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lundi 25 février 2013

Transformation par la présence de Dieu en nous


L’AMOUR QUI TRANSFIGURE

Cette scène de la transfiguration sur la montagne est le point central de la révélation de Jésus comme fils de Dieu; mais c’est un récit que l’on ne peut comprendre que si on l’approche avec les yeux intérieurs de la foi. Le but de cette mise en scène fantastique montée par les évangélistes est éminemment didactique: impressionner et donc convaincre les disciples sur l’intensité de la présence de Dieu en l’homme de Nazareth. Quelle meilleure définition de Dieu en nous si non cette lumière qui jaillit de notre visage et de notre cœur et qui nous permet de faire l’expérience d’un profond bonheur ?  Ce récit de la transfiguration veut mettre en relief que Jésus est l’homme de Dieu, celui qui est entré dans le secret de Dieu, celui qui a saisi la vérité et la réalité de sa présence en notre monde et qui en vit  totalement. Et cela au point que Dieu est devenu pour ainsi dire sa seconde nature; il ne vit qu’en Lui, de Lui et pour Lui; il ne pense qu’à Lui;  il n’agit que poussé par son Esprit. Pour l’homme de Nazareth, Dieu est le centre de son monde. Il est le soleil dont la lumière pénètre tout, pour donner à tout croissance, beauté et vie; l’énergie qui soutient tout et qui est à l’origine de tout. C’est pour cela que pour Jésus Dieu est Père; c’est pour cela qu’il se sent son fils.

 Comment peut-on décrire une condition humaine dans laquelle on se sent comme soulevé de terre à cause de la présence permanente de Dieu? On ne peut la décrire que comme une existence proche du ciel, élevée, enveloppée de lumière, transfigurée par un  bonheur tellement intense qu’il ne peut que se déverser et transparaître dans toute la personne, dans ses yeux, dans les traits de son visage et dans tout son comportement. C’est de cette façon que l’évangéliste veut présenter Jésus. En cet homme Dieu vit et se manifeste à nous et, à travers lui, il éclaire et réjouit notre monde triste et sombre. Cet homme est un être venu du ciel et en compagnie duquel on se sent «comme au ciel» et duquel on ne voudrait plus s’éloigner.

L’évangéliste cherche donc à décrire comment un être humain pourrait apparaître aux yeux de ceux qui l’entourent, lorsqu’il vit en Fils de Dieu. Il veut imaginer comment pourrait apparaître une vie humaine vécue dans un rapport d’intimité, d’abandon et de confiance avec Dieu. Elle ne peut être qu’une vie  transfigurée par la joie et le bonheur de sentir que rien ne peut désormais l’arracher ou la séparer de cet Amour qui la pénètre, l’enveloppe et la porte de toute part. Et puisque Jésus est l’homme qui vit immergé en Dieu, voilà qu’on lui attribue la capacité d’expérimenter déjà dans son corps, ici et maintenant, ce bonheur total qui le transfigure en en être de ravissement et de lumière.

Posséder Dieu, se sentir enveloppé par son amour, vivre comme des personnes aimées et  dégageant de l’amour autour d’elles, voilà le secret d’un être transfiguré! Voilà la recette d’un bonheur authentique, qu’aucune épreuve, ni aucune souffrance ne peut altérer ou assombrir. Même dans le défigurement de sa passion  et l’abjection de sa  mort  imminente, Jésus est et restera un être transfiguré, car toujours habité par l’amour et la présence de Dieu. Même après sa mort il sera toujours pour tous ses disciples un être rempli de vie et de lumière.

            Ce récit veut alors nous dire que, en Jésus, nous assistons au miracle de l’amour qui transfigure et à la métamorphose opérée par le bonheur dans la vie d’une personne. Je me demande si la transfiguration de Jésus est un phénomène réel ou si elle n’est pas plutôt une sensation subjective des disciples qui regardant Jésus  dans un de ses moments de prière, de communion avec Dieu, ont eu la chance de percevoir et de contempler  pour un bref moment son visage transformé par l'extase et le bonheur de son intimité avec le Père. N’avez-vous pas déjà remarqué qu’une personne ne révèle son véritable aspect, son vrai  visage que  dans les moments de joie profonde, de bonheur intense, d’extase des sens et de l’esprit ? C’est dans ces brefs instants que la beauté réelle de cette personne, cette beauté du cœur souvent cachée, ce que cette personne est vraiment au plus profond d’elle même et aux yeux de Dieu, c’est dans ces brefs moments de ravissement que tout cela surgit à la surface. Et c’est habituellement une révélation extraordinaire ! Une sorte de miracle s’opère: comme un diamant frappé par le soleil, ce visage  rayonne de mille éclats et devient ravissant  de beauté. L’irruption du bonheur, causé souvent par l’expérience de l’intimité et de l’amour, fait ressortir le vrai visage d’une personne qui est normalement altéré, faussé, caché par le masque utilisé pour remplir le rôle et pour jouer le personnage dans le déroulement  normal de la vie.

Il est donc vrai qu’il y des visages qui sont «resplendissants comme le soleil»; des visages qui sont lumineux. Il est vrai qu’il existe des moments où nous découvrons dans les yeux de certaines personnes, un tel amour, une telle confiance, une telle intensité de sentiments, qu’ils nous font penser à l’eau profonde d’un lac où la beauté du ciel se réfléchit. Il y a des personnes dont le visage est tellement empreint de bonté et réfléchit une telle paix que l’on ne peut pas s’empêcher de penser qu’elles sont des cadeaux du ciel et des manifestations tangibles d’un Amour qui laisse un peu partout des traces de sa présence. C’est ainsi, je pense, que Jésus a dû  être perçu par ses contemporains.

Témoins de la transfiguration et du bonheur de leur Maitre, les disciples, nous dit l’évangile, sont tellement ravis qu’ils voudraient arrêter le temps et éterniser cette expérience de pur enchantement. Ils sont heureux à  cause du bonheur de leur Seigneur. Car le bonheur est contagieux, il déborde et il se répand comme la lumière du soleil. C’est seulement dans le bonheur de l’autre que notre bonheur trouve sa plénitude et sa réalisation. Alors que la souffrance est souvent «égoïste», car elle nous replie sur nous-mêmes et nous ferme  aux autres à cause de la préoccupation, de la peur et de l’angoisse qu’elle fait peser sur notre existence; le bonheur est désintéressé, ouvert, prodigue, il cherche à se manifester et à se communiquer; et lorsqu’il est authentique, il devient une source de salut pour tous. On dit souvent que la souffrance rapproche de Dieu. C’est parfois vrai. Mais je pense que c’est surtout le bonheur que nous ressentons dans notre cœur qui est le signe le plus frappant de la présence de Dieu dans notre vie.
 Drewermann disait qu’on de ne devrait pas parler de personnes sans Dieu et de personnes qui croient en Dieu, mas plutôt de personnes heureuses et de personne malheureuses, c’est-à-dire de personnes qui marchent ensemble sur la route qui mène à Dieu, mais qui se trouvent à une distance différente d’elles-mêmes et de leur Origine.

Cet évangile finalement nous transmet un enseignement bien simple: c’est la présence de Dieu en toi qui finalement transfigure ta vie et fait de toi un être rayonnant de bonté, de beauté et de lumière. C’est le cœur de la bonne nouvelle que le Maitre de Nazareth nous a laissé.  

MB

vendredi 15 février 2013

Dieu dans notre quotidien


JESUS MONTA DANS LA BARQUE DE SIMON
( Luc 5, 1-11)

Lorsqu’autour des années 85 Luc écrivait son évangile, les communautés chrétiennes étaient déjà bien établies dans les principales villes du bassin de la Méditerranée. Luc  écrivait son évangile pour assurer la formation et l’instruction de ces jeunes communautés et pour les introduire plus en profondeur dans la compréhension de la personne et de l’œuvre de Jésus de Nazareth. Tout ce qu’il raconte doit donc être lu et interprété en gardant à l’esprit cette perspective et revu avec des lunettes plus tardives. Les scènes que Luc décrit, les faits qu’il raconte, ne sont donc pas des chroniques d’actualité journalistique rédigées pour satisfaire la curiosité des lecteurs, mais des enseignements sous forme de contes, de paraboles, d’images et de symboles dans lesquels il insère un sens que le lecteur doit savoir découvrir afin de s’approprier de la richesse du mystère de Dieu et de la bonne nouvelle du Maitre de Nazareth.

Essayons donc de voir quel est le message que Luc veut nous transmettre dans le texte que nous venons de lire. Même si tout le récit semble construit autour de la personne de Simon, Luc n’a certainement pas l’intention de faire ici l’apologie du futur pape, comme cherchent à nous le faire croire la majorité des commentaires  traditionnels. Simon est certes ici le protagoniste principal, mais il est surtout une figure type (le prototype) qui, d’après l’évangéliste,  nous représente tous. Jésus prêche à la foule, mais Simon n’est pas de ceux qui écoutent. De toute évidence, il a d’autres choses plus importantes à faire: il a une famille, il a son travail, il a une entreprise de pêche à rentabiliser, avec toutes les contraintes que cela implique. Simon est donc ici l’homme pragmatique, réaliste, que nous sommes tous. Il est l’homme qui a l’habitude de se confronter aux difficultés et aux problèmes de la vie. Il sait par expérience que la vie est dure et parfois même cruelle et qu’elle ne fait de cadeaux à personne et que l’on n'a rien sans efforts, sans peine, sans sacrifices et que le peu de bien-être, d’aisance et de confort que l’on réussit à se procurer, on a dû le gagner à la sueur de son front, car rien ne nous arrive déjà tout cuit et par miracle du ciel. On a beau avoir des élans mystiques; on a beau désirer partir en retraite dans un lieu calme et solitaire pour écouter les belles paroles de Jésus; on a beau vouloir penser au salut de son âme, mais lorsqu’on a une grosse famille sur les épaules et que l’on vit uniquement du maigre profit de la pêche, tout ce qui compte vraiment c’est le travail; les élans religieux apparaissent bien secondaires, car on sait que si on ne s’éreinte pas à la besogne, ce ne sera ni Dieu ni la prière qui vont remplir de poisson les cales de notre bateau.

Simon donc ne semble pas ici un homme particulièrement religieux. Il a une famille à nourrir, des enfants à élever et a éduquer, un travail exigeant, une maison à payer… vraiment, il n’a pas de temps à consacrer à Dieu et à la religion. Certes, la religion c’est bien, mais elle ne fait pas vivre sa famille! Parfois il lui arrive de penser que la religion est un loisir pour des gens riches. Bien sûr, il croit en Dieu, il cherche  à le garder de son coté, mais il ne réussit pas à le faire passer avant sa famille et son travail  Bien sûr, les prêtres lui disent que Dieu est plus important que tout et qu’on doit l’aimer par-dessus tout, mais personne ne lui fera croire que Dieu est plus important que sa famille et qu’il doit l’aimer plus que sa femme et ses enfants.

Ainsi dans l’évangile, Jésus a beau prêcher aux foules la Parole de Dieu, Simon n’a pas le temps de l’écouter et il reste sur le bord  du lac à laver ses filets pour la corvée de la nuit. Simon avait la sensation que le fait d’être pris dans les engrenages de la vie concrète et de baigner dans les contraintes d’une activité professionnelle absorbante, lui enlevait à jamais la possibilité de se sentir satisfait et en paix  avec lui-même et avec Dieu. Simon, à cause de ce travail qui le prenait et l’absorbait du matin au soir et encore pendant la nuit, sans lui laisser le temps de faire autre chose, était arrivé à la conclusion de vivre loin de Dieu et que donc Dieu lui en voulait, que Dieu n’était pas satisfait de lui. Il avait l’impression d’être une mauvaise personne, un croyant  minable et un  misérable pécheur. Il dira en effet  à Jésus: « Éloigne-toi de moi, car je suis un  pauvre pécheur! » 

Simon avait ainsi développé la conviction que la religion et lui ça n’aurait jamais pu faire bon ménage; que c’étaient comme deux choses incompatibles et que tant qu’il aurait continué à faire cette vie, jamais Dieu aurait pu rentrer, pour ainsi dire, dans sa barque.  Et c’est à ce moment  précis de la réflexion de Simon que le texte évangélique laisse apparaître toute la magnifique et surprenante nouveauté de son message. Quoique Simon puisse penser et contre  toutes ses attentes, c’est pourtant dans sa barque que le Seigneur entre. Et  c‘est cela qui, selon Luc, constitue l’incroyable nouveauté du message chrétien et qui place le christianisme aux antipodes de toutes les autres croyances et de toutes les autres  religions.

En faisant rentrer le Seigneur dans la barque de Simon, Luc veut nous faire comprendre que le lieu de la présence de Dieu n’est pas le ciel, mais la vie concrète de l’homme; que Dieu est là où aucune religion ni aucun clerc de l’Église ne penserait le chercher. Ici Luc, interprétant l’esprit de Jésus, proclame que Dieu n’est pas dans les temples, les églises, les sanctuaires, les églises, le culte, les rites, les prières, les pratiques des religions, mais dans la barque de Simon. La barque est ici le symbole du travail de Simon, de sa labeur, de sa fatigue, de sa vie dure, de ses soucis, des ses problèmes, de ses déceptions, mais aussi de ses intérêts, de ses projets, de ses rêves, de son courage, de son dévouement, de ses attachements,  de ses amours. Si toute sa vie est dans cette barque et si c’est dans cette barque que le Seigneur a choisi de rentrer, cela signifie que toute la vie de Simon est habitée par la présence de Dieu.

 Luc veut nous dire qu’il n’y a pas une réalité qui est religieuse et une réalité qui est profane, mais que toute la réalité est tissée dans la trame de la présence de Dieu. Dieu est vie et il est présent là où la vie explose, se manifeste, se développe; là où il y lutte pour la vie. Il est donc mêlé à tous nos combats, il rehausse de sa présence tout les aspects de notre routine quotidienne: quand nous cuisinons, quand nous mangeons, quand nous travaillons, quand nous nous occupons de nos enfants, quand nous fêtons, quand nous dansons, quand nous aimons, quand nous tombons, quand nous souffrons, quand nous mourrons….Dieu est là. Dieu aime nos combats, nos efforts, nos engagements, tout ce que nous faisons pour vivre, pour réussir, pour être heureux, pour bâtir notre famille, notre maison, notre situation humaine, un monde meilleur autour de nous. Dieu aime cela plus que nos attitudes pieuses, nos dévotions et nos prières. La présence de Dieu en ce monde éclate plus dans le sourire spontané; dans un geste d’amour gratuit, dans les traits délicats d’un visage d’enfant, dans la mélodie d’un chant d’oiseau, dans la beauté d’un cerisier en fleur…que dans l’ostentation pompeuse d’une messe pontificale. Simon n’a donc pas à s’inquiéter de la qualité de sa religiosité. Dans sa  dure besogne quotidienne, il est plus proche du  Seigneur que tous prêtres qui offrent à Dieu des sacrifices sur l’autel!

Une fois que nous avons été amenés à saisir cela, si nous ouvrons notre cœur et nous assumons l’attitude de l’émerveillement, de l’accueil et de la confiance, alors disparaitra aussi la banalité de notre quotidien. Notre quotidien se transfigurera en signe de cette divine présence: tout sera beau, précieux, plein de sens; tout deviendra signe et expression d’un Amour qui nous suit, qui nous porte, qui nous berce et qui, pourtant, nous dépasse, mais qui donne à notre existence une fécondité et une richesse incroyables. Dans cette confiance et dans cet abandon au mystère de cette divine Présence, nous devenons capables de remplir notre barque de «poissons», alors même que la pêche paraissait humainement impossible.

            Si je suis convaincu que Dieu est dans ma barque, je n’ai pas peur de la diriger vers le large et de défier les tempêtes et les dangers de la haute mer. Je suis même prêt à oser l’impossible. Si Dieu est avec moi, si j’agis sous son regard, je sais que tout ce que je fais ne sera pas inutile et que cela servira peut-être à faire de moi un «pêcheur d’homme», c'est-à-dire quelqu’un capable de sauver les autres, en les aidant à «sortir vivants» des eaux dangereuses de la détresse, de la peur et du mal. Je deviendrai à mon tour un «sauveur»  à l’image de mon Maitre.


MB

vendredi 8 février 2013

Jésus, une autorité qui libère


On était frappé par son enseignement, car il enseignait en homme qui a autorité

(Marc, 1, 21-28)

Le but principal de l’évangile de Marc est de nous présenter Jésus-Christ et de répondre à la question: «Qui est cet homme?»… Pour mieux nous faire connaître le Seigneur, Marc nous raconte une journée-type de Jésus. À travers ce procédé littéraire, il nous présente son activité tout en soulignant les traits essentiels de son ministère. Ce matin, nous lisons la première partie de cette journée.

Il semble que Marc ait voulu concentrer l’intérêt du lecteur sur l’enseignement de Jésus, puisque les mots "enseigner" et "enseignement" reviennent quatre fois en quelques lignes…Marc ne parle pas tellement du contenu de l’enseignement de Jésus, mais plutôt de l’impression qu’il fait sur ceux qui l’écoutent. Marc a écrit son évangile pour les chrétiens venus du monde gréco-romain et donc de culture hellénistique. Une culture  imbue de la pensée des grands maîtres des écoles philosophiques du temps. Ces chrétiens venus du paganisme avaient maintenant trouvé en Jésus de Nazareth leur nouveau maître, un maître qui n’a rien à envier aux autres maîtres car il possède une sagesse extraordinaire et un enseignement qui fait autorité. Marc ici veut justement mettre en relief cette facette ou cette caractéristique de la figure de Jésus: il est un maître inégalable, il possède une doctrine originale énoncée avec un aplomb et une assurance qui ne finissent pas d’étonner. Et c’est l’originalité et la nouveauté de cet enseignement proclamé avec autorité qui sont à l’origine de son succès auprès des foules, mais qui causeront aussi la perte du Maître.

Jésus enseigne avec autorité, tout simplement parce qu'il ne parle pas au nom de quelqu'un d'autre comme le faisaient les scribes qui avaient derrière eux toute la tradition, qui ne faisaient que répercuter, qu'interpréter, que redire. Jésus parle de Lui-même. Sa parole, ce n'est pas simplement le son que sa voix émet, sa parole c'est Lui-même. Dans sa parole il se livre lui-même. Il parle de ce qu’il a au cœur. Il communique sa pensée, le fruit de sa réflexion, le résultat de sa prière et de sa contemplation, sa vision intérieure, son expérience intime de Dieu. Jésus sait que sa parole est la sienne, certes, mais qu’elle est aussi l’écho d’une autre Parole recueillie dans la profondeur de son expérience de Dieu. Il dira «Ma parole, n’est pas la mienne, mais celle du Père qui m’a envoyé». À la limite, il pourrait être silencieux et son silence parlerait beaucoup plus que toutes nos paroles. Mais c'est beaucoup plus difficile d'écouter et de recevoir le silence que la parole, parce qu'il faut soi-même se taire et faire taire notre cœur et tous ces mots, toutes ces paroles qui montent sans cesse en lui. C’est pour cela que sa parole frappe, que sa parole secoue, bouleverse que sa parole surprend, que sa parole émerveille, que sa parole fascine, que sa parole fait toujours réagir ceux qui l’écoutent, que sa parole ne laisse personne indifférent, que sa parole opère toujours un changement. C’est une parole qui «porte» car elle nous «apporte» non des vérités à croire, mais une expérience de vie et qui, par conséquent cherche à susciter une autre façon de vivre, C’est cela le sens du mot autorité par lequel les contemporains de Jésus qualifiaient son enseignement. Dans la racine du mot autorité, tant en grec qu'en latin, il y a l'idée fondamentale non pas de soumettre, non pas de commander, non pas d'être supérieur à, non pas de donner des ordres, mais il y a ce sens fondamental de "faire grandir" (augere, en latin, augmenter), développer,  faire pousser, faire fructifier, faire féconder. C'est cela l'autorité de la parole de Jésus. Elle ne vient pas nous couvrir,  nous opprimer,  nous obliger, elle nous est adressée  pour nous permettre de grandir en humanité.

Chez les juifs, la synagogue était l’institution officielle de l’enseignement. Elle était le symbole de la doctrine et de l’orthodoxie religieuse proclamée par des maîtres reconnus, institués et patentés: les scribes. Elle était le haut lieu par excellence de la proclamation de la Torah, de son explication et de son interprétation. A cause de ses convictions, du contenu de sa pensée et du caractère de sa personnalité, Jésus a toujours eu avec la synagogue un rapport conflictuel. Dans les évangiles, chaque fois que jésus entre dans une synagogue, la guerre éclate. Il est contesté. Il est chassé; condamné à mort. C’est une façon de dire que la pensée de Jésus et celle des scribes ne sont pas compatibles.
La synagogue est une institution religieuse réservée aux gens de bonne classe; aux bons croyants, bien intégrés dans le système religieux, des gens sans problèmes, la " bourgeoisie" dirions-nous aujourd’hui, ceux qui acceptent les dogmes; respectent les règles et suivent les lois. Les autres en sont exclus.  Jésus par contre est l’homme de la rue, car il vit dans la rue. Il n’appartient à aucune classe spéciale Il n’est ni scribe, ni lévite, ni prêtre, ni clerc, ni  membre d’aucune hiérarchie religieuse. Il est un simple laïc qu’aucune norme, qu’aucune disposition de la religion officielle ne réussissent à encadrer ou à embrigader. Il professe une liberté souveraine vis-à-vis des contraintes et des obligations de la religion officielle. Il se sent autorisé à avoir des opinions personnelles, à critiquer les croyances, à revoir les interprétations conventionnelles de la Bible, à s’insurger contre la manipulation de la religion, l’exploitation des fidèles, à ressentir et à exprimer de l’aversion et de la colère contre les abus du pouvoir, l’hypocrisie des dirigeants, le formalisme de la pratique cultuelle, le grotesque de certaines habitudes et  de certains comportements religieux. Il déteste les titres, les insignes du pouvoir, les courbettes, les honneurs. Il n’accepte l’appellation de Rabbi, de «Maître» que les gens lui donnent, que parce qu'il a conscience qu’il est le seul à proposer un enseignement et à posséder une parole qui ouvre à la vérité sur soi, sur Dieu et sur le monde et qui libère et valorise ceux qui l’écoutent.
La parole des scribes n’a rien d’original. Ils ne font que répéter les versets de la Torah et les interprétations que d’autres en ont donné. C’est un enseignement conventionnel, stéréotypé, figé, qui n’encourage pas l’ouverture, mais le repliement et pour lequel l’idéal de la perfection est placé dans la stabilité des habitudes religieuses, dans la fidélité à la tradition et dans le respect des lois humaines attribués à la volonté de Dieu. Pour Jésus l’idéal de la perfection, c’est au contraire la capacité de se laisser interpeller, de se laisser questionner,  de se remettre en question, de s’ouvrir continuellement aux avances de la grâce de Dieu… il est dans la capacité d’évolution,  de marche en avant, de changement, de renouvellement, de transformation, de conversion.

 Le Dieu prêché dans la Synagogue est un Dieu exigeant, qui cherche des sujets soumis et dévots ; c’est donc une divinité qui cherche à asservir, à faire dépendre le salut de la «vertu», de la fidélité, de la soumission, de l’obéissance, de la «justice», c'est-à-dire de l’«honorabilité»  que chacun s’est bâtie. Le Dieu de Jésus est au contraire un Dieu qui ne cherche pas à s’imposer, mais à être aimé… et qui nous préfère indépendants, contestataires, rebelles, libres plutôt que dépendants ne serait-ce que des normes d’une religion. Le Dieu de Jésus nous préfère pauvres plutôt que riches, petits plutôt que grands, enfants plutôt qu’adultes, pécheurs plutôt que justes.
Le Dieu des scribes c’est un Dieu que l’on doit craindre et duquel on doit acheter la bienveillance et la protection au prix d’une observance scrupuleuses de sa volonté explicitée dans une infinité de normes et de préceptes qui finalement  écrasent le pratiquant et lui rendent la vie impossible. Le Dieu de Jésus est, au contraire, un Dieu qui n’exige rien, qui donne le premier, qui donne sans compter et duquel nous recevons gratuitement, avec une plénitude débordante, «grâce sur grâce» .
Finalement, c’est une conception totalement différente de Dieu qui oppose l’enseignement de la synagogue à l’enseignement du Maître de Nazareth. Dans la synagogue, nous sommes là pour Dieu et il nous écrase avec ses exigences. Dans la doctrine de Jésus, Dieu est là pour nous et il nous libère de nos peurs en nous faisant grandir dans la confiance amoureuse de sa présence. Dans la synagogue Dieu a besoin de nous (de notre soumission, de notre foi, de notre adoration, de notre culte) pour être Dieu, pour se sentir Dieu; dans l’enseignement  de Jésus, l’homme a besoin de Dieu pour devenir plus humain et pour connaître la source véritable de son bonheur.
De sorte que il n’y a plus grand chose en commun entre synagogue et Jésus; entre  l’enseignement de l’une et la doctrine de l’autre. La parole de Jésus introduit les germes d’une fermentation et d’une révolution que fera un jour éclater le vieux système religieux juifs. Jésus vient chambarder les anciens repères et en produire de nouveaux. Beaucoup de pieux juifs (scribes et pharisiens) se sont sentis totalement perdus devant l’originalité et la charge contestatrice de la doctrine de Jésus. C’est la constatation que Marc met sur la bouche de cet homme que la longue fréquentation de la synagogue avait fini par rendre malade et tourmenté: «Que nous veux-tu, Jésus de Nazareth? Es-tu venu pour nous perdre?». Il faudra attendre que cet homme tourmenté, au contact de la personne de Jésus et par l’ouverture à sa parole, soit capable de se libérer l’esprit de tous les conditionnements de son ancienne éducation, de toutes les fausses idées, les fausse croyances qu’il y avait accumulées, pour qu’il récupère sa véritable identité. Certes, cela n’a pas été une tâche facile, il a été secoué avec violence, il a poussé de grands cris dans ce travail de restructuration intérieure, mais c’est le prix chaque fois qu’un être nouveau veut naître à la vie.

MB

dimanche 3 février 2013

S'il me manque l'amour je ne suis rien


L’AMOUR QUI NOUS HABITE

(Première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens, 12, 31-13,13) 

Paul écrivait cette première lettre aux chrétiens de Corinthe en l’année 56, lorsqu’il se trouvait à Éphèse  dans l’actuelle Turquie.
À travers l’envolée lyrique de cette hymne à l’amour, qui est sans aucun doute une des plus belles pages du NT et même de la littérature mondiale, Paul cherche à décrire comment la façon divine d’aimer doit se manifester dans notre vie et dans la vie du monde.
Cette hymne à l’amour constitue la conclusion d’une longue réflexion sur les qualités, les dispositions, les capacités de chacun à l’intérieur de ce corps que les baptisés forment en tant que membres d’une même communauté de foi. Or, pour la construction de la communauté chrétienne, explique Paul, l’Esprit de Dieu gratifie chacun de dons et de charismes spécifiques: du don des langues à celui de prophétie; des dons de science et de la connaissance, et jusqu’à une foi à transporter les montagnes. Mais il y a un don qui dépasse tous les autres et sans lequel tous les autres talents et toutes les autres aptitudes ne sont absolument rien: c’est l’amour. S’il me manque l’amour, je ne suis qu’un cuivre qui résonne, un bruit  fatigant, du vent, je suis creux, je suis vide, je ne suis rien. Même ce qui paraît être le signe le plus manifeste de l’amour, comme distribuer toute ma fortune, me faire brûler vif, s’il me manque l’amour, ce n’est que besoin de me faire valoir, superbe mépris ou haute performance; alors cela ne me sert à rien.

Dans une autre lettre,  Paul affirmait: «L'amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l'Esprit Saint qui nous a été donné » (Rom. 5, 5). Cela veut dire que l'amour même de Dieu est en nous. Voilà ce qui est toute une bonne nouvelle, si nous voulons bien l'entendre! Ici, pour l’édification et le ravissement de sa communauté de Corinthe, Paul chante les caractéristiques de cet amour de Dieu versé en nous grâce à l’Esprit de Jésus qui nous habite. Pour qualifier cet amour de Dieu en nous et pour le distinguer des autres formes humaines d’amour, Paul utilise le mot grecque «agapé» (traduit traditionnellement par «charité»). Le grec, qui est une langue plus précise que le français, a des mots différents pour exprimer les différentes nuances de l’amour. Ainsi «éros» c’est l’amour charnel-passion, l’amour de la sexualité, du plaisir et de reproduction; «philé» c’est l’amour de l’amitié, l’amour d’attraction, l’amour d’élection, l’amour émotif, l’amour que l’on ressent comme un sentiment fort et agréable, sans avoir nécessairement une connotation  sexuelle;  «storgé» c’est l’affection naturelle qui unit les membres d’une même famille, d’un même clan, d’un même milieu social, il indique plus spécifiquement l’amour de la mère-poule pour ses poussins. Lagapé, par contre, c’est l’amour de Dieu en nous qui transfigure à son image notre capacité d’amour  et qui  révèle au monde une nouvelle façon d’aimer et qui est  la façon divine d’aimer.
Voilà ce que cet amour-agapè vous rend capables de faire, dit Paul au Corinthiens! Les quinze comportements que Paul énumère dans son inventaire, loin d'être des utopies, constituent des attitudes humaines étonnantes que la présence de l’amour de Dieu  nous rend capables de réaliser dans notre existence. Cet amour-agapé soulève notre existence à un niveau supérieur; lui donne, pour ainsi dire, une qualité divine, car il nous permet d’aimer et donc d’agir et de réagir à la façon de Dieu et selon le style de Dieu. Cet amour permet à ceux qui aiment d’acquérir, pour ainsi dire, l’art de vivre de Dieu et  d'atteindre des sommets de don, de pardon, d'oubli de soi, de gratuité, de détachement, d’indulgence, de miséricorde, de douceur, de joie… que leur vie devient un lieu privilégié de la présence de Dieu en ce monde.
Paul insiste que c'est l'amour et lui seul qui fera de nous des adultes et des personnes pleinement accomplies: « Quand viendra l'achèvement, ce qui est partiel disparaîtra. Quand j'étais un enfant, je parlais comme un enfant, je pensais comme un enfant, je raisonnais comme un enfant. Maintenant que je suis un homme, j'ai fait disparaître ce qui faisait de moi un enfant.». Lorsque j’étais enfant je ne faisais que recevoir de l’amour, mais maintenant que je suis adulte dans le Seigneur et que je possède son cœur et son Esprit, je ne puis qu’en donner, comme Dieu.». On peut en déduire que toutes les autres qualités, le courage, la générosité, même la foi et l’espérance, la science les pratiques religieuses, le don de faire des miracles et des guérisons, le don des langues ou de prophétie, ne sont que des enfantillages, destinés  à disparaître au regard de la seule valeur qui compte, l'amour.
Cet amour de Dieu qui transfigure notre vie est finalement la seule réalité et la seule valeur qui compte et qui dure. C’est dans cette amour et par cet amour que notre vie s’accomplit et qu’elle acquiert sens, profondeur, solidité et la permanence et  la pérennité qui lui permettront de vaincre sa caducité et sa précarité foncières et de continuer même au delà de la mort. Cet amour est en effet plus fort que la mort, car ayant été semé en nous par Dieu, il ne peut qu’éclore, s’épanouir et porter tous ses fruits lorsque nous serons exposés pour toujours au soleil de sa présence. «Cet amour ne passera  jamais».
 MB