La
théologie catholique décrit Dieu comme une Trinité de personnes égales et distinctes
en perpétuelle relation. Cette façon de présenter Dieu difficile à saisir, n’intéresse
plus guère les chrétiens de notre temps, qui préfèrent retourner aux Évangiles
et récupérer plutôt la description de Dieu que Jésus nous a laissée en
utilisant l’image du Père et que l’évangéliste Jean a résumé dans l’affirmation
que Dieu est Amour. Dans les évangiles, en effet, Jésus parle de Dieu comme
d’un Amour qui se livre à tous dans une totale et absolue gratuité.
Je choisis
donc aujourd’hui, en cette fête de la Trinité , de vous parler de Dieu, mais en développant
le thème de son amour qui se manifeste toujours par des relations imprégnées de
tendresse. Il y a évidemment différentes formes de tendresse (celle des parents,
celle des frères et sœurs, celle des amis, celle du couple amoureux, etc.). Puisque
la grande majorité des personnes ici présentes sont des couples mariés, il est
peut-être intéressant de profiter de cette fête pour réfléchir ensemble sur
cette qualité de l’amour et voir jusqu’à quel point vos relations de couple sont
à l’image de la tendresse qui est en Dieu.
Nous savons
tous que l’amour est la force qui fait tourner le monde, qui fait vivre les êtres
et qui est pour tous source de bonheur et d’accomplissements. Aux hasards des rencontres,
se manifestent les attirances, les affinités, naissent les sentiments, les attachements,
les passions, les amours qui souvent aboutissent au mariage ou à d’autres type d’unions
stables.
Mais
comme il s’agit de deux libertés qui se rencontrent, ces unions sont toujours
soumises aux impondérables des événements, du devenir et des faiblesses des
personnes. Aucun amour n’est assuré pour toujours, car aucune réalité n’est
établie et fixée une fois pour toutes. Chacun de nous vit dans une interrelation
constante avec le monde et cet échange continuel nous affecte nécessairement et
nous transforme à notre insu. Nos relations amoureuses subissent aussi les contrecoups
de nos changements.
Dans
le mariage, au bout d’un certain temps, la flamme de la passion se réduit et
s’épuise, la vie quotidienne s’installe, avec sa routine grise et monotone. L’attention
des débuts pour les mots doux, les gestes tendres et les délicatesses réciproques
baisse ; cesse le romantisme, on devient « ordinaires »; apparaissent les
premières divergences, les désaccords; surgissent les animosités, les
altercations, les ressentiments, les frustrations, les insatisfactions, les
remises en question. Il arrive aussi que, dans la relation du couple
s’infiltrent passions volcaniques, suscitées par l’attrait d’une autre
personne. La vie de l’amour à deux est complexe, laborieuse, pleine de péripéties.
Elle ressemble à un chantier de construction où on bâtit, on réalise des projets,
on en jouit, on s’installe confortablement ; mais où on peut aussi rénover, modifier,
changer et démolir ce qui a été autrefois construit.
Cela
signifie que l’amour est un sentiment terriblement fort, mais aussi extrêmement
fragile. Qu’est-ce qui peut lui donner la force de survivre aux vicissitudes de
la vie et à l’usure du temps? Uniquement sa capacité de vibrer dans les
harmoniques de la tendresse. Si l’amour est la fleur qui parfume et embellit le
jardin de notre existence, la tendresse est le terreau et l’eau qui lui donnent
vie et vigueur. Sans l’eau de la tendresse, la fleur de l’amour flétrit et se
meurt.
Pour se
rapprocher, se comprendre, communiquer, donner et recevoir de l’amour et de la
chaleur, la tendresse n’a pas son pareil. Les amoureux doivent être conscients
que si la sensualité et la sexualité permettent à la tendresse de s’exprimer,
elles ne garantissent toutefois pas nécessairement la présence de la tendresse
dans une relation de couple.
Dans la
relation du couple, il ne faut pas confondre la tendresse avec l’émotion ou la
surexcitation du sentiment devant l’autre. Ce genre de sensation n’est autre
chose que la célébration psychologique du plaisir égoïste que l’individu ressent
à la présence de la personne qui l’attire physiquement. Avec cette sensation,
l’individu reste fermé sur lui-même et dans la recherche de sa propre
satisfaction. Il est loin d’une attitude de tendresse.
Qu’est-ce que finalement la
tendresse ?
La tendresse
est cette qualité « divine » de l’amour qui devient totale gratuité. C’est
l’attitude intérieure qui pousse l’amant à ne chercher que le bonheur de
l’autre et qui ne se transforme jamais en un instrument de domination ou
d’exploitation pour satisfaire ses propres besoins. La tendresse, c’est lorsqu'on accepte l’autre dans son altérité. C’est lorsqu'on se laisse toucher par
l’histoire de sa vie et qu'on veut l'accueillir totalement dans la nôtre.
C’est aimer l’autre tel qu’il est. C’est le trouver parfait comme il est et
désirer qu’il reste tel pour toujours, car même ses défauts et ses faiblesses nous
attendrissent.
La
tendresse nous renvoie aux premières heures de notre naissance, lorsque le
regard maternel s’est posé sur nous. La tendresse est ainsi le sentiment
amoureux qui a gardé fondamentalement les caractéristiques et le souvenir de ce
regard maternel originaire. De sorte que, il y a tendresse seulement lorsque l‘amour
que je ressens pour l’autre est capable de me décentrer de moi-même, pour
centrer ma vie dans l’autre et pour la transformer en don pour le bonheur de
l’autre.
La
tendresse c’est lorsque l’autre devient pour moi un trésor presque sacré,
auquel je ne m’approche qu’avec respect et émerveillement, touché et ravi par
les richesses qu’il contient.
La
tendresse c’est quand la seule présence de l‘autre me remplit de bonheur et que
je m’extasie à la seule contemplation des traits de son visage, que j’ose à
peine caresser, de peur de dissoudre le ravissement dans lequel il m’a plongé.
La
tendresse c’est l’amour que je ressens et que j’offre à la personne aimée à la
découverte de ce qu’elle est en elle-même; à la découverte de l’amour qu’elle
me porte et que je veux transformer en source de plénitude et de bonheur pour
elle, plus que pour moi.
Dans
la tendresse, je vis plus à travers la vie de l’autre, qu’à travers la mienne.
Ainsi ses épreuves, ses souffrances, ses peurs, ses succès, ses désirs, ses rêves,
deviennent mes épreuves, mes souffrances, mes succès, mes rêves.
Voilà pourquoi
dans le couple qui s’aime, la qualité, l’authenticité et la durée de leur amour
se vérifient et sont garantis par la présence de la tendresse. Dans le couple
l’amour ne peut résister à l’usure du temps que s’il se transforme en
tendresse. La tendresse devient alors la réussite d’un rêve d’amour. Ou, comme
disait Jacques Salomé : « La tendresse, c’est quand la réalité arrive
à dépasser le rêve». « La tendresse c’est un geste qui devient caresse avant
même de l’avoir reçue».
Mais
la tendresse a besoin de temps. Prendre le temps de se retrouver, de se
regarder, de s’apprécier, de se dire, de s’écouter, de s’attendre, de
s’intéresser à l’autre. Prendre le temps de donner et non pas toujours demander.
Prendre le temps d’être présent pour l’autre, de lui accorder de l’attention. La
tendresse est dans l’intonation de la voix, la douceur des mots, dans le petit billet
d’amour que je lui laisse sur le comptoir de cuisine avant de partir
travailler; dans la rose que je lui apporte, même si ce n’est pas son anniversaire;
dans le regard pétillant avec lequel je l’enveloppe; dans les caresses
spontanées et parfois furtives par lesquelles je révèle à l’autre que sa
présence en ce monde est indispensable à mon bonheur et que la valeur de sa vie
l’emporte sur la mienne.
Dans
une société où il y tellement d’égoïsme et de violence, la tendresse humanise
notre monde et le rend supportable. Quelqu’un disait que l’avenir du monde est
à la tendresse.
C’est
pour cela que l’amour avec lequel Dieu nous aime, étant par principe un amour
parfait, ne peut être qu’un amour de tendresse. C’est pour cela que dans la vie
de Jésus cet amour s’est toujours manifesté comme accueil inconditionnel, don
total de soi, même jusqu’en mourir, comme respect, valorisation de l’autre,
gratuité, disponibilité, service, partage, compassion, pardon, etc., qui ont
été les différentes façons dont le Maître a décliné pour les autres la
tendresse de Dieu.
C’est lorsque nous aimons avec un
amour qui a été capable de se transformer en tendresses, que nous incarnons véritablement
l'amour de Dieu et que nous devenons la manifestation la plus accomplie de sa divine
présence dans notre monde.
BM
(Cfr. Leonardo Boff : La ternura : la savia del amor, dans
La Columna semanal de Leonardo Boff,
620, Koinonia )
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