1. NAISSANCE DE LA RELIGION
Pendant
presque deux mille ans le christianisme a modelé l’histoire, la culture, les
lois, les mœurs, les mentalités et les croyances de l’Occident. Actuellement ce
même Occident (surtout l’Europe et Amérique du Nord), après tant de siècles de
vie commune, est en train, un peu partout, de divorcer de ce même christianisme
qui l’a pourtant structuré. Il s’agit d’une crise de la religion chrétienne sans
précédents. Et il est presque certain, qu’avec le temps, cette crise affectera
aussi les autres régions et les autres religions du globe. En effet, cette
crise ne semble pas être typique à l’Occident ou un phénomène qui serait propre
à la religion chrétienne. Aujourd’hui on est plutôt porté à penser que cette
morosité vis-à-vis du christianisme soit plutôt un phénomène lié à la «nature» même
des «religions» en tant que telles et de leur incapacité à s’adapter aux profonds
changements culturels en cours dans notre société moderne. On se trouve devant
une transformation socioculturelle tellement radicale, globale et profonde, que
le monde moderne ne semble plus capable d’accueillir dans ses valeurs et
d’intégrer dans ses paradigmes culturels les contenus «néolithiques» des religions.
En Occident
pendant longtemps le croyant ordinaire a pensé que la religion chrétienne était
d’origine divine et qu’au nom de Dieu elle proposait tout un système de
doctrines, de croyances, de comportements et de rites auxquels il fallait
obligatoirement adhérer pour vivre une existence humaine convenable et pour
réaliser son salut. Il faut reconnaître que cette façon de comprendre la religion
chrétienne de la part des fideles a été encouragée et soutenue par les autorités
religieuses elles mêmes, lesquelles se sont autoproclamées représentantes de
Dieu et ont imposé leurs dogmes et leurs doctrines comme étant des vérités révélées
par Dieu exigeant une acceptation inconditionnée.
Aujourd’hui l’anthropologie
culturelle qui étudie les mœurs, la religion et les autres aspects symboliques des sociétés humaines, nous a appris que les
religions ne sont pas des institutions qui ont toujours existées, mais des phénomènes
relativement récents dans l’histoire de l’humanité. Elles ne viennent donc pas
de Dieu, mais elles sont des créations et des inventions humaines. Elles ont
pris naissance à l’époque du néolithique (entre 10 000 - 4000 ans avant notre
ère), lorsque l’espèce humaine est passée de la vie nomade dédiée à la chasse
et à la cueillette, à une existence plus sédentaire et à une organisation
sociale de type tribale, vivant d’agriculture et d’élevage et apte à des
réalisations qui dépassaient le stricte cadre de l’autosuffisance. A cette
époque la relation entre population et environnement ne se posait plus en
termes d’adaptation au milieu naturel, mais en termes de contrôle de la société
primitive elle-même. Dans la nouvelle société sédentaire et agricole, la
propriété, les inégalités, les contrastes, les collisions devenaient possibles
et donc de nouvelles règles sociales et de nouvelles valeurs s’imposaient. Il
fallait donc inventer les modalités et les règles d’une vie commune partagée et
pacifique.
L’humanité, en
ce moment crucial de son histoire évolutive, s’est trouvée dans la nécessité d’élaborer
et de se donner des codes et des normes de comportement destinés à assurer la
cohésion et donc la possibilité d’une vie collective et sociale ordonnée et
pacifique. La vie sédentaire a permis à ces cultivateurs d’entrer en contact plus
direct et plus personnel avec la nature et les forces magiques qui l’animaient.
L’énergie qui chauffait le soleil, qui allumait la lune, qui faisait briller
les étoiles dans le ciel nocturne, germer les graines, éclore les fleurs,
pousser les arbres, courir la rivière, engendrer les veaux et les agneaux … cette
énergie constituait pour eux un phénomène mystérieux et une source continuelle
de crainte et de stupéfaction.
Vivant dans un
environnement naturel souvent rude et hostile qui ne leur permettait de vivre
et de se nourrir qu’au prix de beaucoup de labeurs et de peines, les gens du néolithique
sentirent vite le besoin d’une aide et d’une protection qui leur viendraient
d’en haut. Ils pensèrent qu’une conduite bonne et pieuse de leur part, accompagnée
de prières, de supplications, d’offrandes et de sacrifices offerts aux
divinités ou aux esprits, pouvait être un moyen efficace de les apprivoiser et
de les induire à regarder vers les humains d’un œil propice et bénévole. Ils se
convainquirent que les prières et les sacrifices pouvaient rendre plus féconds leurs
troupeaux; plus fertile le sol; plus abondantes les récoltes et éloigner les
calamités naturelles qui les détruisaient. Ainsi la nécessité, la fragilité, la
peur, mais aussi la fascination, le sentiment de crainte, d’émerveillement, de
reconnaissance et d’adoration devant les puissances mystérieuses et surnaturelles à l’œuvre dans le monde, furent
des facteurs déterminants dans la formation des attitudes intérieures qui
conduisirent, à cette époque de l’évolution humaine, à la naissance du
phénomène des religions. Il a fallu sans doute l’intervention de personnalités
particulièrement influentes ou charismatiques (chefs, sages, chamans, sorciers,
guérisseurs…) pour canaliser et «structurer» toutes ces pulsions intérieures en
un ensemble théorique, pratique, directif et cultuel qui constitue le noyau de toute
religion.
Pour éviter
toute confusion, dans cet article nous utiliserons le terme de «religion» dans le
sens de «structure» ou de configuration
sociale-institutionnalisée que l’homme du néolithique, suivant son penchant
religieux-spirituel, a inventé et adopté comme système opératif de base pour
contrôler et faire fonctionner la société agraire dans laquelle il vivait.
Depuis
le néolithique jusqu’à nos jours, les sociétés humaines ont été religieuses. La
religion-institution a modelé et pétri toute les expressions de la vie sociale,
politique, culturelle, spirituelle et privée des personnes. «La culture a été
la forme de la religion et la religion a été l’âme de la culture» (Tillich).
Les religions ont été le software qui
a permis aux sociétés de fonctionner, en fournissant aux personnes une vision
de la réalité et une finalité existentielle.
Les religions,
dans le sens qu’on leur donne ici, sont donc des phénomènes historiques, des
formes socioculturelles concrètes dans lesquelles la capacité spirituelle de
l’être humain s’est exprimée en une époque déterminée. Elles sont donc des
phénomènes historiques qui ne durent pas pour toujours. Elles peuvent disparaître.
Comme tout événement historique, elles sont contingentes, changeantes et
transitoires. Les religions n’ont pas toujours existé et il n’est donc pas
nécessaire qu’elles existent.
2. RELIGIONS, RELIGIOSITÉ ET SPIRITUALITÉ
L’humanité a
vécu la plus grande partie de son existence sans aucune religion structurée (le
paléolithique ne présente pas trace de religions). Les religions ne sont pas
indispensables au développement de notre nature humaine et de notre
spiritualité, même si au cours de notre longue évolution elles nous ont
accompagnés pendant quelque temps de leurs bons services. Les religions, avec
leurs croyances, leurs dogmes, leurs mythes, leurs rites, leur morale, leurs
contraintes, leurs obligations et leurs impositions, ne sont pas un chemin obligatoire
et nécessaire de salut.
La religion
n’est pas à confondre avec la «religiosité» et «la spiritualité» qui sont des dimensions
constitutives essentielles et permanentes de l’être humain. On a toujours pensé
que les religions détenaient le monopole de la spiritualité et qu’une personne
ne pouvait avoir une qualité de vie spirituelle que grâce à la religion; et
qu’être religieux et être spirituel était la même chose. Avant de continuer avec
notre exposé, il est peut-être utile d’apporter une clarification à propos des
notions de religiosité et de spiritualité.
La religiosité est l’attitude de la
personne à s’intéresser au monde du divin, du transcendent et à se laisser
affecter par les croyances qui s’y attachent. Cette religiosité surgit comme la
conséquence de la prise de conscience de la part de l’homme de sa non-nécessité,
de sa fragilité foncière et du caractère transitoire et éphémère de son
existence. La religiosité naît donc comme un besoin de l’homme de trouver une
raison et une justification à sa présence en ce monde perçu comme différent et
souvent hostile, ainsi qu’un accueil
inconditionnel à son existence de la part d’une Entité Supérieure ou d’une
Divinité conçue comme un Être fondamentalement bénévole er bien disposé envers
l’homme. La religiosité cherche à établir les conditions intérieures qui
assurent à la personne stabilité et équilibre psychologique, ainsi qu’un
sentiment de sécurité existentielle, grâce à l’ouverture sur la transcendance
facilitée par l’adhésion à des croyances et la pratique de rites fournis par la
religion-institution.
La spiritualité, par contre, se présente comme un
ensemble de dispositions de la personne qui la sollicitent à entreprendre le
voyage à l’intérieur d’elle-même, dans le but de mieux comprendre la nature de
son être, de saisir le sens de sa présence dans le monde, de recomposer sa vie
d’après le modèle d’humanité ou les valeurs qu’elle a trouvées au fond
d’elle-même. La spiritualité est donc
ce qui permet à l’homme d’arriver à la découverte de l’esprit en lui. Au cours de cette expérience d’intériorité,
l’individu “spirituel” est souvent confronté à une Réalité qui le dépasse et à
laquelle il donne habituellement le nom de Dieu. La spiritualité est
donc une sensibilité accrue de l’homme à la présence de l’esprit de Dieu, perçu
comme Énergie originelle structurante partout à l’œuvre: dans l’Univers, dans
la nature et dans les profondeurs de l’être humain.
Les religions,
dans le sens technique du mot que nous avons établi au début (phénomène humain
et historique né à l’époque du néolithique pour construire pacifiquement la vie
des tribus primitives devenues sédentaires et agricoles), ne sont en soi ni source
de religiosité ni source de spiritualité. L’étude du christianisme en Occident
montre que la religion chrétienne a presque toujours été un frein et un obstacle
à la religiosité et à spiritualité. Car la religion, en tant que telle, n’est pas
intéressée à porter Dieu à l’homme afin que celui-ci puisse devenir un être
plus humain, plus religieux et plus spirituel. La religion-institution cherche principalement
et fondamentalement à obtenir de l’homme, (en exploitant l’idée de Dieu qu’elle
a élaborée et imposée) les attitudes intérieures de soumission à son autorité et
les comportements extérieurs d’acceptation inconditionnée de ses directives et
de ses dogmes, dans le but d’assurer la permanence de son pouvoir et la sauvegarde
de l’ordre établi dans la société.
Bien que la
mentalité populaire soit souvent portée à confondre la spiritualité avec la
religion ou avec les pratiques et les attitudes religieuses, en réalité la
spiritualité se situe aux antipodes de la religion. La spiritualité s’accomplit
sur le plan de la subjectivité et de l’intériorité, la religion se réalise sur
celui de l’objectivation et de l’extériorité. Dans la religion Dieu est à
l’origine de l’homme; dans la spiritualité l’homme est à l’origine de Dieu.
Dans la spiritualité Dieu se révèle à l’homme de l’intérieur; dans la religion
Dieu se «révèle» à l’homme de l’extérieur. Dans la spiritualité, c’est l’homme
lui-même qui découvre Dieu ou qui postule l’existence de Dieu au terme d’un
laborieux processus de prise de conscience du potentiel spirituel renfermé au
“centre” de son être. Dans la religion Dieu est enseigné, proposé et imposé
comme une «vérité» à croire ou comme réalité extérieure à laquelle le fidèle
doit obligatoirement se relier et qu’il doit nécessairement accepter. Dans la
spiritualité l’homme tombe dans les bras de Dieu sans presque se rendre compte
de l’identité de Celui qui l’enlace. Dans la religion Dieu est donné à l’homme
comme un bien qui va de soi et que l’homme doit chercher à conserver. Dans la
spiritualité, Dieu est découvert dans la stupéfaction, l’émerveillement et le
ravissement d’un esprit intelligent qui ne trouve pas en lui la justification
du potentiel spirituel dont il est gratifié. Dans la religion, Dieu est sans
surprise; il est possédé comme un produit largement commercialisé et comme le résultat
de pratiques et de rites infailliblement efficaces. Dans la spiritualité on ne
trouve Dieu qu’au bout d’un long travail de construction et d’unification de sa
propre humanité (une humanité souvent divisée entre le désir du bien et
l’attrait du mal, entre l’être et l’avoir, entre l’authenticité et le paraître,
entre la liberté et le devoir, etc.). Dans les religions la quête et la
possession de Dieu sont souvent au prix de la destruction et de la “mortification”
de la nature humaine. Alors que les religions affirment qu’il est nécessaire
que l’homme meure pour voir Dieu; la spiritualité soutient que l’homme ne
devient la révélation la plus parfaite et la plus saisissante de la présence de
Dieu dans l’univers que lorsqu’il réussit à vivre à plein les exigences
authentiques de son humanité. Alors que la religion affirme que l’homme abdique
à sa dignité lorsqu’il écoute les pulsions de sa nature; la spiritualité
soutient, au contraire, que ce n’est que lorsqu’il vit pleinement en homme
qu’il devient la meilleure icône de la divinité.
Les religions, en tant qu’institutions humaines qui
assurent leur existence par l’imposition et la soumission à des dogmes, des
doctrines, des rites et des pratiques extérieures, n’ont évidemment aucun
intérêt à encourager chez leurs fidèles une recherche de Dieu qui se ferait
sans leur intermédiaire. Les religions, à cause justement de leur nature et des
intérêts matériels en jeu, peuvent difficilement être en faveur de la
spiritualité. Ainsi, en décourageant le voyage de l’homme vers son intériorité,
s’opposent-elles à la spiritualité et deviennent paradoxalement les ennemis de
l’esprit. L’histoire nous montre, avec une régularité surprenante, que les
religions instituées n’ont jamais eu beaucoup de sympathie pour les spirituels
et les mystiques, qu’elles ont souvent critiqués, écartés, ignorés et parfois
condamnés. Sur ce point on ne peut que donner raison à Friedrich Nietzsche (Ainsi parlait Zarathoustra) lorsqu’il
affirme que les religions ne sont ni humaines ni spirituelles. Il n’est donc
pas osé de conclure que la religion éloigne l’homme de la spiritualité et que
l’homme ne peut être spirituel que s’il renonce à être un adepte de la religion.
3. CRISE DE LA RELIGION CHRÉTIENNE EN OCCIDENT
L’absolutisation
de la religion que nous avons pendant longtemps connue en Occident, fait
désormais partie du passé. Les générations de notre temps, élevées dans une
nouvelle culture, enrichies de nouvelles connaissances, dotées d’une nouvelle
mentalité, instruites dans les acquis des sciences modernes, ont perdu la
naïveté des générations incultes d’antan, ainsi que l’ingénuité de croire au
caractère divin, permanent, absolu, autoritaire, directif des religions. Si,
dans le passé, les religions ont rendu parfois plus facile et plus soumise la
vie des humains, aujourd’hui elles apparaissent comme anachroniques et les
contenus de leurs dogmes et de leurs doctrines comme des fossiles sans valeur
et sans utilité provenant d’un temps à tout jamais révolu.
Si les
religions sont des constructions humaines occasionnées par la nécessité de
résoudre des problèmes concrets de relations humaines et de vie communautaire
au sein des sociétés primitives et par le besoin d’expliquer la réalité, cela
donne alors à nous aussi le droit et la liberté de ne pas nous sentir ni liés ni
dépendants de ces anciennes structures organisatrices et interprétatives. Cela
donne à nous aussi le droit d’apporter nos propres réponses aux problèmes de
l’existence et de fournir notre propre interprétation de la Réalité , soutenus par la
richesse des nos connaissances et par l’apport des acquis des nouvelles
découvertes scientifiques et cosmologiques de l’époque moderne.
Si l’on garde
présent à l’esprit le fait que les religions sont des créations humaines et
qu’elles se sont bâties en introduisant dans leur structure les connaissances,
les mythes, la vision cosmologique, les problématiques et les questions
existentielles propres aux gens du néolithique; si l’on considère aussi que les
religions ont pratiquement conservé intacts, le long des millénaires et jusqu'à
nos jours leurs anciens contenus, leurs mythes, leurs connaissances
rudimentaires et leurs croyances naïves et primitives, on peut facilement comprendre
l’énorme décalage culturel et l’ampleur de la scission mentale qui existe entre
notre monde hypercultivé et hyper scientifique et ce monde archaïque totalement
périmé. Notre société n’est plus celle du néolithique et donc le «système
opératif» qui a permis à la société agraire d’il y a dix mille ans de fonctionner,
n’est plus compatible avec celui qui fait marcher nos société modernes. Cela
explique pourquoi les religions traditionnelles n’ont plus aucune prise sur les
mentalités modernes En effet, les problèmes que ces anciennes religions ont
cherché à résoudre et pour la solution desquels elles sont nées, ne correspondent
plus aux questionnements, aux problématiques et aux intérêts de gens
d’aujourd’hui. Ces religions issues du néolithique n’ont plus aucun raison
d’être. Elles devraient donc disparaître ou elles devraient totalement se
réinventer.
Dans le mode Occidental, la désaffection moderne vis-à-vis des religions
en général et de la religion chrétienne et catholique en particulier, n’est
donc pas causée par la sécularisation ou la laïcisation des institutions et des
sociétés, ni par la perte des valeurs, ni par des attitudes matérialistes et hédonistes
(comme se plaît à affirmer un certain discours ecclésiastique culpabilisant),
ni par le manque de véritables témoins, ni par les scandales des hommes de
religion, mais par l’apparition d’une nouvelle situation culturelle qui
comporte une transformation radicale des structures cognitives et interprétatives
et d’un sens critique très développé.
Pour ne s’en tenir qu’à la religion
chrétienne qui a marqué la culture de l’Occident, voici une liste d’affirmations
de base que cette religion a héritée du passé et qu’elle continue cependant à
proposer et à imposer, mais qui ne pourront plus jamais être acceptées par les
gens de la modernité.
Vision mythique du monde:
géocentrisme, anthropocentrisme.
L’inspiration divine des textes
fondateurs de la religion judéo-chrétienne (la Bible ). Textes considérés comme contenant la parole
même de Dieu, directement dictée ou inspirée par Lui aux écrivains humains qui
les ont rédigés. Textes contenant donc une vérité absolue, incontestée et
incontestable.
Compréhension dualiste de la
réalité.
Conception anthropomorphique de la
divinité (un dieu là-haut et en dehors de notre monde).
Création directe d’un couple humain
originel.
Chute, faute et «péché originel» de
la part du premier couple humain.
Contamination, corruption et dégradation
foncières de la réalité matérielle en général et de la race humaine en particulier
à cause du péché originel.
Nécessite d’une restauration, d’une
réparation, d’une expiation, d’un rachat, d’une «rédemption» pour réintégrer le
monde et l’humanité déchus dans les grâces de la divinité.
Intervention directe de Dieu dans
notre monde (sur notre planète) pour effectuer la «réparation».
Incarnation historique, physique et
réelle de Dieu dans un homme juif de Palestine (Jésus de Nazareth), né d’une
mère restée vierge avant et après l’accouchement. Cette incarnation de Dieu
s’est effectuée sous le règne de l’empereur romain César Auguste, mort en l’an
14 p.c.
Jésus de Nazareth, incarnation de Dieu
est l’instrument divin de cette «réparation» ou de cette rédemption; et cela à
cause des souffrances qu’il a endurées au cours de son exécution sur une croix.
La mort de Jésus en croix considérée
comme sacrifice d’expiation planifié et voulu par Dieu. Croyance que la
souffrance du Dieu incarné a réalisé la rédemption du monde et que c’est désormais
par la souffrance que les humains s’affranchissent du mal, obtiennent le
pardon, la réconciliation divine, leur sanctification et leur salut éternel.
Croyance que puisque Jésus est l’Incarnation
de Dieu sur terre («le Fils de Dieu » et la deuxième personne de la Trinité ») et que Dieu est
Tout-Puissant, rien n’est à son épreuve et au-delà de ses pouvoirs divins. Il
peut faire tout ce qu’il veut, même aller contre les lois de la nature. Il peut
donc accomplir des «miracles» et «ressusciter» après sa mort.
Croyance que Jésus, l’Incarnation
historique et ontologique de Dieu, a voulu fonder une religion (l’Église), aux
représentants officiels de laquelle (mais surtout au Pape de Rome) il a
transmis ses pouvoirs et son autorité pour qu’ils agissent en son nom et continuent
son œuvre et sa mission sur la terre.
Croyance que le Dieu incarné en
Jésus guide, soutient et assiste continuellement les autorités de la religion
qu’il a fondée pour lui assurer pérennité, efficacité, prestige et infaillibilité.
Croyance que les officialités (pape
et évêques) de cette religion du Dieu incarné sont gratifiées d’une
illumination et d’une inspiration spéciale de la part de l’«esprit saint» de
Dieu, qui les habilite à connaître la volonté de Dieu et à savoir, en toutes circonstances
et sur toutes les questions, ce que Dieu désire, veut et pense. Dans cette
religion du Dieu incarné, le doute n’a pas de place, car tout est certitude.
Croyance qu’ayant été fondée et donc
voulue par Dieu, la religion chrétienne est la seule à être d’origine divine et
qu’elle est donc supérieure à toutes les autres religions du monde.
Croyance que la religion chrétienne,
étant la seule à être d’origine divine, est aussi la seule à être vraie et la
seule à détenir la vérité sur Dieu, sur l’homme et sur le monde. Il s’ensuit
que toutes les autres grandes religions sont fausses et qu’elles doivent soit disparaître
soit se convertir à la «vraie» religion.
Croyance que la religion chrétienne
est l’unique «lieu» où l’homme peut faire la rencontre du vrai Dieu et de la
«vérité»; et que l’appartenance à l’Église est donc le seul moyen ou la seule
voie donnée à l’homme pour réaliser son salut.
Croyance que l’Église a le droit et
le devoir sacré de tout mettre en œuvre pour se répandre et s’imposer partout
dans le monde, dans le but de faire entrer dans son giron le plus grand nombre
possible de croyants, afin de sauver leurs âmes de la damnation éternelle.
La croyance que (puisqu’elle
détient la vérité et qu’elle est continuellement et directement assistée par
Dieu afin qu’elle ne se trompe jamais dans ses directives et son enseignement) l’Église
a l’autorité et le droit de se mêler de toutes les questions concernant la
conduite des humains pour qu’elle soit «vertueuse» et «morale» (surtout dans
leur vie amoureuse et sexuelle) et d’intervenir pour leur indiquer et leur
imposer les exigences de la volonté de Dieu.
La croyance de
l’Église en l’incarnation historique de Dieu, jumelée à la croyance d’être née
d’une volonté explicite d’un Dieu incarné, est à l’origine du pouvoir absolu que
celle-ci croit détenir sur les âmes, les consciences de ses fidèles. Elle pense
participer à l’autorité absolue de Dieu qu’elle seule représente sur terre.
La croyance en
une incarnation de Dieu, dont les virtualités et les pouvoirs ont été confiées
à l’Église, combinée avec la croyance en une Église porteuse de l’unique vérité
et de l’unique salut de Dieu, sont à l’origine des pires expressions de la
culture chrétienne de l’Occident. Ces croyances ont justifié les croisades, les
guerres de religions, l’Inquisition, l’impérialisme et le colonialisme des
nations chrétiennes, l’absolutisme et la tyrannie du pouvoir clérical, le
prosélytisme et le fanatisme missionnaire, l’antisémitisme, la dépréciation et
le rabaissement de la femme.
La croyance en
l’incarnation historique et ontologique de Dieu dans l’homme-Jésus constitue le
fondement sur lequel est construite toute la structure de la religion chrétienne:
sa hiérarchie, son pouvoir, son autorité, ses doctrines, sa spiritualité et ses
rites. On peut affirmer que si les autorités ecclésiastiques ont fait de l’incarnation
de Dieu en Jésus le dogme de base de la foi chrétienne et l’axe autour duquel tourne
toute la roue de la dynamique ecclésiale, c’est principalement parce que ce
dogme constituait finalement le fondement et la justification ultime de leur
pouvoir. En vertu de ce dogme, les représentants de la hiérarchie religieuse
pouvaient se vanter de posséder un pouvoir qui ne leur venait pas des hommes,
mais de Dieu lui-même. Dans ce dogme ils trouvaient l’absolutisation de leur
autorité et la divinisation de leurs fonctions et de leur pouvoir.
Cependant, si cette
incarnation de Dieu, telle que comprise, interprétée et formulée par la tradition
chrétienne, s’avère impossible et inacceptable à la mentalité moderne, alors
c’est toute la construction de la religion chrétienne qui perd ses assises et
sa crédibilité et qui finira tôt ou tard par s’écrouler comme un château de cartes.
4. TOUTES LES
RELIGIONS SONT VRAIES ET FAUSSES
Les remarques
critiques que nous venons d’adresser ici à la religion chrétienne, mutatis
mutandis, peuvent aussi, en grande partie être appliqués aux autres grandes
religions de l’humanité (Judaïsme, Hindouisme, Islam, etc.). En effet, c’est le
propre d’une religion (et d’une foi religieuse) de se croire absolue et
insurpassable, de se concevoir comme la seule vraie religion voulue et inspirée
par Dieu et comme la seule à détenir la vérité et les bons moyens du salut. En
conséquence de cela, chaque religion considère les autres comme professant des
croyances imparfaites, incomplètes et même fausses. Il est normal que tout croyant
soit convaincu que le contenu de sa foi corresponde à la vérité et non pas à
une illusion ou à un mensonge.
Par cela nous ne
voulons pas affirmer que toutes les religions sont du pareil au même et qu'elles
ont perdu leur fonction ou leur utilité. Les humains, en effet, auront toujours
besoin d’être soutenus et guidés par des «professionnels» dans leur quête de
sens, de Dieu, de spiritualité et d’humanité. Il faudra toutefois que les
religions parlent préférablement le langage des hommes auxquels elles s’adressent
si elles veulent être écoutées. Il faudra qu’elles épousent continuellement le
temps historique et culturel dans lequel elles se manifestent. Il faudra
qu’elles réinterprètent et réélaborent de fond en comble tout leur patrimoine
symbolique reçu du passé. Dans le cas de la religion chrétienne, il faudra aussi
qu’elle renonce à sa prétention de supériorité par rapport aux autres religions
et à son statut de vieille forteresse fermée sur elle-même, toujours en train
de se battre pour défendre ses remparts. Il faudra qu’elle accepte de se
transformer en une auberge toujours ouverte sur la route des hommes de son
temps; ouverte à leur mentalité, à leur culture, à leurs connaissances, à leurs
découvertes, à leurs aspirations, à leurs problèmes, afin qu’ils puissent trouver
en elle les attitudes d’accueil, d’empathie, de sympathie qu’ils attendent; ainsi
que des réponses acceptables à leurs questionnements, à leurs élans et à leur
rêves. Mais il faudra que ses réponses s’appuient sur des arguments que les
gens de la modernité peuvent facilement comprendre, accepter et intégrer au bagage
de leur culture, de leurs convictions, de leurs connaissances et de leur
mentalité pluraliste et multiculturelle. Il faudra en finir avec les mythes,
les contes, les sagas et les épopées interprétés et proposés toujours et encore
par la religion comme des faits réels ou comme des événements historiques qui
les vident de leur richesse naturelle, de leur sens profond, de leur beauté
impérissable et de leur vérité toujours actuelle.
Le christianisme, à cause de sa croyance en
l’incarnation de Dieu dans la personne de son Fondateur avance la prétention
d’être la «meilleure» religion du monde. Si cette prétention était vraie, le
christianisme devrait nécessairement produire les «meilleurs» fruits. Il devrait,
par conséquent, produire les meilleures personnes, la meilleure civilisation, la
meilleure société. Et cette «qualité supérieure» d’humanité devrait être
visible et constatable tout au long des deux milles ans de son histoire. L’Occident,
formé et moulé par la religion chrétienne devrait être le berceau des meilleurs
institutions humaines, des meilleurs peuples, des meilleurs gouvernements et
nations. Est-ce vraiment le cas? Lorsqu’on regarde le capitalisme ravageur et
déprédateur dans lequel beigne l’Occident actuel et lorsqu’on voit toutes les
horreurs et toutes les atrocités perpétrées dans le passé au nom de la foi et
de la religion chrétienne, on est forcé de conclure que la prétention
d’excellence et de supériorité avancé par la religion chrétienne est une
absurdité.
Cela nous amène à
affirmer que, finalement, toutes les religions sont autant vraies que fausses.
Et qu’il n’y a aucune religion de laquelle on puisse dire qu’elle détient les
meilleurs instruments de perfectionnement spirituel et humain ou les meilleures
opportunités de salut qu’une autre. Il n’y a pas de religion parfaite, car toute
sont imparfaites. Toutes détiennent une partie de vérité et une partie d’erreurs.
Elles sont donc appelées à dialoguer, à vivre dans la complémentarité et à partager
les unes avec les autres les fragments de vérités qu’elles possèdent. Le
dialogue entre les religions sera peut-être un jour le signe le plus important du
progrès accompli par nos sociétés modernes et par l’esprit de l’homme contemporain.
Le monde aura avancé à pas de géant vers une forme beaucoup plus évoluée de solidarité,
de communauté et d’humanité lorsque les religions auront cessé d’être des causes
de séparation, de division, de haine, de souffrance et de conflits, pour
devenir des facteurs d’unité, de paix, de partage et de fraternité entre les
peuples de la terre .
Cette fondamentale équivalence des religions est facilement
compréhensible si l’on considère que celles-ci ne sont autre chose que des
expressions historiques et culturelles de la quête de Dieu par les êtres
humains le long de leur l’histoire. Elles surgissent comme des phénomènes naturels
et spontanés à travers lesquels la présence de la Réalité Ultime qui anime
et fermente l’Univers cherche à se dire et à se révéler dans ce monde et
particulièrement dans l’être humain, matière devenue consciente et spirituelle.
Chaque religion est, à sa façon, une réponse différente, mais valable à la Réalité Ultime qu’on appelle
Dieu. Mais puisque la Réalité Ultime est par nature indéfinissable
et qu’elle dépasse les capacités de l’intelligence humaine, il s’ensuit que les
concepts, les images, les symboles, les doctrines, les formulations, le langage
avec lesquels les humains, dans leurs cultures, dans leurs religions et dans
leur rites, cherchent à exprimer le Mystère Ineffable qui les entoure et les
habite, sont nécessairement des bégaiements limités, partiels, incomplets, boiteux,
défectueux, contenant des éclairs lumineux de vérité, mais aussi de vastes zones
d’ombres remplies d’extravagances et de faussetés.
5. TOUTES LES RELIGIONS SONT PORTEUSES DE SALUT
La quête de Dieu de la part de l’homme est antérieure
à la naissance des religions. La quête de Dieu est une caractéristique de l’esprit
de l’homme qui s’éveille à la conscience et à l’intelligence de la Réalité Originelle ,
qu’on appelle ordinairement «Dieu». C’est cette recherche de Dieu de la part d
l’homme qui fait en sorte que celui-ci soit considéré comme un être spirituel et
donc comme possédant une «spiritualité». C’est parce que, dans le passé, on a
toujours confondu spiritualité et religion, que l’on a attribué à la religion
le but de chercher Dieu. Alors que la finalité de la religion est seulement d’«organiser»
ou d’«orchestrer» extérieurement et rituellement les élans des chercheurs de Dieu.
Il est certain qu’habituellement ces «spirituels» vivent encadrés dans une
structure religieuse et que le contexte religieux peut les aider à vivre leur
spiritualité. Mais ce n’est pas nécessairement le cas. L’essentiel de la quête
de Dieu de la part de ces personnes éprises de spiritualité consiste dans la réalisation
de leur désir d’entrer dans une forme de proximité, de relation profonde et
même d’union réelle avec la
Réalité Ultime. Ces «spirituels» sont en effet convaincus,
qu’au contact avec la Réalité
de Dieu, ils pourront se sentir positivement affectés et donc transformées en
des meilleures personnes, jouissant d’un supplément ou d’un accroissement de
sens, de bonheur et d’humanité.
Le projet spirituel de ces chercheurs de Dieu
consiste finalement à se décentrer de soi-même pour mieux se centrer sur Dieu
et en Dieu. Et c’est dans ce mouvement intérieur et existentiel de sortie et
d’abandon de soi pour aller vers l’Autre et pour accueillir la Réalité de l’Autre, que l’homme spirituel trouve fondamentalement
son meilleur accomplissement et réalise son salut et celui du monde autour de
lui. Étant donné que la «spiritualité» est une virtualité essentielle à l’être
humain et que l’homme (et la femme) spirituel se trouve partout, autant dans les
religions qu’en dehors d’elles, mais qu’il est plus probable de le trouver dans
le contexte d’une structure religieuse, on peut dire que chaque religion qui
héberge des chercheurs de Dieu, héberge aussi des promesses, des semences et des
possibilités de salut. Chaque religion est donc, à sa façon, salvifique et
porteuse de salut. Mais il n’y pas de religion qui soit plus salvifique qu’une
autre. Chaque religion trace et décrit à sa façon le chemin qui mène à la rencontre
avec la Réalité Ultime.
Dans chaque religion il y a et il y a toujours eu des êtres humains qui suivant
ce chemin réussissent à se centrer en Dieu et à se décentrer d’eux-mêmes, pour
devenir des êtres lumineux, éveillés, divinisés, «sanctifié», véritables «fils
de Dieu», animés par la présence en eux de l’Esprit de Dieu», personnes de don,
de compassion et d’amour pour tous les vivants.
L’acceptation du christianisme comme une réponse humaine valide au
Divin parmi tant d’autres réponses humaines valides, constitue, sans doute, la
mort d’une forme ancienne et périmée de foi chrétienne; mais ne comporte pas
nécessairement la mort du christianisme en tant que tel. Elle marque plutôt la
renaissance d’un christianisme qui a atteint une nouvelle étape de la
conscience humaine: le stade d’une conscience humaine qui a cessé d’être «provinciale»
pour devenir mondiale. Ce phénomène marque un pas évolutif important de la race
humaine dans sa marche vers un plus grand perfectionnement.
De tout cela il résulte que les religions en général et la religion
chrétienne en particulier, avec leurs respectives théologies, doivent changer
de paradigme, c’est-à-dire changer l’ensemble normatif global de leurs
croyances, de leurs valeurs et des techniques de salut qu’elles proposent à
leurs fidèles. Elles doivent abandonner leurs certitudes déphasées, leurs
sécurités dogmatiques, leurs prétentions arrêtées d’être chacune l’unique et l’exclusive
porteuse de vérité et de salut. Elles doivent accepter d’entrer dans les terres
inexplorées de la complexité et de la perplexité de la Réalité. Elles
doivent cesser de s’obstiner à vouloir parcourir les vieux sentiers de la
répétition lasse de «vérités révélées» qui n’intéressent plus personne et
auxquelles plus personne ne croit. Elles doivent cesser de proposer les réponses
du passé aux questions du présent. Afin de survivre dans la postmodernité, il
faudra que les religions apprennent à marcher au rythme de l’histoire; à
s’adapter aux nouvelles découvertes scientifiques, à la nouvelle vision
cosmologique, à la globalisation planétaire, au dialogue interculturel et
inter-religieux, au jugement critique, à une éthique décomplexée et
libératrice.
Il est difficile de prévoir si elles vont s’adapter aux exigences de la
modernité et si elles auront le courage de changer, pour ainsi dire,
d’identité. Une chose est certaine: pour que les religions puissent survivre
dans le futur, il faudra non seulement qu’elles changent de «visage», mais il
faudra surtout qu’elles changent de «personnalité».
MB
Ouvrages de référence sur la même thématique :
-Towards a post-religional paradigm -Theological proposal , ATWOT’s International Theological Commission, dans revue Relat, 425.
Un cristianismo que se ve a sí mismo como una religión verdadera entre otras, John HICK , dans revue Relat , 427.
GIL, Jesús - OLLETA, Txema, Comunidad de Balsas, Un lenguaje nuevo para una teología nueva. Edición digital, agosto 2013, 97 pp..
La metafora de Dios encarnado – Cristologia para un tiempo pluralista, John Hick, Ediciones Abya-Yala, Quito, Ecuador, 2004, 229 pp..
Un cristianismo que se ve a sí mismo como una religión verdadera entre otras, John HICK , dans revue Relat , 427.
GIL, Jesús - OLLETA, Txema, Comunidad de Balsas, Un lenguaje nuevo para una teología nueva. Edición digital, agosto 2013, 97 pp..
La metafora de Dios encarnado – Cristologia para un tiempo pluralista, John Hick, Ediciones Abya-Yala, Quito, Ecuador, 2004, 229 pp..
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