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mercredi 21 janvier 2015

SEIGNEUR OÙ HABITES-TU ?



(Jn.1, 35-42)


Ce dimanche se présente comme un dimanche de transition parce qu’il fait transition entre la vie cachée de Jésus et son ministère public et parce qu’il comporte encore des éléments épiphaniques. Ce n’est pas encore la prédication publique « en plein », ce sont les préparatifs, l’amorce de la grande intervention évangélique. Comme l’ouverture d’une porte, le temps immobile où le bourgeon mûr s’apprête à éclater.

On dirait que cet épisode, que l’on trouve au début de l’évangile selon Jean, a tellement marqué l’auteur qu’il se souvient encore du moment exact de sa première rencontre avec le Seigneur : c’était « le lendemain du baptême de Jésus et vers quatre heures de l’après midi ». C’est qu’il s’agit de la première fois où les apôtres ont vu le Seigneur; ils l’ont découvert et ils ont été invités à le suivre.

Et quelle rencontre ce fut! Ils s’en souviennent comme si s’était hier, car leur vie n’a plus été la même, changée et bouleversée à tout jamais! Sur l’indication de Jean le Baptiseur, les deux disciples suivent timidement Jésus de loin. Jésus se retourne. Il leur demande: «Que cherchez-vous ?». Ils ne répondent pas à sa question. Ils lui en posent par contre une autre: «Maître, où demeures-tu ?». Et Jésus de répondre : «Venez, et vous verrez. Ils l’accompagnèrent, ils virent, ils restèrent auprès de lui ce jour là».

Il est symptomatique que les premiers mots et la première phrase que l’évangile de Jean met sur la bouche de Jésus soit la question la plus importante et la plus fondamentale dans la vie d’une personne: « Que cherchez-vous ? ». À nous-aussi, aujourd’hui, cette question est posée : « Que cherchez-vous ? Que désire votre ton cœur ? Où pouvons-nous te trouver ? Où demeures-tu pour que ta maison devienne aussi la nôtre ». Et Jésus de nous dire: « Venez et vous verrez. ». Mais pour voir, pour trouver ce que l’on recherche, il faut être capable de partir, de laisser, de se détacher, d’oser, de risquer, de désirer du différent, du nouveau, du meilleur pour notre vie et dans notre vie ! Venez et vous verrez ! Ici ces deux verbes vont ensemble. Par là, l’évangéliste Jean veut nous faire comprendre qu’il faut vraiment aller vers cet homme et rester avec Lui pour voir quelque chose de nouveau et d’extraordinaire. Il faut voir où il demeure. Alors nous comprendrons et nous verrons qu’il demeure en Dieu et que c’est seulement en Dieu que nous pouvons trouver  à notre tour ce que nous cherchons. 

L’attitude des disciples dans ce texte évangélique, est la plus belle explication de ce qu’est la foi. Pas du tout des vérités à croire avec la tête seulement. Ici, la foi des disciples est rencontre, fascination, envie de suivre, d’accompagner, de fréquenter, de rester avec la personne en qui ils ont mis leur confiance. On peut avoir été le premier au catéchisme, avoir lu beaucoup de livres religieux, débattre en experts des sujets théologiques, donner des conférences sur l’éthique chrétienne, être évêque, cardinal et pape… et ne pas avoir la foi! Un chrétien n’a la foi que s’il a rencontré et aimé l’homme de Nazareth, que s’il s’est épris de la qualité de sa personne, et s’il a le goût de le fréquenter et de demeurer avec lui.

Et André sera le premier à trouver son frère Simon pour lui dire : « Nous avons trouvé le Messie, celui qui vient de la part de Dieu ». Il devait y avoir suffisamment d’enthousiasme dans sa voix pour que l’indépendant et le têtu Simon accepte de se laisser conduire à Jésus. Aussitôt que Simon est en contact avec Jésus, celui-ci pose sur Simon son regard et lui révèle ce que sera et deviendra sa vie. «Avec moi, tu seras comme une pierre, un rocher; rien ne pourra plus t’ébranler, te faire tomber. Tu seras solide comme le roc. Voilà ce que tu seras avec moi ! ».

 Mais ces paroles que Jésus adresse à Pierre, valent aussi pour chacun de nous, si nous avons la grâce de le rencontrer, d’aller voir où il habite et si nous demeurons avec lui et que son esprit demeure en nous… Alors notre vie gagnera en stabilité, en solidité… nous serons équipés pour faire face aux adversités de l’existence et de passer au travers avec la confiance de ceux et celles qui savent qu’ils ne sont jamais tout seuls et qu’ils ne seront jamais plus abandonnés.

Ce texte de l’évangile de Jean constitue une invitation adressée à tous les chrétiens à écouter ce Rabbi, ce Maître, qui parle au nom de Dieu et de l’accompagner sur sa route. Ce texte constitue un appel à aller voir où il habite, pour découvrir quelle est sa famille, ses amis, ses amours, ses valeurs. Peut-être aurons-nous alors le goût, nous aussi, comme André et Simon, de rester avec lui et de passer en sa compagnie le reste de notre existence.

BM

lundi 5 janvier 2015

Devenir des Mages, chercheurs de lumière, chercheurs de Dieu


Épiphanie, Mt.2, 1-12


Avant de commencer à réfléchir sur le contenu de cet évangile, il faut que tout le monde sache que Matthieu, en écrivant ce récit de l’étoile et des Rois Mages, n’a pas eu l’intention de nous transmettre un fait réel et historique. Il veut raconter aux chrétiens un conte, une histoire qu’il a inventée pour communiquer une attitude intérieure qui nous concerne tous et pour nous aider à orienter correctement notre existence. Nous devons donc interpréter, décrypter les images et les symboles dont ce récit est composé pour qu’il nous révèle toute la profondeur et la beauté de son contenu.

La parole «mage» signifie chercheur. Les mages sont donc ici des gens qui cherchent à savoir, qui sont dans l’incertitude, le doute, le noir, l’insatisfaction des connaissances qu’ils possèdent ; ils cherchent autre chose de plus complet, de plus satisfaisant. C’est pour cela qu'ils sont en route, en voyage. On ne peut rien trouver de vraiment nouveau, si on reste figé sur place, si on n’explore pas d’autres territoires et si on ne parcourt pas d’autres chemins. Ces chercheurs viennent de l’Orient, car c’est à l’Orient que naît le soleil; c’est de l’Orient que surgit la lumière qui chaque jour chasse la nuit. Les chercheurs de lumière ne peuvent venir que de l’Orient. C’est l’Orient leur patrie. Ces mages représentent donc tout ceux et celles qui cherchent la lumière (de la vérité, de la justice, du bonheur et du salut). Ils ne peuvent être conduits que par une étoile. En effet, dans toutes les cultures anciennes, l’étoile est l’image symbolique de la lumière qui éclaire le chemin, qui empêche la chute et qui sauve la vie.

Dans l’esprit chrétien, tout chercheur de lumière ne réussit sa quête que s’il réussit à trouver l’«enfant». Et cela non seulement parce que l’enfant est par définition l’être qui n’est là que parce qu’il est venu à la lumière, mais aussi parce, dans la littérature chrétienne, il est le signe le plus accompli de la présence du salut de Dieu sur terre. La question des mages à Hérode: «Où pouvons-nous trouver l’enfant qui vient de naître», c'est-à-dire qui est venu à la lumière, est véritablement la question que se pose tout chercheur de Dieu. L’évangéliste Matthieu sait très bien que Dieu s’est manifesté à travers l’homme de Nazareth et que Dieu est présent en lui, dans chaque être humain ainsi que dans les profondeurs de la réalité. Mais comment le trouver? Comment s’en approprier? Ce Dieu qui doit désormais animer la vie de chaque personne et dominer dans la vie de chaque personne est ici présenté à notre foi sous la figure de l’enfant-roi. Chercher Dieu équivaut dans la Bible à chercher où se trouve l’enfant, car cette vie de Dieu en nous est pour chacun une source de fraîcheur, de jeunesse, de beauté, de vie nouvelle.

À travers la symbolique des mages-chercheurs, l’évangile de ce jour veut alors nous poser la question: qu’est-ce que tu cherches principalement dans ta vie? Es-tu un chercheur de Dieu, de nouveauté, de vie nouvelle ? Comment ce Dieu, présent dans ta vie, peut-il être rencontré? Qu’est-ce que tu fais pour le trouver? Comment es-tu capable de reconnaître sa lumière parmi les innombrables lumières qui ont la prétention d’Éclairer et d'orienter ton existence ? Où iras-tu pour le trouver?

L’évangéliste nous dit qu’il existe deux mondes où tu peux chercher l’enfant qui est roi. Il y a le monde de l’extériorité et le monde de l’intériorité. Le monde de l’extériorité c’est le monde d’Hérode. C’est le monde que nous tous connaissons. C’est le monde qui est décrit dans les journaux; que nous voyons à la télévision. C’est le monde dans lequel nous plongeons chaque jour et dans lequel se déroule notre existence quotidienne. C’est le monde de la lutte pour le pouvoir; le monde de la confrontation, de la peur; un monde où chacun cherche à posséder quelqu’un ou quelque chose. C’est le monde de l’intrigue, du mensonge, de l’avidité, du pouvoir, de la violence, de la jalousie représenté par la figure d’Hérode. C’est aussi le monde qui n’aime pas les changements, les transformations, les révolutions. Dans ce monde, les gouvernants sont attachés au statu quo et à l’immobilité qui assurent la stabilité et la permanence de leur pouvoir. C’est un monde où aucune lumière nouvelle n’est la bienvenue. C’est un monde qui est en guerre contre toute lumière qui vienne d’ailleurs. Ce monde est caractérisé par la nuit. C’est un monde d’adultes sombres. C’est un vieux monde. Dans ce monde le seul roi est Hérode. Dans ce monde, il n’existe pas d’enfant-roi. Dans ce monde d’Hérode l‘enfant est au contraire systématiquement éliminé. C’est un monde qui ne manifeste aucun signe d’une présence divine; c’est un monde dans lequel Dieu n’es jamais venu et dans lequel il ne pourra jamais s’incarner.

Il y a ensuite le monde de l’intériorité qui abrite la présence de l’enfant-roi, symbole de la présence de Dieu dans nos vies. L’évangile nous dit que nous le trouverons seulement si au cours du chemin de la recherche de Dieu et de la vérité sur nous-mêmes, nous sommes capables d’apercevoir et de suivre son étoile. Une étoile c’est n’est pas seulement un point de lumière dans la nuit; une présence de feu et de chaleur dans la froideur terrifiante de notre univers. C’est aussi le creuset où tous les éléments de notre monde viennent à l’existence; c’est la source de toute possibilité de vie. Entrevoir une étoile dans notre vie peut donc signifier voir la source, le centre, le noyau d’où surgit la véritable vie en nous et donc aussi notre salut. Les mages chercheurs n’ont pas aperçu l’étoile lorsqu’ils étaient dans leur pays d’Orient, mais lorsqu’ils se trouvaient dans le pays d’Hérode. Cela signifie que l’étoile qui indique où se trouve la présence de Dieu dans notre vie se manifeste à nous surtout et principalement quand nous sommes en contact avec Hérode ; c’est à dire lorsque nous vivons les moments les plus durs, les plus pénibles, les plus éprouvants, les plus difficiles, les plus douloureux de notre existence; lorsque nous sommes confrontes à la méchanceté du monde; lorsque nous réalisons l’absurdité et souvent aussi la stupidité de nos besoins matériels, de nos appétits et de nos folles attentes; lorsque nous faisons l’expérience de notre fragilité, de la maladie, de la souffrance du deuil et de la mort … c’est à ces moments, si nous sommes attentifs, qu’une lumière s’allume en nous et que l’étoile apparaît … C’est une petit lumière qui tout à coup brille dans notre nuit : un souvenir, un goût d’enfance; l’envie d’être meilleurs, de vivre différemment, de changer de vie; d’un lieux sécuritaire, d’une présence aimante et rassurante. C’est l’envie de céder les armes; d’arrêter de nous battre et de nous en faire; c’est le désir de pouvoir faire confiance comme des enfants; de laisser tomber nos antagonismes, de chasser loin de nous tous ces mauvais esprits qui nous torturent et qui nous empêchent de goûter avec confiance et simplicité au bonheur de vivre en enfants de Dieu; c’est la nostalgie du temps ou d’un paradis originel où nous étions portés, protégés, aimés, où nous ne manquions de rien et nous étions heureux. C’est l’attrait de Dieu en nous. C’est une parole divine qui se fait entendre dans les profondeurs de notre cœur. C’est l’intuition ou, mieux, la sensation de quelque chose de mystérieusement divin qui est en nous; qui a toujours été là, mais que nous n’avons jamais été assez attentifs pour nous en rendre compte, pour le ressentir, mais qui nous pousse vers la lumière d’une nouvelle naissance, d’un nouveau commencement, d’une nouvelle vie. C’est Dieu en nous qui veut nous conduire à rencontrer l’enfant que nous sommes dans les profondeurs les plus intactes de notre personne.

Si nous suivons la lumière de cette étoile qui a subitement surgi dans le ciel de notre existence, nous nous trouverons, nous aussi, comme les mages, agenouillés devant l’enfant que nous sommes et dans lequel nous reconnaissons les signes de la présence de Dieu dans notre vie. Serons-nous capables de suivre l’étoile qui cherche à nous conduire là ou Dieu pourra nous transformer en ses enfants? Serons-nous capables de mettre toute notre vie entre ses mains, en lui offrant l’or de nos succès et de nos bonheurs, l’encens de notre adoration et de notre amour, et la myrrhe de nos épreuves et de nos souffrances?


BM

vendredi 2 janvier 2015

LE TEMPS DE NOTRE ÉTERNITÉ


 Réflexion pour le jour de l'an 2015

Le temps qui passe est un temps qui nous est donné par la bonté de Dieu pour répandre l’amour dont il a rempli notre cœur, pour laisser une bonne trace de notre présence et de notre passage en ce monde, pour que nous puissions un jour le quitter, en le laissant dans un meilleur état que lorsque nous y sommes entrés. C’est le bien que nous accomplissons, l’amour que nous donnons, la joie et le bonheur que nous diffusons autour de nous, qui font la valeur de notre personne et qui donnent du sens à notre vie.

C’est pourquoi il ne faut pas gaspiller le temps de la vie en futilités. C’est pourquoi il faut vivre pleinement et intensément ce temps qui nous est alloué et qui passe si vite et si inexorablement; le vivre non pas tant de l’extérieur, mais de l’intérieur, afin qu’il serve à bâtir en nous une personnalité riche, attachante, rayonnante et capable de répandre autour d’elle affection, joie et bonheur.

Nous vivons dans une société où tout se déroule à l’enseigne du travail, du rendement, du profit et où, par conséquent, on a horreur de perdre du temps, car le temps est précieux puisqu’il vaut de l’argent. Mais le temps a une qualité et une valeur qui ne sont pas nécessairement liés à sa valeur économique. En effet si nous utilisons notre temps uniquement à faire de l’argent, nous pouvons probablement accroître notre compte bancaire, mais je ne suis pas certain que cela nous fasse aussi automatiquement croître en tant que personnes.

Pour les anciens Grecs et Romains, le travail matériel a toujours été le signe d’une sorte de déchéance et les pauvres et les esclaves étaient exclus de la citoyenneté et de la vie politique du fait qu’ils travaillaient. Cela ne signifie pas que les citoyens du Monde Antique se fussent enfermés dans une stérile oisiveté. Ils n’étaient pas inactifs; mais leurs activités étaient considérées comme de nature plus haute que la dure besogne du travail matériel, musculaire, productif. Ils préféraient se consacrer au soin de la cité, de la famille, des dieux, à la pratique des arts, des sciences et de la philosophie, ou encore à celle de l’amour. Un mot latin résumait cela: otium. Terme que l’on a habituellement traduit par loisir, mais qu’il faudrait plutôt traduire par disponibilité à l’essentiel, à ce qui est vraiment important dans la vie.

L’otium était donc pour les anciens une valeur positive; et de ceux qui n’avaient pas la chance de s’y adonner, les romains disaient qu’ils étaient des hommes du nec-otium : le négoce, c’est l’activité de ceux qui ne sont pas disponibles à l’essentiel, de ceux qui ne pratiquent pas le loisir…

Cette vision ancienne pourrait aujourd’hui réconcilier avec leur temps libre et leurs loisirs beaucoup de travailleurs à la retraite qui, bien souvent, ne sont pas capables de se trouver des loisirs, de gérer leur temps, qui ne savent pas comment tuer leur temps, qui se sentent inutiles, qui dépriment et qui regrettent de ne plus pouvoir travailler.

Lorsqu’on vieillit, et je parle en connaissance de cause, on développe un rapport étrange et spécial avec le temps. D’un côté, on l’aime beaucoup et on voudrait enfin l’arrêter pour en profiter au maximum; mais de l’autre, on en a peur, car ce temps qui passe si vite et si inexorablement nous approche toujours davantage de la fin de notre temps.

Être capables d’apprivoiser le temps est une grâce qui n’est pas donnée à tous ceux qui vieillissent. Être capables d’apprécier le temps quand enfin on a du temps, semble alors le fait des plus privilégiés de nos aînés, de ceux que leur richesse personnelle, affective, intellectuelle et spirituelle préserve des angoisses de l’ennui et de l’attente. En effet, pour de nombreuses personnes âgées et retraitées, leur temps est plutôt le temps de l’ennui et de l’attente que du loisir: attendre le passage du facteur, attendre la visite de la petite fille ou des grands enfants; attendre à l’urgence de l’hôpital; attendre sur le fauteuil l’heure du repas ou du programme favoris à la TV, attendre le retour de la douleur lancinante, attendre l’heure de leurs pilules, attendre la mort. Aux personnes âgées et retraitées leur temps apparaît comme un temps suspendu entre la vie et la mort, en totale contradiction avec le temps occupé, empressé et bousculé des jeunes de la modernité. Or il est certes possible de jouir de ce temps suspendu, quand le cœur et l’esprit sont restés alertes et jeunes, quand on a gardé intérêts et curiosités, et surtout lorsqu’on en jouit avec des personnes que l’on aime. Mais trop souvent seuls, les ainés ressentent leur temps comme une attente pénible, et leur attente comme une souffrance, parce qu’il y a dans cette attente une dimension de résignation, de fatalisme, de passivité, d’ignorance, d’impuissance et de peur. Ce qui rend le temps de la vieillesse si souvent douloureux c’est la solitude dans laquelle il est vécu et la mort de l’esprit qui a déjà anticipé la mort physique du corps.

Pour nous les chrétiens, c’est une sorte de grâce divine que d’avoir la chance de vieillir et de retrouver enfin le temps qui nous rend disponibles à des attitudes, des initiatives et des comportements qui peuvent conduire à la construction d’une plus riche intériorité et à la prise de consciences de la valeur de notre existence aux yeux du monde et aux yeux de Dieu. Au cours de notre vie, bien souvent le temps nous a manqué pour réfléchir, étudier, lire, prier, faire le point, approfondir notre foi. Souvent nous avons été trop occupés et trop distraits pour développer notre sensibilité spirituelle, notre sagesse chrétienne et pour trouver les réponses à notre mal de vivre et à notre insatisfaction existentielle qui nous ont si longtemps accompagnés et angoissés.

Les «loisirs» de la vieillesse peuvent alors se transformer en un temps de relativisation des valeurs mondaines; en un temps de la rencontre avec l’essentiel; en un temps du vis-à-vis avec la vérité profonde de notre être et de la découverte émerveillée de la présence de Dieu dans notre vie, présence jamais ressentie avant avec une telle évidence et une telle intensité. Présence cependant non pas de n’importe quel Dieu, mais du Dieu de Jésus. Ce Dieu est énergie et puissance d’Amour qui convertit notre vieillesse en un temps de communication et d’effusion de calme, de paix, de sérénité, de confiance, de bonté et d’amour et qui change ce temps de l’attente en désir de nous détacher sans regret d’un monde qui nous est devenu de plus en plus opaque et étranger, pour aller nous fondre dans la lumière de l’amour de Dieu.


BM

LA NUIT DE NOËL, LES BERGERS ET L’ANGE DE DIEU


(Luc 2, 8-14)

Vous aurez sans doute remarqué que dans cet extrait de l’évangile de Luc l’auteur expédie en vitesse le récit de la naissance du premier-né de Marie en trois lignes et que, par contre, tout son intérêt et toute son attention semblent être concentrés et s’arrêter sur le récit des berger et des anges. Cela signifie donc que c’est ici, dans ce récit des bergers et de l’Ange, que nous devons surtout chercher la bonne nouvelle de Noël.

Dans la Palestine du temps de Jésus les bergers n’étaient pas des innocents pastoureaux jouant du pipeau ou de la cornemuse à l‘ombre d’un chêne, parmi de tendres agneaux broutant dans un paysage bucolique. Ces gardiens de troupeaux étaient des hommes rudes, souvent des aventuriers et des bandits qui fuyaient la justice, en se refugiant sur les montagnes et que les riches propriétaires de troupeaux récupéraient et embauchaient pour la dure besogne de garder et de défendre leurs animaux. Ce genre d’individus faisaient l’affaire des grands propriétaires de troupeaux qui avaient besoin des ces gens habitués à vivre dans la nature, à dormir à la belle étoile, toujours en mouvement, toujours en état d’alerte, toujours prêts à se battre pour défendre leur vie et donc capables de se battre aussi pour protéger les moutons contre les attaques des prédateurs, des voleurs et les razzias d’autres clans qui rivalisaient entre eux pour le choix des meilleurs pâturages. Ces bergers sont donc des durs à cuir, qui n’ont pas d’autre choix que d’accepter ce genre de travail pour se mettre quelque chose sous la dent, pour s’habiller tant bien que mal, pour survivre.

Malgré la distance du temps, et toute proportion gardée, la vie de ces bergers de l’évangile n’est pas tellement différente de la vie que nous menons en ce XXIe siècle. Ces bergers sont l’image et le symbole du monde et de la société dans lesquels nous vivons où tout ce qui compte c‘est la sauvegarde et la garde de nos biens, de notre argent, de notre capital, de notre pouvoir. Où tout ce qui compte c’est de veiller au troupeau de nos comptes bancaires, de nos intérêts; de défendre notre statut social, nos postes de travail, notre business, nos possibilités d’avancement, notre pouvoir, notre zone d’influence …et cela par tous les moyens à notre disposition, sans exclusion de coups, en nous battant, en luttant et en démolissant, s’il le faut, nos adversaires, nos concurrents pour s’accaparer la plus grande partie du marché, les meilleures opportunités, les meilleurs places, les meilleurs rétributions les meilleures dividendes, etc.

Ces berges représentent notre vie passée à courir, à nous déplacer, à nous dépêcher pour être actifs, productifs, performants, rentables et cela bon temps mauvais temps, en été comme en hiver, le jour comme la nuit, toujours en état d’alerte, d’anxiété, d’agitation, sous pression, sans arrêt, sans repos, sans répit, sans repas, ou, comme les berges dans les champs, avec des repas consommés sur le pouce, cuisinés à la hâte, sans façon, sans convivialité, sans ambiance, sans amour …

Il n’y a aucun éclat et aucun panache dans un tel rythme de vie. Et pourtant nous nous contentons d’une vie qui coule presque toujours en surface, et presque jamais en profondeur. Nous nous contentons d’une vie plate, superficielle, fanée, fade, grisâtre, sans couleur, sans chaleur, sans lumière, exactement comme la vie de ces bergers de l’évangile dont il est dit qu’ils étaient là dans les champs à garder leurs troupeaux et que c’était la nuit. Peut-on vivre longtemps de cette façon? Est-ce cela une vie? Vivre pour survivre! Vivre et se battre pour garder et posséder des choses que nous devons de toute façon un jour abandonner!

L’évangile des bergers de Noël arrive alors comme une réponse à notre fatigue, à notre mal de vivre et à notre désespérance. Ces bergers sont finalement des pauvres dans le sens le plus total du terme : pauvre de réputation, pauvres de considération, pauvres de sécurité, pauvres de moyens, pauvres d’amour, pauvres de tout. Et pourtant, voyez-vous, et c’est en cela que consiste tout le mystère et l’annonce extraordinaire de Noël, ce sont ces gens-là et non pas les grands, les importants, les puissants de ce monde, qui reçoivent la visite de l’Ange et a qui est donné de faire la rencontre de l’Ange de Dieu.

Cet évangile vient nous apporter la bonne nouvelle d’une issue possible à notre situation de détresse existentielle et à susciter de l’espoir. Il nous annonce qu’un jour ou l’autre, à tous est donnée la grâce de sortir de la nuit et de marcher dans la lumière et dans l’élan d’une nouvelle forme de vie. L’évangile nous raconte que quelque chose d’extraordinaire est venu bouleverser et changer l’obscure et triste vie des bergers. Le conte évangélique dit que l’«Ange de Dieu» s’approcha d’eux et que sa lumière enveloppa ces existences plongées dans l’obscurité de la nuit et les poussa sur des chemins qu’ils n’auraient jamais pensé pouvoir parcourir.

Dans la littérature biblique l’ange est habituellement une figure symbolique. Il est la personnification figurée de la présence aimante de Dieu qui se déploie en faveur des humains. Dans la Bible, chaque fois que quelque chose de bien et d’important s’accomplit en faveur des humains, là apparaît l’ange de Dieu. L’ange est alors le symbole de la force de l’Amour de Dieu et de ses virtualités salvifiques dans notre monde.

Cet évangile de Noël, en nous présentant le conte des bergers qui voient et écoutent la voix de l’ange, vient alors nous annoncer quelque chose d’extraordinaire. Il nous dit que nos vies sombres, monotones, surmenées, souvent banales à causes du cumule de futilités avec lesquelles nous les surchargeons, eh bien, ces vies peuvent devenir pétillantes de sens, de joie et de lumière; peuvent être réhabilitées, rehaussées, revalorisée et donc complètement renouvelées, si nous avons la grâce et le courage de nous laisser approcher par l’Ange de Dieu et de laisser sa voix retentir dans les profondeurs de notre esprit et de notre cœur.

Mais qui est l’Ange de Dieu ? Qui est, pour nous les chrétiens, celui que nous considérons comme la manifestation et la révélation la plus accomplie de la présence et de l’amour de Dieu dans notre monde? Qui est celui qui est si plein de Dieu qu’il ne fait qu’un seul être et un seul esprit avec lui? Qui est celui en qui Dieu a déposé toute sa bienveillance et tout son amour? Vous avez compris qu’il s’agit de Jésus de Nazareth. Pour nous, les chrétiens, Jésus est le véritable «Ange de Dieu», par qui Dieu intervient dans notre monde pour le féconder de son esprit d’amour, le guérir de ses peurs et de ses blessures, le faire naître à la confiance, afin de l’améliorer, de le transformer en quelque chose de plus beau et de plus humain.

Cependant, rencontrer l’Ange de Dieu, si cela peut être une expérience fascinante, c’est aussi un événement bouleversant et effrayant. Comme l’expérience des bergers de l’évangile qui ont peur et qui ont besoin d’être rassurés et réconfortés avant de se risquer sur de nouveaux chemins. Un grand nombre de gens ne sont pas intéressés à rencontrer l’Ange et à écouter son message. Ils ont peur d’être déstabilisés par les paroles qu’il leur adresse. Ils préfèrent rester crampés à leurs troupeaux. Ils aiment leur vie sombre, insignifiante et insipide. Ils se sont habitués au froid et à la nuit. Ils sentent que c’est trop risqué de quitter les anciennes sécurités et de partir à la recherche de son vrai moi, de Dieu et des autres. Il y a des gens à qui il n’est pas donné de découvrir la source de leur véritable bonheur et de leur authentique accomplissement; source tapie dans les profondeurs de leur être, mais devenue inaccessible à cause de l’énorme fatras d’inepties sous lequel ils l’ont ensevelie.

Cet évangile de Noël annonce la bonne nouvelle qu’il existe pour chacun de nous la possibilité de réorienter différemment notre existence; que rien ni personne n’est définitivement renfermé dans l’obscurité de sa nuit; qu’il y a toujours l’espoir d’atteindre la lumière, de trouver son salut et donc de sortir même des situations les plus désespérantes.

Cet espoir que l’évangile de Noël proclame est vraiment le bienvenu. Car jamais nous n'avons eu autant de raisons pour être déçus et pour désespérer de la qualité de notre monde et de notre humanité. Jamais, depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, notre monde n’a été aussi éprouvé, aussi souffrant, aussi mal en point, aussi malade, aussi cruel et inhumain. Lorsqu’on regarde la situation désolante de beaucoup de pays de notre planète (surtout les pays d’Afrique et du Moyen Orient) et l’immense cri de douleur qui s’élève un peut partout à cause des maladies, des épidémies (Ébola), du terrorisme, des guerres, des persécutions, des représailles d’une cruauté qui dépasse l’imagination, quand on regarde l’inconscience et l’indifférence avec lesquelles notre planète, et donc les conditions naturelles qui permettent la vie, sont saccagées et détruites par l’avidité humaine… il y a de quoi désespérer de notre monde et de la qualité de notre humanité.

Nous avons plus que jamais besoin d’entendre la bonne nouvelle de Noël qui nous annonce que l’Ange de Dieu est là parmi nous; que l’amour de Dieu a pris chair dans l’humanité et qu’alors la fraternité, l’harmonie, la communion, le partage, la tolérance, la paix sont possibles; qu’il ne faut pas désespérer; que l’on peut continuer à garder confiance dans la bonté du cœur humain et qu’il n’est jamais trop tard pour changer les attitudes et sauver le monde.


Mais Noël nous dit aussi que chacun de nous, s’il veut devenir l’instrument de l’amour qui sauve, doit être capable, sur l’exemple des bergers de l’évangile, de prendre la route qui mène à l’intérieure de la grotte, c’est-à-dire, à ‘intérieur de nous-mêmes, à l’intérieur de ce sanctuaire secret où il n’y a que candeur, innocence, fraîcheur, simplicité, dépouillement, car il abrite la présence de l’«enfant de Dieu» que nous sommes. C’est là, dans ce sanctuaire caché dans les profondeurs de notre âme, que nous gardons l’authentique image de l’être que nous sommes aux yeux de Dieu. Cet enfant porte en lui la ressemblance de Dieu et la capacité d’aimer à la façon de Dieu. C’est cette enfant que nous devons faire naître, afin qu’apparaisse au grand jour notre condition de fils de Dieu, ainsi que l’immense capacité d’amour dont nous sommes capables et qui nous a été donnée pour que nous puissions construire un monde plus beau.


BM