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vendredi 22 janvier 2016

LE MARIAGE À CANA




«Dieu sait que, dans le monde, il ne manque pas de misères à calmer et de maux à guérir. C'est là qu'on voudrait voir Dieu à l'œuvre ! Mais que quelque part un nouveau marié manque de vin et doive laisser un peu sur leur soif des invités qui ont déjà manifestement bu au point d'en être presque ivres et que Dieu vienne régler le problème grâce à l'intervention de Jésus de Nazareth, voici quelque chose qui nous paraît plus dérisoire que consolant, considéré le malheur global des hommes» (E. Drewermann, Commentaire à l’Évangile de Jean). 

Qu'est-ce que peut bien venir faire dans un texte sacré cette histoire de beuverie collective que l'évangéliste présente comme le premier et le plus important des "signes" accomplis par Jésus ?

Il est donc évident qu’il ne faut pas s’arrêter au sens littéraire de l’histoire racontée par l’évangéliste, car ce n’est pas le contenu matériel, plutôt ridicule et invraisemblable, de ce récit qui l’intéresse, mais la signification qu’il a attachée aux choses, aux gestes, aux personnes qui figurent dans ce miracle des Noces de Cana et qu’il veut communiquer aux chrétiens de son temps et donc à nous.

 Jean est le seul évangéliste à parler de cette histoire étrange d’un mariage passé à la postérité autant pour l’étourderie et l’imprévoyance des époux que pour la colossale cuite des invités. Jean place ce récit au début de la vie publique de Jésus et dit qu’il est le premier «signe» qu’il a accompli. Mais signe de quoi? Voilà que Jean lui-même nous invite à y chercher le sens caché. Jean ne veut évidemment pas présenter Jésus comme un faiseur de miracles et prodiges qui cherche à impressionner l’assistance. Les gestes qu'il fait sont des «signes» qui ne sont pas accomplis pour épater, mais pour indiquer, annoncer, renvoyer à une réalité et à une vérité qu’il s’agit de découvrir car elle est importante pour notre bonheur et notre salut.

L'histoire de la noce à Cana nous la connaissons: deux jeunes qui se marient. Jésus et sa Mère sont parmi les invités. Le vin vient à manquer et Jésus change de l'eau en vin. Jean présente ce mariage comme une parabole de la nouvelle alliance entre Dieu et l'humanité. L'ancienne alliance avec le peuple d'Israël est symbolisée par les six jarres qui servaient pour les ablutions rituelles. Ces jarres de pierre sont lourdes, froides, vides et inutiles. Cela veut signifier que l’ancienne religion, le modèle religieux juif de l’ancienne Loi est devenu statique, vide, incomplet, difficile et lourd à porter, incapable de créer une relation authentique et libératrice avec Dieu et de mettre de la joie et du bonheur dans la vie du croyant. L’ancienne pratique religieuse est devenue comme un mariage sans amour, incapable de satisfaire les aspirations profondes de l’homme. L'histoire entre Dieu et l'humanité a traîné jusqu'ici avec lassitude; le croyant a besoin de quelque chose de nouveau. Or voici Jésus, venu nous révéler un nouveau visage de Dieu. Marie est la figure du reste fidèle d’Israël. Les serviteurs sympathiques qui remplissent les jarres de six cents litres d'eau tirée du puits, qui font confiance à Jésus et qui obéissent à sa parole sans hésitation agissant selon sa volonté, sont le symbole du nouveau peuple des serviteurs de la nouvelle alliance et des nouvelles noces entre Dieu et l’homme réalisées à travers la présence de Jésus. Tout devient une fête: l'eau changée en vin est le signe messianique du don abondant et délicieux de cette nouvelle présence de Dieu, du banquet de l'ère nouvelle inaugurée par Jésus, du Royaume de Dieu qui commence, du nouveau monde que ses disciples doivent maintenant construire, entraînés par la force de son esprit et par l'enthousiasme de leur foi.

Le ton du texte de l'évangile d'aujourd'hui est donné par la présence et les paroles de Marie. Dans l'esprit de l'évangéliste, Marie est la seconde Ève qui s’oppose à la première. La première Ève, tentée par le serpent, dit à Adam: «Ne fais pas ce que Dieu a dit». La nouvelle Ève, inspiré par l'Esprit de Dieu, est celle qui dit: «Faites ce qu'il vous dira». La première Ève est à l'origine de la peur, du mal, de la souffrance et de la mort. La première Ève représente le monde qui se déploie sous le signe de la désobéissance, de la rébellion, de l’autosuffisance et d’une existence vécue loin de Dieu et même sans Dieu. Elle représente le monde soumis aux forces du mal, de la haine, de la rivalité, de la division, de l‘égoïsme, en un mot, le monde dominé par le mal et le péché. Marie, la nouvelle Ève, est à l'origine d’une nouvelle réalité, d’un monde nouveau où notre relation avec Dieu et avec les hommes se fait dans l'obéissance, la fidélité, la disponibilité, la confiance, la fraternité, le don de soi, le pardon, le souci de l‘autre, en un mot, dans l'amour.

Dans un sens, il est vrai que ceux qui vivent dans ce monde nouveau animé par l'Esprit de Jésus, vivent comme plongés dans une atmosphère nuptiale où l'on respire la fête, la joie, le bonheur et l'amour. Sous certains égards, il est vrai, semble nous dire ce récit de Jean, que la condition de disciple et de la communauté des croyants peut être comparée à une fête de noces. Là où Jésus et Marie sont présents, là où on peut écouter sa parole, là où l’on est capable de faire ce qu'il nous dit, là l'homme est sauvé; là l'eau de notre peur, de notre angoisse, de notre fragilité, de nos faiblesses, de nos fautes, de nos défauts, de notre péché ... est transformée en un vin de grâce, de confiance, d'espérance, de sécurité, de certitude d'être aimés et chéris par Dieu; là notre pauvreté et notre inconsistance spirituelle et humaine sont transformées en plénitude de sens et en abondance de vie. Les jarres vides de nos vies sont vraiment remplies d’une présence qui nous fait vivre et notre eau insipide devient un vin capiteux.

Le message que l'Évangile de Jean veut nous transmettre à travers le symbolisme de ces noces est finalement assez simple, mais en même temps exaltant : il veut nous faire comprendre que si Dieu est avec nous; s’il est entré dans notre maison, s’il fait partie de notre vie, s’il nous permet de vivre dans son intimité et d'être l'objet de son amour, alors nous pouvons vraiment dire que chaque chrétien expérimente avec Dieu une relation d'intimité comparable à celle qui existe entre deux époux. L’évangile des noces de Cana veut exprimer cette dimension nuptiale, conjugale de la vie chrétienne lorsqu’elle est vécue dans sa plénitude et son authenticité. Dieu a épousé notre condition humaine; l'époux a rencontré son épouse; le banquet est prêt, la table est dressée, tous sont invités : il y a, par conséquent, joie et sentiment de bonheur parmi le invités car ils ont eu la révélation que Dieu est avec eux et qu' il les aime.

L'évangile d'aujourd'hui dit finalement à chacun d'entre nous: si tu fais partie du banquet du Royaume, si Dieu est en toi, si son amour réchauffe ta vie, si elle est animée par son esprit, tu vivras le bonheur d’une noce. En conséquence de cela, ta vie sera transformée en quelque chose de bien meilleur, ton eau sera changée en vin.


MB



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