luz para
Todos », « Ma Maison, ma Vie », avec l'agriculture écologique et familiale, et
autres, comme les cuisines communautaires, comme l'UPAS et d'autres initiatives
qui organisent la solidarité sociale afin que chacun puisse avoir droit à une convivialité
réalisée: pouvoir manger suffisamment et décemment chaque jour.
Permettez-moi de vous
donner un exemple: dans notre Centre pour la défense des droits de l'homme à
Petrópolis, nous avons développé un projet « Pain et beauté », qui donne à la
population de la rue un bon repas quotidien (environ 300 personnes: le moment
du Pain) et ensuite un moment de Beauté, qui est l'accomplissement de leur
dignité, en commençant par le nom de la personne (car la plupart n’ont que des
surnoms); en faisant des cercles de discussion sur leurs problèmes; en les
accompagnant en cas de maladie vers une assistance médicale ou psychologique et
en voyant comment les réintégrer dans la société avec un travail. La
perspective reste de prendre soin de l'être humain intégral, corps-esprit, à
travers le Pain nécessaire et l'Esprit cultivé.
L'important, en termes
de pédagogie libératrice, est d'aider les nécessiteux eux-mêmes, en tant que
sujets, à s'organiser et à faire pression pour garantir les bases qui
soutiennent la vie. Mais pas seulement pour satisfaire la faim de Pain,
toujours nécessaire, mais aussi la faim insatiable de Beauté, de
reconnaissance, de respect, de communion, de Transcendance, toujours ouverte à
un développement illimité.
Prendre soin du corps
social est une mission politique qui nécessite de sévères critiques contre un
système de relations qui traite les gens comme des choses et leur refuse
l'accès aux biens communs auxquels tous les êtres humains ont droit, comme la
nourriture, l'eau, un terrain, le traitement des eaux usées et des ordures, la
santé, un logement, la culture et la sécurité.
En fait, une véritable
révolution humanitaire s'imposerait ici. Mais il ne suffit pas de la vouloir.
Des conditions socio-historiques qui la rendent viable et victorieuse sont
nécessaires. C'est l'utopie minimale à réaliser, même par un minimum de sens
éthique.
Prendre
soin du corps de la Terre Mère
Aujourd'hui plus
qu'autrefois, il est urgent de prendre soin du corps de la Terre Mère, marqué
par des blessures qui ne se ferment pas. Il y a des ravages inimaginables dans
le règne animal et végétal, dans les sous-sols et dans les mers. J'ai déjà
exprimé l'opinion que peut-être le coronavirus est une réaction de la Terre
Mère, une contre-attaque à la violence systématique dont elle souffre
continuellement.
Soit nous prenons soin
du corps de la Terre Mère, soit nous courons le risque qu'il n'y ait plus de
place pour nous sur la Terre, parce qu’elle ne voudra plus de nous sur son sol.
Prendre soin du corps de la Terre, c'est prendre soin des déchets, du nettoyage
général des rues, des places, de l'eau, de l'air, des transports, s'intéresser
à tout ce qui se dit dans les médias sur l’état de la planète, sur comme elle
est traitée, agressée ou soignée.
Rappelons enfin le
message chrétien qui, par l'incarnation du Fils de Dieu, a sanctifié la matière
et l'a également éternisée. La résurrection de l'homme des douleurs, blessé et
crucifié, confirme que la fin des voies de Dieu n'est pas un " esprit
" sans matière, mais l'homme-corps transfiguré, qui a réalisé toutes les
potentialités cachées en lui et s'est élevé au plus haut degré de son évolution
humaine et divine.
C'est le soin suprême
que Dieu a montré au corps-homme, le ressuscitant comme un nouvel homme,
"le tout nouvel Adam" comme l'appelle Saint Paul et, enfin,
l'assumant dans sa propre réalité infinie et éternelle.
Leonardo Boff
Traduit du portugais
par Bruno Mori
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