(4e dim ord. B – Mc.1, 21-28)
Chez les juifs, la
synagogue était l’institution officielle de l’enseignement religieux. Elle
était le symbole de la doctrine et de l’orthodoxie religieuse proclamée par des
maîtres reconnus, institués et patentés : les scribes. Elle était le haut
lieu par excellence de la proclamation de la Torah, de son explication et de
son interprétation.
Jésus de Nazareth, à cause
de ses convictions, de l’originalité de sa pensée et du caractère critique et
contestataire de sa personnalité, a toujours eu un rapport conflictuel avec la
synagogue. Dans les évangiles, chaque fois que Jésus entre dans une synagogue la guerre
éclate. Il est contesté. Il est chassé. Il est condamné à mort. C’est une façon
de dire que la vision religieuse de Jésus et celle des scribes ne sont pas
compatibles.
La synagogue est donc une institution fréquentée par les bons croyants,
les pieux juifs bien intégrés dans le système religieux; par des gens sans
problèmes qui acceptent les dogmes, respectent les règles, suivent les lois sans
discuter, sans se poser de questions et qui n’aiment surtout pas les
changements et que l'on vienne les déranger dans leurs croyances rassurantes et
bien établies.
Jésus, par contre est l’homme libre
et contestataire. Il est l’homme de la rue, le vagabond de Dieu qui ne se
laisse emprisonner par aucun parti, ni aucune idéologie. Il n’appartient à
aucune classe. Il n’est ni scribe, ni lévite, ni prêtre, ni clerc, ni membre
d’aucune hiérarchie religieuse. Il est un simple laïc qu’aucune norme,
qu’aucune disposition de la religion officielle ne réussissent à encadrer ou à
embrigader. Il professe une liberté souveraine vis-à-vis des contraintes et des
obligations de la religion officielle. Il se sent autorisé à avoir ses propres opinions,
à critiquer les autorités, à enfreindre les règles ; à s’insurger contre l’instrumentalisation
de la religion et des croyances en faveur et au bénéfice du système religieux
en place ; à ressentir de la colère contre les abus du pouvoir, l’hypocrisie
des dirigeants, le formalisme de la pratique cultuelle, le grotesque de certains
comportements cléricaux.
Jésus déteste les titres, les insignes de pouvoir, les courbettes, les
honneurs. Il n’accepte que l’appellation de Rabbi, «Maître» , que les gens lui
donnent, parce qu'il a conscience qu’il est le seul à proposer un enseignement
et à posséder une parole qui ouvre à la vérité sur soi, sur Dieu et sur le
monde et qui libère et valorise ceux qui l’écoutent.
L‘évangéliste Marc
insiste sur le fait que Jésus enseignait avec autorité. Jésus ne parle pas au nom de quelqu'un d'autre, comme faisaient
les scribes qui, ayant derrière eux une longue tradition d’interprètes, ne
faisaient que répéter la pensée des maîtres qui les avaient précédés. L’enseignement
des scribes est conventionnel, stéréotypé, figé, il n’encourage ni les changements
ni l’ouverture d’esprit. Pour les scribes, le bon et pieux juif est celui qui se
garde dans la stabilité de ses habitudes et ses observances religieuses, dans le
respect des traditions, dans la soumission à la Torah qui manifeste la volonté
de Dieu.
Jésus, par contre, parle de ce qu’il a à cœur. Sa parole exprime tout ce
qu’il est lui-même, les convictions et les valeurs qui le font vivre. Elle
communique sa pensée, le fruit de sa réflexion, le résultat de sa prière et de
sa contemplation, sa vision intérieure, son expérience intime de Dieu. Dans sa
parole il se livre lui-même. Jésus sait que sa parole est la sienne, certes,
mais qu’elle est aussi l’écho d’une autre Parole écoutée et recueillie dans la
profondeur de son expérience de Dieu. Il dira « Ma parole, n’est pas la mienne,
mais celle du Père qui m’a envoyé ».
C’est pour cela que sa parole est neuve, originelle, déstabilisante,
révolutionnaire. Elle encourage la conversion, la transformation, le
renouvellement. Elle ouvre de nouveaux horizons. Elle indique de nouveaux
chemins. C’est pour cela aussi que sa parole frappe, secoue, bouleverse, surprend,
émerveille, fascine, fait toujours réagir ceux qui l’écoutent sans parti pris.
Elle ne laisse personne indifférent. C’est une parole qui «porte », car elle
nous «apporte» non pas des vérités à croire, mais une nouvelle vision de la Réalité
qui rend possible une façon de vivre autrement plus libre, plus valorisante,
plus sereine et donc, finalement, plus humaine et plus épanouie.
Le Dieu prêché dans la Synagogue est un Dieu vieux, bougon, triste,
exigeant, qui cherche des sujets soumis et dévots ; qui fait dépendre le
«salut» de la vertu, de la morale, de la fidélité, de l’obéissance et des
observances ; qui semble lier sa bienveillance aux vertus, aux mérites, à la «justice»
de ses adorateurs, c’est-à-dire à l’honorabilité que chacun s’est bâtie aux
yeux de Dieu et aux yeux des hommes.
Le Dieu de Jésus, au contraire, est un Dieu jeune, espiègle, aventurier,
qui aime les défis, les aventures, les voyages, la découverte de nouveaux pays,
la contemplation de nouveaux paysages. Il aime les gens qui bougent, qui expérimentent,
qui cherchent, qui évoluent, progressent, réagissent, s’opposent, discutent, se
trompent, font la fête, dansent, aiment...
Le Dieu de Jésus est un Dieu qui n’aime pas voir les gens se bloquer, se
figer, s’immobiliser sur le bord de la route, regarder continuellement en arrière,
avoir peur d’avancer, voir le danger et le mal partout et se barricader derrière
les murs de leur vieille maison, afin de passer une vie sans histoires et sans
remous, mais qui est, inévitablement aussi, une vie plate, sans souffle, sans
progrès et sans intérêt.
Le Dieu des scribes est un Dieu que l’on doit craindre et duquel on doit
acheter les faveurs et la protection au prix de sacrifices et d’une observance
scrupuleuse de sa volonté, explicitée dans une infinité de normes qui finissent
par étouffer le pieux pratiquant, en lui rendant la vie impossible.
Le Dieu de Jésus, par contre, est un Dieu qui n’exige rien, mais qui
donne toujours le premier; qui donne sans compter; qui donne à tous sans différences
ni préférences et duquel nous recevons, avec une générosité et une largesse
débordantes, «grâce sur grâce».
Finalement, c’est une conception totalement différente de Dieu qui
oppose l’enseignement de la synagogue et l’enseignement du Maître de Nazareth.
Dans la synagogue, nous sommes là pour un Dieu qui nous écrase avec ses
exigences. Dans la doctrine de Jésus, Dieu est là pour nous, pour nous libérer
de nos peurs en nous faisant grandir dans la confiance amoureuse de sa
présence. Dans la synagogue, Dieu a besoin de nous (de notre soumission, de
notre foi, de notre adoration, de notre culte) pour être Dieu et pour se sentir
Dieu. Dans l’enseignement de Jésus, l’homme a besoin de Dieu pour devenir plus
humain et pour connaître la source de son être véritable et de son authentique bonheur.
De sorte qu’il n’y a plus grand chose en commun entre la synagogue et
Jésus. La parole de Jésus introduit les germes d’une fermentation et d’une
révolution qui un jour feront éclater le vieux système religieux juifs. Jésus
vient chambarder les anciens repères et en produire de nouveaux. Beaucoup de
pieux juifs se sont sentis totalement déstabilisés et désorientés devant l’originalité
et la charge contestatrice de la doctrine du Maître de Nazareth. C’est la
constatation que Marc met sur la bouche de l’homme dans la synagogue, tourmenté
par les mauvais esprits de la scrupuleuse et formelle observance de la Torah et
que la longue fréquentation de la religion avait fini par rendre encore plus
malade et tourmenté: «Que nous veux-tu, Jésus de Nazareth? Es-tu venu pour nous
perdre?».
Il faudra attendre que cet homme, au contact avec la personne de Jésus
et par l’ouverture à sa parole, soit capable de se libérer de tous les
conditionnements de son ancienne éducation, de toutes les fausses idées qu’on
lui avait inculquées, des fausses croyances qu’il avait accumulées, pour qu’il
récupère sa liberté et sa véritable identité. Certes, pour cet homme, le
travail de restructuration et de libération n’a pas été une tâche facile. Il a été
secoué avec violence. Il a souffert. Il a poussé de grands cris. Il a subi un
déchirement intérieur extrêmement éprouvant. Mais c’est le prix que ce genre de
personnes doivent payer pour leur guérison intérieure et pour renaître à une
nouvelle forme de vie.
Bruno
Mori
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