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dimanche 27 septembre 2015

LA VRAIE GRANDEUR DE L’HOMME SELON LA PENSÉE DE JÉSUS



(Marc 9,30-37)

Les cultures et les civilisations anciennes ont été, en très grande majorité, gouvernées par des régimes absolus, dictatoriaux et totalitaires, et les structures du commandement toujours établies selon une stricte échelle hiérarchique d’influences, d’importance et de pouvoir. La société des «grands» et des «puissants», appartenant à cette structure hiérarchique (rois, empereurs, chefs militaires, prêtres, nobles, seigneurs) détenait le pouvoir, faisait les lois, avait tous les droits, commandait. Ceux qui étaient hors de cette structure hiérarchique, la masse de gens normaux, n’avait aucun droit et ne pouvait qu’obéir et se soumettre. Ils n’étaient que des serviteurs.

Dans les sociétés ancienne du temps de Jésus, on trouvait normal que la «plèbe» ou le «petit peuple» soit utilisé, exploité, asservi, opprimé, pour que les «grands» puissent maintenir leur pouvoir, leurs privilèges, accroître leur richesse et réaliser leurs ambitions. On trouvait aussi tout à fait normal l’esclavage : c'est-à-dire que des êtres humains puissent être moins humains que les autres; pouvant être acquis et possédés, comme on achète et on possède un objet, un bien, un animal, totalement à la merci des besoins, de la volonté et des caprices de leurs propriétaires

Sauf des rares exceptions (Grèce ancienne du VIe siècle a.c.), le monde ancien, en général, et le monde du Moyen-Orient, en particulier, ne connaissait pas la démocratie. Les anciennes cultures n’avaient aucune idée de l’égalité fondamentale de tous les humains; de l’égalité des sexes; de la valeur inaliénable de la personne et du respect qu’on lui doit. Ils ne connaissaient pas la Déclaration universelle des droits de l’homme, la Chartes des droits et libertés. Les principes humanitaires et les notions affirmées dans ces documents sont des conquêtes relativement récentes de la société moderne, surtout occidentale (XVIIIe siècle) et encore loin d’être universellement reconnues et appliquées dans le monde actuel (elles sont loin d’influencer les lois des États islamiques).

Au temps de Jésus donc, pour être quelqu’un, il fallait entrer dans la liste et dans la hiérarchie des grands, dans les structures du pouvoir. Sans cela tu n’étais personne; tu n’étais rien. Tu étais un être sans identité, sans valeur, sans défense, sans sécurité, en proie à la cruauté, à la rapacité et aux décisions arbitraires des puissants. C’est pour cela que dans la société juive du temps de Jésus le protocole des préséances, qui réglait la place de chacun dans la hiérarchie des gens en autorité, ainsi que le désir de faire partie du nombre des grands, avait tant d’importance. Ce protocole imprégnait en effet toutes les manifestations autant profanes que religieuses de la vie courante. Il y avait une hiérarchie, un ordre et des préséances à respecter partout: dans les réunions du sanhédrin, à la synagogue, dans les assemblées du Temple, dans l’administration de la justice, dans les places à table, dans le rencontre sur la rue, dans les marques de respect et les salutations à donner ...

Ce n’est pas sans raison donc que dans l’évangile de Marc (9, 30-37) les compagnons de Jésus font des plans, cherchent à établir des manouvres, planifient des stratégies qui leur permettront de s’asseoir, eux aussi un jour, dans la cour des grands de ce monde.

Malgré le fait qu’on l’appelle «Rabbi», c’est au petit peuple sans voix et sans droits que Jésus appartient, c’est parmi les gens simples et pauvres qu’il est né; c’est avec eux qu’il se tient. Ce sont les gens mal-vus et mal-aimés qu’il fréquente presque exclusivement. C’est une société d’exploités, d’exclus, de gens sans valeur, sans dignité, sans protection. Mais c’est son peuple! Dans la pensée de Jésus, cependant, ce peuple de petits est composé de gens qui sont grands, d’une grandeur qui n’est pas comparable à la grandeur des gens de ce monde. Ils sont grands parce qu’ils sont tous des enfants de Dieu, parce qu’ils sont aimés de son Père, parce qu’ils ont un grand cœur, parce qu’ils sont intérieurement libres, donc prêts à changer, à évoluer; parce qu.ils possèdent un potentiel extraordinaire, des aspirations, des attentes …de sorte que Jésus reconnaît finalement en eux, les authentiques bâtisseurs de Royaume de Dieu sur terre.

De sa vie, en contact avec ce peuple et en contact avec son Dieu, Jésus a découvert que la vraie grandeur de l’homme n’est pas dans le pouvoir qu’il exerce, mais dans l’amour qu’il donne; que l’homme est grand non pas lorsqu’il commande, mais lorsqu’il aime; non pas lorsqu’il est en autorité, mais lorsqu’il est en amour.
Jésus a compris que toute la grandeur de l’être humain consiste dans sa capacité non pas à se faire distant, mais à se faire proche de son semblable et à être pour lui une source de joie et de bonheur. Pour Jésus l’homme est grand non pas lorsqu’il pense avoir plus de droits que les autres, lorsqu’il se croit supérieur aux autres, plus puissant, plus important que les autres, mais lorsqu’il se reconnaît égal aux autres, capable d’empathie, d’attention, de compassion, de respect, d’écoute, de disponibilité, de solidarité et de service. Pour Jésus l’homme est grand et vraiment accompli dans son humanité, non pas quand il vit pour soi, mais quand il vit et il existe pour les autres.

Dans son Royaume, c'est-à-dire, dans la communauté de ses disciples, les valeurs sont donc renversées: les premières places, les honneurs, les applaudissements sont réservés à ceux et celles qui son capables d’occuper les dernières places, afin de mettre ainsi en valeur la présence de leurs frères plus petits.

Dans ce texte de Marc, Jésus est présenté comme un maître qui instruit ses apôtres sur le sens et le contenu de l’authentique grandeur humaine:«Vous voulez être grands? Devenez petits! Vous voulez être les premiers? Soyez les derniers! Vous rêvez d’autorité, de noblesse, d’admiration, de prestige? Transformez-vous en serviteurs de tous, accueillez tous et répandez autour de vous tendresse et amour ! Car c’est ainsi que mon Dieu agit; et c’est seulement ainsi que vous lui rassemblerez et que vous serez considérés ses véritables enfants. Et ainsi vous serez vraiment grands aux yeux des hommes et aux yeux de Dieu!».

Et pour donner plus d’impact au contenu de son enseignement, Jésus le visualise et le dramatise pour ainsi dire, par la présence d’un enfant qu’il serre tendrement dans ses bras: Voyez vous cet enfant? - nous dit-il, il est l’incarnation et le symbole de tous ceux qui sont petits, faibles, démunis, insignifiants, qui n’ont pas d’importance, qui ne sont pas dignes d’attention, qui se trouvent dans une situation d’infériorité, de vulnérabilité et de dépendance totale. Eh bien, faites comme moi, ouvrez-leur vos bras, serrez les contre votre cœur, accueillez dans votre vie tous ceux que cet enfant représente. Soyez pour eux des frères aimants et des serviteurs attentifs. Vous serez grands et importants seulement si, dans votre vie, vous êtes capables de donner la première place à ceux qui ne sont ni grands ni importants. Alors vous serez une source d’émerveillement et d’attraction pour tous; vous serez des exemples fascinants d’une humanité accomplie. Et ceux qui vous entourent découvriront en vous la grandeur même de cœur de Dieu.


BM

samedi 12 septembre 2015

Une société de sourds-muets


(Marc 7, 31-37)


Les récits de l’Évangile que la liturgie nous propose chaque dimanche ne sont généralement pas des récits qui ont comme but de nous renseigner sur ce que Jésus a fait à une certaine période de sa vie. Si tel était le cas, le contenu des Évangiles n’aurait aucun intérêt ni aucune valeur pour nous. Car, finalement, en quoi le fait qu’un individu ayant vécu il a deux mille ans et ayant accompli certaines guérisons ou agi d’une certaine manière plutôt que d’une autre, peut bien me concerner ? Les récits des Évangiles ne nous intéressent pas pour leur valeur historique, mais pour leur valeur symbolique. Cela signifie que les récits des Évangiles nous intéressent non pas tant pour ce qu’ils nous révèlent, mais pour ce qu’ils nous cachent; non pas tant à cause de ce qu’ils nous racontent ouvertement et directement (leur contenu matériel ou littéraire), mais par ce qu’ils nous disent indirectement. En d’autres termes, dans les Évangiles, ce n’est pas l’histoire ou l’anecdote qui compte, mais le sens, la signification ou le message que l’Évangile, à travers le conte en question, veut nous transmettre. C’est donc ce sens et ce message qu’il est important de découvrir.

L’Évangile d’aujourd’hui nous amène, avec Jésus, en plein territoire de la Décapole, c’est-à-dire en cette région très peuplée à l’Est de la Palestine (au sud de la Syrie actuelle), où il existait au temps de Jésus, une vingtaine de villes assez proches les unes des autres, avec une grosse population et une intense activité commerciale. On est en plein cœur du commerce, de l’activité humaine et de la vie économique. On est donc loin de la paix, du calme et de la relative tranquillité de la Galilée et de son beau lac.

L’Évangile veut donc nous plonger dans un climat qui nous est familier et créer un scénario que nous connaissons très bien, parce qu’il constitue le milieu dans lequel se coule le quotidien de notre vie: la hâte, la course, les rythmes frénétiques, les queues sur les routes, le trafic exaspérant, le bruit, la confusion, l’énervement, la préoccupation constante du profit et du succès, la hantise de l’efficacité, l’urgence de la productivité, la nécessité de la consommation, la violence et le harcèlement physique et psychologique au travail, la fatigue chronique, la dépression, l’indifférence générale, la méfiance, la peur des autres, d’où la fermeture sur nous-mêmes, l’insensibilité, l’incommunicabilité, le dialogue de sourds...

Oui, c’est vrai! Dans notre vie quotidienne, à cause des conditions de vie que nous avons créées; à cause du style de vie que nous avons adopté; à cause du type de relations que nous avons établies et du type de société que nous avons inventé, nous sommes tous devenus des aveugles, des sourds et des muets. Nous ne voyons plus, nous n’entendons et n’écoutons plus, nous ne dialoguons plus. N’est-il pas vrai que, dans un certain sens, nous sommes tous devenus des sourds? Nous allons toujours tellement vite, nous sommes toujours tellement pressés, nous sommes tous tellement absorbés par nos affaires, que nous avons perdu la faculté et donc la capacité d’écouter. Nous ne savons plus écouter personne: ni nous-mêmes, ni les autres, ni (la voix de) Dieu.

Nous ne savons plus écouter nous-mêmes: nous n’avons plus le temps de nous mettre à l’écoute des besoins de notre intelligence et des aspirations profondes de notre cœur et de notre âme. Nous vivons toujours à la surface ou à l’extérieur de notre être et jamais à l’intérieur. Et, à cause de cela, nous ne nous connaissons pas; nous sommes des étrangers dans notre propre maison. Nous ne sommes jamais descendus à l’intérieur de nous-mêmes, dans ces profondeurs de notre être où se cachent pourtant nos vraies richesses et qui contiennent la meilleure partie de nous-mêmes. À cause du bruit qui nous entoure, à cause du temps et de la disponibilité qui nous manquent, à cause du fait que notre attention est toujours détournée de l’essentiel et toujours tournée vers le contingent et le matériel, nous sommes tous devenus sourds aux appels qui surgissent de l’intérieur de nous-mêmes et qui voudraient nous convier vers une forme d’existence plus accomplie car plus humaine et plus spirituelle.

Nous ne savons plus écouter les autres. Soyons honnêtes, nous sommes devenus une génération de sourds! Nous entendons, peut-être, mais nous n’écoutons plus. Combien de pères sont capables de s’asseoir, de s’arrêter pour écouter vraiment leurs enfants ? Combien de parents sont des sourds devant leurs grands adolescents, qui pourtant leurs parlent à travers les gestes de leur insécurité, de leurs bêtises et de leurs maladresses; ou à travers le langage indirect et souvent inconscient de leurs insatisfactions, de leurs rebellions, de leurs besoins, de leurs cris, de leurs larmes !

Nous n’écoutons que ce qui nous intéresse et quand cela peut nous apporter des profits ou des avantages. Mais nous avons perdu la capacité d’écouter avec le cœur. Ce qui signifie que nous avons perdu la capacité de l’écoute positive, gratuite; de l’écoute amicale, désintéressée; de l’écoute amoureuse, faite pour faire plaisir à l’autre, pour accueillir l’autre, pour valoriser l’autre, pour nous enrichir de l’autre. Ainsi écoutons-nous vraiment notre conjoint, nos amis, nos collègues de travail, nos vieux ? Et quand je dis “écouter” je veux dire “prêter attention” à ce qu’ils disent. assimiler ce qu’ils disent, faire descendre non seulement dans notre esprit mais surtout dans notre cœur leurs paroles, afin que celles-ci puissent susciter une réaction de sympathie, de chaleur et de participation sincère de notre part. Sans cela nos conversations ne sont que des monologues ou des dialogues entre des sourds. Savoir écouter est, en fin de compte, une des plus belles façons d’aimer. La capacité d’écouter est une qualité tellement rare aujourd’hui, que les individus qui la possèdent et qui ont réussi à la développer, deviennent les personnes les plus recherchées et les plus aimées.

Et puisque nous ne savons plus écouter, voilà que nous sommes aussi devenus incapables de parler, de communiquer et de dialoguer. Nous sommes des sourds qui parlent à d’autres sourds. Donc nous parlons inutilement. Nous parlons, mais souvent pour ne rien dire. Et cela non seulement parce que, vivant à la surface de nous-mêmes, nous manquons de profondeur et donc nous n’avons rien de vraiment intéressant, important et valable à dire, mais aussi parce que notre interlocuteur est trop pressé et trop distrait pour saisir et intérioriser ce que nous disons. Nous parlons de la pluie et du beau temps. Nous parlons pour proférer des banalités. Nous parlons pour remplir avec du bruit des silences autrement gênants. Nous parlons sans rien dire. Sans nous en rendre compte, nous sommes devenus muets !

Alors, qui d’entre nous pourra dire ne pas avoir besoin de guérison? Nous sommes tous ce sourd-muet présenté à Jésus pour qu’il le guérisse. Mais Jésus sait que pour lui rendre ses facultés, la seule cure valable est celle de sortir ce malheureux de l’environnement bruyant et accablant de la Décapole; de l’éloigner du stress de la vie; des contraintes du travail et de l’activité; de lui donner la possibilité de ralentir les rythmes et les cadences infernales qui rongent de l’intérieur sa vie et l’empêchent de “s’ouvrir” au plaisir de l’écoute et du dialogue avec le monde qui l’entoure. Voilà pourquoi dans le texte évangélique de Marc il est dit que pour guérir le sourd-muet, Jésus dut l’amener à l’écart, loin de la foule, dans un lieu solitaire. Seulement alors le malade a été capable de “s’ouvrir” et d’entendre finalement, dans l’émerveillement et la joie, la mélodie du monde autour de lui, ainsi que l’extraordinaire nouveauté du message de Jésus.

BM