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dimanche 2 septembre 2012

LA MORT DANS NOS VIES


Résurrection de Lazare-résurrection du cœur 
 
Les récits évangéliques ne sont pas écrits seulement pour être lus, mais aussi et surtout pour être vécus. L'histoire de Lazare a été écrite pour nous dire cela: il y a une résurrection du corps et il y a une résurrection du cœur. Si la résurrection des corps adviendra le "dernier jour", celle du cœur peut et doit s’accomplir tous les jours.

Tel est le sens de la résurrection de Lazare que la liturgie a tenu à souligner avec le choix de la première lecture tirée du prophète Ezékiel. Le prophète a une vision: il voit une immense étendue d'ossements desséchés et il  réalise qu'ils représentent les sentiments des gens qui sont autour de lui. Les gens disent: «Nous sommes sans espoir, la vie n’a pas de sens, qu’est ce que nous faisons en ce monde... dans cet exile… vaut-il la peine de vivre en ces conditions…  quoique  nous fassions, nous sommes destinés à la souffrance, au vieillissement  et à la mort … quoique nous fassions nous sommes perdus … nous sommes
 déjà  renfermés dans un tombeau ". Et pourtant à ces gens Dieu fait une promesse  «Voici, j'ouvrirai vos tombeaux et vous ferai sortir de vos tombes ... Je mettrai mon esprit en vous et vous vivrez». Ici encore il ne s’agit pas d’une résurrection physique du corps, mais d’une résurrection actuelle des cœurs à l'espérance, à une nouvelle forme de vie. Et ces cadavres, ces ossements, nous dit le texte biblique, se réanimèrent, se mirent debout et ils étaient une foule immense. C'était le peuple d'Israël  qui reprenait espoir et  vie, après l’anéantissement et la  mort de l’exile.

De tout cela nous déduisons une chose que tous nous avons expérimentés dans notre vie: que l’on peut être mort même avant de mourir; qu’il y des morts qui surviennent en  nous de notre vivant… que nous pouvons mourir au-dedans, tout en continuant à vivre dans notre corps. Et je ne parle pas seulement de cette mort de l'âme que le langage traditionnel de la spiritualité chrétienne attribue au péché, je parle aussi de cet état d’absence d'énergie, d'espoir, de sens, d’intérêt, de but, de volonté de lutter contre les adversités… que nous pouvons bien qualifier comme la mort du cœur.

Cette mort du cœur est typique des déprimés, des éprouvés et des brisés de la vie; des vies qui paraissent sans issues; qui ne paraissent plus dignes d’être prolongées, transformées en gâchis à cause des difficultés, du refus, de l’incompréhension, du manques d’empathie, d’accueil, d’amour et qui arrivent à être perçues comme pires que la mort. C’est cela que ressentent tous ces jeunes qui se suicident.

Il y a aussi enfin des morts qui surviennent en nous indépendamment de notre volonté, amenées par les circonstances et le déroulement normal de notre existence: toujours changeante, toujours en évolution, toujours surprenante et nous conduisant nécessairement et continuellement d’une mort à une autre: je meurs à la candeur de mon enfance, je meurs aux feux de mon adolescence, à l’attrait de mes jeunes années, aux charmes de ma beauté, à la prestation de ma force physique, je meurs à ma santé; je meurs à mes sentiments, à mes amitiés, à mes amours qui changent, qui tombent, qui s’éloignent, qui disparaissent… Je meurs aussi à mes idées, à mes convictions… au point que finalement  je m’interroge : « Qu’est-ce qu’il y a, qu’est-ce qui reste pour me faire vivre? Y a- t-il encore de la vie ? Est-ce qu’il existe vraiment une plénitude de vie, comme cherche à me le faire croire le discours religieux  ?».

Cette mort du cœur est ensuite typique des désabusés et des blasés de la vie qui réduisent tout à la satisfaction de leurs appétits. Il y a en effet des vies qui ne sont jamais vraiment vécues, parce qu’elles ne sont pas données, mais consommées, dans un repliement égoïste sur soi-même. Renfermées sur elles-mêmes comme un cadavre dans son tombeau. Des vies où les élans et les aspiration de l’esprit sont totalement absentes, inconnues; de vies vécues au ras du sol, sans aucune  transcendance; des existences où la banalité et la matérialité de la routine quotidienne a pris le dessus et s’est transformée en forme et style de vie, souvent détériorée de surcroît par les tares, les défauts, les vices, les dépendances, les égoïsmes de la personne. Des existences passées à végéter, à satisfaire les besoins primaires : manger, boire, se divertir, baiser, faire de l’argent…

Qui peut nous donner cette résurrection du cœur? Pour certains maux, nous savons qu'il n'y a pas de remède humain possible. Les mots d'encouragement ne servent pas à grand-chose. L’évangile nous dit que la maison de Marthe et Marie était pleine de «Juifs qui étaient venus les consoler» de leur peine. Cependant, la présence de ces personnes n'avait rien changé à leur douleur. Il a fallu qu’elles fassent venir Jésus, qu’elles s’adressent à lui pour que leur perte soit transformée en gain, pour que de leur mort revienne un être vivant. L’évangile veut sans doute dire à ceux qui expérimentent  une mort qu’ils ont besoin d '«envoyer chercher  Jésus» comme ont fait les sœurs de Lazare. Comme le font les personnes ensevelies sous une avalanche ou sous les décombres d'un tremblement de terre qui par leurs gémissements attirent l'attention des sauveteurs.

La foi en Jésus fait rouler la pierre du tombeau où nous enferment nos morts et nous ouvre au monde des vivants, c’est-à-dire au monde de Dieu et de nos frères. Comme Jésus! Toute l’existence de Jésus a été vécue sur le mode du renoncement à soi et du don de soi sous le signe du double amour de Dieu et des humains. Et ainsi nous a-t-il révélé que le sens ultime de la vie est de servir et de donner sa vie pour les autres.

 Et c’est ici que tout se retourne! Car, à perdre ainsi sa vie, on la reçoit « au centuple ». On la reçoit comme «vraiment vivante», elle est redonnée en «vie éternelle». Dans la perspective chrétienne nous croyons que celui qui vit sa mort ou ses morts dans une telle attitude, ne peut pas rester prisonnier dans son tombeau : il en sort vivant, plus vivant, vainqueur, ressuscité… comme cela est arrivé à Jésus ...

Jésus avait mis le sens de sa vie entre les mains de  Dieu et dans l’amour de ses frères. Et alors nous, ses disciples, nous comprenons  que c’est  ailleurs qu’en nous-mêmes que notre vie a finalement à se chercher et à se trouver. Elle n’a pas de « raison » en elle-même, mais en Dieu qui apparaît comme « Père de la Vie ». Elle ne s’appartient pas à elle-même, elle ne peut être vraiment vivante qu’à la condition de se recevoir incessamment de sa Source et de se répandre au service de ses semblables.

Jésus nous apprend que vivre c’est entrer en relation, c’est créer des liens, c’est s’ouvrir à l’accueil de l’autre. La vie est dans la relation, la communication, le partage et non pas dans la fermeture, le repliement, l’isolement, qui sont les signes incontestables de la mort. 
Ainsi la foi  en Jésus invite-t-elle à penser que celui qui croit comme Jésus et se donne comme Jésus rend sa vie vraiment vivante, la fait passer de l’ordre de la quantité (=recherche de choses et assouvissement de besoins matériels) destinée à la décrépitude et à la mort, à l’ordre d’une qualité qui l’ouvre dès maintenant sur la possibilité d’une vie en plénitude et sur l’espérance d’une résurrection. «Celui qui croit en moi, fût-il mort, vivra; et quiconque croit en moi ne mourra jamais» (Jn.11,25-26). «Nous savons, nous, que nous sommes passés de la mort à la vie parce que nous aimons nos frères» (1 Jn. 3,15).

MB

(Reflexion inspirée d'un article de Raniero Cantalamessa et Bruno Demers op, dans  Pretre et Pasteur, avril 2011, pp.194-199)


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