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samedi 24 mars 2018

MOURIR POUR VIVRE…


(5e dim. carême, B - 2018 - Jn 12, 20-23)


            Avec cette parabole du grain de blé, Jésus veut nous confronter à une attitude qui a constitué une caractéristique essentielle de sa vie et qui, dans sa pensée, acquiert aussi valeur de loi universelle pour quiconque cherche à donner sens et plénitude à son existence : le grain de blé semé dans la terre doit «mourir» pour porter du fruit. Dans cette image utilisée par Jésus le mot clef est le verbe «mourir».

            Accepter cependant de mourir a du sens seulement s’il existe une raison valable, noble et grande pour le faire; seulement si la mort devient un principe ou une cause de salut et de vie pour un autre ou pour d’autres. Jésus ne voulait pas mourir. Il voulait cependant que sa vie et son action servent à apporter un peu plus de vie, de santé, d’espoir, et de bonheur au pauvre monde qui l’entourait. Il voulait que le grain de blé de sa vie devienne un bon pain offert à l’appétit de tous les affamés de la terre. Et c’est à cause de cela qu’il n’a pas cherché à se soustraire à la mort.

            Cette parabole du grain de blé qui doit nécessairement se décomposer pour devenir ce qu’il est destiné à être, énonce alors une loi universelle qui s’applique aussi à tout humain qui veut vivre en accord avec sa nature : nous tous devons mourir à quelque chose ou à plusieurs, si nous voulons que notre vie devienne belle, bonne, féconde, attachante, heureuse et réussie.

            Nous devons mourir, à nos instincts mauvais, à nos vices, à nos dépendances asservissantes, à notre égoïsme, à notre cupidité, à l’esclavage de l’avoir, du posséder, de l’accumuler. Nous devons mourir à l’illusion de la satisfaction, du bien-être et du bonheur par la consommation impulsive et démesurée. Nous devons mourir à l’angoisse du pouvoir, qui nous pousse à vouloir être supérieurs aux autres, plus performants que les autres, plus importants et plus puissants que les autres …

Jésus ici nous avertit que si nous ne réussissons pas à faire mourir en nous cette partie obscure et sinistre de notre nature, jamais l’homme nouveau, libre et transfiguré que nous sommes appelés à devenir, ne verra la lumière; jamais une meilleur forme d’humanité ne pourra naître en notre monde.

            Cette loi du mourir et du lâcher prise est une loi nécessaire à notre croissance humaine et spirituelle, si nous voulons grandir en conformité avec l’esprit de Dieu, tel que l’Homme de Nazareth nous l’a montré agissant dans sa vie. Ainsi ce texte d’évangile veut-il nous faire comprendre qu’il faut que, quelque part, nous fassions taire ou que nous éliminions ce qui vient de notre esprit, pour faire place à l’esprit qui vient de Dieu. Il faut que notre ego meure et avec lui notre vision et notre perception limitée, opportuniste, égoïste, matérialiste de la réalité, pour qu’elles soient remplacées par ce regard d’amour «divin» posé sur toute chose qui fait jaillir en nous la source du soin, du respect, de la compassion, de la tendresse et du don de nous-mêmes qui procurent du sens, valorisent et accomplissent notre vie.

            C’est en cela que consiste la grande loi de la vie et de sa bonne réussite. La vie, tu l’as reçue non pas pour la retenir, mais pour la donner; non pas pour la posséder pour toi tout seul, mais pour la partager. Finalement, cet évangile nous révèle que, sur l’échiquier de la vie, il faut jouer la partie du «qui perd, gagne». Et l’ironie dans tout cela, c’est de constater que celui qui ne veut mourir à rien (c’est à dire qui ne veut pas changer, se rénover, se corriger , évoluer , croître…) est déjà un mort-vivant. En effet, il ne réussira jamais à découvrir et à développer tout le potentiel de bien, de bonté, de générosité,  d’empathie et de don de soi que Dieu a déposé dans les profondeurs de son cœur.

Comme le grain de blé, nous devons tomber à terre et mourir, pour porter du fruit.. Tomber à terre et mourir signifie nous salir les mains et nous confronter avec la dure réalité de la vie; payer de sa personne; trouver les solutions adéquates aux problèmes concrets de l’existence; porter aide et soulagement à ceux qui se trouvent dans le besoin, la détresse, l’injustice, l’oppression. En tant qu’humains et chrétiens, nous n’avons pas le droit de dire à ceux qui souffrent (comme on le faisait souvent autrefois dans nos églises): « Endurez, acceptez vos maux et vos épreuves avec foi et patience; la vie est une vallée de larmes. Jésus aussi a souffert sur la croix ; souffrez, vous-aussi accumulerez des mérites devant Dieu qui vous donnera votre récompense au ciel ... ».

Tomber à terre comme le grain de blé signifie renoncer à se voir placés plus haut que les autres; à se croire supérieurs aux autres; plus grands, plus importants, avec plus de droits et de privilèges que les autres.

Tomber à terre comme le grain de blé signifie accepter le caractère vulnérable de notre nature, nécessairement affectée par le terreau humain dans lequel elle a été plantée. Cela signifie donc être capable d’accepter notre sensibilité, nos moments d’obscurité, d’égarement, d’angoisse, de peur et de pleurs, ainsi que nos heures d’extase, de joie et de bonheur.

            Tomber à terre comme le grain de blé signifie aussi être capable d’apprivoiser et de se pacifier avec nos faiblesses, nos limites, nos défauts, nos erreurs, nos fautes, comme étant des blessures et des entailles que la vie forme inévitablement dans la paroi de notre vécu quotidien, mais qui peuvent cependant servir de tremplin ou de point d’appui pour grimper à un niveau plus élevé de notre existence.

Il y des personnes qui ne vivent que pour elles-mêmes, Elles sont une graine qui meurt, mais qui ne porte pas de fruit. Leur existence n’est d’aucun aide, d’aucun soutien à personne. On ne peut rien apprendre, ni rien prendre d’elles. Elles sont comme une semence qui ne s’est jamais enracinée ; qui n’a jamais acquis de la profondeur, qui n’a jamais germée, jamais grandie, jamais mûrie, qui est restée stérile, ne donnant donc aucun fruit.

            Il y a des individus qui ont toujours vécu à la surface, au ras du sol, sans aucune spiritualité. Ils n’ont acquis ni aucune sagesse, ni aucune profondeur. Ils n’ont jamais regardé en haut, mais toujours en bas. Ils n’ont jamais essayé de percer aucun mystère. Ils n’ont jamais aperçu d'anges. Ils n’ont jamais ressenti la nostalgie du paradis perdu ou d’un monde habité par des esprits pleins de grâce, d’amour et de bonté. Ils n’ont jamais entendu les arbres parler. Ils n’ont jamais eu l’impression que, dans les champs et les jardins, les fleurs s’habillent de leurs plus belles couleurs pour se séduire et se faire la cour. Ils n’ont jamais remarqué que sur les arbres et dans les buissons les oiseaux se gazouillent des chansons d’amour. Pour ces gens le monde est sans poésie, sans charme, sans ouverture, sans fantaisie, sans esprit..

            Ces gens vivent dans un monde gris, opaque, fermé et insignifiant. Ils passent le meilleur de leur temps à travailler, à gagner de l’argent, à faire carrière, à gérer leur commerce, à bichonner leur voiture, à mettre en ordre leur garage, à faire des réparations à leur maison; à apporter des améliorations à leur chalet ; à cuisiner des gueuletons avec les amis; à faire des voyages ; à tuer le temps devant la PlayStation ou la TV; à commérer avec les copains et les copines sur les réseaux sociaux ; à acheter et accumuler toute sorte de gadgets et bébelles inutiles, question d’être à la fin pointe de la technique et du progrès et de ne pas se sentir inférieurs aux copains… Il n y a rien de mal en tout cela ! Mais le mal c’est de ne mettre la valeur de sa propre vie qu’en cela !

Il est dramatique de constater qu’il existe un grand nombre de personnes (j’oserais presque dire qu’il s’agit de la majorité) qui passent à travers la vie sans jamais se douter qu’il est possible de donner une profondeur spirituelle à leur existence. Ces individus n’auront peut-être fait aucun mal, mais ils n’auront fait aucun bien. Ils mourront tristes, en laissant le monde comme ils l’ont trouvé, sans aucune trace de leur passage. Ils n’auront apporté aucune amélioration. Ils n’auront construit rien de durable ni de valable. Ils auront vécu inutilement, en gaspillant leur temps, en remuant de l’air, en s’agitant pour des banalités. N’ayant vécu que pour eux-mêmes, ils mourront sans deuil, sans regrets, sans larmes de la part de personne.

Ils auraient pu devenir un arbre majestueux pour le bonheur et la satisfaction de beaucoup; mais ils ne se sont pas préoccupés de le faire grandir. Ils ont eu peur des problèmes et des complications que cela pouvait leur procurer. Ainsi l’arbre de leur vie est-il resté stérile. Il n’a jamais produit les fruits qu’il aurait pu donner.

« Ne soyez pas de ces gens là » - nous avertit le Maître dans l’évangile de ce dimanche -  « comme moi j’ai fait avec ma vie, vous aussi donnez la vôtre ! C’est la seule façon que vous avez de transformer votre existence transitoire en une source de satisfaction et de bonheur éternels. »

Bruno Mori - mars 2018