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samedi 23 novembre 2013

MÊME LA FIN PEUT ÊTRE UN DÉBUT

LA FIN D'UN MONDE POUR QU'UN NOUVEAU PUISSE APPARAÎTRE
(Luc 21, 5-19)

On a beau encourager les chrétiens à lire la bible, pour nous, qui vivons au XXIe siècle, ce livre reste difficile, âpre, indigeste et très souvent incompréhensible. Il est le produit d’une pensée, d’une sensibilité, d’une culture, d’une religiosité vieille de plusieurs milliers d’années. Il utilise un vocabulaire, des concepts, des images, des noms, des situations, des coutumes d’un temps complètement révolu et qui ont perdu pour nous aujourd’hui leur sens original, leur contenu, leur pertinence, leur intérêt et que donc nous ne sommes plus capables de comprendre.

Cela ne veut pas dire que le message spirituel et religieux que la Bible veut transmettre aux hommes soit échu ou périmé et qu’il ne soit pas approprié à nos besoins d’aujourd’hui. Ce message qui décrit  l‘expérience spirituelle d’hommes qui ont cherché Dieu dans le passé a, au contraire, une valeur universelle, car il explicite et traduit un besoin, une quête, une aspiration qui est au cœur de l’homme de tous les temps et qui par conséquent nous concerne et nous touche nous aussi qui vivons à quelques milliers d’années de distance de ces textes anciens. Seulement, pour que ce message devienne intelligible, il faut le réécrire dans le langage d’aujourd’hui.

Les chrétiens, pour lesquels l’Évangéliste Luc écrivait ce texte entre les années 80-85 environ, étaient aux prises avec trois grandes questions auxquelles Luc cherche à donner une réponse pour tranquilliser ces croyants. Quelles étaient les questions qui préoccupaient et qui angoissaient ces anciens chrétiens?

Premièrement: la disparition du temple de Jérusalem (détruit en l’an 70 par l’armée  romaine de Tite) et de la ville elle-même, suivie de la subséquente dispersion du peuple juif  hors de la Palestine. C’était la fin du judaïsme en tant que religion identifiée à un territoire et à un État.  Or le temple de Jérusalem était, avec sa ville, le symbole de l’alliance de Dieu avec le peuple juif; le signe tangible et visible de l’élection, de la bienveillance et de la présence de Dieu au milieu du peuple auquel Dieu avait juré une protection et une fidélité éternelle. Comment Dieu avait-il pu oublier ses promesses et abandonner de la sorte une nation qu’il avait pourtant élue pour être guide et lumière parmi toutes les autres nations de la terre? Dieu serait-il infidèle? Dieu ne maintiendrait-il pas ses promesses? Dieu aurait-il châtié ainsi toute une nation parce que ses chefs n’auraient pas reconnu en Jésus de Nazareth son envoyé et son messie? Dieu serait-t-il à ce point cruel, rancunier et partisan, alors que Jésus avait enseigné qu’il est un Père qui aime tous sans distinction de religion, de culture et de race? Un vrai dilemme donc pour les adeptes d’un mouvement spirituel issu du judaïsme et dont le Fondateur et ses plus proches collaborateurs étaient des juifs pures laines.

Le deuxième point qui tracassait les chrétiens du temps de Luc était la constatation qu’eux aussi subissaient toutes sortes d’épreuves et de vexations. En Palestine, ils étaient haïs, pourchassés, emprisonnés et tués par les autorités religieuses juives. En dehors de la Palestine, ils étaient persécutés par les autorités civiles romaines qui les soupçonnaient et les accusaient de trahison et de différents autres crimes. Sans parler des drames et des contestations qui pouvaient surgir au sein d’une famille lorsque l’un de ses membres adhérait à cette nouvelle doctrine et se convertissait à cette nouvelle foi. Si ces anciens chrétiens pouvaient comprendre que Dieu avait  pu délaisser, d’une certaine façon, son ancien peuple, ils éprouvaient de la difficulté à accepter que Dieu n’accorde pas plus d’attention et de protection à son nouveau peuple, à cette nouvelle communauté qui avait adhéré à Jésus et qui avait cru à sa mission d’envoyé et de messie de Dieu.

Le troisième point qui angoissait les chrétiens du  temps de Luc était la question de la fin du monde. Cet argument enflammait les esprits, causait toute sorte d’états d’âme allant de la panique à l’exaltation. Il était une source de continuelles discussions, de suppositions, de création de scénarios rocambolesques et fantastiques, les uns plus bizarres que les autres. Autant  les juifs (y compris Jésus) que les chrétiens étaient convaincus que Dieu s’apprêtait à intervenir d’une façon drastique pour mettre fin à ce monde tel que nous le connaissons, pour en commencer un autre meilleur ici ou ailleurs. 

Dans son évangile Luc intervient pour mettre les choses dans leur juste perspective, pour éclairer et rassurer ces chrétiens traumatisés et inquiets, afin qu’ils puissent vivre leur foi dans la paix et la sérénité. Et il fait cela en attribuant ici à Jésus un discours, des paroles, des affirmations, dont la fonction est d’établir ses disciples dans la confiance en la bonté et l’amour d’un Dieu qui ne peut pas se démentir, même si toutes les apparences apparaissent parfois contraires. Il faut reconnaitre que les paroles et les exhortations que Luc met sur la bouche de Jésus dans ce chapitre 21 de son évangile sont loin d’être claires et bien articulées. Les sujets et les thèmes se croisent et s’entremêlent, de sorte qu’il est difficile de saisir avec clarté de quoi Jésus veut parler précisément.

Si nous voulons comprendre quelque chose nous devons le traduire dans notre langage et notre logique  moderne. Le message, en définitive, est : « Quoi qu'il arrive... Ne vous effrayez pas... ». C'est aussi : « Ne vous appuyez pas sur des valeurs qui ne sont pas définitives». Le Temple en était un bon exemple; restauré par Hérode, agrandi, embelli, couvert de dorures, il était magnifique; mais lui aussi fait partie de ce monde qui passe... Rien n’est stable dans l’Univers, mais tout évolue vers une complexité et un perfectionnement plus grand. Et cela à travers des catastrophes et des cataclysmes d’une ampleur et d’une puissance inimaginables; à travers de continuels destructions, transformations et changements. Il est nécessaire que des mondes, des époques, des ères, des pans d’histoire se terminent et meurent pour que du nouveau et du neuf puisse apparaître. C’est la logique inscrite dans la nature de tout ce qui existe et qui est une expression et une révélation du bouillonnement de vie qui existe en Dieu lui-même.

«Pas un cheveu de votre tête ne sera perdu », ce qui veut dire que tout notre être, corps et âme, est dans la main de Dieu. Même à  travers la mort, qui est en définitive la pire chose qui puisse nous arriver, nous sommes assurés de rester vivants de la vie de Dieu. Et, quelles que soient les persécutions et les malheurs que nous devons subir au cours de notre vie, c’est toujours Dieu qui mène le bal et il trouvera toujours le moyen d’accomplir ses plans et de mener à bonne fin les destins d’un monde qui a surgi de sa puissance et de son amour.

Notre attitude en tant que disciples de Jésus et héritiers de son message doit être celle de la confiance, une confiance que rien n'ébranle: ni les catastrophes, ni les persécutions.

Dans les perturbations du monde et les épreuves de la vie, seule une confiance tenace nous évitera les égarements dans la peur et le désespoir. Saint Paul le dit aussi à sa manière « Ni la mort, ni la vie, ni les anges, ni les dominations, ni le présent, ni l'avenir, ni les puissances, ni les forces des hauteurs, ni celles des profondeurs, ni aucune autre créature, rien ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ, notre Seigneur» (Rm 8, 38-39).


MB

lundi 4 novembre 2013

LE VOLEUR QUI A REMBOURSÉ


( Luc 19, 1-10)

Luc est l’évangéliste de l’amour, du pardon et de la miséricorde de Dieu toujours assurés à ceux qui ont fait le mal. L'histoire de Zachée veut en être une illustration.

Le nom  Zachée signifie "pur, juste". Tout un appellatif pour cet homme qui est une véritable fripouille de gros calibre! Il est en effet le chef des collecteurs d’impôt au service de l’occupant romain. Les Romains ne fixaient pas l’impôt individuel, mais seulement le montant global qu’ils voulaient encaisser dans une région. Ils ne se préoccupaient pas des moyens utilisés pour collecter l’argent. On devine aisément les conséquences: les collecteurs, qui étaient généralement des gens avides et sans scrupules, s’en mettaient plein les poches, sans hésiter à recourir aux menaces et à l’extorsion. Zachée reconnaît d’ailleurs implicitement qu’il prenait quatre fois plus que le taux normal. C’est pour toutes ces raisons que ses concitoyens juifs le considéraient comme un traître, un renégat vendu aux romains et un voleur. De par son métier, qui le mettait en contact avec les romains et de par sa pratique frauduleuse, Zachée était donc loin d’être un pur et un juste. Il était considéré un pécheur public que tout le monde devait fuire et éviter. Zachée, qui avec son argent pouvait tout avoir, en réalité manquait de tout ce qui est vraiment important dans la vie: l’estime, la considération, la réputation, l’amitié, l’amour….

Zachée habitait Jéricho, une petite ville enfouie au creux d’une vallée que Jésus s’apprêtait à traverser dans son voyage vers Jérusalem. Zachée, dit l’évangéliste Luc, "cherchait à voir Jésus". Ce n’était pas seulement de la curiosité, comme on cherche à apercevoir une vedette ou à lui demander un autographe. C’était plus que cela. Zachée voulait savoir « qui était Jésus ». Il voulait se rendre compte «de visu»  qu’est-ce que cet homme pouvait bien cacher dans son ventre pour dégager une telle grâce, une telle attirance, pour exercer une telle fascination, un tel ascendant sur les gens, pour faire de tels discours et pour enseigner une telle doctrine… ce Jésus  qui avait  tout l’air d’un vagabond et d’un clochard !

Zachée nourrissait, somme toute, une secrète et immense admiration pour cet homme extraordinaire et, peut être aussi, un grand désir, une nostalgie profonde de lui ressembler, d’une certaine façon. Et pour voir et rencontrer Jésus, il était prêt à tout, même au ridicule, comme se percher comme un gamin en haut d’un sycomore. Et c’est là, qu’en passant, Jésus le déniche: « Zachée, descends vite, parce qu'aujourd’hui je veux m’arrêter chez toi !..»

N’est-il pas étonnant que Jésus s‘invite dans la maison d’un homme que tout le monde fuyait? N’y a-t-il pas un message pour nous dans l’attitude de Jésus qui s’approche d’une personne de laquelle tout le monde s’éloignait? L’évangile ne veut-t-il pas nous montrer par là l’existence d’une autre logique, différente de la logique des hommes, parce qu’elle est la logique de Dieu?

Cette attitude de Jésus envers Zachée  nous touche au plus profond, parce qu’elle nous concerne. Car dans notre société il ne manque pas de gens, qui regardent d’abord et uniquement le délit, qui confondent la personne et l’acte commis. On entend souvent dire: "Un tel, c’est un voleur, une fripouille, un corrompu, une personne sans scrupules, un violent, un violeur … etc. Comme dans l’histoire de Zachée: "voyant cela, tous râlaient: Il est allé loger chez un pécheur!". "Voyant cela": mais  ce n’est évidemment pas le même regard que celui de Jésus. Jésus n’accepte pas d’enfermer l’homme dans ses actions passées, de l’établir dans une catégorie définitive, de le marquer pour toujours du sceau de la culpabilité. En allant loger chez Zachée, Jésus dit très fort, non pas en paroles, mais en actes: tout homme vaut plus que la somme de ses actes, quels que soient ces actes, tout homme est capable de changer; tout  homme mérite une deuxième chance…

Zachée, donc, reçoit Jésus avec joie, nous dit Luc, et les choses auraient pu en rester là. Cette rencontre inespérée avec Jésus aurait pu rester une simple rencontre, qui serait devenue avec le temps un bon souvenir. Zachée était libre de recevoir Jésus très poliment comme un hôte de marque, sans s'engager lui-même en profondeur, sans que cela change quoi que ce soit à sa vie. Mais il était libre aussi d'en faire tout autre chose; de saisir la proposition de Jésus pour en faire l'aujourd'hui du salut pour lui. De fait, Zachée transformera la rencontre avec Jésus en un événement d’amour qui donnera une toute autre orientation à son existence: « Zachée, s'avançant, dit au Seigneur : voilà, Seigneur, je fais don aux pauvres de la moitié de mes biens, et si j'ai fait du tort à quelqu'un, je vais lui rendre quatre fois plus.» Alors Jésus annonce: « Aujourd'hui le salut est arrivé dans cette maison, car lui aussi, malgré ses vols, ses  délits, ses erreurs et ses péchés est un fils d'Abraham, c'est-à-dire, un fils de Dieu. »

 Zachée, comme le bon larron, comme le publicain au temple, est « justifié», c’est- à-dire trouve désormais sa juste place devant Dieu, parce qu'il a ouvert les yeux, il a fait la vérité sur lui-même. Il a reconnu que son bonheur lui vient d’ailleurs et non pas des choses et des biens qu’il possède. Au contact de Jésus,  Zachée a compris que si un homme ne vit que pour lui-même, sans s’ouvrir à l’amour de Dieu et des autres, il sera perdu. Car il vivra sa vie sans connaitre le véritable bonheur; renfermé dans la tristesse de l’égoïsme et l’insignifiance d’une existence sans but et sans valeur.

Cet évangile veut nous faire comprendre qu’il faut parfois passer par les remords de la culpabilité pour souhaiter un pardon; qu’il faut parfois avoir touché le fond obscur de la transgression et de la faute et peut-être aussi d’une certaine déchéance humaine, pour que naisse en nous l’envie de voir le ciel; qu’il faut avoir expérimenté les humiliations de la chute, pour que surgisse le désir de nous relever; qu’il faut, peut-être, vivre la sensation d’être perdus, pour crier au secours et désirer qu’une main nous soit tendue pour nous sauver; qu’il faut souvent avoir été dégoûté par la laideur du mal, pour que naisse l’attrait de l’innocence et le goût de la beauté; qu’il faut avoir été les esclaves d’innombrables maîtres, pour que surgisse en nous le désir de «voir» notre vrai Seigneur.

 Cet état de culpabilité, de péché, de faute, d’«injustice» dans lequel la vie souvent nous enferme, constitue quelquefois la condition qui permet de découvrir, avec surprise, que le Seigneur nous avait toujours à l’œil; qu’il regardait vers nous depuis longtemps; que même dans la solitude de notre égarement  il ne nous avait jamais abandonné, mais qu’il avait toujours été à nos côtés, en attendant l’occasion de prendre une place à l’intérieur de notre maison .

Cet évangile ne veut pas justifier la faute, la transgression et le péché, mais il veut nous faire comprendre que le pécheur, si détestable soit-il aux yeux des hommes, ne l’est jamais aux yeux de Dieu et que c’est  peut être en sa compagnie que Dieu  préfère se tenir.


BM