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mercredi 12 septembre 2012

PARDONNER POUR SE LIBERER



(Matthieu 18, 21-35)


Cet évangile clôt le « discours communautaire » de Matthieu qui traite de la vie pratique des communautés chrétiennes. Dimanche dernier, Jésus prônait la miséricorde envers le frère égaré, aujourd'hui, il prône cette même miséricorde quand on a soi-même subi une offense. Mais le fait que c’est Pierre qui s’approche de Jésus pour lui demander : « combien de fois dois-je pardonner à mon frère ? » - insinue que, non seulement les individus, mais encore la communauté en tant que telle, ne doit jamais se fatiguer de pardonner.

La réaction naturelle - et habituelle - est de rendre les coups. En Orient, la vengeance était sainte, sacrée au point que l’Ancien Testament la prête (à tort) à Dieu lui-même. Pierre sait qu’il faut pardonner, mais il arrive un moment où la patience est à bout. Et, d’ailleurs, une épouse doit-elle continuellement encaisser les grossièretés d’un mari égoïste, subir les attaques d’un mari buveur ? Tout comme le pauvre mari les flèches d’une partenaire aigre et revêche ? Les parents qui laissent tout passer ne rendent-ils pas un mauvais service à leurs enfants ? La bonté ne finit-elle pas par devenir bêtise ? Il y a des limites à tout. Pierre fixe cette limite avec une évidente générosité. Il dépasse la norme des rabbins qui limitaient leur patience et leur pardon à «une, deux ou trois fois ». Pierre va jusqu’à sept !
Jésus répond : Je ne te dis pas jusqu’à sept fois, mais soixante-dix fois sept fois, retournant ainsi un principe de vengeance connu de ses auditeurs : « Caïn fut vengé sept fois, mais Lamek sera vengé soixante-dix-sept fois » (Gn 4,15.23-24). En d’autres mots, ne comptabilise pas; sois toujours prêt à pardonner. Jésus en a donné l’exemple quand, jusque sur la croix, il pria : « Père pardonne-leur, ils ne savent ce qu’ils font ».

L’insistance sur la nécessité du pardon est en effet une des caractéristiques fondamentales de l’enseignement de Jésus. On dirait que pour lui l’homme ne peut vraiment s’humaniser que dans la mesure où il accède  à la capacité de pardonner et que la capacité de pardonner est la conséquence de la libération intérieure qui surgit de la découverte de l’amour de Dieu dans notre vie. Si Jésus est venu pour nous aider à trouver le chemin de notre liberté et donc pour nous libérer de tout ce qui  nous opprime,  nous  réduit en esclavage, nous tyrannise,  nous tourmente , il se devait de faire du pardon la condition indispensable du salut.
La colère, la haine, le ressentiment, la rancune, l’amertume quand ils sont longtemps nourris et entretenus, deviennent des attitudes intérieures parasitaires, terriblement dangereuses pour notre santé mentale, psychique et physique. Ces états d’esprit négatifs sont comme des cancers qui nous consument et nous détruisent  petit à  petit. Camus en parlant  de la haine et du désir de vengeance qui parfois rongent des familles pendent des générations entières, les comparent à un nœud de vipères en nous.
En entretenant la colère, en continuant à nous sentir affecté par le crime de l’autre, nous permettons à celui qui nous a fait du mal de continuer à nous nuire. Nous continuons à lui donner du pouvoir sur nous. Dans notre angoisse de le sortir de notre vie, nous lui donnons en fait une place et une influence toujours plus grandes. Au lieu de nous débarrasser du mal et de la souffrance qu’il nous procure, par l’importance que nous lui accordons (par notre haine), nous faisons en sorte qu’il gère et gouverne notre vie. Nous devenons les esclaves de notre ennemi et les esclaves de la haine que nous ressentons envers lui. La seule façon que nous avons de récupérer notre liberté et notre paix consiste à le sortir définitivement de notre vie par la stratégie du pardon. Seulement le pardon nous permet de sortir de l’étau dans lequel la haine nous renferme.
Sans compter que tout ce négativisme et cette désagrégation intérieure empoisonnent et pourrissent notre vie et ont des effets délétères non seulement sur notre santé physique et spirituelle, mais même sur notre apparence extérieure: ils crispent nos traits,  plissent notre visage, nous vieillissent  avant le temps, raidissent notre caractère, nous rendent amers, agressifs, incapables de sourire à la vie et de sourire tout court. Aucune vie n’est capable de s’épanouir si elle se déploie entourée continuellement par les miasmes de la rancune et de la haine. De sorte que le pardon avant encore d’être un geste de bonté et de magnanimité  envers l’offenseur, est avant tout un geste de sagesse et de bonté envers nous-mêmes. Avant encore d’avoir pitié du délinquant, nous devons avoir pitié de nous. Le pardon est alors le seul moyen que nous avons pour reprendre possession de notre véritable identité, pour reprendre les reines de notre existence et, en chassant les serpents et les démons de la rancune et de la haine qui  nous hantent, retrouver la sérénité du regard, l’éclat de notre sourire et la beauté foncière de notre âme.

Pardonner, ça ne veut pas dire OUBLIER, ni EXCUSER. C'est pour nous libérer, pour aller mieux, pour guérir, pour être en paix, que nous devons pardonner. Pardonner, c'est enlever l'impact émotionnel de l'offense, afin de ne plus en être touchés. C'est nécessaire pour notre sérénité présente et future. Il faut aussi renoncer à obtenir vengeance ou réparation, et cesser d'attendre des excuses de l'autre. Ceci nous maintient dans le passé et nous empêche d'avancer.

Jésus a donc raison de nous convier avec insistance sur la route du pardon. Depuis longtemps et mieux que nous il a compris que les humains, sur lesquels brille la lumière de la ressemblance de Dieu et la grandeur de la filiation divine, sombrent dans un terrible délabrement lorsqu’ils échouent leur vie sur les plages ravagées de l’agressivité, de la vengeance et de la haine et que finalement  seulement le pardon constitue leur ultime chance de bonheur et de salut.


MB

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