(16e dim. ord. A 2017 – Mt.13, 24-30)
La parabole de
bon grain et de l’ivraie est une des plus représentatives de la pensée de Jésus.
Ici le prophète de Nazareth cherche à faire comprendre que dans le monde où
nous vivons, il est impossible de séparer et de connaître avec certitude ce qui
est bon et ce qui est mauvais. Jésus veut donc nous enseigner que l’homme ne possède
pas ce pouvoir car cela requiert des connaissances qu’il ne pourra jamais avoir.
Adam et Ève ont été chassés de l’Éden parce qu’ils ont voulu s’approprier de cette prérogative qui est propre à Dieu :
avoir la connaissance du bien et du mal et pouvoir juger d’après cette connaissance.
Même Dieu, nous dit Jésus, ne fait pas cela et ne juge et ne condamne personne
(Jn 5,22; 8,15). Il prend tout, il accepte tout, il tolère et supporte tout. Il
laisse cohabiter, vivre, se développer et grandir ensemble le bien et le mal,
le bon et le mauvais, le pur et l’impur, le conforme et le non-conforme, le blé
et l’ivraie. Il continue à faire lever son soleil et à faire pleuvoir sur les gentils
et les méchants ; sur les le justes et les injustes. Il ne s’en fait pas si la
bonne semence qu’il a répandue à pleines mains dans le champ du monde n’apporte
pas tous les résultats qu’il en espérait, car il sait qu’il est inévitable
qu’elle tombe parfois dans les cailloux et les ronces qui peuvent réduire ou empêcher
sa croissance.
Jésus se lève
ici pour mettre en garde ses disciples contre la tentation du perfectionnisme,
du puritanisme et de l’idéologie présentes en tout système humain de pouvoir
autant civil que religieux et qui consiste dans la prétention de savoir et donc
de sélectionner ce qui est bon et ce qui est mauvais, ce qui est vrai et ce qui
est faux et donc de diviser le monde en catégories et en classes distinctes et
opposées: nous et les autres.
Nous, les bons, les purs, les élus, les fidèles, les sauvés. Nous, du côté de Dieu, de la vérité, de la vertu, de la morale, de la justice, dela Loi ,
de la vraie religion du bon parti politique.
Nous, les bons, les purs, les élus, les fidèles, les sauvés. Nous, du côté de Dieu, de la vérité, de la vertu, de la morale, de la justice, de
Et les autres : les mauvais, les méchants, les impurs, les pécheurs, les infidèles, ceux qui ne pensent pas comme nous, qui n’agissent pas comme nous, qui n’ont pas notre culture qui ne sont pas de notre race, de notre clan, de notre religion et qu'il faut, par conséquent, éloigner, écarter, réduire au silence, exclure, éradiquer de notre terrain comme de mauvaises herbes, car :
-ils nous dérangent ; ils
contestent nos croyances, notre religion, notre culture; ils empiètent sur
notre espace vital; ils viennent voler nos emplois, consommer nos ressources ;
-ils constituent une menace à
notre façon de vivre, à notre sécurité et tranquillité sociale, politique,
religieuse et intellectuelle;
- il nous obligent à nous confronter,
à nous comparer, à revoir nos habitudes, nos principes, à relativiser et remettre
en question des valeurs et des vérités que nous pensions absolues et inaltérables;
- ils déstabilisent nos lois, nos
traditions, nos dogmes et nos convictions établies…
À cause de tout cela, on a le droit,
au nom de Dieu, de la religion, de la vérité, de la paix, de les combattre et
de les extirper, comme une mauvaise herbe qui est s'enraciner dans le bon
terrain de notre existence.
C’est ce type de raisonnement, fait de distorsion psychologique, de peur, d’insécurité, de fanatisme et surtout d’ignorance, qui a justifié, le long de l’histoire humaine, toutes les aberrations des régimes totalitaires et toutes les horreurs et les atrocités perpétrées au nom d’une idéologie autant politique que religieuse.
Dans chaque
système totalitaire, les mauvaises herbes qu’il faut arracher sont presque
toujours identifiées à la «différence» d’idées, qui produit confrontation
et opposition, certes, mais qui est aussi une manifestation d’un élan et d’un
désir de liberté. Or, l’idéologie supporte mal la liberté, surtout la liberté
de pensée. L’idéologie est réglée et fonctionne sur le principe de la
conformité et de l’uniformité totales : un seul chef, un seul pouvoir, une
seule idée, une seule allégeance. Tout ce qui ne rentre pas dans ce schéma doit
être écarté.
Jésus enseigne
ici que toute idéologie, tout gouvernement et toute religion qui se croient meilleures
que les autres et supérieures aux autres, deviennent nécessairement agressives
et dangereuses, car productrices de classes, de différence, d’inégalités et
donc de confrontations et d’hostilités.
Dans cette
parabole de l’ivraie Jésus veut faire comprendre à ses disciples que dans le monde
nouveau qu’ils auront à bâtir , ils ne devront plus jamais chercher à exclure qui
que ce soit, comme ils avaient tendance à le faire auparavant; mais que leur tâche
consistera désormais à se placer aux coins des rues pour récupérer tout le monde
sans distinction, afin que même la canaille puisse trouver une place dans la
salle du banquet (Mt.22,8-10; Lc.14,13-21). Il leur enseigne encore ici que le
seul mal qu’ils devront désormais chercher à arracher du terrain de leur existence,
c’est cette soif de pouvoir qui est la cause de toutes les souffrances.
C’est pour
cela que Jésus exhorte ses disciples à toujours s’abstenir de tout jugement.
Selon le Nazaréen le jugement est une fonction qui est réservée exclusivement à
Dieu et que pourtant Dieu n’exerce jamais, parce qu’elle est toujours remplacée
par sa miséricorde. Selon Jésus, l’être humain n’a ni le droit, ni le pouvoir, ni
l’autorité, ni la capacité, ni les compétences, ni les connaissances nécessaires
pour juger.
Tout jugement
est une usurpation de pouvoir et une arrogante présomption de connaître les complexes
variations de l’erreur et de la vérité, du bien et du mal dans la société des hommes.
C’est pour cela que celui qui s’arroge le pouvoir de juger l’autre, en réalité ne
fait que proclamer et manifester l’énormité de son ego, la superficialité de
ses connaissances et l’étendue de sa stupidité. L’homme qui juge n’est qu’un psychotique
qui s’illusionne sur sa véritable identité. En effet lorsqu’il juge l’autre, il
se définit comme le mètre sur lequel il mesure tout le reste. Lorsque il juge,
il réfère tout à lui : « Tu n’es pas comme moi; tu n’as pas mes idées;
tu n’as pas ma foi , tu n’as pas ma religion ; tu ne crois pas au même Dieu; tu
n’agis pas comme moi; tu n’as pas mes coutumes; tu appartiens à un autre parti, à un
autre pays; tu es différent; tu n’es pas bon pour moi; tu ne me plais pas, tu n’es pas acceptable; tu
n’es pas conforme; tu es dans l’erreur; je ne pourrais jamais être d’accord avec
toi; je ne pourrais jamais être ton ami; tu me fais peur,
tu me déranges; tu me déstabilises; tu
contestes mes croyances et tout ce qui constitue ma sécurité; tu mets en doute
la solidité de la structure du monde auquel j’appartiens, la vérité du scenario
surnaturel , religieux et symbolique que je me suis construit et qui me
permet de vivre en paix avec moi-même et avec Dieu , de qui j’espère un jour mon
salut éternel».
Il et évidemment
plus facile pour nous de juger l’autre, de l’accuser d’être dangereux, mauvais,
infidèle, hérétique, hors norme, plutôt que de mettre en question nos valeurs et nos convictions; plutôt que d’approfondir nos connaissances et nos croyances, plutôt que de reconsidérer notre
posture religieuse et spirituelle et de revoir nos relations avec l’autorité religieuse,
ainsi que notre vision du monde et de Dieu.
Pour les personnes
qui jugent, il est plus rassurant et moins fatigant d’obéir aveuglement aux impératifs
de l’autorité constituée et aux contraintes des dogmes qu’elle impose, que de prendre
le risque d’une foi personnelle, adulte, critique et éclairée et d’assumer le dur
choix de la liberté de pensée . C’est beaucoup plus rassurant, pour notre
bigotisme et notre tranquillité, de croire sans penser, que de penser au risque
de ne plus croire (comme avant).
Le jeugemen est bien souvent le complice de notre lâcheté et de notre paresse . En effet, une fois que
le jugement a été proféré et que l’autre a été reconnu non acceptable, car
fautif et coupable, voilà que celui qui l’a jugé peut continuer à vivre en paix,
sans rien se reprocher et sans rien changer dans sa vie. En effet, si l’autre a
été déclaré dans la faute et l’erreur, le juge peut se glorifier de sa justice et
continuer à s’alimenter de ses propres convictions. Le jugement devient ainsi
une stratégie de protection et de justification du grain sterile et pourri que le juge est
devenu. Ainsi, derrière le jugement, il y a autant la présomption d’une
toute-puissance effrayante, que la manifestation d’une suprême idiotie.
S’il y a une
chose qui attriste aujourd’hui tout catholique de bonne volonté, c’est de
constater que son Église s’attribue
encore le droit de juger comme étant un pouvoir et une prérogative qui lui viennent
directement de son statut d’Institution d’origine divine. Ainsi, le Droit Canon
affirme, comme si s’était la chose le plus normale du monde, que l’Église a le
droit de juger et « le droit inné et
propre de contraindre par des sanctions pénales les fidèles délinquants »
(can 1311).
Il est difficile
pour les chrétiens de notre époque d’oublier que leur Église, pendant des
siècles, s’est même dotée, d’un organisme interne non seulement de jugement, mais
d’inquisition et de recherche explicite et violente de la déviation, de la
dissidence, de la faute et de l’erreur, dans le but de les attacher de force et
de les brûler littéralement, comme de mauvaises herbes, dans le feu des bûchers.
Aujourd’hui encore ces vieilles attitudes inquisitoriales continuent, même si d’une façon moins cruelle et moins violente, à faire de nombreuses victimes dans l’Église. Pensons à tous ces penseurs influents, à ces grands théologiens qui au cours des deux derniers siècles ont été évincés par les Sainte Office (le nouveau nom de l’Inquisition) de leurs Facultés et privés du droit d’enseigner . Pensons à tous ces prêtres qui ont été chassée de leur ordre, dégradés, à qui on a défendu la prédication, la célébration des sacrements, le ministère, par le seul fait d’être tombés amoureux d’une femme et de l’avoir mariée. Pensons aux divorcés remariés ; aux personnes homosexuelles vivant ensemble. Pensons aux couples chrétiens non mariés ; aux femmes qui ont avorté ; aux jeunes femmes qui utilisent régulièrement la pilule ou autres moyens de contraception et qui sont étiquetées d’immorales, de vicieuses et de débauchées …
Tout ce vaste
monde, l’Église catholique le considère, malheureusement, comme coupable, transgresseur,
mauvais, pas bon ; elle juge ces personnes comme étant des pécheurs publiques, des
chrétiens de rang inférieur, qu’elle déclare en état de péché mortel et donc en
danger de damnation et qu’elle cherche à éloigner des autres fidèles, à écarter des sacrements, qu’elle tolère à peine; vers lesquels elle autorise à ressentir, tout au plus, de la pitié, et à exercer une
certaine miséricorde, mais a auxquels on ne peut cependant pas concéder
le droit de s’intégrer totalement dans une assemblée eucharistique; de les
faire sentir en pleine communion avec leurs frères chrétiens et de leur
permettre de manifester cette communion par le geste sacramentel de la
manducation du Corps du Seigneur.
Pour l’Église, ces catégories de personnes
sont encore et toujours de l’ivraie qu’il faut écarter, éliminer, pour que la
bonne graine ne soit pas contaminée et que la pureté de la structure soit
préservée.
Je pense
qu’aussi longtemps que cette Église continuera à considérer comme normale et
sacrée sa structure impériale, basée sur un système de pouvoir totalitaire,
concentré dans les mains d’un monarque absolu[i], non
seulement elle sera en opposition à l’esprit de l’Évangile et infidèle à la
volonté de Celui dont pourtant elle présume être la présence visible en ce
monde, mais elle restera esclave des expressions typiques d’un tel régime qui
aujourd’hui apparaissent comme totalmente anachroniques, car incompatibles avec les acquis
libérateurs des sciences humaines modernes.
Dans le monde du XXIe siècle où le comportement de l’individu et les relations entre les personnes sont désormais régis, inspirés et protégés par d’innombrables lois, déclarations et chartes, garantissant l’inviolabilité absolue de la personne, ainsi que toute sortes de droits, libertés et immunités, une Institution qui prétend encore contrôler la pensée des individus, qui cherche à établir et à imposer les contenus de leurs croyances, les conditions de la moralité de leurs actions , qui s’arroge le droit de juger, au nom de Dieu, des contenus du bien et du mal, de la vérité et de l’erreur… une telle Institution ne peut que dériver inévitablement vers la disqualification et l’insignifiance.
Dans le monde du XXIe siècle où le comportement de l’individu et les relations entre les personnes sont désormais régis, inspirés et protégés par d’innombrables lois, déclarations et chartes, garantissant l’inviolabilité absolue de la personne, ainsi que toute sortes de droits, libertés et immunités, une Institution qui prétend encore contrôler la pensée des individus, qui cherche à établir et à imposer les contenus de leurs croyances, les conditions de la moralité de leurs actions , qui s’arroge le droit de juger, au nom de Dieu, des contenus du bien et du mal, de la vérité et de l’erreur… une telle Institution ne peut que dériver inévitablement vers la disqualification et l’insignifiance.
BM
[i] Le
Pontife romain au dire du code de Droit Canon « possède dans l’Église le pouvoir ordinaire, suprême, plénier, immédiat
et universel qu’il peut toujours exercer librement ( can , 331 et 332) et contre une sentence ou un décret duquel il
n’y a ni appel, ni recours possible ( can 331, &3 ),
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