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dimanche 2 septembre 2012

NOS DEUX VISAGES


TRANSFIGURATION  - NOS DEUX VISAGES

Tous les textes des évangiles que nous lisons en ce temps de carême ont été choisis dans le but de parfaire, de compléter la préparation  de ceux et celles qui autrefois se préparaient à devenir chrétien  par  le baptême reçu la nuit de Pâques. Ces textes ont donc tous un caractère éminemment catéchétique. Ils cherchent  à  inculquer aux futurs chrétiens (catéchumènes) une compréhension la plus exhaustive possible de la figure de Jésus,  en présentant  différentes facettes et différents aspects de sa  personne, de sa mission, de sa fonction dans le plan de Dieu et dans l’histoire des hommes: il est tour à tour présenté comme le prophète par excellence, l’envoyé  de Dieu, le Messie qui accomplit les promesses des Écritures, comme le Fils bien-aimé du Père, comme le guide, le maitre, la  parole, l’eau vive qui désaltère notre soif, le pain qui  rassasie notre faim, le médecin qui guérit nos infirmités, la source de renouveau intérieur, de liberté,  de guérison, de salut, de vie, comme lumière qui ouvre à la compréhension du mystère de Dieu, de l’homme et du monde, etc .

C’est donc en ayant présente à l’esprit cette fonctionnalité des textes évangéliques, que nous devons  aborder les lectures que la liturgie nous propose en ce temps de carême qui est né comme une période de préparation plus immédiate et plus intense des catéchumènes  à leur baptême reçu au cours de la veillée pascale.
L’évangile d’aujourd’hui ne fait pas exception à cette finalité. En écoutant ce texte, les futurs chrétiens  apprenaient  que Jésus est le Fils bien-aimé de Dieu qui est Père; qu’il est l’accomplissement et le but des Écritures (Moise et Elie); qu’il est celui qui est totalement  transfiguré par la présence de Dieu en sa vie et par son Esprit dont il se nourrit continuellement; qu’il est source d’émerveillent et de joie pour ses disciples qui ne veulent plus se séparer de lui parce qu’ils trouvent en lui et en sa proximité  leur bonheur. Mais  qui, en même temps, est celui qui, pour être fidele à cet Esprit, n’aura pas peur d’affronter les épreuves, les luttes,  les adversités, les hostilités jusqu’en perdre la vie.

Évidemment, lorsque nous, les chrétiens, du XXIe siècle nous nous confrontons à un récit de ce genre, nous ne pouvons nous empêcher de sentir un certain malaise et un certain agacement. Ce style, ces images, cette mise  en scène, ce scénario ne sont évidemment plus adaptés à notre sensibilité et nous avons beaucoup de difficulté à réagir positivement devant ce monde fantastique, merveilleux et irréel que cet ancien conte étale sous nos yeux : orage qui gronde, nuage qui, comme par enchantement, enveloppe la cime de la montagne ; voix  mystérieuse qui  vient de l’au-delà et  qui résonne dans les nuages; revenants de l’outre-tombe qui, tout à coup, se matérialisent et qui parlent; vêtements qui soudainement  commencent à lancer des étincelles et à  briller de milles feux, personnes qui entrent en transe et qui délirent de plaisir... C’est cependant sous cet emballage fantasmagorique  que le message de l’évangile nous est parvenu: à nous d’être assez avertis et intelligents pour  récupérer  le trésor  de sens qui s’y cache pour nous aujourd’hui.

Habituellement, dans chaque récit évangélique qui nous est proposé le dimanche, les points susceptibles d’attirer notre attention sont multiples. Je voudrais ce matin vous en proposer un à votre réflexion. Jésus est présenté ici  comme un être transfiguré par la gloire, la  beauté et la lumière, lui,  qui  pourtant  sera bientôt un homme défiguré par l’échec total et l’atrocité de la torture et de la souffrance. Cet évangile veut nous enseigner que chaque être humain  porte en lui ce double visage. Le visage de la beauté et celui de la laideur. Un visage d’éclat et de lumière et un visage d’ombre et d’obscurité. Un visage épanoui par la bonté et un visage desséché par la mesquinerie et l’égoïsme; un visage transfiguré par l’amour et en visage dévasté  par le  ressentiment  et  la haine. Un visage ensoleillé  par la joie et le bonheur et un visage assombri et crispé par l’épreuve, la  maladie et la souffrance.

Souvent ces deux visages coexistent en nous;  parfois nous mettons en avant l’un et parfois l’autre; et il arrive aussi que l’un  prenne de dessus sur l’autre. Quelle change et quelle grâce pour nous et pour tous ceux qui nous entourent  lorsque notre vie est éclairée par notre visage de lumière !  Mais il arrive aussi qu’un jour  ce soit surtout le visage défiguré qui apparaisse et qui s’impose inévitablement. J’ai connu et côtoyé beaucoup de personnes extraordinaires et j’ai été souvent ravi et transporté par des visages merveilleux.. Je me souviens particulièrement d’un confrère avec qui j’ai eu la chance de vivre, pendant quelques années, lorsque j’étais jeune étudiant et jeune prêtre à Rome. Je peux vous assurer que son visage de lumière était éblouissant. C’était un phare qui éclairait partout autour de lui.  C’était un vrai savant; un humaniste, un polyglotte (il  parlait six langues);  il connaissait tout de tout ; un bibliste de renommée; un psychologue hors pair; on venait de partout  pour le consulter; même  les évêques du Concile Vatican II venaient le rencontrer. Il avait une façon de traiter avec les personnes qui fascinait; tout le monde l’adorait. Il était ce genre de personne que l’on appelle «attachante» et  qui  suscite l’émerveillement et l’admiration à première vue. Et bien, après avoir connu son visage transfiguré, j’ai connu aussi son visage défiguré.  A 65 ans cet homme envoûtant et exceptionnel  a fait un  ACV qui l’a complètement terrassé et anéanti, le transformant en un  légume qui passait ses journées  à  tordre un chiffon, les yeux fixé dans le vide, et que le personnel soignant  surprenait souvent en train de s’amuser avec ses propres excréments. La merveilleuse  lumière qui brillait en lui était définitivement éteinte. Et pourtant, cet homme anéanti, même dans son délabrement a continué a avoir la visite  de ceux  et celles qui l’avait connu lorsqu'il était sur la montagne du Tabor. Je pense avoir vécu en ce temps-là ce que les disciples de Jésus ont dû vivre  lorsque, de façon brutale, ils se sont trouvés en face de l’échec et de la mort ignoble et répugnante de leur Maitre. Ce qui leur a permis de rester attachés à la personne de Jésus, même  après cette expérience affreuse, a été, sans doute, le souvenir de l’admiration, de l’émerveillement, du changement et du bonheur que cet homme avait suscité à tous jamais dans leur vie.  Parce que l’admiration, la vénération, l’amour  possèdent cette émouvante capacité de continuer à voir, même à travers  l’échec et l‘inévitable déchéance, le  visage de beauté et de lumière qui un jour nous a  touché et ébloui. Ce récit de Marc emprunte ce langage merveilleux pour traduire une chose profonde et vraie: c’est cette  intimité vécue dans l’amour qui a permis aux disciples  de Jésus de passer à travers la déception de l’échec de leur Maitre.

C’est toujours  le souvenir d’un visage de lumière qui permet à l’épouse d’assister et de veiller avec amour et tendresse le mari qu’un cancer défigure et consume petit a petit sur un lit d’hôpital. C’est encore le souvenir  d’un visage de lumière qui continue  de garder  la beauté du sourire et la tendresse du regard de ce vieux couple qui, l’autre jour, au restaurent, juste à coté de moi, fêtait, avec pudeur et discrétion, l’anniversaire de leur première rencontre et, sans doute, de leur premier baiser.

Je pense que tout l’effort de notre vie doit consister à allumer notre visage et à le rendre toujours  plus éblouissant  pour ceux et celles qui ont la chance de nous croiser dans leur existence. Parce que ce sera ce visage-là qui s’imprimera dans leur esprit et dans leur cœur et qui leur permettra de garder de nous le souvenir d’une personne  transfigurée, même lorsque  nous serons inévitablement défigurés un jour par l’usure de la vie, la faute, l’échec, ou par la dégradation et le délabrement dus à la maladie, à la vieillesse et à la mort.

 On  ne peut parler de Jésus sans parler de nous. Jésus trace simplement le chemin qui est le nôtre. Ainsi, nous sommes également ces deux visages de la vie, nous sommes cette personne dans un vêtement rayonnant qui est le fils chéri de Dieu et nous sommes ce visage défiguré par les affres de la croix. Et la tentation est  grande de ne voir chez soi et chez les autres que l’être de lumière quand la vie nous gâte, que l’être de ténèbres quand arrive l’adversité. Ce récit de la transfiguration  nous dit : quand le ciel s’obscurcit, élève-toi vers les hauteurs de la foi et n’oublie pas l’être lumineux que tu es et l’être chéri de Dieu que tu as toujours été. C’est ce que font les aidants naturels, les amis, les parents quand ils veillent  sur les êtres dont l’esprit est parti en voyage vers des mondes imaginaires, comme dans le cas de mon confrère ou comme dans la maladie d’Alzheimer; leurs yeux percent l’obscurité pour apercevoir encore l’être lumineux et aimé.

Cet évangile nous empêche de sombrer dans la  disconfiance et  la désespérance, car il nous rassure que, quoiqu'il puisse nous arriver,  notre visage de lumière survivra toujours dans le souvenir de ceux qui nous ont aimés et donc dans la mémoire de notre Dieu.  

 MB

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